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Métavers: Le nouveau Far-West ?

Métavers: Le nouveau Far-West ?

 

OPINION.

.Par Bhagwat Swaroop, président et directeur général de One Identity, spécialiste de la sécurité unifiée des identités ( la Tribune, extraits )

 

Compte tenu de la diversité des moyens par lesquels les particuliers et les entreprises peuvent accéder au métavers, y compris les canaux numériques et physiques, l’énorme quantité de données recueillies dans le métavers crée à elle seule une nouvelle génération de problématiques de sécurité.

L’un des plus grands défis inhérents à cette nouvelle frontière des communications sera le développement exponentiel des identités numériques, qui ouvrira de nouvelles portes aux cybercriminels potentiels. Le problème est que les professionnels de l’informatique cherchent encore à maîtriser la sécurisation des identités dans ce monde axé sur le Cloud. Dès lors, bon nombre d’entre eux ne sont pas préparés à gérer l’explosion des identités numériques, qui va découler de l’avènement du métavers. Mais heureusement, il existe une voie à suivre pour y parvenir. En appréhendant le concept d’identité numérique tel qu’il se présente aujourd’hui, et son impact sur le nouveau paysage virtuel, les entreprises peuvent faire face au spectre croissant de ces menaces et tendre vers la résilience numérique.

 

La portée du concept d’identité est aujourd’hui phénoménale, et c’est précisément ce dont tirent parti les cybercriminels. Mais il est un facteur négligé par de nombreux professionnels de l’informatique : la façon dont la prolifération des identités rend les organisations plus vulnérables. En raison de l’évolution de nos lieux et modes de travail, de la course au Cloud et de l’augmentation spectaculaire du recours à l’automatisation, la quantité d’identités connaît un essor très rapide.

Ces volumes élevés d’identités proviennent de sources multiples ; ils sont donc non seulement difficiles à gérer, mais constituent également une porte d’entrée idéale pour les cybercriminels, qui cherchent à exploiter les points faibles que les organisations auraient négligés. Selon le Rapport Data Breach 2022 de Verizon (DBIR 2022), 61 % des violations de sécurité constatées au cours de l’année dernière consistaient en des « exploits » sur des informations d’identification. Il est clair que les professionnels de l’informatique et de la sécurité ont du mal à maîtriser le paysage toujours plus vaste des identités. Malheureusement, l’avènement du métavers ne va faire qu’étendre davantage la surface d’attaque des identités.

Ainsi, avec un paysage actuel des identités déjà en équilibre précaire, le métavers va non seulement exacerber les problèmes existants, mais aussi en créer de nouveaux, notamment sur le plan des accès. Les utilisateurs du métavers seront incités à rallier le monde numérique par de nouveaux moyens, qu’il s’agisse d’ordinateurs portables, de smartphones, de casques de réalité virtuelle ou de consoles de jeux. Il en résulte de nouveaux usages, et de nouveaux points d’accès que les cybercriminels pourront exploiter. Les professionnels de l’informatique vont donc devoir faire preuve d’adaptabilité pour définir leurs stratégies de gestion des accès, à mesure que les identités migrent dans le métavers.

L’accès, le respect de la vie privée et la gestion des identités sont autant de facteurs qui vont s’avérer essentiels pour assurer le bien-être et la sécurité des individus et des organisations dans le monde numérique. Kurt Opsahl, avocat général d’Electronic Frontier Foundation, une ONG internationale de protection des libertés et de la confidentialité sur Internet, note qu’en matière de données générées par des technologies gravitant autour du métavers, « le potentiel de manipulation ou d’utilisation abusive de ces données est réel ». Et qui ne serait pas seulement du fait des employeurs, ou bien de collaborateurs naïfs, mais aussi de cybercriminels. Et si l’on se fie à nos antécédents sur le Cloud computing et la transformation numérique, chaque avancée portée par une innovation entraîne une hausse des tentatives d’exploitation frauduleuse, dans les mêmes proportions et avec des répercussions hélas diamétralement opposées.

 

 

Cryptomonnaies: la fin du Far-West

Cryptomonnaies: la fin du Far-West 

Les parlementaires européens ont choisi de siffler la fin du Far West, en créant notamment une déclaration obligatoire d’identité des propriétaires des cryptos. Pour ceux qui refuseraient de s’y plier, l’UE pourrait avoir recours au « name and shame » des acteurs.(un papier de la Tribune, extrait )

 

De reports, en tractations intenses dans les couloirs du Parlement européen, pour finalement aboutir à un premier dénouement. Après plusieurs mois de discussions, les trois institutions européennes qui interviennent sur le circuit de la loi (Commission, Parlement et Conseil de l’Europe) dans le cadre du trilogue, sont parvenues jeudi 29 et vendredi 30 juin à fixer un cadre plus strict pour la régulation des cryptoactifs.  »Un objectif important de la présidence française de l’UE », se félicite-t-on au Ministère de l’Economie au lendemain de la signature de l »accord à Bruxelles.

Parmi les mesures phares, celle sur l’identification de tous types de propriétaires de cryptomonnaies, rendue obligatoire pour les plateformes hébergeant ces actifs en Europe, via la disposition TFR (Transfert of Funds Regulation). Autrement dit, même pour de petites sommes détenues, c’est la fin de l’anonymat dans l’univers de la blockchain. Jusqu’ici, seules les adresses cryptées des portefeuilles numériques pouvaient être connues, car enregistrées et rendues publiques sur la « chaîne de blocs », mais pas l’identité de l’investisseur. Désormais, en obligeant de déclarer une identité, les parlementaires compte faire reculer les fraudes, dont le blanchiment d’argent et « le financement du terrorisme », explique la Commission. Particularité du texte, les portefeuilles non hébergés en ligne (sur des clés USB ou autre) devront aussi se soumettre aux mêmes déclarations d’informations personnelles, à l’image du KYC des banques (Know Your Customer).

Surtout, ce premier accord, bien que provisoire, acte un tournant dans la vision que les Vingt-Sept entendent donner à ces jetons qui promettent un monde sans intermédiaires. Parmi les parlementaires européens, des voix se sont élevées pour leur imposer la logique et le même cadre réglementaire que celui utilisé pour le monde bancaire et les actifs financiers traditionnels. « Quand vous retirez ou déposez de l’argent auprès d’une banque, tout est identifié et c’est bien normal. Il faut qu’il en soit de même pour les cryptos »expliquait à La Tribune la député européenne Aurore Lalucq.

Mais la mesure n’est pas du goût des acteurs du secteur. Dans une lettre adressé en avril aux ministres européens des finances, 40 acteurs ont contesté le principe de l’anonymat des détenteurs de cryptomonnaies. Ils défendent le droit à la protection de la vie privée des utilisateurs, versus un modèle où les plateformes vont accumuler des milliards de données personnelles que les autorités fiscales des Etats pourront potentiellement saisir. Ce sur quoi Bruxelles s’engage à faire appliquer le RGPD, son règlement pour la protection des données personnelles voté pour encadrer les géants de la Tech.

Ce texte, plus contraignant, pose aussi question en matière de souveraineté. Quid des plateformes américaines qui auraient les moyens juridiques de refuser de telles déclarations et de tels transferts de données ? Et des autres acteurs qui préféreraient s’abstenir de l’agrément européen pour continuer à garantir l’anonymat aux clients ?

« On aura recours au name and shame de ceux qui proposeront des services qui ne seraient pas autorisés en Union européenne », explique-t-on à Bercy qui a participé aux discussions à Bruxelles…….

Mais alors que le vent de la régulation souffle dans de nombreux Etats, les acteurs du secteur craignent un resserrement encore plus brutal. Après MiCA (Market in crypto assets), le premier texte européen discuté en parallèle depuis 2020 et qui définit les catégories de cryptos et le TFR, que prépare les régulateurs ?  »On ne travaille pas encore sur Mica 2« , assure-t-on à Bercy, en réponse à une suggestion faite quelques jours plus tôt par Christine Lagarde, à la tête de la Banque centrale européenne (BCE). Face à ce que certains considèrent comme le Far West, les régulateurs sont en tout cas au diapason : « il ne peut pas y avoir de création monétaire sans le contrôle de la commission européenne« , résume-t-on au ministère en France.

 

Cryptommonnaies: Le grand Far West

Cryptommonnaies: Le grand  Far West

 

La correction du marché des crypto-actifs se poursuit. Au-delà de leur sophistication technologique, ces actifs virtuels ne s’apparentent pas encore à de véritables monnaies fiduciaires, c’est-à-dire dignes de confiance. Par Philippe Boyer, directeur relations institutionnelles et innovation à Covivio ( la Tribune)

 

Les corrections en cours depuis sept mois sur le marché des cryptos montrent que les fondamentaux de ces actifs virtuels sont fragiles, pour ne pas dire inexistants : qu’en est-il de leur valeur intrinsèque ? Et que dire de leur stabilité ou de leur prétendu caractère de « réserve de valeur » ? (Crédits : via Pixabay)

Voilà un clip publicitaire que l’acteur Matt Damon - alias Jason Bourne à l’écran pour incarner le héros des films d’action « La mémoire dans la peau », « La mort dans la peau », etc. – aurait sans doute aimé passer sous silence. Seulement voilà, le cours des cryptomonnaies en octobre 2021, date de diffusion de cette publicité intitulée « Fortune Favors The Brave[1] » (« La chance sourit aux audacieux ») et destinée à dire tout le bien qu’il pensait du site Crypto.com, n’est plus tout à fait le même. C’est le moins que l’on puisse dire depuis que l’effondrement des cours des crypto-actifs[2] a eu pour conséquence de faire s’évaporer des centaines de milliards de dollars.

S’il y a six mois, le marché global des crypto-actifs pesait plus de 3.000 milliards de dollars, sa valeur est d’à peine 1.000 milliards en ce milieu du mois de juin. Et celle-ci s’est encore amenuisée au cours de ces derniers jours, notamment sous l’effet des récentes mesures prises par les banques centrales pour juguler l’inflation galopante.

La chute de ces valeurs crypto  – et singulièrement, celle du Bitcoin, dont la valeur est passée d’un plus haut de 67.000 dollars en novembre 2021 à 19.000 dollars mi-juin 2022 -, est à l’image des cascades de Jason Bourne : vertigineuses.

Pour mesurer l’ampleur des dégâts, le compte Twitter MarketWatch concluait en allant droit au but :

« Si, au moment de la sortie du clip de Matt Damon « Fortune Favors the Brave », vous aviez acheté pour 1.000 $ de bitcoins, ils valent aujourd’hui environ 481 $ [3]. »

Si ce message, daté du 13 mai 2022, devait être actualisé en ce milieu du mois de juin, il faudrait se contenter d’à peine 250 dollars… Et quelques internautes de plaisanter :  »Matt Damon était dans Ocean’s 11, 12, 13. Vous, les gars des crypto, vous venez d’être victimes de son dernier braquage. »

Dans son ouvrage de vulgarisation, « Économie du bien commun », Jean Tirole, prix Nobel d’économie, rappelle qu’une « bulle existe lorsque la valeur d’un actif financier excède le « fondamental » de l’actif, c’est-à-dire la valeur actualisée des dividendes, intérêts ou loyers qu’il rapportera aujourd’hui et dans le futur[4]. ».

Rapporté au contexte macro-économique de ces dernières années (l’argent facile du fait des taux d’intérêt bas voire nuls – phénomène largement entretenu par le quantitative easing des banques centrales -, la faible inflation, la croissance des valeurs des entreprises technologiques…), il est facile, a posteriori, de constater que tous les ingrédients de cet enchaînement (accès au crédit, spéculation, transactions) étaient réunis pour qu’une bulle se forme.

Dans le cas des crypto-monnaies, il aura suffi que plusieurs indicateurs macro-économiques se dérèglent pour que tout l’ensemble vacille.

Ici, le ralentissement économique mondial, la conjoncture incertaine ainsi que les tensions inflationnistes contrées avec force par les banques centrales mettent au grand jour le fait que ces crypto-actifs ne constituent pas les valeurs refuges tant vantées par certains.

Pour simplifier à l’excès, on pourrait dire que « le roi est nu ». Car les corrections en cours depuis sept mois sur le marché des cryptos montrent en fait que les fondamentaux de ces actifs virtuels sont fragiles, pour ne pas dire inexistants : qu’en est-il de leur valeur intrinsèque ? Et que dire de leur stabilité ou de leur prétendu caractère de « réserve de valeur » ?

Les réponses de marché à ces quelques questions sont connues : effondrement des cours et quasi-défaillances de plusieurs plates-formes de transaction : Celsius, Babel Finance, TerrasUSD ou encore Coinbase qui a récemment annoncé la suppression de 18% de ses effectifs (environ 1.100 postes)[5]…

Paru en 2016, « Économie du bien commun », de Jean Tirole, tirait déjà cette conclusion presque prophétique :

« Si un jour le marché décide que Bitcoin n’a aucune valeur – si les investisseurs perdent confiance dans Bitcoin -, Bitcoin n’aura effectivement aucune valeur, car il n’y a pas de valeur fondamentale derrière Bitcoin, contrairement à une action ou à une propriété immobilière. »

Il se pourrait bien que cette crise de confiance qui touche les crypto-actifs, dont singulièrement tous les supports de monnaies numériques, laisse des traces durables. Peut-être pas un hiver glacial qui congèlerait toutes formes de développement de ces technologies innovantes, mais plutôt, et en tout cas à court terme, un certain rafraîchissement du fond de l’air…

Outre que cette crise des crypto-actifs a démontré que la promesse initiale d’être de nouveaux intermédiaires dignes de confiance permettant au passage de se libérer de toutes les institutions financières institutionnelles (banques, banques centrales, voire les États), relevait plus d’une utopie libertarienne que d’une réalité économique, les concepteurs de ces supports numériques vont devoir s’adapter à de nouvelles formes de réglementations destinées à mieux encadrer ce Far-West des cryptos.

En Europe, le projet de règlement MiCA (Market in Crypto Assets) devrait prochainement harmoniser le contexte légal et règlementaire afin d’imposer aux émetteurs de ces actifs numériques un cadre dans lequel inscrire le développement de ces nouvelles technologies. En clair, tenter de réglementer pour mieux protéger et, surtout, parvenir à instaurer ce dont ces actifs numériques manquent encore cruellement : la confiance. Sans ce « fiducia », ingrédient essentiel à toute l’histoire monétaire depuis le début de l’humanité, l’édifice des cryptos continuera à vaciller. Le dicton est connu :

« La confiance se gagne en gouttes, mais se perd en litres. »

Il est grand temps que cette fuite-là soit colmatée pour que tous ces litres perdus soient peut-être un jour retrouvés.

___
NOTES

1 https://youtu.be/9hBC5TVdYT8

2Les crypto-actifs représentent des actifs virtuels stockés sur un support électronique permettant à une communauté d’utilisateurs les acceptant en paiement de réaliser des transactions sans avoir à recourir à la monnaie légale.

3 https://twitter.com/MarketWatch/status/1524898004167274496

4 Jean Tirole, Économie du bien commun, PUF. (On se reportera au chapitre 11 « À quoi sert la finance ? »)

5 https://www.npr.org/2022/06/14/1105026558/coinbase-cryptocurrency-layoffs?t=1655718921410

Cryptomonnaies : Retour au Far-West de la finance

 Cryptomonnaies : Retour au Far-West de la finance

Par James MackintoshDans le Wall Street Journal

Pour comprendre les points faibles des stablecoins tels que Tether, il faut suivre une rapide leçon d’histoire sur la finance américaine d’avant la Guerre de Sécession

 

 

Les adeptes des cryptomonnaies affirment que le bitcoin et ses homologues vont supplanter les monnaies « fiduciaires » émises par les gouvernements, alors que l’objectif du système innovant de la blockchain, sur laquelle elles reposent, est de surmonter ce que Satoshi Nakamoto — le pseudonyme de l’inventeur du bitcoin — appelait « les faiblesses inhérentes au modèle basé sur la confiance ».

Pourtant, les stablecoins et notamment le plus important d’entre eux, Tether, sont en plein essor. Avec 60 milliards de dollars en circulation, ce dernier se positionne à la troisième place sur le marché des cryptomonnaies, derrière le bitcoin et l’ethereum. Il en existe aussi des dizaines d’autres, et le Libra de Facebook, rebaptisé Diem l’année dernière, d’intégrer ce groupe en lançant des stablecoins couvrant plusieurs devises.

Les stablecoins sont des cryptomonnaies ayant une parité unitaire avec le dollar, ou avec une autre monnaie traditionnelle, dont la valeur repose sur la confiance accordée à leur émetteur.

Les stablecoins sont l’incarnation même du « free banking », le système peu réglementé et marqué par de nombreuses fraudes, qui comptait nombre de petits émetteurs de billets de banque en dollars et dominait la finance américaine jusqu’à l’intervention du gouvernement après la Guerre de Sécession

Ils sont également devenus un élément central de l’infrastructure financière des cryptomonnaies. Selon le fournisseur de données Crypto Compare, il y a plus de trading entre le tether et le bitcoin qu’entre le bitcoin et l’ensemble des monnaies fiduciaires. Au moins pour les traders en cryptomonnaies, les stablecoins sont un outil essentiel, en raison de la rapidité avec laquelle ils peuvent être utilisés pour transférer de l’argent d’une bourse d’échange de cryptomonnaies à une autre, et parce qu’ils offrent un moyen pratique de placer temporairement des liquidités dans ce qui est, au fond, censé être des dollars.

Mais cette situation constitue une vulnérabilité majeure pour les cryptomonnaies. Au lieu de construire un nouveau système financier imperméable aux problèmes de l’ancien, ces stablecoins font réapparaître des dysfonctionnements atténués depuis longtemps par les régulateurs de la finance traditionnelle.

Pour bien comprendre cette faiblesse, une rapide leçon d’histoire s’impose. Les stablecoins sont l’incarnation même du « free banking », le système peu réglementé et marqué par de nombreuses fraudes, qui comptait nombre de petits émetteurs de billets de banque en dollars et dominait la finance américaine jusqu’à l’intervention du gouvernement après la Guerre de Sécession. Le papier-monnaie était alors adossé aux actifs de ces banques, et la confiance en ces actifs déterminait l’éventualité et l’ampleur de la décote à appliquer à la valeur faciale d’un billet de banque donné. Parallèlement aux banques réglementées, des milliers d’émissions de reconnaissances de dette de faible montant, comme par exemple celle provenant d’un barbier du Michigan, étaient utilisées comme monnaie dans les villes frontalières à court de liquide.

Mais ce n’est pas un hasard si ces stablecoins d’antan ont fini par disparaître. Les utilisateurs de monnaie — c’est-à-dire à peu près tout le monde — devaient se tenir informés de la situation, ou du sentiment général, de dizaines d’émetteurs de billets de banque pour éviter de se retrouver floués lors de transactions. Les coûts engendrés par cette seule contrainte étaient incalculables, sans compter les défaillances et les fraudes à grande échelle.

Les deux dangers qui menacent les dizaines de stablecoins récemment créés sont les mêmes que ceux qui planaient sur ces titres convertibles avant la Guerre de Sécession : ces actifs peuvent se révéler avoir moins de valeur que prévu ou les gens peuvent finir par croire que tel est le cas, ce qui est susceptible de déclencher des mouvements de panique.

Les plus grands stablecoins — ceux de Tether, Circle et Paxos — publient des rapports comptables attestant que leurs actifs correspondent au montant de leurs émissions, dans le but de maintenir la confiance. Jusqu’à présent, tous trois ont réussi leur monnaie restant remarquablement stable autour d’un dollar.

Jeter un coup d’œil sur l’époque du free banking devrait rappeler aux traders les risques qu’ils encourent. Dans les années 1830, les banques trompaient les commissaires aux comptes en envoyant les mêmes coffres de pièces d’une banque à l’autre afin qu’ils soient comptabilisés plusieurs fois, ou recouvrant d’une couche d’argent la surface d’un baril en réalité rempli de clous, comme le raconte Joshua Greenberg dans son passionnant livre sur cette époque, Bank Notes and Shinplasters.

Le parallèle est évident à la lecture des détails de l’accord à 18,5 millions de dollars conclu entre Tether et le procureur général de New York en février. Ce dernier assurait que Tether mentait en affirmant disposer d’assez d’actifs pour garantir la totalité de ses émissions. Lorsque Tether a tenté de faire taire les rumeurs sur sa situation financière en ayant recours à un commissaire aux comptes pour certifier ses actifs, l’argent n’a été versé sur son nouveau compte que le jour de l’expertise. Tether a également prêté 475 millions de dollars à Bitfinex pour l’aider à surmonter une crise de liquidités, cette fois le lendemain de la présentation du solde d’un nouveau compte bancaire aux Bahamas. C’est, en somme, la version moderne des coffres d’argent itinérants.

Stuart Hoegner, conseiller juridique de Tether, assure que l’entreprise « prend des mesures pour faire établir des audits sur plusieurs exercices » et qu’elle les publiera. « Pour être clair, ces types de transferts ne se produisent pas », a-t-il répondu par e-mail lorsqu’on lui a demandé si des actifs étaient déplacés juste avant ou après une expertise.

Tether n’a pas d’activité aux Etats-Unis, à quelques exceptions près, et a accepté dans son règlement de février de ne pas accepter de clients à New York. Circle dispose, lui, d’une « BitLicense » délivrée par l’Etat de New York, tandis que Paxos est soumis au régime des trusts dans cette ville, afin de renforcer la confiance. Etant donné qu’il s’agit de cryptomonnaies, il existe bien sûr aussi un stablecoin entièrement en cryptomonnaies, appelé Dai, qui donne à chaque utilisateur un « coffre-fort » pour stocker des nantissements ; ceux-ci seront liquidés par les « gardiens » si leur valeur tombe trop bas pour soutenir le dai émis en contrepartie de ces garanties.

Mais je crains qu’il ne suffise pas d’être réglementé, transparent et solvable, comme l’ont montré les vagues de panique sur les fonds du marché monétaire en 2008 et l’année dernière. En fin de compte, rien ne vaut l’accès aux prêts de la Réserve fédérale lorsqu’un grand nombre de déposants demandent à récupérer leur argent. Contrairement aux banques et aux fonds, il n’y a aucune chance que la Fed vienne en aide aux stablecoins en cas de crise. Cela signifie que les actifs qu’ils détiennent sont vitaux, de même que leurs caractéristiques. La certification des comptables de Paxos montre que la société détient des liquidités et des bons du Trésor sur des comptes ouverts dans des banques américaines non mentionnées, tandis que Circle affirme disposer « de liquidités, d’équivalents de trésorerie et d’actifs de qualité à court terme ».

D’une certaine manière, Tether est mieux protégé contre un mouvement de panique qu’une banque ordinaire en cas de problème : ses statuts lui permettent de suspendre les paiements ou de rembourser ses clients avec une partie de ses actifs plutôt que directement avec des dollars

Dans le cadre de son arrangement avec la justice, Tether a donné plus de détails sur ses actifs, montrant une forte exposition aux billets de trésorerie, une catégorie de prêts à court terme aux entreprises. M. Hoegner assure que la société emploie des traders en interne pour investir dans les billets de trésorerie, « en s’assurant toujours que nous disposons d’un montant adéquat de liquidités pour faire face à d’éventuelles demandes de retrait ».

Josh Younger, stratège taux d’intérêt chez JPMorgan, souligne que la taille de Tether le place aux côtés des plus grands fonds monétaires et entreprises en tant que grand détenteur de billets de trésorerie.

D’une certaine manière, Tether est mieux protégé contre un mouvement de panique qu’une banque ordinaire en cas de problème : ses statuts lui permettent de suspendre les paiements ou de rembourser ses clients avec une partie de ses actifs plutôt que directement avec des dollars. Mais il est peu probable que de telles dispositions rassurent les utilisateurs.

Je suis surpris que Tether connaisse une telle popularité compte tenu des révélations tirées du dossier new-yorkais, de la facilité avec laquelle il peut suspendre les paiements et de l’inquiétude des régulateurs, y compris la Fed, au sujet des stablecoins. Mais il existe une différence essentielle par rapport à l’époque précédente, qui leur permet d’éviter les dépréciations dont pâtissaient les billets de banque du Far West.

A l’époque, la complexité pour se rendre dans une agence bancaire afin d’échanger ses billets contre des dollars en argent massif rendait difficile l’arbitrage concernant les décotes, en particulier pour les billets émis par des banques lointaines. Dans le monde numérique, il n’est pas très compliqué d’encaisser un stablecoin, de sorte que toute dépréciation se volatilise rapidement.

Du moins tant que l’émetteur du stablecoin a l’argent pour rembourser les créances réclamées par ses clients.

(Traduit à partir de la version originale en anglais par Grégoire Arnould)




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