Existe-t-il encore des perspectives d’union de la gauche après les européennes ?
Alors que les sondages placent la liste de Raphaël Glucksmann en tête à gauche, la campagne pour les élections européennes voit se multiplier les invectives entre les anciens partenaires de la Nupes. L’alliance des partis de gauche semble avoir fini d’imploser à l’automne 2023. Face au refus de La France Insoumise (LFI) de qualifier les attaques du Hamas du 7 octobre de « terroristes », les communistes ont décidé que l’alliance avec cette formation constituait une « impasse », avant que le Parti socialiste (PS) ne vote un « moratoire » décrit par Jean-Luc Mélenchon comme « une rupture ». Refusant tour à tour l’union avec LFI, les différentes forces de gauche ont évité de porter seules les stigmates de la rupture, tout en en renvoyant la responsabilité aux choix stratégiques insoumis. Certes, cette rupture n’a pas mis un terme à toutes les tentatives d’union. Pour autant, ainsi qu’en attestent les derniers contacts de LFI avec Génération•s d’une part, et avec le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) de l’autre, les plus petites perspectives d’union échouent face aux faibles ambitions rassembleuses des différentes forces de gauche.
par
Pierre-Nicolas Baudot, Université Paris-Panthéon-Assas dans The Conversation
Parties divisées pour les élections européennes de juin 2024, les formations de gauche françaises exposent en traits grossis leurs différends idéologiques et stratégiques durant la campagne. En jeu, le rapport de force entre elles sur le terrain national.
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Mise en suspens par le scrutin proportionnel européen, la question de l’union à gauche ne manquera pas d’être à nouveau posée par la perspective des scrutins nationaux – celui de 2027 en tête.
La campagne pour les élections européennes a rappelé une série de divergences. Les questions internationales y occupent une place centrale. Alors que LFI s’oppose à l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne, écologistes et socialistes la défendent. De la même façon, le rapport à l’Europe néolibérale continue de dessiner les oppositions.
Cependant, la campagne tend également à maximiser les différends, sinon à les exagérer, et à multiplier les invectives réciproques, entre dirigeants comme entre militants. Au-delà des désaccords idéologiques, ces oppositions révèlent des divergences stratégiques fortes.
Les communistes ont, les premiers, annoncé mener campagne seuls. Les écologistes, placés troisièmes lors des élections européennes de 2019 (13,48 %), devant LFI (6,31 %) et le PS–Place publique (6,19 %), les ont rapidement suivis. Comme en 2019, les socialistes ont misé sur Raphaël Glucksmann, un candidat projetant la perspective d’un espace entre un macronisme ne cessant de se déporter sur sa droite et la gauche insoumise à laquelle il s’oppose. Ces listes ont en commun de critiquer la stratégie insoumise et d’espérer une redistribution du rapport de force national à gauche.
Au soir de l’élection présidentielle de 2022, celui-ci s’était établi très en faveur de LFI et ses 21,95 %. Cependant, comme l’a récemment fait remarquer l’économiste Stefano Palombarini, cette hypothèse a ses limites, notamment dans le cas socialiste. La campagne menée par Raphaël Glucksmann plaide pour l’impossibilité durable d’une alliance avec LFI et le bien-fondé d’une option « réformiste » face à la gauche de rupture. Les vétérans du hollandisme, et François Hollande lui-même, n’ont pas manqué l’occasion d’y voir la perspective d’un retour en grâce. Glucksmann a même tenté – sans succès – d’enrôler François Ruffin (député LFI) dans cette direction, en misant sur les critiques émises par ce dernier sur la stratégie du mentor insoumis.
La mise en exergue des différends politiques et stratégiques éloigne les perspectives d’une nouvelle alliance à gauche, autant qu’elle brouille par avance la lisibilité d’une telle offre aux yeux de l’électorat. Pour autant, passée la proportionnelle intégrale des élections européennes, les scrutins nationaux ne manqueront pas d’interroger de nouveau la capacité des forces de gauche à s’entendre. Les éléments pour l’appuyer ne manquent pas. Ainsi, une note de la fondation Rosa Luxemburg publiée en 2023 relevait une forme de convergence des positions européennes à gauche contre la politique néolibérale de l’Union et pour sa réorientation écologique et sociale.
Sans occulter l’importance des désaccords, certains combats communs à l’Assemblée nationale, comme récemment au sujet d’un prix plancher pour les agriculteurs, plaident dans le même sens. L’attitude de la Nupes face à la réforme des retraites ou « la loi immigration » font de même.
Surtout, la perspective historique rappelle que les divisions à gauche ne sont ni nouvelles, ni irrémédiables. Mais elle souligne aussi que si l’union à gauche est si débattue, c’est – au moins en partie – parce que les partis eux-mêmes n’en finissent plus d’apparaître comme des organisations déclinantes. En janvier 2024, d’après le baromètre du CEVIPOF, ils représentaient même, pour 77 % des interrogés, l’institution la moins fiable, avec les réseaux sociaux.
L’émergence de nouvelles organisations – comme LFI – s’est faite dans la revendication d’un dépassement des formes traditionnelles des partis. Elle n’a cependant pas réussi, pour l’heure, à renouveler le genre. Certes les autres tendances politiques n’y échappent pas, et à l’exception du RN il paraît bien difficile de dire quel sera l’état des diverses écuries en 2027. Cependant, à droite, elles s’accommodent visiblement mieux du fond de l’air populiste, de l’hégémonie néolibérale et de positions de rejets.
C’est donc bien à une question organisationnelle que la gauche doit faire face d’ici à l’élection présidentielle de 2027. Elle paraît trop faible pour entrevoir une inversion du rapport de force politique sans s’entendre et développer des stratégies pour accroître son audience (à destination des classes populaires, des zones rurales, des abstentionnistes…).
La Nupes a atteint son objectif en maximisant le nombre de députés de gauche et en permettant aux différentes forces d’obtenir un groupe à l’Assemblée nationale. Cependant, elle n’a pas posé la question d’une nouvelle forme d’organisation collective à gauche. À l’inverse, en maintenant les groupes parlementaires, elle a prolongé les logiques partisanes et les mécanismes de différenciation qui en découlent.
C’est moins le risque d’une divergence idéologique qui se pose à la gauche, que celui de l’impossibilité du débat. Dans la perspective de l’élection de 2027, ce n’est donc pas la question de l’état de la Nupes qui apparaît, mais celle des formes d’une alliance à gauche qui assurent les délibérations collectives et la consécration militante que n’avait pas permis l’urgence de l’accord en 2022. Au prix d’une refonte organisationnelle réelle, la gauche peut tenter d’éviter la disjonction qui éloigne la diversité du mouvement social de l’espace électoral.
Comme l’a récemment souligné le philosophe Jean Quétier, l’analyse historique des partis permet de rappeler leur potentiel démocratique et émancipateur. Cependant, elle conduit également à constater, en pratique, la déception de ces perspectives. En se rapprochant de cet idéal démocratique et émancipateur, une forme organisationnelle nouvelle pourrait espérer relayer l’animation sociale et intellectuelle, et non s’y imposer verticalement. La gauche partisane pourrait alors s’attendre à apparaître à nouveau comme un espace à investir, et non comme un repoussoir.
Elle doit pour cela engager les chantiers d’une unité qui n’écrase pas le pluralisme, en pensant son rapport à la personnalisation dans un régime présidentialisé, à l’atomisation néolibérale, aux évolutions du militantisme, à la verticalité de son organisation ou encore à son implantation territoriale.
D’ici à 2027, la gauche fait donc bien face à un double enjeu collectif : collectif dans l’imaginaire qu’elle projette, mais également collectif dans la pratique. En ce sens, la question démocratique et le lien de la gauche à la société n’apparaissent pas que comme des enjeux formels mais bien, dans une perspective gramscienne, comme les fondements d’une transformation politique profonde.
Européennes : comment les votes sont influencés
Européennes : comment les votes sont influencés
À l’approche des élections européennes de 2024, il apparaît que les enjeux géopolitiques mondiaux ainsi que les sondages pré-électoraux influencent significativement les orientations politiques des partis et les décisions des électeurs. Cette tribune explore comment les crises internationales, les sondages et les stratégies réactives des partis politiques s’entremêlent, avec un accent particulier sur les risques de renforcement des partis extrêmes par les stratégies actuellement menées, tout en soulignant comment ces facteurs convergent pour redéfinir le paysage politique de l’Union européenne. Par Véronique Chabourine, membre du bureau de l’association Renew Europe France Paris, déléguée chargée de la communication dans La Tribune.
En 2024, décrite par l’agrégateur de sondage Europe Elects comme « l’année des élections », la moitié de la population mondiale vit dans des pays ayant voté ou devant voter.
Cependant, le récent rapport d’indice des démocraties, V-Dem, révèle que 56% de cette population est sous le joug d’autocraties électorales ou fermées, une hausse de 8% depuis 10 ans, soulignant un déclin démocratique notable puisque seulement 16% de la population mondiale bénéficient d’une démocratie électorale, niveau le plus bas depuis 1998.
D’après l’indice de démocratie 2023 de l’Economist Intelligence Unit, 15 États membres de l’Union européenne sont classés en « pleine démocratie », les autres, dont la France, se trouvent en « démocratie imparfaite ». Selon ce classement, être en « démocratie imparfaite » est souvent le signe d’une défiance politique, et d’un niveau de participation électorale faible malgré une gouvernance électorale libre. Dans le contexte actuel, marqué par des crises, économiques post-pandémiques, environnementales et géopolitiques, les électeurs se tournent de plus en plus vers des solutions radicales.
L’incertitude économique, les défis climatiques et les tensions internationales alimentent les discours populistes, comme celui de Donald Trump, qui en prévision de l’élection présidentielle américaine utilisent des rhétoriques de protectionnisme économique, anti-immigration, anti-avortement et anti-OTAN pour polariser. De même en Europe, ces mêmes crises alimentent la montée des partis d’extrême droite, qui capitalisent sur une défiance croissante envers les institutions, sur les diverses crises avec une sensibilité accrue aux questions de souveraineté et d’identité nationale, le dernier sondage du laboratoire d’opinion Cluster17 montre que pour 26% des Français, c’est la sécurité suivie de l’immigration pour 15% (choix unique) qui motive leur vote le 9 juin.
En troisième position, 10% se déplaceront aux urnes pour le pouvoir d’achat. Depuis le début du mois de mai, plus de 83 études d’opinion en France ont été recensées par l’agrégateur de sondage Toute l’Europe permettant de dessiner les intentions de vote du 9 juin, et plaçant le Rassemblement national avec Jordan Bardella en tête des sondages, avec plus de 30%, soit un score deux fois plus important que celui de la liste Besoin d’Europe menée par Valérie Hayer.
Tous les sondages s’accordent à publier les mêmes tendances, dessinant ainsi la popularité d’un candidat par l’effet bandwagon, processus par lequel un candidat en tête des sondages devient plus populaire et augmente ses chances d’obtenir des voix ; les sondages peuvent influencer les électeurs ; les médias tendent à se concentrer sur les candidats qui mènent dans les sondages, ce qui peut également influencer l’opinion publique. Une étude publiée dans la revue PLOS ONE révèle que l’exposition répétée aux noms de politiciens a un effet mesurable sur les préférences des individus.
La couverture médiatique qu’elle soit neutre, positive ou négative peut rendre les candidats plus familiers. Si les sondages participent à influencer les électeurs, ils participent également à façonner les programmes de campagne des partis. Ainsi les partis incluent davantage dans leurs projets européens, la défense, la sécurité et l’immigration, qui sont traditionnellement les axes de campagne des partis d’extrême droite, c’est le cas de la liste Besoin d’Europe avec pour « premier combat » : la défense et la diplomatie, la sécurité intérieure et la maîtrise des frontières, la liste Place Publique, elle, oriente sa première ligne de programme sur la défense européenne. Au-delà des programmes politiques et des conditions contextuelles, les qualités personnelles des candidats, leur résonance sociologique et leur visibilité sur les réseaux sociaux ont un impact direct sur les résultats électoraux.
Selon des recherches publiées par le Multidisciplinary Digital Publishing Institute (MDPI), les traits de caractère et la communication personnelle des candidats influencent fortement le choix des électeurs, qui recherchent une résonance personnelle avec les candidats. Cette dynamique peut apporter des éléments de réponse au leader dans les sondages, Jordan Bardella, malgré un relativement maigre bilan de son parti au parlement européen.
Les stratégies des deux partis donnés en tête des sondages, après le Rassemblement national respectivement, Besoin d’Europe (incluant Renaissance) et Place Publique peuvent risquer en cherchant à apaiser les thèmes traditionnels de l’extrême droite, comme la sécurité intérieure, la défense ou l’immigration renforcer ces mêmes partis. De même qu’en mettant l’accent sur les crises ou l’opinion publique est plus encline à soutenir l’extrême droite.
Lors des élections européennes, les électeurs ont tendance à privilégier les enjeux nationaux plutôt que les questions spécifiquement européennes, ainsi les questions économiques et sociales nationales devraient dominer l’agenda électoral même lors d’un scrutin européen.