« Ensauvagement : un contresens »
La brutalisation de la société française, liée à la crise économique, aux inégalités sociales, au rejet du débat au profit des certitudes autocentrées, n’est pas l’ensauvagement des individus, estime l’historien Jérôme Kennedy dans une tribune au « Monde », qui éclaire le débat par des exemples puisés dans l’histoire romaine et dans celle de la première guerre mondiale.
Tribune.
Une querelle sémantique s’empare du sommet de l’Etat français. Le garde des sceaux reproche au ministre de l’intérieur l’emploi du mot ensauvagement pour qualifier la situation sécuritaire du moment.
Ensauvagement n’est pas qu’un mot : c’est un concept connoté. Dans le champ des sciences historiques, il désigne parfois le rapport que les soldats impliqués dans la première guerre mondiale entretenaient vis-à-vis du recours à la violence.
Cette approche s’inspire d’un autre concept, celui de « brutalisation », développé en 1990 par l’historien américain George L. Mosse (1918-1999), et qui permettait à l’origine, de manière parfois schématique, d’interroger la manière dont la mort de masse a été rendue « acceptable », à cette époque, aux yeux des sociétés. Il a par la suite été employé afin d’expliquer comment la banalisation des actes de violence, rendue possible par le conflit, a progressivement pénétré la société civile. Et nourri l’avènement des régimes totalitaires.
L’historien Antoine Prost a bien montré, en 2004, combien cette approche mérite d’être nuancée : la brutalisation des sociétés et de l’art de la guerre – définitivement industrialisé – ne peut être confondue avec le prétendu ensauvagement des individus (« Les limites de la brutalisation. Tuer sur le front occidental, 1914-1918 », Antoine Prost, Vingtième siècle. Revue d’histoire, 2004/1. No 81). Le recours massif – et traumatisant – à l’artillerie ne signifie pas que les soldats aient personnellement expérimenté la violence mortelle contre l’ennemi.
Tout est donc question d’échelle. Pour ne pas dire de mesure.
Nourrie par ces débats historiographiques propres à l’histoire contemporaine, une relecture de l’histoire romaine du Ier siècle avant notre ère, siècle de Cicéron (106 avant J.-C. – 43 avant J.-C.) et de Jules César (100 av. J.-C. - 44 av. J.-C.), peut également éclairer le concept. A cette époque en effet – à partir des proscriptions accomplies par Sylla en 82 avant notre ère –, on assiste à une asphyxie progressive des espaces traditionnels de confrontation politique, au profit d’un antagonisme de plus en plus aiguisé par des rivalités, liées à des commandements militaires et aux butins considérables qui en découlent.
Poutine soutient mollement Loukachenko, pourquoi
Contesté en Russie, Vladimir Poutine n’a plus intérêt à soutenir le président biélorusse, qui semble condamné par la persistance de la mobilisation contre sa réélection, relève la politiste, Marie Mendras , spécialiste de la région.
Dans l’histoire moderne, rarement un tyran a pu sauver un autre tyran, à moins d’en faire un vassal et d’asservir la population. La mobilisation massive des Biélorusses depuis août 2020 rend improbable le scénario d’une mise sous tutelle militaire et policière du pays, et annonce le départ d’Alexandre Loukachenko.
Plusieurs semaines ont passé depuis le fiasco du « plébiscite » du 9 août, qui devait assurer un sixième mandat au « président à vie ». Manifestations, grèves perlées, plaintes en justice, dénonciations des abus et exactions du régime ont lieu chaque jour et ne montrent aucun signe de reflux.
Vladimir Poutine n’a plus intérêt à soutenir son camarade biélorusse, et aurait beaucoup à perdre d’une intervention militaire. Pour quatre raisons majeures : la détermination de la société biélorusse ; l’incapacité de Loukachenko, déjà à genoux ; l’échec du scénario russe d’asservissement de l’Ukraine en 2014 ; et la contestation politique en Russie même, aiguisée par la tentative d’assassinat contre Alexeï Navalny, leader de l’opposition démocratique.
Depuis mai, l’opposition a réussi un remarquable réveil de la société biélorusse, en un mouvement d’abord spontané puis structuré à chaque niveau, de l’entreprise au quartier, des grandes aux petites villes, à l’est et à l’ouest du pays.
Comme en Ukraine pendant l’hiver 2013-2014, la mobilisation est impressionnante par son ampleur et par la tranquille détermination d’une société qui reprend son destin en main. Les électeurs ne tolèrent plus qu’on leur vole leurs suffrages.
Comme en Ukraine encore, mais à une moindre échelle, des maillons du pouvoir ont commencé à lâcher : désertion d’anciens ministres et diplomates, démission de policiers et de militaires, solidarité de directeurs d’usine avec leurs employés, ou dénonciation des violences, le 30 août, par des dignitaires religieux et près de 400 sportifs.
La fraude effrénée a suscité un réflexe courageux chez de nombreux responsables de bureaux de vote, qui ont refusé de trafiquer les urnes, et l’ont fait savoir. Les témoignages audio et vidéo se comptent par milliers, attestant la réécriture des procès-verbaux, la substitution d’une urne par une autre, les pressions multiples sur les électeurs.
Selon des évaluations d’experts, basées sur des données partielles mais représentatives, la présidentielle du 9 août aurait été largement remportée par Svetlana Tikhanovskaïa, principale candidate de l’opposition.
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