Politique et législatives : « Tout ça va mal finir »
L’ampleur était attendue, mais l’analyse sociologique de l’électorat vous a-t-elle surpris ?
Une heure après l’annonce du verdict des urnes tombe celle de la dissolution et de la tenue d’élections trois semaines plus tard. Cette « deuxième lame », que « dit »-elle de la personnalité d’Emmanuel Macron ?
Le Président de la République joue au poker. Aujourd’hui encore, je ne comprends pas ce coup de folie. Il semble probable que le RN, une fois les LR divisés avec le ralliement d’Eric Ciotti et avec Reconquête ! laminé par le divorce entre Marion Maréchal et Eric Zemmour, remporte le scrutin, se retrouve à Matignon et ouvre un nouvel exercice du pouvoir – avec pour modèle les régimes des tyrans latino-américains ou des illibéraux d’Europe de l’est -. Surtout que la gauche, même unie, aura du mal à dépasser ses fractures. Ce « pari », qui survient dans l’extrême précipitation et juste avant les Jeux olympiques, est symptomatique de la manière dont le chef de l’Etat gouverne depuis quelques années. Dans une solitude qu’il a choisie, mû par le tragique (économique, géopolitique, climatique qui embrase la France et le monde), il brave l’incroyable. C’est Bonaparte au Pont d’Arcole.
Lorsque du matin au soir est martelée une stratégie visant à dédiaboliser, c’est-à-dire à « normaliser », une idée, peu à peu celle-ci devient acceptable et universelle
Emmanuel Macron n’est pas seul responsable de la popularité du RN. Outre ce contexte exogène vertigineux, le comportement des autres oppositions a joué un rôle clé…
Toute formation politique a le devoir d’entendre la population, d’être à l’écoute de ses souffrances et de ses aspirations. C’est la base. Ensuite, charge à elle d’appliquer un programme en fonction de ses principes idéologiques ou éthiques. Or la gauche a abandonné des sujets comme l’immigration, l’autorité ou la sécurité, au motif qu’ils sont « sales ». Celui de la nation, elle l’a aussi délaissé, ou plutôt elle a construit un récit national qui devait être coûte que coûte en opposition à celui du RN ; à cette fin, elle a tenu des positions absconses, voire duplices ou silencieuses (port du voile, destruction d’œuvres d’art, etc.), prenant le risque de fragiliser les fondations de la laïcité, même de desservir l’émancipation des femmes, et de se perdre à continuer de financer ce qui ne fonctionne pas. Du pain béni pour Marine Le Pen. Qui depuis des années exploite chaque fait divers, et apparait être seule ou presque à partager ces préoccupations avec la population.
« Exploite chaque fait divers » : la victoire du 9 juin, est-ce aussi celle des médias Bolloré, notamment le couple CNews – Europe 1 qui ont servi d’amplificateur aux causes du RN et ont dédiabolisé ses remèdes ?
C’est une évidence. CNews a gagné le match. Le triomphe du RN est celui de CNews, à qui l’on doit que Pascal Praud et Cyril Hanouna soient devenus ce qu’il y a de « mieux » dans le paysage intellectuel médiatique. Lorsque du matin au soir est martelée une stratégie visant à dédiaboliser, c’est-à-dire à « normaliser », une idée, peu à peu celle-ci devient acceptable et universelle. Exemple : le spectaculaire effacement des thèmes sociaux derrière les thèmes identitaires. On ne parle plus de quartiers pauvres et de quartiers riches, mais de quartiers « d’arabes » et de quartiers de « blancs ». Fini la lutte contre les inégalités de conditions, on ne raisonne plus qu’en termes de discrimination et de stigmate. Cette réalité a dépassé le cercle de l’extrême droite, elle s’impose dans le débat public, elle est même relayée par une partie de la gauche. Or à opposer les « blancs » aux « arabes », on s’expose à un bain de sang.
L’instrumentalisation électoraliste du « sentiment d’être méprisé » n’est pas l’apanage du RN…
L’émotion politique est partagée par La France insoumise. Quelle rhétorique Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon brandissent-ils sans cesse ? « Ma parole est méprisée par les élites, mon parti est méprisé par les élites, et vous que je représente êtes méprisés par les élites ». C’est un trait populiste commun aux deux extrémités du spectre.
Ce risque d’embrasement est réel
Redoutez-vous qu’en cas d’installation du RN à Matignon de nouvelles violences jaillissent ?
Au soir du 7 juillet, si l’extrême droite a gagné, je n’exclus pas l’éruption de nouvelles violences urbaines, à laquelle participeront aussi bien étudiants d’extrême gauche que les jeunes des banlieues qui ont enflammé le pays en juin 2023. Ce risque d’embrasement est réel.
Votre champ d’expertise est l’éducation. Dans ce domaine « aussi », on sait très peu des projets réels du RN ?
Sa stratégie en matière d’enseignement supérieur et de recherche est-elle plus lisible ?
Pas davantage ! On ne sait rien, absolument rien de ses objectifs. A part son obsession de lutter contre l’islamo-gauchisme et le wokisme. C’est symptomatique du double risque qu’à pris Emmanuel Macron : placer aux manettes de la France un parti dont on n’ignore tout du programme. Et c’est donc à l’épreuve des faits qu’on apprendra ce qu’il a réellement « dans le ventre ». Par exemple lorsque la France lâchera Zelensky, détricotera l’Union européenne, noyautera l’audiovisuel public ou les instances judiciaires, etc.
Comment les « inégalités sociales » vont-elles progresser si le RN l’emporte ? Vers une aggravation de celles qui existent, vers l’irruption de nouvelles, ou au contraire vers la résorption d’autres - puisqu’après tout le RN promet de s’attaquer à elles ?
Il est difficile de répondre. En premier lieu parce que les inégalités font l’objet d’une double lecture : il y a celles qu’on subit réellement, il y a celles que l’on ressent - et qui ne reposent pas sur des faits. J’habite à Bordeaux. La liste Place publique de Raphaël Glucksmann est arrivée en tête avec 22% des suffrages. Et plus on s’éloigne de la ville, plus le score du RN enfle, dans d’impressionnantes proportions ; celles-ci correspondent-elles à des écarts réels d’inégalités ? Evidemment non. Ce qui est certain en revanche, c’est que les inégalités entre méritants et non méritants va exploser, puisque la société promue par le RN est fondée sur la méritocratie. Les fragiles et les exclus de la société – population souvent issue de l’immigration : heureux hasard pour le RN – verront leurs prestations vaciller. Plus que jamais ils seront ces « pauvres qui n’ont que ce qu’ils méritent ». Quant aux inégalités auxquelles le RN veut s’attaquer, elles soulèvent des équations comptables complexes. Exemple : comment réduire la TVA sans obérer les comptes publics déjà abyssaux ?
« Faire société ensemble » : demain plus que jamais ce vœu sera chimère ?
S’il remporte les élections, le RN ouvrira une période qui devrait être très contrastée. Aux crispations de toutes parts, aux replis, aux violences inévitables ripostera une dynamique de résistance et de solidarité. Comprendre ce qui se passe, décoder les ferments du désamour des Français pour des représentants politiques non extrémistes, est incroyablement alambiqué. Toutefois un chantier m’apparait majeur : redonner du sens à la redistribution. Pourquoi le système français de solidarité, l’un des plus « riches » en termes de prélèvements obligatoires, est-il à ce point contesté ? Parce que son extraordinaire complexité le rend illisible. Et donc décourage, et ouvre la boite de pandore aux interprétations idéologiques et politiques les plus fallacieuses. Il est facile de manipuler les consciences lorsqu’elles ne saisissent pas réellement leur contribution (sortante et entrante) au modèle de solidarité.
Transition écologique agricole : comment en finir avec la chimie ?
Transition écologique agricole : comment en finir avec la chimie ?
Justine Lipuma, CEO & Cofondatrice de Mycophyto. start-up basée à Sophia Antipolis commercialise une technique unique au monde. Associés aux tomates ou à la lavande, des champignons microscopiques permettent d’accroître la production tout en protégeant la plante. (chronique la Tribune)
« A l’occasion de la remise des prix du concours d’innovation i-Lab, le 4 juillet dernier, Justine Lipuma était sur un petit nuage. Non seulement Mycophyto, la start-up deeptech qu’elle a lancée en 2017 pour commercialiser le résultat de ses recherches était reconnue, mais en plus, le prix lui était remis par Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. « Elle a été l’une des enseignantes qui a le plus compté dans le choix de mon parcours universitaire », confie Justine Lipuma. Et surtout, « elle a souligné dans son discours l’importance du retour de la science à la société. C’est exactement ma vision ».
Avec, pour la jeune scientifique, une passion particulière, celle de la vulgarisation. « J’ai toujours aimé rallier des partenaires sur des projets, et pour cela, il faut faire beaucoup de pédagogie », dit-elle. Que ce soit pendant son parcours de thèse, à l’occasion des recherches collectives qu’elle a ensuite menées à l’université de Turin, ou en tant que présidente de l’association des doctorants de l’université Nice-Sophia-Antipolis, et même lorsqu’elle participait, toute jeune, à des fêtes de la science, Justine Lipuma aime parler, en termes simples, de la science, des recherches qui y sont associées et de leurs implications pour le monde. Un exercice qui lui a bien servi lorsqu’il s’est agi de convaincre des investisseurs…
Son parcours, d’abord
Une fois sa thèse de doctorat en biologie sur les interactions entre les bactéries fixatrices d’azote et les légumineuses fourragères, de type luzerne, soutenue à l’INRA, en 2015, Justine Lipuma cherche, pour son travail post-doctoral, « à trouver de vraies solutions, accessibles à tous », insiste-t-elle.
En sélectionnant la meilleure association possible de plantes et de champignons microscopiques, elle découvre qu’il est possible d’augmenter la surface d’échange des plantes, ce qui maximise la production tout en protégeant les végétaux. Un concept qu’elle a validé sur la tomate, grâce à un programme de pré-maturation à l’Université Côte-d’Azur, dont elle a été lauréate, après son passage à l’université de Turin.
Les implications, ensuite
Il s’agit ni plus ni moins « d’en finir avec la chimie et de donner les outils aux producteurs agricoles pour effectuer la transition vers une activité durable. Nos solutions s’appuient sur la biodiversité augmentée », dit-elle. Elles sont actuellement disponibles pour les tomates et les plantes médicinales et odorantes, comme la lavande.
Les enjeux, enfin
« La méthode fonctionne bien en zones arides », souligne Justine Lipuma. Alors que le réchauffement climatique menace le pourtour méditerranéen, il s’agit donc, en l’appliquant, de préserver le gagne-pain des producteurs et de dynamiser l’économie territoriale. Se greffent donc sur la transition agricole des enjeux sociaux et sociétaux.
La création de la start-up deeptech, maintenant
Une fois le concept d’interaction plante et champignons validé, Justine Lipuma trouve en Christine Poncet, de l’Unité Inra Institut Sophia Agrobiotech, l’associée idéale. Et pour cause, « Christine est spécialiste de recherche appliquée et planchait sur la conception de systèmes agricoles plus durables », dit-elle. Le transfert de la recherche vers une structure, incubée pendant 18 mois à l’incubateur public Paca-Est, et qui commercialisera à terme la technique d’association plantes et champignons, se fait donc naturellement. Par le biais d’une bourse French Tech Emergence, Bpifrance l’épaule également. Et Mycophyto voit le jour en 2017.
Premiers contrats et première levée de fonds
Les premiers contrats sont signés dans la foulée avec des coopératives et des industriels qui utilisent les plantes comme matière première. Grâce à l’intégration de la filière, les méthodes de Mycophyto devraient progressivement se diffuser aux producteurs. Cet automne, pour poursuivre la R&D, Mycophyto a levé 1,4 million d’euros auprès de Créazur (Crédit Agricole), deux family offices, Olbia et Obsidian, ainsi que Région Sud Investissement. La jeune pousse a déjà pu embaucher quatre personnes, dont une responsable R&D, une responsable de production, une assistante technique de serre et un technicien de laboratoire. « Les femmes sont en majorité chez nous ! », rit la dirigeante de Mycophyto. Les recrutements suivants porteront sur des commerciaux. De fait, une deuxième levée de fonds servira à industrialiser la méthode et à la vendre en masse. Rompue à l’exercice qui consiste à expliquer ce qu’elle fait, et surtout, pourquoi, il est évident que Justine Lipuma saura, une fois de plus, embarquer talents et financiers avec elle, afin d’apporter sa contribution à la révolution agricole.