Après Covid-19 : retour aux années folles
Vivrons-nous des années folles, comme ces années 1920 où il s’agissait d’oublier le traumatisme de la Première guerre mondiale ? Par Didier Julienne, Président de Commodities & Resources » (*). (La Tribune)
Les années folles qui atténuèrent les traumatismes de la Première Guerre mondiale s’épanouirent après le Dadaïsme, cette remise en cause écarta les conventions, la logique, les convenances, la raison, la poésie, la peinture, les littératures qui avaient accompagné la catastrophe de la guerre. Le mouvement jusqu’au-boutisme précéda l’émergence du surréalisme, de l’art déco, de la libération des femmes et la mode garçonne de Chanel, la diffusion du jazz dansé par Joséphine Baker avec la nouveauté du Charleston . Il était contemporain de la diffusion de nouvelles idéologies dont le communisme qui s’incarnait en Russie et, parallèlement, du nouveau dieu étatsunien et de sa vitesse fascinante en tout, y compris dans la rapidité du progrès et notamment dans la modernisation des domiciles avec la radio qui facilita la massification des sensibilités et des opinions.
Mais cette décennie de liberté fut également nommée décadente, une jouissance détraquée de la vie et son art qualifié de dégénéré par des critiques qui se distinguèrent au cours de la Deuxième guerre mondiale.
Parallèle
Le parallèle entre la guerre et la crise de la Covid-19, entre les années folles et notre futur post-vaccinal, est sans doute une exagération de la planète communication. Néanmoins, la pandémie aura des conséquences à long terme pour de nombreux contaminés et à la différence d’une minorité qui aura abusé de fêtes ou restaurants clandestins, parce qu’elle est adepte d’un marché noir de l’anti-distanciation sociale, pour le commun des confinés, la distanciation sociale est un combat, particulièrement pour les plus jeunes. Ils demanderont avec raison que cette période soit suivie de son antithèse, une fusion sociale et la liberté retrouvée, les fêtes, la nuit entre amis, les retrouvailles familiales chacune à leur façon, les voyages pour se mélanger avec des étrangers…
Dans ce futur proche, quel sera l’équivalent de la découverte du jazz dans le Paris des années 1920, quelles seront les nouvelles idéologies, quel sera l’art nouveau, où est son avant-garde ? Subirons-nous une nouvelle influence des États-Unis sur l’Europe comme il y a un siècle, puis pendant les années 1950, ou bien ce prochain soft-power viendra-t-il de l’Est, d’Asie ? Ou encore ni Chine ni États-Unis, cette influence sera-t-elle la nôtre, celle du chez soi, locale, un renouveau des terroirs, un succès du non-globalisme ? Ces années à venir seront-elles lentes, celles d’intellects secs, de croyances religieuses nouvelles ou anachroniques : dieux naturels, saisonniers ou olympiens ? Le freinage brutal des naissances dû la pandémie sera-t-il poursuivi d’une prise de conscience d’une surpopulation mortifère qu’il faut freiner par un malthusianisme généralisé ou bien d’un baby-boom généreux ?
Ne croyons pas que l’avenir sera comme le passé, mais en pire. Espérons plutôt qu’un néo-Dadaïsme réforme la situation de chacun et de la société.
Remise en question omniprésente
À l’échelle individuelle, cette remise en question est déjà omniprésente : avenir, finalité de l’existence et les moyens à mettre en phase avec un projet de vie. Les études ou le métier actuel, qui ont permis de passer au travers de la crise de la Covid-19, sont-ils à abandonner pour éliminer la souffrance post-traumatique de l’épidémie ou bien simplement à adapter, avec le travail à distance ?
L’exemple des soignants est éclairant. La Covid-19 est la crise suraiguë au milieu d’un très long malaise chronique devenu intolérable à cause du manque de reconnaissance, des horaires surchargés, des salaires imparfaits et de l’étouffement de la sur-administration. C’est le combat de trop, celui dont on ne parlera qu’avec pudeur entre anciens camarades de salle de réanimation, entre initiés qui comprendront avec peu de mots les traumatismes, les intubations, la fatigue de la fatigue de voir la mort gagner… Ils sont déjà si nombreux à quitter les métiers de la santé que ces derniers devront faire leur Dadaïsme, se libérer des conventions et des carcans pour retrouver une attractivité.
Deux évolutions évidentes
À l’échelle de la société, deux évolutions sont déjà évidentes. Premièrement, minorer le changement climatique. Mais les premières initiatives ne sont pas encourageantes. La bataille de Poitiers commence par tuer le rêve d’enfants icariens, voler, et, par suite, elle nie les possibles progrès tel que celui de l’avion électrique ou à hydrogène. À n’en pas douter cette école de pensée poursuivra d’autres batailles contre la curiosité de l’homme qui le pousse à aller voir au-delà de l’horizon, découvrir les roches de Mars. Cette situation ressemble étrangement à une scène du film Interstellar, celle de la maitresse d’école qui reproche à son élève d’avoir amené à l’école un livre indiquant que l’homme a marché sur la Lune, alors que selon la doxa professorale de cette époque future, cet événement serait une infox étatsunienne construite dans l’unique but de précipiter la chute de l’URSS. Je préfère de loin entendre l’entreprise japonaise Prologium Technology nous indiquer que d’ici la fin 2021 elle produira des batteries de véhicules électriques capables d’une autonomie de 1 .150 km.
Mettre à jour les solidarités stratégiques
Deuxièmement, la pandémie accentue la nécessité d’accélérer la mise à jour des solidarités stratégiques. Au-dessus de chaque État, il est possible de les identifier. Elles sont autant de trajectoires à très long terme auxquelles les administrations et les différents gouvernements qui se succèdent à la tête du pays ne touchent pas parce qu’elles façonnent la relation particulière entre la population et son concept de nation. Elles sont un prélude à la construction politique et au développement économique d’un pays, elles différencient les États les uns des autres, parce qu’elles définissent leurs dépendances, leurs indépendances et leurs interdépendances vis-à-vis notamment de la sécurité, des ressources naturelles, du développement économique, de la santé, de modèle économique…
La première d’entre elles est sans aucun doute l’inspiration première de l’État, dans sa Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dans sa constitution, ou de par la voie tracée dans la matrice idéologique d’un petit livre rouge. Bref, l’évènement intellectuel qui inspire ou conclut, selon les cas, la guerre de libération ou la révolution qui engendra le premier pouvoir en place. Cette solidarité stratégique intellectuelle et fondatrice est suivie des solidarités stratégiques plus tangibles décidées à des moments historiques ou charnières, telle la fin d’un conflit mondial par exemple.
À sa façon la pandémie du Covid-19 est l’un de ces moments charnières. Certes, elle aura peu de conséquences sur les solidarités stratégiques de pays asiatiques qui ont bien géré la crise parce que le risque pandémique y figurait. Mais son impact majeur sur nos démocraties répond à nos aveuglements. Les menaces extérieures contre l’intégrité du territoire et les populations restaient les solidarités stratégiques primordiales auxquels l’État de droit répondait par la protection de la force. Nos gouvernements ont subitement découvert qu’elles étaient indissociables de souverainetés économiques et sociales dans tous les domaines.
Sans elles, nulle survie des populations sur le territoire national, c’est pourquoi elles sont la ligne de mire de l’immédiat et du long terme ; décisions qui seront aux rendez-vous des prochains échéances politiques et notamment électorales. Ici, à la différence du passé, la politique de l’incantation et de la communication voyageuse seront irrecevables. Au contraire, une nouvelle direction ambitieuse armée d’une expérience démontrée d’actions fondées sur l’intelligence des situations sera gagnante.
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(*) Didier Julienne anime un blog sur les problématiques industrielles et géopolitiques liées aux marchés des métaux. Il est aussi auteur sur LaTribune.fr.