Migration : premier facteur d’évolution démographique
Les lignes de force que dessine le nouveau rapport de l’ONU sur la population mondiale doivent être intégrées dans les politiques publiques, insiste l’ancien diplomate Pierre Buhler dans le Monde.
L’humanité franchira, en novembre 2022, la barre des 8 milliards d’habitants. Telle est l’une des conclusions de la récente étude prospective de la division de la population de l’Organisation des Nations unies (ONU). Le précédent seuil symbolique, celui des 7 milliards, avait été franchi en octobre 2011. Le suivant, celui des 9 milliards, est attendu dans une quinzaine d’années.
Au-delà de ces annonces, ce rapport biennal, dirigé par le démographe français Patrick Gerland – un hommage discret à la très réputée école française de démographie –, révèle des tendances lourdes qui, imperceptiblement, transforment en profondeur la carte démographique de la planète et son paysage géopolitique.
Tout d’abord, ce rapport confirme que le XXIe siècle ne sera pas seulement, suivant la prophétie d’Alfred Sauvy, le « siècle du vieillissement démographique ». Il sera aussi, selon la formule du démographe Hervé Le Bras, « l’âge des migrations ». Si celles-ci sont une constante de l’histoire de l’humanité, la proportion de la population concernée, pour les raisons les plus diverses, par ce phénomène n’a cessé d’augmenter.
Le rapport établit avec force que, dans les pays développés, la migration est désormais le premier facteur de la croissance de la population. Alors que, durant les décennies 1980-2000, la croissance naturelle, de 104 millions, était très supérieure à l’apport net de la migration internationale (44 millions), ce rapport s’est inversé durant les vingt années suivantes, où l’apport de la migration a quasiment doublé (81 millions), devançant l’accroissement naturel (66 millions).
Le rapport démontre que cette ressource sera, à l’avenir, pour les pays développés, la seule à permettre de combler le solde démographique naturel, d’ores et déjà négatif. L’Europe est concernée au premier chef. Son déficit de croissance naturelle, de près d’un million l’année précédant l’épidémie de Covid-19, est appelé à rester durablement sur une pente baissière, que seul l’apport migratoire (1,4 million en 2021) permet de compenser.
La situation est certes différenciée selon les pays. La France maintient une faible croissance naturelle de sa population, mais tel n’est pas le cas de l’Allemagne et de l’Italie, davantage touchées par le vieillissement et les faibles taux de fécondité. Mais alors que la première compense largement son déficit par l’immigration, l’Italie, dont le solde migratoire est faible, se dépeuple d’année en année.