C’est un brûlot que publie l’ancien ministre des affaires européennes Laurent Wauquiez. Dans Europe, il faut tout changer, le député UMP de Haute-Loire brosse un tableau accablant des dysfonctionnements de l’Europe des 28. Compte-rendu de cinq de ses reproches aux institutions européennes, dans le domaine économique et industriel :
L’Europe empêche la création de champions européens
L’Europe empêche-t-elle la création de champions européens ? A cette interrogation, qui a ressurgi avec la vente d’Alstom, le maire du Puy-en-Velay répond oui. La Commission européenne, estime-t-il, a cessé depuis les années 70 d’avoir une vision industrielle, se contentant d’appliquer le dogme de la concurrence »libre et non-faussée ».
Cette doctrine empêche, selon lui, « l’émergence de champions européens capables de concurrencer leurs compétiteurs internationaux » et aboutit parfois à des résultats calamiteux. En 2001, Schneider et Legrand (systèmes électriques) s’unissent, mais la Commission interdit la fusion et exige, en 2002, la séparation des deux groupes. Affaire « ruineuse » pour Schneider qui « après, avoir payé très cher Legrand, ne parvient pas à le revendre au même prix : 2 milliards de pertes ».
« On continue, note le député UMP, « à se demander si telle fusion à l’échelle de la Belgique ou des Pays-Bas ne conduit pas à une position dominante alors qu’il faudrait raisonner au moins à l’échelle du continent. Nous retardons d’une guerre ». Et manquons surtout d’une vision commune, souligne La Revue parlementaire.
L’Europe est trop dogmatique sur les aides d’Etat
Autre conséquence du dogme de la concurrence libre et non faussée : les commissaires européens traquent « les aides d’Etat comme des inquisiteurs : les Etats doivent notifier toute aide à partir de 200.000 euros (…) alors que la Chine et les Etats-Unis dépensent des centaines de milliards en aides d’Etat « .
Selon l’élu auvergnat, « les Chinois consacrent 6% de leur produit intérieur brut aux aides à leurs entreprises, les Etats-Unis et le Japon 1%. Rien de tel en Europe : en Allemagne, l’aide aux entreprises des nouvelles technologies ne représente que 0,3% du PIB et, en France, le programme de relance annoncé en septembre 2013 n’en représente que 0,2%. Cela contribue à un retard de richesse accumulée dans la zone euro par rapport aux Etats-Unis depuis 2012 estimé à 740 milliards d’euros de production en moins, perdus à cause d’une idéologie absurde ».
L’Europe trop lente dans un monde ultra-compétitif
Quand la compétition mondiale s’accélère, l’Europe ralentit, dit en substance Laurent Wauquiez. Et de citer à titre d’exemple le brevet européen, qui occupe les instances européennes depuis trois décennies.
« Il est vital pour les entreprises de protéger leurs innovations », souligne-t-il et « mettre en place un brevet simple, valide à l’échelle de toute l’Europe semble donc tomber sous le sens … sauf que l’on se heurte à une question cruciale : en quelle langue ? Ou plutôt, en quelles langues ? L’anglais, bien sûr, mais comment la France pourrait-elle accepter que la langue de Molière soit oubliée ? Et s’il y a le français, il va de soi que les Allemands doivent être à bord ».
« A l’arrivée, cette aimable plaisanterie suppose pour un brevet européen un coût de l’ordre de 20 000 euros dont près des trois quarts pour les seuls frais de traduction soit 10 fois plus qu’un brevet américain. Et bien, croyez-le ou non, les pays européens discutent de ce sujet depuis trente ans. »
L’Europe des lobbys
La Commission, rappelle-t-il, compte « 30.000 lobbyistes agréés », qui défendent bec et ongles les intérêts de leurs clients. 30.000 : presque autant que d’employés à la Commission, souligne Le Monde (Les lobbies à la manoeuvre).
Alcooliers, pétroliers, fabricants de cigarettes ou géants du Net savent à merveille quelles ficelles tirer pour servir leurs intérêts. D’autant plus, poursuit Le Monde, que « le lobbying le plus efficace à Bruxelles est le fait d’anciens hauts responsables de la Commission, diplomates ou eurodéputés » qui connaissent à fond les rouages.
Et de citer Erika Mann. Cette ancienne eurodéputée allemande sociale-démocrate négocie désormais pied à pied les intérêts de Facebook dans les directives européennes. Trouve-t-elle facilement des oreilles attentives ? A en croire Laurent Wauquiez, « la Commission européenne écoutera plus volontiers une entreprise privée qu’un représentant d’un Etat membre suspecté de vouloir rogner sur ses pouvoirs. Dans la vision de la Commission, un gouvernement est plus suspect qu’un lobby privé ».
L’Europe du dumping social
Quelles conséquence a entraîné, sur le plan social, l’élargissement, à 28 pays, d’une Union européenne basée sur la liberté « de circulation et d’installation », avec des législations très différentes ?
Réponse : « une entreprise européenne peut travailler dans n’importe quel autre Etat membre tout en continuant à appliquer les charges sociales de son pays d’origine .En théorie, il faut appliquer les règles du pays où l’on travaille sur le salaire minimum, les congés payés ou le temps de travail (…) En pratique, dit-il, il n’y a ni contrôle ni sanctions », écrit l’ancien ministre.
Des secteurs entiers ont été laminés : »Aujourd’hui vous n’avez plus une seule entreprise française qui fasse encore du transport entre pays européens », remarque le maire du Puy-en-Velay. Une tribune ce 8 mai lui fait écho : « Halte au dumping social dans le transport routier en Europe ! », s’écrie le secrétaire d’Etat socialiste aux transports Frédéric Cuvillier.
Laurent Wauquiez évoque aussi le secteur de la charcuterie industrielle, mise à mal par la concurrence allemande. Leur secret ? « Vous n’avez aujourd’hui dans les abattoirs allemands quasiment plus d’ouvriers allemands sur les tâches de base. Tous les postes sont occupés par des salariés polonais payés parfois 30 ou 40% de moins. L’Allemagne produit sa charcuterie avec des conditions de compétitivité imbattables ».
Le tollé suscité par le livre ne viserait-il pas à étouffer les questions posées ? Personne n’a découvert aujourd’hui les ambitions présidentielles de Laurent Wauquiez (40 ans l’an prochain) ni son faible pour le jeu perso (selon L’Express).
On peut discuter des réponses qu’il apporte. Pourquoi une Europe à 6 ? Pourquoi pas « une union politique de la zone euro », à laquelle appelait en février un collectif d’économistes, dont Thomas Piketty ? Pourquoi pas une véritable Europe fédérale, qui aurait enfin la légitimité politique manquante ?
La copie du député-énarque-normalien-premier de la classe pêche sans doute par sa conclusion et, comme l’explique Métronews, Laurent Wauquiez attaque aujourd’hui ce qu’il défendait hier en ministre.
Mais même si un curieux tropisme conduit les politiques à n’être critiques envers les institutions européennes que lorsqu’ils sont dans l’opposition, le diagnostic ne saurait être balayé d’un revers de main.