Le Bougainville, 18 000 conteneurs, la folie du gigantisme
Tout le monde se félicite de la mise en service d’un des plus grands porte-conteneurs du monde : 18 000 boîtes ! Contrairement d’abord à ce que dit une grande partie de la presse ce n’est pas le plus grand porte-conteneurs qui lui peut transporter près de 20 000 boîtes. On peut évidemment comprendre que dans ce souci de compétitivité avec les autres armements maritimes on recherche des gains de productivité en accroissant la taille des navires. Cela d’autant plus que les armements et les ports français ont mal résisté à la concurrence internationale depuis une cinquantaine d’années. Pour autant cette course au gigantisme est en contradiction avec certaines préoccupations environnementales ; on a vu par exemple ce qu’amener ce gigantisme en matière de transport de pétrole en cas d’accident. Les portes conteneurs transportent toutes sortes de marchandises y compris des produits chimiques dangereux. Contrairement à ce qui est affirmé on peut douter du caractère plus écologique de ce transport massif. Enfin il convient de se poser la question de l’utilité environnementale de la mobilité pour des produits qui effectuent des milliers de kilomètres alors qu’on pourrait davantage consommer sur place, réduire ainsi de manière significative les émissions polluantes relatives à ses déplacements. C’est malgré tout une inauguration en grandes pompes mais surtout de grande taille qui a lieu ce mardi au Havre, en présence du président de la République François Hollande. Inauguration du Bougainville, le dernier né de la gamme des porte-containers pour la compagnie CMA-CGM. Un bateau hors normes à tous points de vue. Imaginez quatre terrains de football alignés dans le sens de la longueur, cinq Airbus A380 à la queue leu leu, 400 mètres de long sur 54 de large, 240.000 tonnes pilotées par 26 personnes. Construit par le chantier coréen Samsung Heavy Industries, le Bougainville est le plus gros porte-containers au monde. Et c’est un armateur français qui se le paie. 150 millions d’euros la bête, financés sur fonds propres et emprunts. C’est le monde de la démesure. Il embarquera 18.000 containers, trois fois le tour du périphérique parisien sur trois files. Ecologique bien sûr ! Trois fois plus économe que ses prédécesseurs avec beaucoup moins de rejet de CO2. Et puis, dernier cri technologique, seul le Bougainville en est équipé : la traçabilité de chaque container, relié numériquement au navire et au siège, à terre, pour surveiller le contenu, mesurer les vibrations et les températures subies par la marchandise, etc. CMA-CGM est le troisième armateur mondial derrière le danois Maersk et l’italo-suisse MSC. Il est intéressant de souligner que les trois premiers armateurs mondiaux sont européens. Ce sont tous les trois des groupes familiaux – CMA-CGM, c’est depuis 35 ans la famille Saadé. CMA-CGM est implantée dans 170 pays, ce qui lui a permis de ‘’surfer’’ sur la crise. Quand une zone tourne moins bien, une autre compense. Le trafic mondial ne cesse de croître et il faut à CMA se donner les moyens d’accompagner le mouvement en faisant des économies d’échelles, d’où ce mastodonte des mers. Plus les volumes embarqués sont importants, plus les coûts unitaires sont faibles. Le Bougainville permettra des économies d’échelle de 10 à 15% par rapport à la génération précédente de porte-containers. Mondialisation à laquelle participe l’Europe. CMA-CGM voit l’activité chinoise reculer mais les exportations européennes progresser : +5% vs 2014 (Allemagne et France dans l’agroalimentaire, les produits agricoles). Le Bougainville s’apprête à partir avec de la luzerne destinée aux chevaux pur-sang des Emirats, un catamaran Jeanneau pour l’Asie, des pommes de terres pour le Koweit…