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Incompatibilité entre capitalisme et écologie ? Les enseignements d’Ignacy Sachs

Incompatibilité entre capitalisme et écologie ? Les enseignements d’Ignacy Sachs

par
Directeur de recherche émérite au CNRS, économiste de l’énergie, Université Grenoble Alpes (UGA) dans The Conversation

La montée de la crise climatique conduit à poser avec une intensité accrue la question de la compatibilité entre le régime économique aujourd’hui dominant au plan mondial et le maintien de conditions écologiques viables sur la planète. Faut-il une rupture avec le système ? Le système en question c’est bien le système capitaliste, fondé sur une économie de marché globalisée, privilégiant la croissance à tout prix et qui ignorerait la question environnementale, sauf bien sûr à des fins marketing ou de greenwashing. Quant à la rupture, quelle serait-elle ? Le terme en lui-même implique un changement profond et rapide : dans les comportements individuels vers la sobriété, dans les politiques nationales, ou encore dans l’ordre mondial ?

Peut-on concilier capitalisme et écologie ? Question hautement clivante, parce qu’elle embarque de multiples dimensions idéologiques et politiques. Elle n’est pas nouvelle, mais devient absolument cruciale dans cette première moitié du XXIe siècle.

Pour engager une conversation utile à ce sujet, sans doute est-il nécessaire de prendre du recul. Et pour cela, quelle meilleure solution que de revisiter la pensée d’un des pionniers, si ce n’est le père, des concepts du développement durable : Ignacy Sachs, l’intellectuel franco-polonais qui est mort le 2 août dernier à Paris, à l’âge de 95 ans.

Né à Varsovie en 1927, Ignacy Sachs a grandi puis étudié l’économie au Brésil pendant la Seconde Guerre mondiale. Il travaille dans les services diplomatiques polonais en Inde à la fin des années 1950, avant de revenir en Pologne. Il quitte ce pays en 1968 et rejoint à Paris l’École pratique des hautes études (l’actuelle EHESS).

Fort de son expérience de vie dans plusieurs sociétés, il commence alors à déployer une réflexion globale sur les enjeux du développement et définit le concept d’« écodéveloppement ». Son programme de recherche, sans doute plus connu à l’international qu’en France, est simple à définir : il s’agit d’explorer les voies d’une « croissance économique à la fois respectueuse de l’environnement et socialement inclusive ».

C’est donc la définition de l’écodéveloppement, terme qu’il impose à la première Conférence des Nations unies sur l’environnement, en 1972 à Stockholm. C’est clairement un concept précurseur de celui de développement durable, introduit par le rapport Brundtland quinze ans plus tard, en 1987.

En 2008, longtemps après ces premiers travaux et donc avec un recul important, Ignacy Sachs livre pour les archives audiovisuelles de la Fondation de la Maison des sciences de l’homme six entretiens sur « Penser le développement au XXIe siècle ».

Il s’agit sans doute de la meilleure base de départ pour explorer la question « Peut-on concilier capitalisme et écologie ? ».

Les expériences de vie et les travaux de recherche de Sachs le conduisent à une analyse sans concession de ce qu’il appelle les « paradigmes échoués » du XXe siècle.

Au Nord, le premier capitalisme, sauvage, a laissé la place à un « capitalisme réformé » durant les trente glorieuses (1945-1975), avant que la « contre-réforme du néo-libéralisme » ne balaye à partir des années 1980 une partie des acquis de la social-démocratie. À l’Est, le bilan du « socialisme réel » est sans appel : sobriété forcée et libertés restreintes, dans une égalité toute relative. Au Sud, le mal-développement domine, avec des inégalités extrêmes et le gaspillage des ressources, naturelles autant qu’humaines.

Seuls échappent peut-être à ce constat certains pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est (la Corée du Sud et les autres « Dragons », puis la Chine et aujourd’hui le Vietnam), dotés d’« États développeurs » efficaces et qui furent les principaux bénéficiaires de la mondialisation économique. Mais en règle générale, les leçons de l’histoire sont des leçons négatives, nous dit Sachs. Pour relever les défis du XXIe siècle, nous sommes donc condamnés à inventer.

Quels sont ces défis auxquels il faut faire face désormais ?

Le changement climatique, bien sûr, dont les manifestations sont aujourd’hui claires, mais qui s’inscrivait déjà sur l’agenda international il y a trente ans, avec le premier rapport du GIEC et les premiers sommets de chefs d’État.

Pour Ignacy Sachs, le second défi est celui du travail. Plus précisément celui de la création d’une offre suffisante de « travail décent » pour une population mondiale qui continuera à croître, de 7,6 milliards aujourd’hui à 10 mds vers 2050. Dans L’homme inutile, l’économiste Pierre-Noël Giraud identifie lui aussi les nouveaux damnés de la terre, ceux qui sont exclus du travail, au Nord comme au Sud.

Sur l’articulation de ces deux défis, deux camps s’affrontent.

D’un côté, on a les « maniaques de la croissance » qui considèrent le maintien de la croissance comme une priorité absolue et « pour ce qui est de l’environnement, on verra après ! ». De l’autre, les tenants de la décroissance, pour lesquels la croissance épuise les ressources et détruit l’atmosphère, sachant que la production matérielle est d’ores et déjà plus que suffisante : il suffit de mieux la répartir. Ce débat entre « cornucopiens et malthusiens » fut illustré, par exemple, dans la controverse entre l’écologiste Paul Ehrlich et l’économiste Julian Simon.

Invoquant Gandhi, Sachs reconnaît la nécessité de la rupture avec le consumérisme effréné et la pertinence de l’autolimitation des consommations. Mais il est sans concession sur la croissance : toute solution conduisant à la freiner peut certes faire du mal au portefeuille des plus riches, mais elle peut aussi signifier l’enfer pour les plus pauvres. Il s’agit donc de piloter l’économie en se tenant éloigné des deux dogmatismes, en considérant des objectifs de croissance et d’emploi, sans doute en inversant les priorités : l’emploi et la croissance.

Il serait vain de revenir aux solutions du passé, toutes ont mal passé l’épreuve de la réalité. En attendant l’émergence et la consolidation d’une économie sociale dans l’économie de marché, il s’agit en priorité de réformer à nouveau le capitalisme. Et d’affirmer le rôle de l’État dans cette perspective d’une « croissance économique socialement inclusive et respectueuse de l’environnement ».

Dans le projet de réforme du capitalisme, Sachs identifie la nécessité absolue d’une régulation sociale et environnementale des marchés. Il faut pour cela une « main bien visible de l’État ». Dans ses conférences de 2008, il identifie cinq priorités, d’une extrême actualité.

L’État doit tout d’abord gérer l’interface entre les différents niveaux de gouvernance ; dans la mondialisation, l’État-nation ne doit pas s’effacer mais au contraire s’affirmer comme un élément central pour l’articulation du global et du local.

Il doit aussi évidemment être l’élément moteur de la composition des objectifs économiques, sociaux et environnementaux, qui constituent le triangle de base du développement durable.
Si les transitions écologiques et sociales appellent une vision à long terme, celle-ci ne doit pas être élaborée de manière technocratique, mais constituer un avenir négocié entre l’État, les entreprises, les représentants des travailleurs et la société civile organisée.

Les services sociaux de base principalement garantis par l’État pour les infrastructures, la santé, l’éducation doivent devenir un droit pour tous et, évidemment, dans tous les pays.
Enfin, l’État doit jouer un rôle central en matière de recherche et d’innovation, non seulement parce que les intérêts privés sous-estiment les bénéfices sociaux de la recherche, mais aussi parce que celle-ci doit échapper aux critères de rentabilité à court terme.

La pensée d’Ignacy Sachs n’épuise évidemment pas le sujet. Mais elle constitue un socle de réflexion solide pour penser les solutions aux défis du XXIe siècle.

Et il sera possible, et recommandé, de prolonger la réflexion en s’appuyant sur les apports du philosophe pragmatiste américain John Dewey pour le rôle de l’enquête scientifique dans la formulation des politiques publiques ou pour le « libéralisme d’action sociale » ; mais aussi les analyses détaillées de Pierre-Noel Giraud sur la nécessaire gestion des emplois nomades et sédentaires dans l’économie globalisée ; ou encore la vision schumpetérienne du paradigme économique vert de l’économiste anglais Christopher Freeman.

Mais ce sont autant de sujets à verser à un dossier qui ne sera pas clos avant longtemps : réformer le capitalisme pour surmonter la crise écologique, tout en construisant l’équité et l’inclusion sociale…

« Coronavirus, en tirer des enseignements sur le changement climatique »

« Coronavirus, en tirer des enseignements  sur le  changement climatique »

Pour François Gemenne, Chercheur en science politique, Anneliese Depoux Spécialiste de la santé publique, le Corona virus aura forcément des effets dévastateurs sur le plan sanitaire et sur le plan économique. Mais cette épidémie permettra de tirer des enseignements sur un autre combat du fait de la réduction drastique des émissions polluantes pendant la maladie.  ( Tribune dans le Monde)

 

« Face à la crise du coronavirus, de nombreux gouvernements ont fait le choix de mettre en place des mesures radicales pour contenir l’avancée de l’épidémie, avec un impact économique sans précédent, encore difficile à chiffrer aujourd’hui.

Même si nous manquons encore de recul, il est prévisible que beaucoup de ces mesures de ralentissement forcé de l’économie ont induit une baisse significative des émissions de gaz à effet de serre. On estime ainsi que ces émissions ont baissé de 25 % en Chine au cours du mois de février 2020, tandis que le trafic aérien mondial baissait de 4,3 % au cours du même mois – avant même que Donald Trump n’annonce, le 11 mars, l’interdiction pour les Européens de se rendre aux Etats-Unis.

Paradoxalement, certaines de ces mesures ont même des effets bénéfiques pour la santé publique : la concentration de particules fines a baissé de 20 % à 30 % en Chine pendant la période de confinement, ce qui a vraisemblablement épargné, dans ce pays, un nombre de vies plus important que le coronavirus n’en a coûté : la pollution atmosphérique y est responsable au bas mot, d’une surmortalité annuelle de 1,1 million de personnes, selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Il sera sans doute difficile d’estimer l’ensemble des effets, à moyen et long terme, de la crise du coronavirus sur le climat. Mais cette crise montre en tout cas une chose : il est possible que des gouvernements prennent des mesures urgentes et radicales face à un danger imminent, y compris des mesures (très) coûteuses. Et il est possible que ces mesures soient acceptées par la population.

Et pourtant, malgré les menaces très graves qui y sont également associées, nous n’avons pas été capables de prendre des mesures similaires pour contrer le changement climatique. Avant la pandémie, et malgré les appels répétés des scientifiques et des activistes pour décréter « l’urgence climatique », les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuaient de croître de 1 % par an en moyenne, très loin des objectifs de l’accord de Paris, signé en 2016.

Alors que nous sommes parfaitement capables de traiter la pandémie du coronavirus pour ce qu’elle est – une urgence absolue, nécessitant des mesures radicales sur la base d’avis scientifiques – nous sommes à l’évidence incapables de faire de même pour le changement climatique. Pour le dire simplement : nous avons beaucoup plus peur du coronavirus que du changement climatique. Pourquoi ? »

 




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