Incantation et morale ne suffisent pas pour faire évoluer les comportements
Anthony Hussenot
Le professeur de gestion Anthony Hussenot souligne, dans une tribune au « Monde », que la construction d’un système économique durable ne dépend pas que de la bonne volonté des entreprises, mais de l’interaction entre producteurs et consommateurs
Tribune Depuis plusieurs semaines, les débats sur le « monde d’après » mettent en évidence les problèmes liés à nos modes de consommation dans cette crise sanitaire. Paradoxalement, c’est aussi la consommation qui nous aidera en partie à sortir de la crise économique. La question des choix des modes de consommation est donc centrale.
Des évolutions notables ont été observées ces dernières années, mais il semblerait qu’elles soient trop lentes pour avoir un impact significatif sur la société et éviter d’autres crises. Les discours incantatoires et les leçons de morale à ce sujet ne suffisent pas non plus à faire évoluer rapidement les comportements et, pire, ils créent parfois un phénomène de rejet auprès des consommateurs qui n’ont pas envie de se faire dicter leurs choix.
En réduisant notre consommation et en mettant à l’arrêt certains secteurs, le modèle économique a laissé entrevoir les interrelations entre les différents acteurs. Il est ainsi facile de comprendre comment la diminution de notre consommation d’essence a non seulement un effet direct sur les prix à la pompe, mais entraîne également des désordres économiques et logistiques divers pour les pays producteurs et importateurs.
Les consommateurs ne sont pas que des spectateurs
Dans une économie réduite à peau de chagrin, jamais la consommation ne nous est-elle apparue pour ce qu’elle est : un acte d’organisation, qui participe à mettre le monde en ordre d’une certaine façon. Les produits et les services consommés ne sont pas seulement des échanges économiques, ou des formes de vote politique comme on l’entend parfois, ce sont des actions concrètes et nécessaires au développement ou au maintien de certains modes de production, de distribution et de création des richesses.
Consommer, c’est donc jouer sa partition aux côtés des producteurs, distributeurs et pouvoirs publics. Par exemple, les modes de production des agriculteurs dépendent en partie de nos modes de consommation. Rares sont les entreprises qui peuvent prendre le risque de s’affranchir de cette relation. En somme, consommer n’est pas seulement une façon d’adouber un système, c’est y participer en s’inscrivant dans des relations d’interdépendance souvent complexes.
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Contrairement à ce que laissent encore penser de nombreux discours, les consommateurs ne sont pas que des spectateurs. Par exemple, le récit du procès Amazon faisait apparaître Jeff Bezos, son PDG, comme le seul et unique responsable, qui mettait en danger ses salariés en livrant des produits non essentiels alors que le pays faisait face à la crise sanitaire. Il ne s’agit pas ici de dédouaner Amazon et son PDG, car certaines pratiques sont inadmissibles.