Crise : les Espagnols ne consomment plus
Il faut être attentif au processus de dégradation espagnol car la France pourrait s’inscrire dans ce cercle vicieux. Moins de vêtements, moins de cigarettes, moins de voitures: dans une Espagne paralysée par la récession et un chômage galopant, les consommateurs mettent un sérieux coup de frein à leurs dépenses, fragilisant entreprises et petit commerce. Cette semaine, plusieurs grands noms du paysage espagnol, comme le groupe textile Blanco et le fabricant de tabac Altadis, en ont encore fait les frais. Blanco, présent dans 23 pays avec près de 300 magasins et 2.000 employés, a déposé mardi son bilan, insistant sur « la situation économique délicate dont souffre le pays et qui touche de manière très spécifique les marchés du crédit et de la consommation ». Loin des succès des marques Zara et Mango, le secteur de l’habillement espagnol est en effet mal en point: selon l’association des professionnels du textile Acotex, les ventes accumulent depuis début 2013 une baisse de 8,7%, augurant d’une 7e année consécutive dans le rouge. Mardi également, Altadis a décidé de supprimer 10% de son effectif et de fermer son usine de Cadix en Andalousie, invoquant « une chute des volumes de ventes de cigarettes de 40% au cours des quatre derniers mois ». Pour l’expliquer, le groupe, filiale du britannique Imperial Tobacco, cite « l’augmentation considérable du commerce illicite provoquée en grande partie par la situation de crise économique ». Entre 2008 et 2012, les ventes de tabac dans le pays ont fondu de 4,51 milliards à 2,67 milliards de paquets par an, souffrant aussi de l’interdiction de fumer dans les lieux publics. »En Espagne, nous ne sommes pas seulement face à une crise financière, économique ou de l’emploi, c’est aussi une crise de confiance et cela se reflète dans la consommation, qui n’arrête pas de baisser », souligne Celia Ferrero, vice-présidente de la fédération des petits entrepreneurs ATA. Dans la quatrième économie de la zone euro, frappée par un chômage de 27%, les ventes de détail ont reculé en avril de 2,6%, pour le 34e mois de suite. »La hausse du chômage fait que la famille établit des priorités au moment de faire des achats: évidemment, elle ne peut se priver des articles essentiels comme les fournitures basiques et l’alimentation, mais le reste de la consommation diminue », raconte Rocio Algeciras, responsable du cabinet juridique de l’association de défense des consommateurs Facua. »Nous craignons beaucoup que cela se poursuive tant que la situation de l’économie et de l’emploi ne s’améliorera pas », ajoute-t-elle. Les exemples ne manquent pas pour illustrer ce phénomène. Dans l’automobile, les ventes devraient atteindre péniblement 700.000 unités cette année, contre 1,5 million avant la crise, selon les fabricants. Dans la téléphonie mobile, le nombre de lignes a baissé de 300.000 en mars, pour le 8e mois consécutif. Durant ce mois de juin, les 43 magasins en Espagne de l’enseigne d’électroménager Darty baissent définitivement le rideau. Le secteur qui paie le plus lourd tribut est sans aucun doute le commerce, avec la fermeture de nombreuses boutiques: depuis le début de la crise, « cela s’est traduit par la disparition de près de 47.000 petites entreprises et 500.000 emplois associés au commerce », regrette Celia Ferrero. »C’est une situation très grave, parce que le secteur a un poids très important dans l’économie espagnole, en employant presque 3 millions de personnes », et « au final disparaissent énormément de petites entreprises qui constituent la base du tissu industriel en Espagne ». Mais la crise peut être aussi l’occasion d’un nécessaire examen de conscience: « beaucoup de commerces doivent se réinventer, se moderniser » avec notamment des horaires mieux adaptés, estime-t-elle. Il faut « une restructuration du commerce de détail », renchérit José Luis Nueno, professeur de direction commerciale à l’IESE Business School, qui estime que, « pendant les années de boom, on a ouvert trop de boutiques »: « l’Espagne est le pays avec le plus de magasins en Europe! » Selon lui, le commerce pourrait légèrement repartir en 2014. Mais, prévient-il, « nous ne retrouverons pas le niveau de consommation que nous avons connu » avant la crise.