ChatGPT: une IA pour quoi faire ?
ChatGPT tient le devant de la scène depuis sa sortie le 30 novembre dernier, du fait de ses fonctionnalités bluffantes, notamment pour dialoguer et répondre à des questions, même complexes, de façon naturelle et réaliste. Par Thierry Poibeau, École normale supérieure (ENS) – PSL
Alors qu’on commence à avoir un peu de recul sur cet outil, des questions se posent : quelles sont les limites actuelles et futures de ChatGPT, et quels sont les marchés potentiels pour ce type de systèmes ?
ChatGPT est souvent décrit comme un futur concurrent de Google, voire comme un « Google killer » pour sa partie moteur de recherche : même si l’outil produit parfois des réponses baroques, voire carrément fausses, il répond de manière directe et ne propose pas simplement une liste ordonnée de documents, comme le moteur de recherche de Google.
Il y a là assurément un danger potentiel sérieux pour Google, qui pourrait menacer sa position de quasi-monopole sur les moteurs de recherche. Microsoft en particulier (principal investisseur dans OpenAI, qui a par ailleurs un accès privilégié à la technologie développée) travaille à intégrer ChatGPT à son moteur de recherche Bing, dans l’espoir de reprendre l’avantage sur Google.
Il y a toutefois plusieurs incertitudes concernant une telle perspective.
Les requêtes dans les moteurs de recherche sont généralement composées de quelques mots, voire d’un seul mot, comme un événement ou un nom de personnalité. ChatGPT suscite en ce moment la curiosité d’une population technophile, mais ceci est très différent de l’usage classique, grand public, d’un moteur de recherche.
On peut aussi imaginer ChatGPT accessible à travers une interface vocale, ce qui éviterait d’avoir à taper la requête. Mais les systèmes comme Alexa d’Amazon ont eu du mal à s’imposer, et restent confinés à des usages précis et limités (demander des horaires de cinéma, la météo…). Il y a 10 ans, Alexa était vu comme l’avenir de la société de distribution américaine, mais est aujourd’hui un peu à l’abandon, parce qu’Amazon n’a jamais réussi à monétiser son outil, c’est-à-dire à le rendre économiquement profitable.
ChatGPT peut-il réussir là où Alexa a en partie échoué ?
Bien sûr, l’avenir de ChatGPT ne devrait pas se résumer à la recherche d’information. Il existe une foule d’autres situations où on a besoin de produire du texte : production de lettres types, de résumés, de textes publicitaires…
ChatGPT est aussi un bon outil d’aide à l’écriture. On voit déjà différents usages : solliciter ChatGPT pour partir de quelques paragraphes qui peuvent susciter l’inspiration et éviter la peur de la page blanche ; voir quels points l’outil met en avant sur une question particulière (pour vérifier si ça correspond à ce que l’on aurait dit nous-mêmes ou non) ; demander des suggestions de plan sur une question particulière. ChatGPT n’est pas un outil magique et ne peut pas savoir ce que l’utilisateur a en tête, donc face à la rédaction d’un document complexe, il ne peut s’agir que d’une aide.
On peut évidemment imaginer des usages plus problématiques et de nombreux articles ont déjà été publiés dans la presse concernant par exemple l’usage de ChatGPT dans l’enseignement, avec des craintes, justifiées ou non. On peut ainsi imaginer des étudiants produisant des devoirs grâce à ChatGPT, mais aussi des enseignants utilisant l’outil pour rédiger leurs appréciations, ou des chercheurs produisant des articles scientifiques semi-automatiquement. Il y a beaucoup d’articles sur les étudiants dans la presse, mais ce ne seront pas les seuls à faire un usage éventuellement problématique de ce genre de technologie.
Il y a bien sûr lieu de se poser des questions, mais la technologie est là et ne va pas disparaître. Il semble donc primordial d’en parler, et de former les élèves et les étudiants à ces outils, pour expliquer leur intérêt et leurs limites, et discuter de la place qu’ils devraient avoir dans la formation.
Enfin, à l’extrême du spectre des usages problématiques, on pensera bien évidemment à la production de fake news : de fausses informations pouvant ensuite être disséminées en quantité industrielle.
Il ne faut pas exagérer ces dangers, mais ceux-ci sont réels. Même si des détecteurs de texte produits par ChatGPT commencent à apparaître, ceux-ci seront nécessairement imparfaits, car les textes produits sont trop divers et trop réalistes pour pouvoir être reconnus à 100 % par un système… à part par la société OpenAI elle-même, évidemment !
Les limites de ChatGPT : quand l’IA « hallucine »
La masse des interactions avec ChatGPT depuis son ouverture au grand public le 30 novembre a déjà permis d’identifier certaines de ses limites.
ChatGPT fournit en général des réponses correctes, souvent bluffantes… mais si on l’interroge sur des domaines qu’il ne maîtrise pas, voire si on invente une question en apparence sérieuse mais en fait absurde (par exemple sur des faits ou des personnes qui n’existent pas), le système produit une réponse en apparence tout aussi sérieuse, mais en fait complètement absurde ou inventée.
Les exemples sur Twitter sont légion : ChatGPT propose des références scientifiques qui n’existent pas, des explications fumeuses, voire une démonstration où est postulé que -4 = -5. Ceci serait une richesse, si ChatGPT était juste un outil destiné à produire des histoires, des pastiches ou des parodies.
Mais ce que le public attend, c’est avant tout des réponses avérées à des questions réelles, ou l’absence de réponse dans le cas contraire (si le système ne peut trouver la réponse, ou si la question est absurde). C’est la principale faiblesse de l’outil, et donc probablement aussi le principal obstacle pour en faire un concurrent du moteur de recherche de Google, comme on l’a déjà vu.
Pour cette raison, une conférence comme ICML (International Conference on Machine Learning) a déjà interdit aux chercheurs de soumettre des articles produits en partie avec ChatGPT. Stackoverflow, une plate-forme d’échanges entre développeurs informatiques, a aussi interdit les réponses générées par ChatGPT, ayant peur de se retrouver submergée par un flux de réponses générées automatiquement (et en partie fausses).
Ceci est dû au fait que le système n’a pas de « modèle de monde ». Autrement dit, il ne sait pas ce qui est vrai, il peut générer des absurdités, des fausses informations, inventer des choses de toute pièce avec l’aplomb d’un menteur professionnel. C’est ce que l’on appelle les « hallucinations », comme si ChatGPT voyait alors des éléments imaginaires (en fait, on ne peut pas vraiment dire que le système ment, dans la mesure où il n’a pas de modèle de vérité).
Ceci est surtout vrai quand la question elle-même n’est pas tournée vers la réalité, auquel cas le système se met à inventer : en ce sens, GPT n’est ni un journaliste, ni un savant, mais plutôt un raconteur d’histoires.
Il y a fort à parier qu’OpenAI essaie dans de futures versions de fournir un système qui évite d’affabuler quand le contexte ne s’y prête pas, grâce à une analyse fine de la question posée, ou l’ajout de connaissances validées (comme le font déjà Amazon avec Alexa ou Google avec son knowledge graph, qui est tout simplement une base de connaissances). Google, justement, à travers sa succursale Deepmind, travaille actuellement sur un modèle similaire à ChatGPT appelé Sparrow, en essayant de renforcer la fiabilité du système. Il est par exemple question que le système fournisse une liste de sources sur laquelle il s’appuie pour fournir une réponse.
Les enjeux pour demain
L’autre limite de ce système est qu’il repose sur des données (en gros, l’ensemble des textes disponibles sur Internet) à la mi-2021 et que ses connaissances ne peuvent pas être mises à jour en direct. C’est évidemment un problème, ChatGPT ne peut pas répondre de façon pertinente à des questions sur l’actualité, alors qu’il s’agit d’un aspect particulièrement important.
La mise à jour en continu du modèle est donc logiquement un des prochains buts d’OpenAI, qui n’en fait pas mystère. Réviser un modèle, le réentraîner « à partir de zéro » (from scratch) est un processus long et coûteux, qui peut mettre en jeu des milliers de GPU ou de TPU pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois, ce qui n’est pas en phase avec la rapidité de l’actualité. La prochaine grande innovation consistera donc en des systèmes capables de se mettre à jour de manière plus localisée en temps réel (ou quasiment), et ceci est sans doute pour bientôt.
Mais le principal enjeu est évidemment celui de l’acceptabilité. On l’a vu : le débat est déjà lancé sur l’influence d’un tel système sur l’éducation. Plus globalement, si un système tel que ChatGPT est par exemple intégré à un logiciel comme Word, se posera aussi la question de qui contrôle ce qui est produit. La voie est étroite entre des systèmes d’IA pas assez contrôlés et capables de produire des contenus racistes ou homophobes, et des systèmes trop bridés qui interdiraient de produire certains contenus.
En conclusion, et comme dit l’adage populaire : il est difficile de faire des prévisions, surtout quand elles concernent l’avenir. Il y a de nombreuses inconnues autour de technologies de type ChatGPT : les perspectives de tels outils sont assez vertigineuses, susceptibles d’avoir un impact profond sur la société, mais en même temps leur potentiel réel et commercial devra passer l’épreuve du monde réel. Ce qui est certain, c’est que les bouleversements actuels devraient inciter au développement d’instituts (au sein des universités, mais aussi à travers des fondations ou des associations capables d’atteindre le grand public) permettant une réflexion large et ouverte sur ces technologies, impliquant tous les acteurs de la société, car c’est la société tout entière qui est déjà impactée, comme en témoigne l’intérêt actuel autour de ChatGPT.
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Par Thierry Poibeau, DR CNRS, École normale supérieure (ENS) – PSL
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Comment faire face à la crise du logement ?
Comment faire face à la crise du logement ?
Xavier Lépine , président de l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF) appelle à repenser les manières de soutenir le secteur pour permettre aux Français d’accéder à la propriété. Tribune dans le JDD.
« 3,5 milliards d’euros : c’est le montant que la Caisse des dépôts va engager pour « sauver » le logement, en rachetant des programmes de construction. C’est beaucoup d’argent, nécessaire et bienvenu ; et en même temps, c’est bien peu. C’est l’équivalent de 17 000 logements, autrement dit pas grand-chose en regard du 1,2 million de transactions annuelles, représentant 250 milliards d’euros, et de l’angoisse qui traverse notre pays du fait de l’impossibilité de bien se loger, ou de se loger tout court. Les politiques publiques à coups de milliards, qui devraient faire disparaître le problème mais ne le font en réalité que superficiellement, nous en avons l’habitude. Elles sont l’expression d’un mal français, fait de résignation, de conservatisme et d’une croyance naïve dans la toute-puissance de l’État. Le logement est en crise : soit ! Eh bien, pour reprendre l’aphorisme churchillien : ne gâchons pas une bonne crise ! À la résignation, opposons l’optimisme, et au conservatisme, l’innovation !
Faisons-le en partant du bon constat. En vingt ans, le prix du logement a doublé alors que les revenus n’ont augmenté que de 35 %. Par ailleurs, les coûts de construction ne vont pas baisser : le réchauffement climatique imposera des coûts supplémentaires d’adaptation de nos habitats. Autre réalité : les taux d’intérêt ne reviendront pas de sitôt à 1 %. Enfin, ce que l’on ne dit pas assez fort, c’est que l’accès à la propriété – rêve que pouvaient encore réaliser les générations précédentes – est devenu pour de multiples raisons un objectif inaccessible. Pour beaucoup de Français, la location s’est imposée comme un horizon indépassable. Pour autant, être locataire suppose déjà que des investisseurs soient prêts à détenir des actifs immobiliers dont la rentabilité est de plus en plus faible.
Jeunes générations, familles monoparentales, familles recomposées, familles nombreuses, ou tout simplement résidents dans une zone dense hors de prix : la réponse aux aspirations légitimes de toutes ces personnes ne peut se limiter à soutenir le marché à hauteur de moins de 10 % de la production annuelle de logements neufs, alors même que l’essentiel des transactions concerne l’ancien, dont le volume d’échange est cinq fois supérieur ; elle ne doit pas se limiter à un « coup de pouce » de l’État, ou à généraliser le logement social comme norme de la septième puissance économique mondiale.
Des milliards, oui ! Mais, surtout, plus d’intelligence dans la manière de les investir. Nous avons le devoir de réinventer un marché devenu dysfonctionnel. Et nous sommes quelques acteurs, nouveaux entrants sur le marché de l’immobilier et de l’accès à la propriété, à être persuadés que cette crise est une opportunité d’innover, de penser « out of the box », pour reprendre une expression que Churchill aurait sûrement appréciée.
Il est urgent de faire évoluer notre système de financement, de détention des actifs ; urgent d’adapter au logement ce que le secteur automobile fait depuis des années. Aujourd’hui, on n’achète plus sa voiture comme avant, on l’achète en LOA (location avec option d’achat). On peut imaginer des solutions équivalentes pour l’immobilier. Il existe des voies alternatives à la pleine propriété, qui permettent de faire converger les intérêts de ceux qui aspirent à acheter, jusqu’ici en vain, et ceux d’acteurs institutionnels prêts à investir en sortant des schémas classiques pour autant que la rentabilité soit au rendez-vous. Il y a des voies nouvelles pour permettre à de nombreuses personnes d’acquérir autrement le logement dont elles ont besoin, avec les moyens financiers dont elles disposent.
En nous penchant vraiment sur la question de la propriété, nous touchons à l’âme de notre nation, et à son tourment du déclassement. Cette crise du logement nous invite collectivement, acteurs privés et publics, à faire preuve de plus d’inventivité pour rendre de nouveau possible cette aspiration si puissante dans notre imaginaire : devenir propriétaire de son logement. »