La fête à Macron… ou à Mélenchon ?
Ce sera la fête à Macron organisée par les Insoumis s’il y a du monde mais à l’inverse si la participation est médiocre ce pourrait être la fête à Mélenchon qui subirait alors un nouveau désaveu dans ses velléités de faire descendre la France dans la rue. Mélenchon s’explique dans le Huffington Post.
50 ans après mai 68, un bouillonnement social s’est emparé du pays sans que l’on puisse prédire s’il va déboucher sur une convergence des colères ou se disperser pour s’essouffler…
Je n’ai cessé d’enquêter sur les ingrédients qui débouchent sur une implosion sociale majeure. La réponse est que tout dépend de l’événement fortuit.
Vous avez toujours des conditions réunies pour que le très grand nombre n’accepte pas la règle qui profite de lui et qui l’opprime. La question est de savoir pourquoi la bascule s’opère ou pas. Aujourd’hui nous avons déjà eu les signes avant-coureurs: la grève politique, tous ces Français qui n’ont pas voté à la présidentielle et aux législatives ; le déséquilibre au sein même de nos milieux sociaux, entre ceux qui se radicalisent et ceux qui se mettent en mouvement lentement… Et puis il y a surtout la tectonique des plaques, le décalage terrifiant entre deux niveaux de la réalité: d’un côté l’extrême richesse qui s’accumule d’un côté et de l’autre les emmerdements dans la vie quotidienne des gens qui s’amoncellent.
Ce ne sont même pas des problèmes politiques. C’est le système qui ne répond plus à ses fonctions minimales : ici il n’y a plus d’eau courante propre à Air-Bel à Marseille, ailleurs c’est la sécurité qui n’est plus garantie, c’est l’instituteur de mon fils qui n’est pas remplacé. Et quand la société se disloque, vous voyez apparaître des phénomènes de remplacement où les gens agissent eux-mêmes à la place de ce qui ne fonctionne pas. C’est typique des révolutions, et ce pratiquement à toutes les époques.
Manque alors l’étincelle qui met le feu à la plaine…
Oui, mais personne ne peut la prévoir. Je me suis beaucoup intéressé aux phénomènes de cette nature, notamment en Amérique latine. J’ai observé que, rapporté à la portée des événements, le point de départ paraît toujours dérisoire. Par exemple, au Venezuela, c’est l’augmentation de deux centimes du billet d’autobus en pleine crise du plan de rigueur. En France, on ne sait pas quel sera l’événement déclencheur. Notre responsabilité n’est pas de l’attendre de manière métaphysique. Mais de contribuer d’une manière consciente et organisée à mettre en place un plan qui crée de la confiance en soi et qui permette d’organiser la suite.
Qui sont aujourd’hui les révoltés de 68 ? Les étudiants, les zadistes, les black blocs, les grévistes?
Non, c’est le peuple tout entier. On a tendance à présenter mai 68 comme un grand monôme étudiant. Certes c’est un des événements déclencheurs. Mais le vrai déclencheur, celui qui a provoqué la chose qui compte, la grève générale fut ailleurs. C’est un ouvrier, Yvon Rocton, il est délégué du personnel à l’usine de Sud Aviation, à Bouguenais (Loire-Atlantique), qui déclenche une grève reconductible dans son usine. Le reste va suivre comme une réaction en chaîne…
Il faut les comprendre, les révolutions, comme un phénomène social et non pas comme un complot politique comme souvent les policiers et les macronistes veulent le faire croire. Une révolution est davantage comparable à un processus naturel, une éruption volcanique. Cela ne s’est jamais passé comme une action concertée.
Comme en Mai 68, nous assistons à des affrontements violents émanant de groupes d’extrême gauche et d’extrême droite. La violence est-elle un passage obligé dans un processus révolutionnaire?
Il n’y a pas de processus révolutionnaire en cours, disons-le. Mais si je voulais faire de l’humour, je citerais Mao Ze Dong qui disait qu’une révolution ce n’est pas un dîner de gala. Le grand bourgeois rêve de révolution mais sans révolution. Robespierre leur reprochait de vouloir une révolution sans révolutionnaires.
On me reproche de porter un discours de violence comme s’il avait pu inciter un seul jeune à aller casser les vitrines d’un McDo. C’est un grand classique de ceux qui sont incapables de voir le désordre qu’eux-mêmes créent. J’aimerais qu’Emmanuel Macron réfléchisse à l’ordinaire de la violence quotidienne. Il y a 565 morts liés aux accidents du travail. Un paysan se pend tous les deux jours. Vous n’avez jamais entendu le président de la République en parler. Cette violence-là ne lui pose pas de problème ? La violence de la société capitaliste, elle traverse toute la société. Donc, s’agissant des vitrines, il y a des indignations qu’une personne qui pense doit mépriser.
Mais vous ne cautionnez pas les violences du 1er mai…
Non seulement je ne les cautionne pas, mais je les combats. Ces méthodes sont présentées comme des formes de combat révolutionnaires. A mes yeux, c’est exactement le contraire. Cela sert tout chaud, tout frais, des images à nos adversaires dont ils ont besoin. Ce sont des pratiques avant-gardistes avec lesquelles je suis en désaccord total. Une révolution, c’est le fait du grand nombre, pas d’une poignée d’individus. Ces gens sont eux-mêmes incapables de lancer leur propre mouvement politique. Sinon, ils ne viendraient pas pourrir nos manifestations pour y faire de la récupération politique.
Et il y a une logique d’escalade de la violence que je condamne parce qu’elle aboutit à une impasse. C’est quoi la prochaine étape ? La guérilla urbaine ? En réalité, cela va donner lieu à la justification de dispositions sécuritaires de plus en plus violentes. Enfin, ce sont des groupes qui ont des pratiques voisines de celles de l’extrême droite. Bloquer un cortège du 1er mai, même les fachos ne s’y risquent pas.
Du coup vous appelez à l’interdiction des black blocs comme vous appelez à l’interdiction des groupuscules d’extrême droite?
Il y a une différence de nature assez évidente. Les groupuscules que nous avons vu à l’oeuvre le 1er mai s’en prennent aux biens…
Et aux policiers…
Je les désapprouve. Mais pendant que nous parlons d’eux, on ne parle pas des gens qui ont tenté de m’assassiner, et voulaient égorger Castaner, qui font la police à la frontière ou des contrôles d’identité dans deux villes de France. Le danger permanent, ce n’est pas le touriste du black bloc qui s’offre un week-end à Paris, c’est la violence organisée et méthodique de l’extrême droite.
Les 50 ans de Mai 68 coïncident avec la première année de l’élection d’Emmanuel Macron. Comment expliquez-vous le fait qu’il renâcle à commémorer 68?
Je crois qu’il y a un peu de pudeur, non? Célébrer mai 68, pour faire quoi? Dire aux gens: « allez-y, révoltez-vous, mettez-vous en grève »? Non, il est candidat à être le chef de la droite en France et la droite, elle n’est pas là pour qu’il y ait des mai 68. Vous vous rendez compte? Augmenter le Smic de 35%, créer des sections syndicales dans les entreprises, alors qu’ils essayent de les rendre impossibles? Voilà, il a dû se dire « Ce n’est pas ma place » et il a raison. Voyez, je suis capable de dire qu’il a raison sur quelque chose.
De De Gaulle à Macron, le président monarque, n’est-ce pas au fond ce que les Français attendent?
Attendez, vous confondez le costume et celui qui est dedans. Quand De Gaulle se comporte comme De Gaulle, il est De Gaulle. Mais qu’est-ce que Monsieur Macron ? Vous voulez dire le fait de se donner le ridicule d’arriver devant la pyramide du Louvre ? C’est ça qui constitue un personnage ? Non, il faut que le contenu soit en adéquation avec quelque chose qui est dans le peuple français.
Avec De Gaulle, les gens se sont dits « c’est ça qu’il faut faire… ça suffit avec la IVe République ». Là, on est dans une situation exactement inverse. C’est-à-dire qu’il a été raconté aux gens qu’il était ni de droite ni de gauche et puis une fois élu, il est très très de droite, comme jamais on a vu ça. Impôt sur la fortune supprimé, rabotage généralisé dans la fonction publique, le plus grand plan social de l’histoire de France… Alors, il faut vite qu’il se précipite sur les symboles pour qu’il ait le sentiment de l’autorité.
Mais je n’ai pas le sentiment que les gens le regardent comme ça. D’ailleurs lui-même ne se regarde pas comme ça. Il a dit dans une interview: « Je suis là par effraction ». Et il n’arrête pas de dire: « Mélenchon veut rejouer la partie ». On dirait que ça l’obsède, qu’il n’est pas sûr de lui. Et je comprends pourquoi. L’élection n’a pas accompli ce qui est son rôle dans une démocratie. Dans une démocratie, une élection, c’est dur, on confronte des idées et à la fin, il y a un résultat et ça purge. Et là, ça n’a rien purgé. On a l’impression d’être au même point et même pire, dans la confusion qui était celle de la fin du mandat de François Hollande.
Au-delà de vos désaccords, vous ne lui reconnaissez même pas une vision ?
Non, pour le pays, je ne crois pas qu’il en ait une. D’abord il ne sait pas ce qu’est le pays. C’est un peu dur de parler comme ça, mais c’est la vérité. Le pays, il ne faut pas le voyager d’un quartier de grands bourgeois à un autre. Il faut avoir pris le temps de faire le tour, les détours, les contours, de tout et de tout le monde. Cette expérience lui manque. Je ne lui en fais pas grief, il est très jeune. Par contre, il a une vision du monde à mon avis complètement dépassée, qui est de dire qu’on va permettre à certains d’accumuler et puis ça va ruisseler sur le grand nombre. Ça, dans à peu près tous les pays du monde, on est en train d’en revenir. Bref, je crois que cet homme a une vision très abstraite et idéologique et que, de ce point de vue, ça devrait mal tourner.
La marche du 5 mai, à laquelle vous participerez ainsi que votre mouvement, veut faire « la fête à Macron ». Ça sert encore à quelque chose les grandes manifestations aujourd’hui ?
Nous sommes éparpillés par la nature même de la vie. Les grandes marches opèrent une démonstration de force et pour nous-mêmes une fonction d’encouragement en réunissant des milliers de gens tranquilles. C’est pour ça que les irruptions de violences brisent ce processus et que je les condamne aussi fermement. Cette fois-ci nous avons choisi une autre tactique, conduite par François Ruffin qui s’en sort magnifiquement, qui est d’essayer de promouvoir une forme citoyenne de rassemblement.
Il y a un débat à gauche sur quelle est la formule efficace. Nous ne croyons pas à l’union de la petite gauche, avec son cartel de petits partis. Le PS, avec sa ligne « ni Macron ni Mélenchon », les autres, qui sont de toutes petites formations qui vivent dans le passé. Ils se mettent à sept, ils convoquent un meeting à la veille d’un jour férié, personne ne vient. Tout cela est dérisoire: l’addition des sigles ne produit rien.
Plutôt que la petite union des gauches, nous proposons la fédération du peuple. Cela passe par la méthode marseillaise: la réunion des syndicats, des associations et toutes les organisations politiques qui le veulent. Le cadre commun qui propose une marée populaire le 26 Mai est exemplaire. Une poignée de partis qui prétendent tout guider ne mène nulle part.
Et pourtant la CGT a refusé de participer à la marche du 5 mai. Finalement, même contre Macron, personne n’est d’accord…
Le constat est juste. Mais en 1968, la situation était pire qu’aujourd’hui. La gauche était totalement désunie, avec un repoussoir qui s’appelait l’URSS. La grève générale a provoqué une onde de choc. Tout d’un coup, en même pas trois ans, le Parti socialiste a changé de direction, a adopté le programme commun, les communistes ont suivi. Tout s’est réglé. Je fais confiance à cette énergie-là.
Le paradoxe de 68 c’est la victoire du mouvement social immédiatement suivie d’un raz-de-marée gaulliste aux législatives… Quelles leçons en tirez-vous pour votre propre formation ?
Qu’il y a encore beaucoup de boulot. Et qu’après un mouvement social de masse, il faudra aussi une construction politique. Chaque chose en son temps. Pour les européennes puis les municipales, il faudra bien une méthode qui permette de rassembler les populations, pas les appareils. Trouverons-nous la force et l’autorité pour organiser la suite ?
Il faut construire une formule gouvernementale majoritaire pour être une alternative. Il n’est pas interdit de penser qu’il y ait, comme par le passé, une organisation et qu’autour d’elle les choses se mettent en place. Avant, il y avait le PS sur une ligne sociale-libérale avec les communistes et les verts et cela donnait une majorité de compromis. Maintenant il y a la France insoumise avec un programme l’Avenir en commun…
Vous parlez de compromis mais en 2017, c’était « l’Avenir en commun ou rien »…
C’était un impératif de clarification. Ce n’est pas une plaisanterie ce qui nous attend : bloquer la destruction écologique, la machine à accumulation des richesses, cela ne se fait pas avec des motions de congrès ni un claquement de doigt. En 2017, il fallait la clarification. Une fois la clarification acquise chez les socialistes et chez Benoît Hamon, nous pourrons rebâtir une majorité. Il faut pour cela avoir avec nous une discussion sérieuse, respectueuse et préoccupée des masses et pas des organisations. Tant que ce ne sera pas le cas, on continuera d’avancer, malheureusement moins entourés que ce que nous espérons.
A l’issue de la confrontation sur les ordonnances travail, vous aviez « accordé le point » à Emmanuel Macron. C’est ce que vous feriez si les mouvements sociaux actuels devaient échouer ?
Je dis les choses sans trop de précaution pour obliger tout le monde à réfléchir. En politique, cela ne se fait pas de dire qu’on a perdu. Eh bien, moi, je l’ai dit : « On a perdu et c’est grave ce qui s’est passé sur les ordonnances. Pourquoi a-t-on perdu? Vous ne vous donnez même pas cinq minutes pour y réfléchir ». Les raisons, je les dis : c’est la division syndicale et la séparation entre les composantes politico sociales de la lutte. Maintenant, on est en train de mettre en place une stratégie pour briser ce cloisonnement politico-syndical. Si nous construisons des mobilisations de masse, personne ne pourra rester en dehors, quelle que soit son étiquette.
Mais si le mouvement échoue, je m’y prendrai aussi autrement. Être fair-play ne déclenche pas des réactions fair-play. Cela a provoqué dans la sphère médiatique quelque chose auquel je ne m’attendais pas : pour les médiacrates, c’était la marque psychologique de ma déprime. Certains ont même dit que j’étais maniaco-dépressif ! Cette psychologisation n’était pas prévue. Je suis désormais prévenu!
Mais tandis que j’ »accordais le point » à Macron, personne n’a fait le point sur ce que nous nous avions conquis. Et pourtant, nous nous sommes affirmés comme la première force d’opposition en menant une lutte implacable, nous avons renforcé notre autorité dans le peuple. Nous sommes passés de Jean-Luc Mélenchon, personnage étrange et soi-disant solitaire avec 20 % des voix, à un groupe parlementaire de 17 personnes, donc 17 émetteurs qui construisent de la notoriété, de la mobilisation. L’adversaire a gagné la manche sur les ordonnances mais il a perdu sur le reste. Il espérait n’avoir rien en face de lui. Et bien si, il y a nous.