Mediapart : redressement fiscal d’un million d’euros
Mediapart a indiqué vendredi 27 décembre avoir reçu un redressement fiscal de 1,06 million d’euros, correspondant à la TVA non acquittée en 2008, 2009 et 2010, augmentée d’une pénalité de 40% pour « manquement délibéré ». Ces exercices auraient été prescrits fin décembre. Le fisc demande aussi l’annulation du crédit impôt recherche accordé au site. Mediapart estime que le montant du redressement pourrait grimper à 6 millions d’euros s’il était étendu aux exercices 2011, 2012 et 2013. Tout le monde est au moins d’accord sur un point: Mediapart est une success story, d’autant plus que le pari n’était pas gagné d’avance. Dès ses débuts, le site d’informations en ligne a mis en place un modèle économique remettant en cause la sacro-sainte gratuité de l’information sur le web, en misant sur la qualité de son contenu plutôt que sur un traitement complet de l’actualité. Depuis 2011, Mediapart est bénéficiaire, et 2013 devrait confirmer la tendance. Malgré tout, cette rentabilité n’aurait peut-être pas été aussi précoce si Mediapart n’avait pas fait preuve d’une certaine audace. Le site présidé par Edwy Plenel a en effet -sans s’en cacher- appliqué le taux de TVA super réduit de 2,1%, réservé à la presse papier. La presse en ligne, elle, doit en principe appliquer le taux normal de 19,6% (20% en 2014). Or, l’ancien directeur de la rédaction du Monde réclame de longue date une égalité de traitement pour la presse, quel que soit le support. Et répète à qui veut l’entendre que Mediapart ne bénéficie d’aucune subvention publique, n’ayant comme seules ressources les revenus issus des abonnements. Plus que la cause, largement défendable, c’est la méthode employée qui interpelle. Si les comptes de Mediapart sont totalement transparents, Edwy Plenel joue un jeu dangereux. « S’agissant de la TVA à 2,1%, Mediapart respecte simplement la position adoptée depuis 2009 aussi bien par les pouvoirs publics que par les syndicats professionnels. (…) Qu’il s’agisse de la présidence de la République, du ministère de la communication, des divers rapports de la Cour des comptes, de ceux des parlementaires sur le budget, etc., tous ont pris position pour l’égalité de TVA entre presses, papier et numérique, et donc pour la fin d’une injustice par l’extension à la presse en ligne de la TVA super réduite », affirme-t-il, en réponse à un article de L’Express sur le sujet. Dans sa réponse à l’Express, Edwy Plenel écrit: « cet article aurait été plus équitable s’il avait rappelé que Mediapart n’a aucune autre ressource que les abonnements de ses lecteurs, et notamment aucune subvention publique. En comparaison, L’Express touche par an plus de 6 millions (6.232.242 précisément) de l’Etat (source Cour des comptes) ». En réalité, Mediapart a touché des subventions publiques à la fois du ministère de la Culture (fonds Spel) et d’un programme de recherche sur le numérique piloté par l’ANR (Agence national de la recherche). Précisément, le site indique avoir demandé à la rue de Valois 319.288 euros de subventions en 2009 et 2010, mais n’en utiliser finalement que 288.564 euros, dont la moitié a effectivement été perçue fin 2012. Quant au programme de recherche, il a permis à Mediapart de toucher une avance sur subvention de 54.407 euros. Edwy Plenel tient à préciser: « nous avons décidé de ne plus demander d’aides publiques depuis que Mediapart a atteint l’équilibre fin 2010 et est devenu profitable en 2011″. Sauf que s’il est exact que les pouvoirs publics se sont bien prononcés pour une égalité entre les différents supports de la presse, aucune loi n’est venue valider cette posture. Même si Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture, a récemment promis une loi en ce sens pour 2014. Et que l’absence de redressement fiscal relève plus d’une tolérance que d’une bénédiction. En outre, le fait de ne pas payer un impôt jugé injuste pourrait ouvrir la porte à un certain nombre de dérives. Autre problème: d’autres sites (mais pas tous) ayant employé la même méthode que Mediapart ont fait, eux, l’objet d’un redressement fiscal. C’est le cas d’Arrêt sur images ou du Dijonscope, cités par L’Express. Comme quoi, promouvoir l’égalité peut aboutir à un traitement inégalitaire. Malgré tout, Mediapart semble sûr de son coup, puisque le site ne passe plus de provision dans ses comptes depuis 2011 pour faire face à un éventuel redressement. Dernier point d’interrogation: Mediapart aurait-il été rentable s’il s’était acquitté de la TVA à 19,6%? A priori non: ses bénéfices cumulés sur les deux dernières années représentent environ 1,3 million d’euros (572.000 en 2011 et 703.000 en 2012). Si le taux normal de TVA avait été appliqué, le site aurait dû débourser 1,6 million d’euros de plus (735.500 en 2011 et 873.300 en 2012). Au total, appliquer la TVA réduite lui a évité de débourser 2,3 millions d’euros entre sa création et fin 2012, soit à peu près le montant de sa trésorerie, qui s’élevait à 2,2 millions fin 2012. Cet argent pourrait servir, en partie, à racheter les parts du fonds actionnaire Odysée, si celui-ci venait à se retirer en mars 2014, comme une clause le lui permet. Et permettrait donc à Mediapart de renforcer son indépendance économique.