L’ENA : une cible facile ?
La transformation de l’Ecole nationale d’administration ne changera rien si les grands postes de la République restent occupés par « les seuls membres d’une sélection prestigieuse » issue du nouvel Institut du service public, explique l’ancien haut fonctionnaire Thierry Dallard, dans une tribune au « Monde »
Tribune.
Réformer la haute fonction publique ne pourra se faire qu’en mettant fin aux séparations entre les trois fonctions publiques (d’Etat, territoriale et hospitalière), et en veillant à une véritable diversité des profils : administratifs, ingénieurs et universitaires doivent pouvoir occuper les plus hautes fonctions après des parcours les plus variés et complémentaires possibles. La réforme annoncée ne dit rien de tout cela. Au contraire, en préparant notamment la suppression des corps d’ingénieurs, elle ne fera que renforcer le positionnement des grands corps issus de l’Ecole nationale d’administration (ENA), fût-elle rebaptisée en Institut du service public. Et loin d’essayer de fabriquer cette diversité, elle consolidera plutôt un socle unique de formation et de pensée.
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La réforme de la haute fonction publique n’est pourtant pas un sujet nouveau et a fait l’objet de maintes analyses, débats, et propositions en lien avec le chantier de réforme de l’Etat. Cette réforme est en effet devenue incontournable depuis les lois de décentralisation : les services de l’Etat s’étant en grande partie retirés du champ opérationnel, comment ne pas en tirer les conséquences au sujet de l’organisation des ressources humaines qui concourent à l’action publique dans son ensemble ?
Multiples transferts de compétences
Il y a encore trente ans, il était courant qu’un fonctionnaire d’Etat occupe au cours de sa carrière plusieurs fonctions opérationnelles sur le terrain. Puis, après cinq à dix années lui ayant permis de découvrir la complexité sociale, économique, géographique du monde, c’était en fonctionnaire expérimenté qu’il accédait à des fonctions régaliennes, de production de la réglementation et de contrôle, voire dans un cabinet ministériel. De tels parcours sont devenus très rares du fait des multiples transferts de compétences, à la fois vers les collectivités locales mais aussi vers des agences ou des entreprises, publiques ou privées.
Le résultat est inquiétant pour notre démocratie : d’un côté, des collectivités locales dont les fonctionnaires n’ont pas accès aux postes régaliens et sont exclus des réseaux de pouvoir de la République, de l’autre, un Etat dont les fonctionnaires édictent la règle sans avoir pu mesurer par eux-mêmes la complexité du réel.
Elargir le recrutement au privé
Le fossé est le même entre les secteurs public et privé. Comment peut-on espérer de la fonction publique d’Etat une bonne gestion de ses relations avec les entreprises (passation de marchés publics, attribution d’aides, contrôles de toute nature) s’il n’y a, dans son collectif, aucune expérience du secteur privé ? Elargir le recrutement aux personnes issues de l’entreprise permettrait cet enrichissement de la sphère publique. Une réforme se limitant à cette ouverture mettra cependant des décennies avant de porter ses fruits compte tenu de la faiblesse des flux entrants. La diversification des profils serait bien plus rapide en fusionnant les trois fonctions publiques, les collectivités locales en particulier, qui recrutent depuis longtemps dans le secteur privé.