Prix alimentaires : l’inflation est désormais structurelle
Dominique Schelcher, le PDG de Système U, estime désormais que l’inflation dans l’alimentaire est structurelle . Il pointe les risques d’effondrement des ventes en magasin et lance un appel à l’ouverture sans tarder de nouvelles négociations commerciales pour faire baisser les prix.
On le constate dans les rayons, les prix n’en finissent pas de grimper. Est-ce que ça va continuer ?
DOMINIQUE SCHELCHER – Nous sommes déjà à 16,2% d’inflation sur les produits alimentaires sur un an. Vont s’ajouter les hausses de tarifs liées aux négociations commerciales qui viennent de se terminer et qui dépassent les 10%. Il faut donc s’attendre à une inflation de 25% fin juin. Car les résultats de ces négociations ne sont pas encore tous répercutés sur les étiquettes. Loin de là. Cette hausse va durer au moins jusqu’à l’été. A la rentrée, ça devrait se calmer. Mais, ne rêvons pas, la période a changé : même si la situation s’améliore, l’inflation que nous voyons est devenue structurelle.
Dans ce contexte, demandez-vous une ouverture de nouvelles négociations commerciales avec les industriels de l’agroalimentaire ?
Oui, et nous sommes suivis par le ministère de l’Economie. Bercy a écrit à tous les acteurs du secteur pour les inviter à renégocier dès le mois prochain. Cela pourrait permettre de faire baisser les prix à la rentrée. Les prix de certains produits comme les pâtes ou le café, ou même les céréales, pourraient déjà être revus à la baisse. Mais, le problème, c’est que les industriels ne veulent pas se mettre autour de la table. Je trouve cela étonnant, car l’an dernier, en mars 2022, tout le monde était d’accord pour le faire quand il s’agissait d’augmenter les prix en raison de l’explosion des coûts des matières premières et du fret. Curieusement aujourd’hui, lorsqu’il s’agit de baisser les prix parce que les tarifs du blé et de l’énergie chutent, ils freinent des deux pieds et personne ne veut s’engager. Je n’ai pas de problème à le dire, l’inflation est nourrie par l’attitude de certains acteurs qui veulent reconstituer leurs marges et qui ne se soucient pas des consommateurs. La situation actuelle n’a rien à voir avec celle de l’an dernier, quand l’inflation était subie par tous les intervenants. En ce moment, il y a des envies, pour certains, de rattrapage de leur rentabilité…
Vous remettez donc en cause tout le système ?
Oui, ce système des négociations annuelles n’est plus d’actualité. Il est dépassé. Il fonctionnait quand l’inflation était à zéro et stable, mais aujourd’hui, avec la forte variabilité des prix, il ne colle plus à la réalité. Les industriels reconstituent leurs marges depuis le second semestre 2022. Je me fie au rapport de l’inspection générale des Finances demandé par le ministre de l’Economie. Comme les coûts des matières premières et des intrants ont tendance à baisser, et que par ailleurs, les prix des produits qu’ils nous vendent continuent d’être conséquents, les industriels gagnent plus qu’auparavant. Ils n’ont aucun intérêt à ce que ça change, au moins à court terme.
Le gouvernement peut-il obliger l’ouverture de nouvelles négociations ?
Non, Bercy peut inciter mais le gouvernement n’a aucune marge juridique. Ces négociations annuelles sont inscrites dans le Code du commerce. C’est pour cela que j’en appelle aussi à l’opinion. Car les consommateurs sont les premiers perdants. Et cette perte se ressent déjà dans les rayons. Les Français réduisent leurs achats. Les volumes ont baissé de 9% les trois premiers mois de cette année. Les ménages les plus modestes n’achètent plus de poissons, de viande, de produits frais, de légumes, et de fruits… Près de 40 % des personnes les plus vulnérables sautent des repas, car ils n’ont plus les moyens de se nourrir. Avant, on parlait d’arbitrages, aujourd’hui de restrictions. Les consommateurs vont à l’essentiel. Attention, à la crise de pouvoir d’achat qui se profile. Elle promet d’être violente. Elle peut entraîner des tensions sociales importantes, dans un pays déjà à vif après le conflit sur les retraites.
Comme d’autres enseignes vous avez mis en place des produits à prix bloqués… cela ne suffit-il pas ?
Nous l’avons fait dès le mois de février : 150 produits à prix bloqués. Et nous voyons combien ces produits partent très vite. Leurs ventes connaissent une progression de 35%. A tel point que nous avons dû parfois changer de fournisseurs ou nous réorganiser, car nous ne parvenions pas à suivre et avions des ruptures de stocks. Mais la prise en charge de ces produits à prix coûtant représente pour nous des dizaines de milliers d’euros. C’est notre rôle. Mais cela a un coût. L’inflation est telle depuis plusieurs mois, que nous prenons sur nous. Si nous ne le faisions pas, les produits alimentaires seraient beaucoup plus chers dans nos magasins. Le paquet de pâtes coûterait bien plus si nous avions répercuté toutes les demandes de hausses de tarifs. Sans compter que nous poursuivons les promotions aussi souvent que nous le faisions auparavant, sur les fruits et légumes frais par exemple. Nous essayons d’accompagner au mieux les ménages. Mais nous n’avons pas tant de marge que cela.
Le risque c’est une baisse de l’activité, de la production, et même des emplois… il me semble que toute la filière risque de sortir perdante. Car cette moindre consommation peut durer. La baisse des volumes s’accélère. Les Français s’adaptent. Et on le voit de plus en plus, il y a un questionnement de plus en plus important autour du consentement à payer pour l’alimentation. En d’autres termes, « je vais acheter moins car c’est bon pour la planète ». Le changement est sociétal. Si les volumes continuent de s’effondrer, certains, qui ont des usines, vont avoir moins d’activité et auront du mal à les faire tourner autant. Et le danger concerne aussi les agriculteurs.