Pour redresser les finances: il faut baisser les impôts
Marc Touati estime que la solution choisie par le gouvernement Barnier pour redresser la France n’est pas la bonne. Et c’est même l’extrême inverse qu’il faudrait faire, explique l’économiste à La Tribune, afin de redonner confiance aux entreprises comme aux investisseurs étrangers. Et éviter ainsi de se retrouver rapidement dans une situation à la grecque.
L’économiste Marc Touati estime dans la « Tribune » que le gouvernement Barnier se trompe de stratégie en optant pour une hausse des impôts.
Que vous inspire la présentation du budget 2025 ?
MARC TOUATI – C’est une grande déception. J’ai l’impression que ce PLF a été directement inspiré par le NFP. D’un côté, on augmente les impôts des plus riches et des grandes entreprises, et de l’autre, on ne diminue pas les dépenses publiques, qui, au contraire, vont continuer d’augmenter. Certes, c’est une augmentation moindre, mais ce n’est pas une baisse.
J’ai également l’impression de revivre la même présentation du budget que l’an dernier, par Bruno Le Maire. Avec ce PLF, nous n’atteindrons certainement pas l’objectif de passer, dès l’an prochain, à un déficit public sous la barre des 6% du PIB. Je n’attendais pas de miracle, mais qu’a minima, le gouvernement tape du poing sur la table.
Le gouvernement – et le ministre de l’économie Arnaud Armand – estiment qu’il ne s’agit pas de matraquage fiscal…
Bien sûr, qu’il s’agit de matraquage fiscal. Quand on est déjà le numéro un des prélèvements obligatoires, augmenter les impôts, cela devient confiscatoire. Avec un gouvernement de centre droit, comment peut-on augmenter les impôts ? Cela est très dangereux pour l’avenir. La prochaine étape pourrait être la taxation de l’épargne.
Fitch a maintenu la notation de la France à AA -. Est-ce une bonne nouvelle alors que l’on craignait une dégradation ?
Les agences de notation ne sont pas toujours crédibles et cette note le démontre. La France est mieux notée que le Portugal – dont la notation vient d’être relevée de BBB+ à A- – alors que le Portugal a réduit sa dette et dispose d’un excédent budgétaire. C’est une injustice et les agences de notation ne sortent pas grandies de cela.
Le risque est que la notation de la France soit dégradée pour passer à un simple A. Or, si cela se produit, les conséquences seront majeures. La note A ferait sortir le pays du cahier des charges de beaucoup de banques, de caisses d’assurance, de fonds d’investissement. Ce n’est pas qu’ils ne voudront pas soutenir la France, c’est qu’ils ne le pourront pas. Ce qui casserait la dynamique économique.
La taxe qui concerne les secteurs maritime et aérien vous semble-t-elle aussi injuste ?
Absolument. Ce sont deux secteurs très cycliques. Lorsque les marchés se retourneront, cela deviendra très compliqué. De plus, on sait qu’en France les taxations temporaires finissent par durer…
La suppression de 4.000 postes dans l’Education nationale n’est-elle pas un mauvais signe envoyé alors que la France n’est pas très bien positionnée dans les classements internationaux ?
On dénombre 1,2 million de personnes dans l’Education nationale et il y a 6 millions de personnes dans la fonction publique. Il est où l’effort ? La France n’a pas besoin de saupoudrage, ni de cosmétique mais d’une véritable réforme structurelle.
Que faut-il faire pour redresser la France, selon vous ?
Il faut baisser les impôts. Le problème de la France est celui de la confiance, de l’instabilité fiscale. Il faut redonner du pouvoir d’achat aux Français : en baissant la CSG de 30 milliards d’euros, en baissant les impôts de production de 20 milliards d’euros à 30 milliards d’euros. Cela créerait un bol d’air. Il faut également réduire les niches fiscales. Cette baisse des impôts augmenterait les recettes. En même temps, il faut baisser les dépenses de fonctionnement. Et lutter contre les fraudes fiscale et sociale, qui représentent respectivement 30 milliards d’euros et 20 milliards d’euros. Si on veut lutter contre la fraude sociale, on sait parfaitement comment faire. Avec l’ensemble de ces mesures, on recrée de la confiance et on passe ainsi du cercle vicieux au cercle vertueux.
Il faut aussi des symboles : un gouvernement de 41 ministres et secrétaires d’Etat, ce n’est pas admissible. 20 personnes, cela suffirait. Il faut réduire le nombre de députés et de sénateurs. L’image que nous renvoyons n’est pas très bonne. Les autres pays d’Europe ont fait des efforts. Si la situation de la France se dégrade, ces pays ne seront pas d’accord pour soutenir le nôtre. Et il ne faudra pas compter sur la Banque Centrale Européenne pour faire marcher la planche à billets.
Doit-on craindre pour la compétitivité de la France, laquelle se targue chaque année, lors de Choose France, d’être le pays le plus attractif d’Europe ?
Ne nous y trompons pas. On vient en France pour les cadeaux fiscaux que l’on accorde aux investisseurs. Et les investisseurs sont, aujourd’hui, très inquiets. Ils ne comprennent pas le dérapage des dépenses publiques. Je rappelle que 54% de la dette de la France est détenue par des créanciers étrangers. Et qu’en juillet dernier, des fonds japonais ont vendu pour 9 milliards d’euros d’obligations souveraines françaises.
D’aucuns estiment qu’un scénario à la grecque se dessine pour la France. Partagez-vous cette analyse ?
Il est vrai que ce qu’il se passe aujourd’hui c’est exactement ce qu’il s’est passé en Grèce. La différence, c’est qu’on lève encore l’impôt en France, mais le risque est que trop d’impôt tue l’impôt. Lorsque nous aurons moins de recettes fiscales, l’Etat lèvera moins d’impôts. En cas de taxation sur l’épargne – ce qui représenterait le bouton nucléaire – nous assisterons à un exode fiscal dramatique. Aujourd’hui, les marchés financiers font davantage confiance à la Grèce qu’à la France. Nous avons déjà dépassé le point d’inflexion. Il est probable que Standard & Poors dégradera la note de la France en novembre, après les élections présidentielles américaines.
Comment les entreprises peuvent-elles agir pour affronter la situation d’un contexte économique qui se tend ?
Elles doivent développer des théories anti-crise. C’est-à-dire se positionner sur des marchés de niches, communiquer sur ce qu’elles font de bien, innover – et cela ne signifie pas uniquement une innovation technologique -, se développer à l’international et mettre en avant une excellence de services. Les entreprises françaises sont aguerries, elles savent qu’elles doivent compter sur elles-mêmes pour s’en sortir. On peut encore réformer dans la douceur, sinon on devra réformer dans la douleur. Nous n’avons pas encore connu la tempête. Mais lorsque celle-ci sera passée, la France redémarrera.