Expulsion de dix ambassadeurs en Turquie : ‘Erdogan agite la rente nationaliste
»Encore une fois, Erdogan agite la fibre nationaliste pour tenter de ressouder son électorat », a analysé dimanche 24 octobre sur franceinfo Didier Billon, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Samedi 23 octobre, le président turc Recep Tayyip Erdogan a ordonné l’expulsion des dix ambassadeurs de pays occidentaux (France, Etats-Unis, Allemagne, Canada, Finlande, Danemark, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Norvège et Suède). Des pays qui ont appelé à libérer l’opposant Osman Kavala, emprisonné depuis quatre ans sans jugement, et accusé depuis 2013 de chercher à déstabiliser le régime turc.
Sept des dix pays visés par Erdogan font partie de l’Otan et sont donc des alliés de la Turquie. Pourquoi s’en prend-il aussi frontalement à eux ?
Didier Billon : Les dix font partie de l’OCDE, six sont dans l’UE, et cinq sont des partenaires clés au niveau économique pour la Turquie. Erdogan veut frapper très fort. Aujourd’hui, il est dans situation de politique intérieure assez compliquée, les sondages indiquent tous des intentions de votes autour de 30%, or la présidentielle a eu lieu il y a deux ans en Turquie. Cette défection de son électorat traditionnel s’explique par une situation économique très dégradée aujourd’hui. Donc tous les moyens sont bons, et encore une fois, Erdogan agite la fibre nationaliste pour tenter de ressouder son électorat. Et là, il avait un prétexte : le 18 octobre était le quatrième anniversaire de l’arrestation d’Osman Kavala. On comprend bien qu’Erdogan, prétextant qu’il y a une ingérence dans les affaires intérieures et notamment dans le cours de la justice turque, essaye de faire feu de tout bois pour ressouder son électorat, mais cela n’a aucun rapport avec la réalité de la justice turque.
Quelles seraient les conséquences de ce renvoi de dix ambassadeurs avec qui la Turquie collabore au quotidien ?
En termes diplomatiques, en général, la réponse est la symétrie. Les ambassadeurs turcs des dix pays concernés pourraient être rappelés à Ankara. Cette crise est instrumentalisée pour des raisons de politique intérieure. Erdogan joue un jeu infiniment dangereux, parce qu’il méprise les procédures diplomatiques habituelles. Les pays concernés sont d’une importance capitale pour l’économie turque, pour ses relations politiques. C’est un jeu très risqué qu’il n’hésite pas à utiliser parce qu’il a un besoin impératif de ressouder son électorat.
Les relations sont plutôt tendues avec la France depuis plusieurs années, avec des prises de position contre Emmanuel Macron. La France est-elle un cas particulier pour Erdogan ?
C’est surtout l’année dernière, en 2020, que les relations bilatérales entre la France et la Turquie ont été considérablement dégradées, avec des invectives, quasiment des injures de part et d’autre, ce qui n’est pas digne d’une relation d’État à État. Les choses s’étaient un peu tassées, les tensions étaient moins vives, sans avoir disparues. Dans la presse turque, qui est proche du pouvoir, il y a quasi quotidiennement des attaques contre la France, donc les tensions sont encore vives, même s’il faut admette qu’elles avaient décrues depuis l’année dernière. On sent bien que le moindre prétexte peut être saisi par Erdogan pour relancer un climat de tension entre les deux pays, et plus largement, avec les autres pays concernés