Fiscalité: Des passoires à caractère surtout politique
Seules six niches fiscales sur 471 vont être modifiées dans le prochain projet de loi de finances, malgré les problèmes que ces dérogations peuvent causer. Une question plus politique qu’économique. Par Éric Pichet, Kedge Business School
Notons que cet article ne traite pas de la niche fiscale officieuse qui consiste en une domiciliation fictive dans un paradis fiscal à Monaco, en Belgique ou ailleurs. NDLR
Avec un déficit public attendu à plus de 5 % du PIB l’an prochain et le refus affiché du gouvernement d’augmenter la pression fiscale, la rationalisation des quelque 471 niches fiscales recensées à ce jour devrait constituer, tout comme la lutte contre la fraude, une priorité. En effet, ces exonérations représentent un manque à gagner de l’ordre de 83 milliards par an (hors CICE en voie d’extinction) soit 25 % des recettes budgétaires de 340 milliards, ou encore près de 4 % du PIB.
Or le PLF 2023 ne prévoit qu’un minuscule toilettage de six petites niches, dont cinq sans aucune incidence budgétaire. Pourquoi tant de frilosité à s’attaquer à ce chantier à l’heure où des économistes expliquent qu’elles constituent, pour certaines, un facteur de creusement des inégalités ? Il est vrai qu’il s’agit d’une question politiquement toujours sensible, comme l’illustre l’image reprise régulièrement par les politiques : « devant chaque niche (fiscale), il y a un gros chien »…
Dans notre Théorie générale des dépenses socio-fiscales, nous qualifions de niche, ou de dépense socio-fiscale :
« Toute disposition, législative, réglementaire ou administrative, dont la mise en œuvre entraîne pour les administrations publiques une perte de recettes, qui peut être remplacée par une dépense budgétaire et qui accorde, directement ou indirectement, à une catégorie de contribuables, un allégement de ses prélèvements obligatoires par rapport à ce qui serait résulté de l’application de la norme issue des principes généraux du droit et appliqué au segment spécifique de référence considéré. »
Si les avantages fiscaux ciblés destinés à favoriser tel ou tel groupe social (comme le clergé ou la noblesse sous l’Ancien Régime) sont aussi anciens que l’impôt, les niches fiscales ont officiellement pour objet d’inciter les contribuables à des comportements vertueux (comme le dispositif Pinel pour favoriser le logement neuf ou la réduction d’impôt sur le revenu pour les dons aux œuvres).
Cependant, la prolifération de ces niches fiscales génère de nombreux effets pervers économiquement (en biaisant la concurrence), socialement (en minant le principe d’égalité devant l’impôt), politiquement (en contribuant à créer un état de clientélisme voire de corruption nuisible à l’État de droit) et même environnementalement.
Quelles niches éliminer ?
Pour réduire le manque à gagner pour l’État, le ministre de l’Économie Francis Mer avait décidé en 2003 de s’attaquer au maquis des niches. Depuis, le législateur a mis en place diverses stratégies pour contenir leur expansion comme l’éphémère « règle du gage » de 2009 qui n’autorisait leur création ou leur extension qu’en compensation de la suppression d’une niche de même coût.
Pour l’impôt sur le revenu, un autre moyen de réduire le coût des niches de l’impôt sur le revenu a été le plafonnement global initié sous la présidence de François Hollande au 1er janvier 2013, actuellement de 10 000 euros par foyer (mais qui fait lui-même l’objet de dérogations, par exemple pour les Sociétés de financement de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel ou les monuments historiques).
Comment réduire le coût des dépenses fiscales ? Pour tenter de répondre à cette question, nous avons proposé une méthode de gestion des niches fiscales fondée sur une série de six filtres successifs. Ces six critères évaluent d’abord leur légitimité (ainsi l’ancienneté d’une niche n’est jamais un critère pertinent de conservation et l’effet d’aubaine toujours un critère d’élimination), leur utilité, leur pertinence (le dispositif bénéficie-t-il aux contribuables ou est-il capté par des intermédiaires ?), leur efficacité (en prenant en compte tous les coûts, y compris ceux de sa gestion par le fisc), leur substituabilité (est-il possible de remplacer la mesure par une simple subvention moins coûteuse ?) et enfin l’acceptabilité sociale de sa disparition, une question éminemment politique.
Cette méthodologie valide par exemple le maintien de la niche fiscale la plus coûteuse, à savoir le crédit d’impôt recherche (CIR, 7,4 milliards en 2022) bien qu’elle soit la plus critiquée par la littérature qui estime généralement qu’il serait préférable d’augmenter à due concurrence le budget des organismes de recherche publique et des universités.
Or, s’il ne fait aucun doute que la recherche fondamentale apporte à très long terme des innovations révolutionnaires insoupçonnables à leurs prémices et de très forte valeur ajoutée, il est tout aussi incontestable que les entreprises sont les mieux placées pour orienter un type de recherche appliquée qui leur sera profitable à moyen et long terme.
In fine, ce dispositif unique au monde complète sans s’y opposer la recherche publique et offre un avantage compétitif très fort au pays : il s’avère donc parfaitement légitime.
La deuxième grande niche fiscale, pour un coût de 4,9 milliards d’euros par an en 2022, concerne le crédit d’impôt de 50 % des charges salariales (plafonnées à 12 000 euros par an) pour emploi d’un salarié à domicile. En réalité, il s’agit plutôt d’une simple modalité pratique de calcul de l’impôt, une mesure de simplification qui traite le foyer fiscal comme une micro-entreprise employant un ou plusieurs salariés, et dont les charges salariales doivent logiquement s’imputer sur le revenu global du foyer.
À supposer même qu’on ne la considère pas comme partie intégrante du système fiscal, cette niche fiscale apparaît dans tous les cas légitime au nom de la création d’emploi et de la lutte contre le travail au noir. En revanche, le maintien de la troisième niche par son coût est beaucoup plus discutable. Il s’agit de l’abattement pour frais professionnels (sic) de 10 % dont bénéficient les retraités. Cet abattement, plafonné à 3 912 euros en 2021, coûte 4,2 milliards d’euros par an. Cette niche, par nature régressive puisqu’elle ne profite qu’aux foyers imposables, n’a bien entendu aucune légitimité. À défaut de la supprimer – ce qui paraît politiquement suicidaire étant donné le poids des retraités dans l’électorat, une solution en période de retour de l’inflation pourrait être d’en bloquer le plafond ad vitam aeternam pour en réduire progressivement son coût pour l’État.
Enfin, dans un souci d’équité, il serait juste de transformer la réduction d’impôt des dons aux associations (qui pèse 1,6 milliard d’euros par an) en un véritable crédit d’impôt, qui permettrait ainsi à tous les donateurs, y compris les plus modestes, de bénéficier d’un avantage fiscal actuellement réservé, de manière inique, aux seuls contribuables imposables soit 44 % des foyers fiscaux.
D’une manière générale, il serait souhaitable dans un souci d’équité de poursuivre la tendance initiée depuis deux décennies de privilégier les réductions d’impôt sur le revenu des personnes physiques aux déductions du revenu imposable. Comme le soulignait le rapport de l’Assemblée nationale de 2008 sur les niches :
« Le propre des mesures d’assiette est de conduire à un avantage en impôt dépendant du taux marginal d’imposition (plus la tranche est élevée, plus il y a de dispositifs d’abattement) à un avantage en impôt croissant, toutes choses étant égales par ailleurs, avec le revenu du contribuable, à rebours du principe à valeur constitutionnelle posé par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. »
Notre méthodologie d’identification puis de régulation des dépenses fiscales est fondée sur un solide cadre théorique global et sur une logique rigoureuse et claire. Pour l’appliquer, la principale difficulté restera in fine la capacité de la société et de l’électorat à accepter leur réduction ou leur suppression. C’est sans doute la raison pour laquelle, pour éviter les sujets sensibles, le gouvernement a opté pour le statu quo sur les niches fiscales dans le PLF 2023. Mais cette stratégie attentiste est déjà confrontée à de nombreux amendements demandant des suppressions de niches fiscales dans le débat parlementaire actuellement en cours.
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Par Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business School
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.