Archive pour le Tag 'expertise'

Distinguer opinion et expertise

Distinguer opinion et expertise

« Moi je suis amoureux de la langue française. J’ai envie que la langue française reste comme elle est. Je ne vois pas pourquoi on transformerait. Je suis partisan de la richesse, de la beauté des mots comme on les a lus, comme on les a appris ! » .Cette récente saillie de Pascal Obispo signe une tendance largement partagée : les individus sont souvent amenés à penser que leur expérience personnelle leur confère une expertise dans un domaine. C’est particulièrement le cas pour la langue et l’éducation. Les médias partageraient-ils cette perception ? Ils font facilement appel aux chercheurs pour traiter des actualités liées à la santé, à la politique et à l’économie, mais on observe une certaine confusion lorsqu’il s’agit d’aborder des sujets relevant d’autres sciences humaines et sociales.

Un article intéressant qui attire l’attention sur la différence entre une célébrité et un intellectuel. À relativiser toutefois car les sciences sociales ne sont pas infaillibles et l’expertise professionnelle peut parfois être mise en question aussi NDLR

par Grégory Miras
Professeur des Universités en didactique des langues, Université de Lorraine

Julien Longhi
Professeur des universités en sciences du langage, AGORA/IDHN, CY Cergy Paris Université dans the Conversation

L’expertise des chercheurs a-t-elle la même fonction que d’autres discours sur les plateaux télévisés ? Plutôt que de s’intéresser directement au statut des individus (experts, chercheurs, etc.), les sciences du langage analysent la manière dont les discours publics sont perçus. On examinera ici le statut de ces discours d’expertise en cherchant à comprendre leur nature – oscillant entre opinion basée sur une expérience personnelle et expertise répondant aux critères scientifiques de la recherche – et leur positionnement dans les débats publics.

Prenons le cas de l’analyse de la langue, qui fait l’objet d’un intérêt particulier dans les médias en France. Cet engouement est étayé par la participation de différents linguistes aux questions sociétales : Maria Candea sur le fait que le langage est politique, Philippe Blanchet concernant la glottophobie, Bernard Cerquiglini ou Anne Abeillé sur l’évolution des langues, Mathieu Avanzi sur le français de nos régions, Jean Pruvost sur les dictionnaires et Laélia Véron sur la langue dans une chronique radio humoristique.

Cette présence médiatique peut sembler importante, mais elle se concentre sur des thématiques spécifiques, parfois en raison d’une actualité brûlante : la polarisation autour de certaines évolutions de la langue, par exemple. Et elle reste périphérique. Sur cette thématique, les « experts-profanes » sont légion. Pour le média Slate.fr, l’Académie française « comblerait également un vide médiatique laissé par les sciences du langage ». En effet, celle-ci critique régulièrement les évolutions de la langue française dans une vision décliniste. Or, sa légitimité à parler de la langue est régulièrement mise en cause du fait de l’écrasante majorité de non-linguistes en son sein. Lassé de la « désinformation sur la langue » et des « paniques morales propagées sans rencontrer de discours contradictoire », le collectif des linguistes atterré·e·s publie en 2023 un court ouvrage revendiquant que « le français va très bien, merci ! » Mais ce tract est rapidement contesté par une tribune dans Le Figaro intitulée « Le français ne va pas si bien, hélas ».

Maria Candea remarque que les médias ont peu tendance à se tourner vers des linguistes (ou leurs travaux) pour vérifier, au moyen de données issues de la recherche, des idées communément admises alors qu’il s’agit parfois de lieux communs.

Dans les médias, opinions et expertises semblent par moments se valoir. Une émission « Déshabillons-les » propose ainsi :

« Des images décodées et mises en perspective par des experts qu’ils soient communicants, linguistes, psychologues, politologues mais aussi par les politiques eux-mêmes. »

On note cependant parfois un mélange des genres avec une confusion sur ce que serait un discours d’expert, comme c’est le cas d’une tentative d’analyse de l’anglais du président Emmanuel Macron par une intervenante dont « l’expertise » viendrait de sa nationalité (américaine) et son métier (enseignante d’anglais). Le discours se transforme rapidement en une évaluation relativement imprécise, basée sur des arguments intuitifs plutôt que sur une grille de lecture spécifique :

« C’est pas un accent tout à fait français, ni c’est un accent qui est un peu… c’est comme… il essaie un peu trop d’avoir un accent et des fois ça passe pas. »

L’INA a répertorié les intervenants sur l’éducation dans les médias entre 2010 et 2015. Si sur 72 intervenants, une quarantaine sont enseignants-chercheurs, seuls trois ont une spécialité en lien direct avec l’éducation (formation des enseignants, sciences de l’éducation). Douze se dédient à la politique, onze aux lettres/littérature, six à l’histoire géographie, quatre à la philosophie et c’est le reflet du prisme pris par les médias sur cette question. Dix-huit enseignants (dont une partie importante d’agrégés) ont également été invités. Ces intervenants combinent la plupart du temps leur fonction académique avec celle de politique, écrivain, essayiste, éditeur ou encore réalisateur – ce qui brouille encore plus la fonction de ces discours.

Même des chaînes qui ne courent pas après le divertissement du spectateur tombent dans ce travers. En 2023, sur Public Sénat, pour une émission sur la thématique « École : des réformes passéistes » les invités sont un sénateur, une éditorialiste, une agrégée d’histoire-géographie et un ancien professeur d’anglais ayant quitté l’Éducation nationale.

Ce dernier, qui est invité à l’occasion de la sortie de son livre, relate sa formation d’il y a plus de 10 ans, sans que ne soit mise en perspective une vision sur les multiples réformes engagées dans cette période (masterisation, création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation puis INSPE) qui ont bouleversé la formation initiale et continue des enseignants. Il s’agit donc, tel qu’il est présenté, d’un discours de témoignage basé sur l’expérience vécue, et non d’une expertise ayant une vocation de généralisation.

Même constat en septembre 2023, lorsque le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal réintroduit des sujets récurrents dans le débat public : port de l’uniforme, séparation de groupes de niveaux, (re)création d’une École Normale, etc. Si les réactions à ces annonces de la part des acteurs du terrain de l’éducation ont été nombreuses, l’absence de visibilité des chercheurs du domaine (sciences de l’éducation et de la formation, didactique des différentes disciplines) et plus encore des formateurs des Instituts Nationaux Supérieur du Professorat et de l’Éducation (INSPE, ex–Ecole Normale ou IUFM) pose question, puisqu’ici encore leurs discours ne sont pas médiatisés.

Les médias, forts de la nécessité de maintenir l’attention du public par le spectacle, peuvent considérer ces sujets en sciences humaines (la langue, l’école) comme des « prétextes », en orientant leur traitement vers des approches clivantes. Pour cela, le recours à des invités dont le discours est tranché (notamment en pour/contre) s’avère un bon moyen de générer des débats voire des polémiques, alors même que le discours scientifique fait une place centrale au doute. Avec cette concurrence effrénée des « experts plateaux » parfois autoproclamés, friands de médiatisation quel que soit les sujet, les connaissances médiées deviennent plus superficielles, et les discours d’informations peuvent alors relever de l’ultracrépidarianisme, c’est-à-dire « l’art de parler de ce qu’on ne connaît pas ».

Or, la temporalité des sciences n’est pas celle des médias, et la posture des experts-chercheurs diffère des autres experts, puisque si la « recherche vise à augmenter progressivement, suivant un rythme souvent lent, le stock de connaissances, l’expertise se fait sur le temps court ». Et l’expertise est d’ailleurs tributaire d’une instance qui la sollicite : le discours scientifique nécessite une mise en débat avec les pairs, une prise en compte précise des connaissances actuelles et évolutions possibles. Les experts-chercheurs délivrent ainsi une analyse située, ce qui nécessite une méthodologie, des outils théoriques, et un peu plus de temps parfois que ne peuvent exiger les agendas médiatiques.

Cette réflexion n’amène pas à penser qu’il y aurait une hiérarchisation à faire entre les discours dans les médias. Elle s’intéresse à la manière dont ces discours peuvent être perçus comme plus ou moins experts et leur impact sur l’opinion. À ce titre, notons qu’il existe une hiérarchisation implicite de ces discours. On ne permet pas à certains de s’exprimer, par exemple, les « jeunes » qui « appauvriraient la langue », tandis que la perception du discours des autres peut être biaisée par des représentations – les enseignants qui « résisteraient en permanence au changement ». Le rôle de l’expert-chercheur en sciences du langage est aussi d’analyser ces rapports de pouvoir et parfois de les rééquilibrer.

En matière d’éducation ou de langue, la multiplication conséquente des « experts-profanes » pose des questions pour le débat public, notamment face aux (non) interventions des experts-chercheurs. Si le « profane » ne doit pas être « condamné à vivre sous tutelle des experts, à ne pas penser par lui-même », la mise en valeur des méthodes scientifiques auprès du grand public dans les médias pourrait amener à l’identification d’experts en éducation ou en langues. Cela clarifierait, sans forcément tout résoudre, la distinction entre expertise et opinion, notamment sur des sujets qui se trouvent simplifiés ou caricaturés.

Articuler expertise et dialogue

Articuler expertise et dialogue

Jugeant que les stratégies actuelles ne sont pas optimales, le politiste John Crowley, l’académicien François Gros et le consultant Pierre Winicki appellent, dans une tribune au « Monde », à miser sur l’expertise, en dialogue avec les citoyens, et à apprendre à reconnaître les erreurs passées.

 

 

Tribune. 
La défiance se propage dans toute la population, plus rapidement encore que le virus et ses variants. Or, les réponses professorales (« Vous n’avez rien compris, je vais vous expliquer ») ou réglementaires (« Vous devrez présenter votre passe sanitaire ») génèrent de puissants anticorps sociaux. Car il est vain d’appeler à plus de confiance sans en comprendre les mécanismes. D’évidence, nos stratégies pour anticiper la défiance et y répondre ne sont pas optimales. Comment faire mieux ? 

Le premier défi, essentiel, est de se départir d’une vision monolithique et abstraite de la confiance pour en saisir toutes les composantes. L’hostilité et la méfiance vaccinales ne sont pas homogènes. Elles touchent des personnes, dont nombre de médecins et de soignants, qui ont subi ou ont été témoins d’effets secondaires de médicaments, ou se souviennent de scandales sanitaires retentissants. Celles-ci sont, dès lors, rétives aux prescriptions de santé, dont la vaccination. Mais d’autres se méfient de toute décision publique, de toute parole institutionnelle, que ce soit en France ou dans d’autres pays aux contextes politiques et institutionnels différents.

Cette défiance a des racines profondes et connues : incohérence entre paroles et actes, conflits d’intérêts, opacité, impunité… L’opposition au vaccin est ainsi révélatrice d’une longue méconnaissance de ce qui vaut à une autorité d’être jugée digne de confiance.

Face aux « défiants », créer les conditions pratiques de la confiance, c’est notamment ne pas minimiser, voire ne pas cacher, ses échecs ou ses erreurs. Pour parler de manière éclairée et transparente des risques et incertitudes à venir, dont les effets secondaires du vaccin avérés ou supposés sont un exemple, encore faut-il reconnaître ceux du passé. En étant objectives sur les risques, sans les minimiser ni les hystériser, les autorités de santé créeraient un sentiment d’intégrité, d’authenticité, de lisibilité témoignant du respect de la capacité de chaque individu à se faire un avis éclairé sur des décisions qui concernent tout le monde.

En appeler à l’intelligence citoyenne, surtout à l’âge des réseaux sociaux, voilà ce qui peut sembler éroder la frontière entre expertise et bon sens, entre politique et science. Au contraire, il s’agit de reconnaître la pluralité des expertises et des paroles. Laisser croire que la confiance jaillirait d’une source unique de compétence, c’est nourrir la défiance généralisée. Mettre l’expertise en dialogue avec l’échange citoyen, c’est précisément en articuler les différences.

Expertise sanitaire: trop de pifométrie

Expertise sanitaire: trop de pifométrie

Martin Blachier, épidémiologiste conteste les modalités de choix des experts et leur méthodologie dans une tribune au monde

Une femme effectue un test de dépistage du coronavirus en Allemagne

 

Dans la gestion de cette crise, alors que l’Allemagne et la Suède s’appuyaient sur leurs équipes d’épidémiologistes et leurs modélisations, en France nous avons préféré nous fier aux « intuitions et expériences » d’experts infectiologues. On en connaît le résultat. Revenons sur quelques évènements marquants.

Le professeur Raoult, microbiologiste renommé, a affirmé pêle-mêle à partir de la fin avril que la « deuxième vague était de la science-fiction » ou que « l’histoire de rebond était une fantaisie… », sans étayer ses intuitions par un quelconque rationnel ou calcul scientifique. Dans le même temps, notre publication dans la revue Naturefondée sur la dernière génération de modèle épidémiologique (agent-based model), montrait qu’il existait un risque significatif d’une deuxième vague, et ce malgré la stratégie mise en place en France après le déconfinement. Cette alerte tombait dans l’indifférence.

En février, ce même professeur Raoult évoquait les résultats positifs d’une première étude chinoise sur l’hydroxychloroquine. Suivant son intuition, au lieu de mettre en place un essai clinique à l’IHU de Marseille, son équipe va publier plusieurs études non-comparatives en concluant définitivement à l’efficacité du traitement. Ainsi, le Pr Raoult emporte le monde entier dans un élan vers l’hydroxychloroquine, stoppé trois semaines plus tard par les premières études comparatives publiées. A la question « pourquoi ne pas avoir réalisé un essai clinique », le Pr Raoult répondra qu’il n’est pas utile, ni éthique, de conduire des essais cliniques pour estimer l’efficacité d’un nouveau traitement. Et qu’il ne le fera jamais…

Le professeur Delfraissy, infectiologue émérite, ancien coordinateur interministériel de la lutte contre Ebola, prend la tête d’un conseil scientifique dont il décide la composition et la méthode de travail. Chacune de ses décisions sera fondée sur ses expériences passées. Sauf que le SARS-CoV-2 est très différent d’Ebola et même du SARS-CoV-1. Malgré cela, il fonde sa stratégie sur un « Tester-Tracer-Isoler », sans avoir réalisé de calculs sur l’efficacité attendue des différents scénarios. Aucun des avis publiés par le conseil scientifique ne contient d’arguments chiffrés, ni de référence à la littérature scientifique existante.

Or, il n’y a pas besoin de modèle complexe pour mettre en doute l’efficacité de cette stratégie. En effet, dès mars, on disposait de données montrant qu’au moins 50 % des personnes infectées étaient asymptomatiques, et que les personnes étaient contagieuses avant les symptômes. Il aurait été de bon ton qu’un membre de ce conseil scientifique s’appuie sur ces données. Nous l’avons publié dans nos travaux et expliqué à maintes reprises dans les médias. Mais le Pr Delfraissy et son conseil scientifique n’en démordront pas, persuadés que cette stratégie a permis à la Corée du Sud d’être épargnée par l’épidémie. En réalité, il est probable que la Corée ait surtout bénéficié de la culture du masque, comme nous le modélisions déjà en avril, et comme le soulignait Jérôme Salomon lui-même. Par la suite, il sera mis en évidence l’importance de la voie aérosol dans la transmission du SARS-CoV-2.

. Enfin, le professeur Pitet, hygiéniste suisse et « inventeur » de la solution hydroalcoolique, à qui a été confiée l’évaluation de la gestion de la crise en France, assure comme une vérité établie que la transmission de ce virus respiratoire est en grande partie manuportée. Sauf que les dernières données semblent montrer qu’il se transmet essentiellement par l’air, d’où l’importance du port du masque. Ainsi l’effet du lavage des mains est sans doute négligeable. Globalement, les données sur l’efficacité du lavage des mains dans la prévention des infections respiratoires ont un niveau de preuve plus que faible.

Il s’avère ainsi que l’erreur française est plus celle du choix de l’expertise consultée que celle de la décision publique résultante. La prise de décisions aussi lourdes nécessiterait que l’on s’appuie sur des outils mathématiques complexes, développés par des équipes de pointe, et non sur un groupe d’experts qui se fie uniquement à son expérience passée.

Dans les leçons que nous tirerons de cette crise, il ne faudra pas éluder la question de la méthode de l’expertise consultée, ou nous continuerons de poser des questions à des interlocuteurs qui sont incapables d’y répondre.

Martin Blachier est médecin et épidémiologiste.

Expertise : Quelle méthode dans le processus décisionnel (Cécile Philippe)

Expertise : Quelle méthode dans le processus décisionnel  (Cécile Philippe)

 

Dans une interview à Reuters repris par la Tribune, Cécile Philippe, Institut économique Molinari  s’efforce de répondre à cette question relative au processus décisionnel

«

 

« En tant que présidente d’un institut de recherche, le sujet de l’expertise m’intéresse au plus haut point parce que nous exerçons nous même une forme d’expertise et que, d’autre part, nous nous intéressons à des sujets qui traitent justement de cette question, qu’il s’agisse de décider de remplacer les jugements humains par des algorithmes ou d’évaluer la qualité de notre système éducatif. De très nombreux sujets touchent de près ou de loin à cette question. Or, un article rédigé en 2009 par deux figures majeures dans ce domaine est particulièrement éclairant et permet, avec nuance, de cerner le contour entre de bonnes intuitions et d’autres qui s’avèrent erronées de façon systématique.

La question de l’expertise peut générer des sentiments ambivalents. On reste bouche bée devant le pompier qui parvient à contrôler un incendie dans un immeuble sauvant ainsi tous ses habitants ou devant le pilote Sully Sullenberger qui en 2009 parvient à poser en urgence son avion sur l’Hudson river et sauve ainsi ses 150 passagers. Dans un cas comme dans l’autre, leur expertise est exceptionnelle. Mais le sentiment est inverse quand on constate que les prévisions d’un certain nombre d’experts se révèlent moins fiables que celles réalisées par des modèles statistiques. Dans des Ted talk célèbres, Hans Rosling, médecin et statisticien, montrent à quel point nous pouvons être ignorants de faits importants tout en étant convaincus de la véracité de nos dires. Dans l’un d’eux, il dit : « J’ai démontré que les étudiants suédois les plus brillants avaient, statistiquement parlant, moins de connaissances sur le monde que les chimpanzés. »

Ces deux phénomènes font l’objet d’analyses approfondies au sein de communautés dont les chefs de file sont pour l’une Daniel Kahneman, lauréat du prix Nobel d’économie en 2002 et auteur du livre Système 1 / Système 2. Les deux vitesses de la pensée et pour l’autre, Gary Klein, psychologue renommé auteur notamment de Sources of Power: How People Make Decisions (1999). Ce dernier est un pionnier dans l’approche dite de la prise de décision naturaliste tandis que le second développe l’approche des biais cognitifs et des heuristiques. Tout semble opposer ces deux approches, sauf que les deux auteurs respectent immensément leur travail respectif et ont donc cherché pendant plusieurs années à comprendre leurs points de convergence et de divergence.

Débat scientifique exemplaire

Au-delà d’être exemplaire de ce que le débat scientifique peut faire de mieux, leur article permet de décrire deux phénomènes aussi réels l’un que l’autre qui ne s’appliquent pas aux mêmes situations. De fait, la plupart de nos jugements sont intuitifs et nous permettent d’agir dans le monde. Certains de nos jugements sont bons tandis que d’autres sont assez systématiquement erronés. Comment l’expliquer ? De fait, le développement d’une réelle expertise, celle de ces infirmières qui détectent des septicémies chez de très jeunes nourrissons avant même que les résultats sanguins reviennent positifs, nécessite que certaines conditions soient réunies. Il faut d’abord que l’environnement présente un certain niveau de régularités, d’invariants. Il faut ensuite que le futur expert puisse les découvrir, les discerner en accumulant de l’expérience. Enfin, il faut aussi qu’il reçoive un feedback rapide qui lui permette de lier perception et action dans un sens ou dans un autre. Lorsque ces conditions font défaut, il est difficile de développer une expertise. Le développement de l’expertise est tout à fait compatible avec un univers incertain comme dans le cas du poker ou des conflits armés. Il faut néanmoins pouvoir y décerner des régularités.

C’est ainsi que les astronomes, les pilotes d’essai, les physiciens, les mathématiciens, les infirmières, les médecins sont typiquement des professions dont le niveau d’expertise peut être très élevé tandis que dans des professions comme celles de courtiers, de psychologues cliniques, de juges, de recruteurs ou d’analystes du renseignement, cette expertise serait beaucoup plus rare.

Savoir les limites de ses compétences

Une caractéristique de l’expert compétent c’est qu’il sait en général les limites de ses compétences et requiert l’avis d’autres experts quand il sort de son domaine. La difficulté vient de ce que nos jugements – bons ou mauvais – sont tous intuitifs, automatiques, rapides, formulés presque sans effort et il n’est pas aisé d’être bon juge en la matière. Car nos intuitions suivent facilement des opérations mentales qui peuvent nous induire en erreur.

Les auteurs donnent l’exemple de l’erreur que commettent la plupart des personnes lorsqu’ils essaient de résoudre le problème suivant : une balle et une batte de baseball coûtent à elles deux 1,10 euro. La batte coûte 1 euro de plus que la balle. Combien coûte la balle ? Réponse à la fin de l’article. Il est fort probable qu’intuitivement vous ayez envie de répondre 10 centimes. Ce n’est malheureusement pas la bonne réponse. L’approche par les biais cognitifs abonde de ces exemples où nous tombons dans le panneau parce que plutôt que de faire une analyse rigoureuse qui nécessite des efforts, nous recourrons à des intuitions qui donnent la mauvaise réponse ou la mauvaise évaluation. Quand il s’agit d’évaluer des cas en psychiatrie ou de recruter des officiers, la chose est d’importance.

Méthode premortem

Ce constat – qui n’est d’ailleurs pas nié par les tenants de l’approche naturaliste – conduit à formuler un certain nombre de recommandations visant à améliorer la prise de décision. Notamment, les théoriciens des biais cognitifs sont très favorables aux algorithmes là où il est pertinent d’y recourir comme dans l’octroi de crédits bancaires. Côté approche naturaliste, beaucoup plus méfiante à l’égard des algorithmes, la méthode premortem est considérée comme un outil utile. Il s’agit pour un groupe d’établir un plan puis de considérer a priori qu’il a échoué et d’analyser les raisons de cet échec. Cet exercice permet de générer plus de critiques et d’éviter la suppression des opinions dissonantes, phénomène que l’on observe quand une organisation se lance dans un projet.

L’analyse de l’expertise doit donc être nuancée et suppose une compréhension fine de l’environnement dans lequel elle opère. Les deux courants ont des leçons à nous enseigner, en particulier dans l’adoption avisée des algorithmes ou dans le domaine éducatif, a priori le champ rêvé de l’expertise. »

 

Réponse : 5 centimes puisque la batte de baseball vaut un euro de plus, soit 1,05 euro

Nouvelle contre-expertise sur le Rio-Paris

Nouvelle contre-expertise sur le Rio-Paris

 

Une nouvelle enquête qui n’aboutira sans doute à rien tellement les expertises sont cadenassées par certains lobbies. Les juges d’instruction ont ordonné début février une nouvelle contre-expertise pour faire la lumière sur les causes de l’accident du vol Rio-Paris d’Air France, qui avait fait 228 morts en juin 2009, a-t-on appris vendredi de source judiciaire. Les experts désignés doivent rendre un rapport provisoire le 3 septembre prochain, précise-t-on de même source, confirmant des informations de France Télévisions. Une expertise et une contre-expertise ont déjà été menées mais cette dernière, accablante pour l’équipage d’Air France, avait été annulée en 2015 par la cour d’appel de Paris pour une question de procédure. Le premier rapport d’enquête administrative, remis en 2012, concluait à la fois à des causes humaines et techniques ainsi qu’à des problèmes de formation et de prévention. Les enquêtes menées jusque la sont surtout le fait du BEA. Un BEA qui dépend sous contrôle de l’Etat en fait souvent aussi sous contrôle des intérêts économiques. A juste titre le syndicat des pilotes demande une réelle indépendance politique et financière du BEA. Trop souvent en effet la responsabilité a été reportée indûment sur les pilotes Le SNPL demande depuis longtemps une réforme du mode de fonctionnement global du BEA. L’une des premières pistes étant la participation des pilotes aux enquêtes. «Nous ne sommes pas présents en tant que représentants de cette fonction dans un BEA qui s’attache à trouver les circonstances d’un accident», déplore le SNPL. Le SNPL souhaite aussi un BEA plus indépendant d’un point de vue politique et budgétaire. «Lorsque nous sommes dans l’émotion, il y a un besoin purement politique de se saisir de l’affaire, d’avoir les informations avant les autres. « Or le seul rôle du BEA est d’émettre des recommandations après avoir identifié des menaces», affirme Jean-Jacques Elbaz.  Le débat sur l’indépendance du BEA avait déjà été lancé en 2009, après le crash du vol Rio-Paris. En 2011, des familles des victimes ont ainsi porté plainte auprès du procureur de la République pour «entrave à la manifestation de la vérité». A l’époque, le SNPL pointait aussi du doigt le manque d’indépendance du BEA à l’égard de l’autorité de tutelle, à savoir le ministère des Transports qui nomme par décret son directeur général, ou des industriels. «Le BEA ne doit pas être un outil qui sert les intérêts des uns et des autres», rappelle aujourd’hui le syndicat. Air France et Airbus sont mis en examen pour « homicides involontaires » depuis mars 2011 mais aucun procès ne s’est tenu à ce jour.




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