Fermer le site internet du grand débat (Louis-Samuel Pilcer)
À juste titre, Louis-Samuel Pilcer, étudiant à la Harvard Kennedy School, condamne la plate-forme du grand débat. La principale critique concerne l’anonymat des propositions de ceux qui vont s’exprimer. Ce qui va permettre à des lobbys d’envahir la plate-forme. Il sera méthodologiquement impossible de donner une véritable représentativité à cette expression. Un seul exemple lorsque le conseil économique et social à organiser sa consultation, c’est le refus de la PMA qui est venue en tête. Évidemment les militants de la manif pour tous avaient noyauté la consultation. (La tribune de Louis-Samuel Pilcer dans les Échos)
« …. il y a comme un problème : personne ne vérifie votre identité lors de l’inscription sur la plate-forme. Nom et prénom ne sont même pas requis, un pseudonyme et une fausse adresse de messagerie suffisent pour contribuer. Je viens donc de voter dix fois en faveur d’une baisse de la dépense publique, et n’importe qui pourrait envoyer plusieurs centaines de questionnaires en s’inscrivant avec des adresses de messagerie jetables. Au-delà de ces failles de sécurité évidentes, la méthodologie de la consultation est très problématique. Aucun recensement des caractéristiques des personnes consultées n’est réalisé. Les personnes âgées s’exprimeront-elles autant que les jeunes ? L’extrême droite participera-t-elle plus, ou moins, que les centristes ? Les campagnes voteront-elles autant que les métropoles ? Tant du point de vue démographique que de celui de l’appartenance politique, rien n’est pris en compte.
Si l’Insee n’interrogeait que des cadres supérieurs parisiens dans son enquête sur la consommation des ménages, leurs conclusions concernant le pouvoir d’achat des Français seraient probablement surprenantes. Si les participants de la consultation nationale ne sont pas représentatifs de la population française, ce grand débat n’aura servi à rien.
Les questions elles-mêmes sont troublantes. On nous demande s’il est plus pertinent de réduire le budget de l’éducation ou celui de la sécurité, sans donner aucun contexte concernant les marges de manoeuvre à la disposition du gouvernement dans ces deux domaines. Sur les cinq options proposées pour réduire les dépenses de l’État, toutes correspondent à des politiques publiques très importantes.
Si la consultation n’est pas doublée d’une communication claire sur ce qu’impliqueraient ces réductions budgétaires, les participants répondront à l’aveugle. Imaginons qu’une majorité de personnes consultées considèrent que le moins important, c’est le budget de l’éducation. Devra-t-on en conclure qu’il est légitime de revenir sur le dédoublement de classes en CP et de CE1 dans les quartiers défavorisés ?
Consulter n’est pas comprendre
Certes, réaliser des consultations en ligne pour permettre aux citoyens de participer à l’élaboration des politiques publiques peut être pertinent. Par exemple, le secrétaire d’État Julien Denormandie a lancé au début de son mandat une large consultation à laquelle ont répondu plus de 19.000 personnes afin d’élaborer la stratégie du gouvernement concernant le logement.
L’objectif était d’avoir l’avis de citoyens, locataires ou propriétaires, qui sont confrontés à ces problématiques au quotidien et qui souhaitent faire remonter au gouvernement des problèmes précis qu’ils ont rencontrés et qui peuvent représenter des freins à la mobilité, à l’accès au logement social, ou peser sur leur pouvoir d’achat.
De nombreuses propositions sont remontées de cette consultation, notamment concernant la simplification des procédures de déménagement grâce au numérique. Pour faire remonter des idées du terrain sur un sujet précis, les consultations sont essentielles ; mais pour comprendre ce que souhaitent les Français concernant les dépenses publiques ou les impôts, réaliser un sondage reste de loin la meilleure option.
Sonder les Français
La démarche du gouvernement est pleine de sens. Face à une crise politique qui remet en question notre compréhension de ce que souhaitent réellement les Français, il est essentiel d’aller prendre le pouls du pays afin de comprendre les causes profondes de ce malaise et de proposer un changement de politique qui réponde à leurs attentes.
Les rassemblements organisés au niveau local et la tentative de consulter le public à plus grande échelle peuvent constituer d’excellentes initiatives, si elles sont réalisées avec méthode et ne se limitent pas à une opération de communication.
Construire une plate-forme nationale permettant de consulter les citoyens sur des questions de politiques publiques reste donc une excellente idée. Mais l’identité des contributeurs doit être vérifiée, certaines caractéristiques socio-économiques devraient être recensées pour s’assurer de la représentativité des participants, et les questions posées doivent être claires et précises pour leur permettre de faire remonter une position réfléchie sur ces sujets. En l’absence de méthode rigoureuse pour faire remonter des idées du terrain, le meilleur outil de démocratie participative reste le sondage. »