Relance américaine : une enveloppe financière trop massive ?
Nicholas Sargen est maître de conférences à la Darden School of Business (University of Virginia) et consultant en économie, il procède à une évaluation du plan de soutien de Biden à l’économie qu’il juge trop importante (article du Wall Street Journal)
Que pensez-vous du plan de relance de Joe Biden ?
Sa taille est une source potentielle d’inquiétude. La pandémie a provoqué, l’an dernier, une sévère récession aux Etats-Unis, mais le second semestre 2020 a vu un rebond de l’activité du fait de la réouverture de l’économie et de plans de relance qui, en cumulé, ont avoisiné les 4 000 milliards de dollars. La reprise est là. Au début de l’année, les prévisions de croissance pour 2021 tournaient en moyenne autour de 4 %. Avec le paquet proposé par Joe Biden, on pourrait atteindre les 5-6 %, voire 7 % selon certains.
Mais certains Américains ont réellement besoin d’aides…
Oui, l’impact de la Covid-19 est très dur pour ceux qui sont en bas de l’échelle, pour les oubliés de l’économie numérique. Il faut aussi étendre l’assurance chômage à ceux qui n’ont pas de travail. Mais tout le monde n’est pas dans cette situation et je pense qu’il faudrait aider ceux qui en ont vraiment besoin. Il aurait fallu être plus sélectif. Même si l’idée d’envoyer un chèque de 1 400 dollars à tout le monde est très populaire dans l’opinion publique, on a vu, qu’en avril dernier, quand Donald Trump a eu recours à ce même dispositif, les gens les plus aisés ont épargné les sommes reçues pour les dépenser plus tard. Je n’ai rien contre l’idée, mais ce plan aurait dû être mieux calibré. Il est prévu aussi d’aider massivement les Etats. Certains en ont vraiment besoin. Mais c’est un peu comme l’Europe avec l’Italie, faut-il subventionner l’Illinois qui accumule les déficits ?
« La Réserve fédérale se dit plus inquiète de l’état du marché du travail que d’une flambée des prix. Mais il y a des chiffres inquiétants »
Craignez-vous, comme les marchés financiers ces derniers jours, que ce plan puisse provoquer un réveil de l’inflation ?
Pas dans l’immédiat. Mais il y a un risque comme le considère, aujourd’hui, Larry Summers, l’ex-secrétaire au Trésor de Bill Clinton et président du conseil économique national des Etats-Unis sous Barack Obama. C’est pourtant un démocrate et un économiste qui estime que le plan de relance de 2008 avait été trop timide face à l’ampleur de la crise financière de l’époque. Je suis moins catégorique concernant l’impact du plan Biden. Le taux de chômage actuel est très important et la population active a baissé. Donc, même si l’économie repart rapidement et fortement, une fois enregistré l’effet vaccinal, je ne vois pas de menace inflationniste immédiate. Il y a encore des surcapacités. Ce n’est donc pas un problème pour 2021. La Réserve fédérale se dit plus inquiète de l’état du marché du travail que d’une flambée des prix. Mais il y a des chiffres inquiétants. L’an dernier, le déficit budgétaire a dépassé les 15 % du produit intérieur brut — c’était le plus élevé depuis la Seconde Guerre mondiale — et celui de cette année pourrait atteindre les mêmes niveaux. Si on continue à ce rythme, on pourrait être surpris par une flambée inflationniste dans les deux à trois ans qui viennent.
Même s’il ne figure plus dans le plan de relance, que pensez-vous du projet de Joe Biden d’augmenter le salaire minimum à 15 dollars de l’heure ?
A 7,25 dollars de l’heure, il est sûr qu’il a besoin d’être augmenté. Le problème c’est que le faire passer à 15 dollars va toucher ceux qui ont le plus souffert de la pandémie, à savoir les petits commerçants, les petites entreprises familiales. Pas les grands groupes. Cela pourrait donc augmenter le chômage. Il faudrait plutôt peser sur les entreprises qui peuvent augmenter les salaires.
Comment définiriez-vous la politique économique de Joe Biden ? Progressiste ?
Durant toute sa carrière politique, il a été un démocrate modéré, pas un progressiste. A mon avis, il a plutôt bien entamé son mandat en se concentrant sur le sujet le plus important aujourd’hui, à savoir arrêter la pandémie. A l’inverse de Donald Trump, qui après avoir facilité la découverte de vaccins, ne s’est absolument pas préoccupé de l’organisation des vaccinations, il prend l’affaire très au sérieux. Il faut lui en attribuer le crédit. Autre différence, contrairement à Donald Trump qui se focalisait sur le taux de croissance de l’économie américaine, Joe Biden ambitionne de réduire les inégalités. La grosse incertitude pour moi concerne ses autres grands projets en matière d’environnement, de climat et d’infrastructures. Comme le dit Larry Summers, où va-t-il trouver l’argent pour les financer s’il dépense trop pour son plan de relance ?