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Les enjeux de la définition de l’IA open source

Les enjeux de la  définition de l’IA open source 

Une définition étroite et peu rigoureuse de l’IA open source laisserait la porte ouverte à des entreprises comme Meta, qui pourraient changer de cap et cesser de publier des parties de leurs modèles d’IA si ceux-ci ne servent plus leurs intérêts. Un sujet crucial à l’approche du Sommet pour l’action sur l’IA, qui se tiendra en février. Par Mark Surman, président de Mozilla dans « La Tribune ».

Un document de 500 mots a été publié il y a quelques semaines, qui aura un impact significatif sur l’avenir d’Internet. L’Open Source Initiative (OSI) a publié une définition quasi définitive de l’IA open source qui permettra à la vaste communauté des développeurs d’IA de créer un mouvement florissant pour l’innovation, à l’instar de la création d’Internet.

Les logiciels libres sont à la base de l’infrastructure du web ains que de la plupart des applications utilisées aujourd’hui. Cela s’explique par le fait que les pionniers de l’open source ont défini ce dernier comme un logiciel dont l’utilisation et la modification seraient toujours libres, permettant ainsi une adoption généralisée des logiciels libres et donc de l’innovation qui sous-tend notre vie numérique.

Nous assistons à une vague de modèles d’IA – dont beaucoup proviennent des plus grandes entreprises technologiques – qui sont présentés comme étant « open source » mais ne reflètent pas l’esprit de la définition originale du logiciel open source. Bien que cela puisse sembler sémantique, les mots ont leur importance. Un langage approximatif autour de l’IA open source peut faire échouer des trillions de dollars d’innovations futures et laisser les termes de l’IA entre les mains de quelques grandes entreprises.

 Il y a beaucoup à perdre si l’on n’instaure pas une éthique et une communauté de développement de l’IA véritablement ouvertes. Une étude récente de l’université de Harvard a montré que les logiciels libres avaient créé une valeur économique d’environ 8 000 milliards de dollars. Toute cette innovation repose sur les assurances données dans la définition originale de l’open source écrite en 1998 : tout logiciel se disant open source sera toujours libre d’utilisation, d’étude, de modification et de partage. Cela signifie que vous pouvez créer ce que vous souhaitez – une entreprise, un service gouvernemental – à partir d’un logiciel libre sans craindre que quelqu’un vous fasse payer ou modifie les conditions d’utilisation de ce logiciel à l’avenir.

Nous verrons les mêmes avantages avec l’IA, mais seulement si les développeurs peuvent librement utiliser, étudier, modifier et partager tous les éléments d’un système d’IA. Dans cette dernière phrase, le passage « tous les éléments d’un système d’IA » est essentiel. L’IA et les logiciels présentent des différences essentielles. Un système d’IA comprend un code logiciel construit à partir de modèles d’IA fonctionnels et de données d’entraînement sous-jacentes utilisées pour créer le modèle.

La nouvelle définition de l’OSI affirme que le code et les modèles doivent être ouverts et que les données doivent être transparentes et reproductibles. Supposons que nous voulions ouvrir une nouvelle ère de créativité et d’innovation. Dans ce cas, il faut que les chercheurs en IA – y compris les grands acteurs commerciaux – adoptent cette définition avant de qualifier ce qu’ils publient d’« open source ». Sans cela, les développeurs risquent d’éviter les modèles ouverts et l’ensemble de l’écosystème open source risque de s’arrêter prématurément.

Les grandes entreprises technologiques ont multiplié les grands modèles de langage (LLM) – le Llama de Meta étant le plus connu – qui ont été présentés comme des logiciels libres. Ces modèles facilitent la création d’applications d’IA sans les coûts exorbitants requis pour les créer à partir de zéro. Nous avons vu des applications d’IA de grande valeur, allant de la découverte de médicaments à l’éducation médicale, construites sur la base de ces modèles. Il est indéniable qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction, mais ne soyons pas dupes : ces modèles d’IA ne sont pas vraiment ouverts.

Dans une lettre ouverte publiée dans The Economist, Mark Zuckerberg et Daniel Ek (PDG de Spotify) ont défini l’IA open source comme « des modèles dont les poids des paramètres sont rendus publics avec une licence permissive » et citent le Llama comme exemple.

Cette définition étroite laisse la porte ouverte à des entreprises comme Meta, qui pourraient changer de cap et cesser de publier des parties de leurs modèles d’IA si ceux-ci ne servent plus leurs intérêts. Dans ce cas, les développeurs qui se sont appuyés sur ces modèles pourraient voir leurs produits inopérants ou, au minimum, sévèrement limités. Cela soulève de réelles inquiétudes quant à la viabilité à long terme des applications conçues à partir de ces modèles et, d’une manière générale, quant à la viabilité d’un écosystème d’IA open source dynamique.

En février, Mozilla et l’université de Columbia ont réuni d’éminents experts pour étudier ce que l’open source devrait signifier à l’ère de l’IA. Le document qui en a résulté a mis en évidence les risques d’une utilisation étroite et peu rigoureuse du terme « open source » dans le domaine de l’IA. Il met également en garde contre les licences soi-disant « ouvertes » – à l’instar de la licence Llama – qui n’autorise la libre utilisation que pour les produits comptant moins de 700 millions d’utilisateurs mensuels. Pouvez-vous imaginer créer votre startup sur la base d’un logiciel ouvert qui serait verrouillé dès que votre entreprise serait prospère ? C’est ce que feraient de telles licences.

Le projet de définition vise à remédier à ces risques en traçant des frontières claires autour de ce qui est considéré comme de l’IA open source, afin que les développeurs sachent à quoi ils peuvent se fier. Cela donnera du souffle aux laboratoires d’IA construisant des modèles d’IA open source qui ne disparaîtront pas ou ne fermeront pas.

Parmi les exemples, citons le modèle GPT-NeoX-20B d’EleutherAI, publié sous la licence Apache 2.0, qui permet à quiconque d’utiliser le modèle. De même, le modèle OLMo de l’Allen Institute offre un accès complet au code, aux données, aux poids et à la suite d’évaluation utilisés pour le développer, ce qui permet aux chercheurs de l’étudier et de l’affiner. Contrairement à Llama, ces modèles permettent aux chercheurs d’étudier et de tester pleinement le fonctionnement interne des systèmes d’IA et de les adapter à leurs propres besoins.

Il convient également de noter que les laboratoires comme Eleuther et AI2 sont des organisations à but non lucratif, ce qui donne aux développeurs l’assurance que ces ressources resteront disponibles et à jour, garantissant ainsi la durabilité de leurs produits construits sur la base de ces modèles. C’est ce même principe de soutien durable qui a permis aux projets open source tels que Linux et Apache d’être si répandus dans les serveurs du monde entier. Les développeurs savent que les fondations Linux et Apache continueront à faire fonctionner leurs logiciels dans l’intérêt du public.

Le travail de ces organisations à but non lucratif a le potentiel de créer un avenir de l’IA qui contribue à la fois à un bien public plus large et constitue une boîte à outils véritablement ouverte pour l’ère de l’IA. Les décideurs politiques, les philanthropes et la communauté technologique au sens large devraient s’engager et soutenir des initiatives de ce type.

Les géants de la tech devraient s’inspirer de ces projets et modifier leur approche pour la rendre plus conforme à la nouvelle définition de l’OSI. Si nous y parvenons, nous pourrons donner à chacun – et à toute communauté – les moyens de façonner l’IA, d’en profiter et de lui faire confiance. L’avenir de notre infrastructure numérique et notre capacité d’innovation en dépendent.

Épidémie de mpox : Des enjeux sanitaires mondiaux

 

 

Épidémie de mpox : Des enjeux sanitaires mondiaux

Du fait de la découverte d’un nouveau clade (1b) et du manque de vaccins sur place, l’épidémie actuelle de mpox en Afrique centrale inquiète. En France, malgré l’identification d’un premier cas de mpox de clade 1b début janvier 2025, les risques sont considérés comme faibles pour la population générale.Le 07 janvier 2025, un premier cas de mpox (de clade 1b) a été identifié en France, en Bretagne. Cette personne n’a pas elle-même voyagé en Afrique centrale où sévit actuellement une épidémie de mpox mais elle a été en contact avec deux personnes de retour d’Afrique centrale, explique le ministère de la santé. Les autorités de santé rappellent l’importance de la vaccination pour les publics cibles.

 

par ,Infectiologue – Responsable du pôle dispositif de crise, ANRS | Maladies infectieuses émergentes, Inserm

et  Médecin, Clinicien et Epidémiologiste, Directeur du département Statégie & Partenariats, ANRS Maladies infectieuses émergentes (ANRS MIE), Inserm (dans The Conversation)

 

Depuis l’été 2024, des cas de mpox de clade 1b ont été recensés dans quatre pays de l’espace économique européen, en l’occurrence la Suède, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Belgique. Pour autant, « le risque d’infection par le clade I du Monkeypox pour la population générale en France et en Europe est considéré comme faible par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) », même si des cas sporadiques peuvent survenir.

Le 14 août 2024, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré « une urgence de santé publique de portée internationale » concernant l’épidémie de variole simienne mpox (anciennement appelée « variole du singe ») en République démocratique du Congo (RDC).

Cette flambée de mpox en RDC n’a pas débuté en août 2024… mais en novembre 2023. Et depuis le premier cas de mpox décrit chez l’être humain en 1970, la RDC a connu plusieurs flambées de mpox. Si le directeur général de l’OMS a déclaré que cette nouvelle flambée constitue « une urgence de santé de santé publique de portée internationale », c’est du fait de plusieurs évènements majeurs.

D’abord, sur place, en RDC, une équipe de recherche de l’Institut national de recherche biomédicale (INRB) a identifié un nouveau clade du virus ; un clade étant le terme scientifique approprié pour nommer deux « variants » d’un même virus, qui se distinguent par des mutations dans leurs génomes (c’est-à-dire dans leur patrimoine génétique).

Ce nouveau clade a été nommé clade 1b pour le distinguer de l’autre, le clade 1a, qui était le seul qui circulait jusqu’alors en RDC.

L’OMS s’inquiète de la propagation rapide de ce nouveau clade 1b en RDC ainsi que dans des pays voisins.

Il convient de rappeler que le mpox se manifeste généralement par des éruptions cutanées, parfois extrêmement douloureuses qui évoluent en pustules puis en croûtes. Le clade 1a, qui affecte majoritairement les enfants de moins de 15 ans, se transmet par contacts rapprochés cutanés via ces lésions.

En revanche, le clade 1b, nouvellement identifié, présente la particularité de toucher les personnes adultes et de se transmettre de manière privilégiée lors de contacts sexuels. Ce mode de contamination du nouveau clade 1b par contacts sexuels est un point de préoccupation pour l’OMS.

Autre différence : chez l’enfant contaminé par le clade 1a, les lésions peuvent apparaître sur l’ensemble du corps, parfois au niveau des muqueuses – ce qui peut gêner l’alimentation –, des yeux… Dans l’état actuel des connaissances, il semblerait que les lésions occasionnées par le nouveau clade 1b soient davantage localisées au niveau des organes génitaux.

Toutefois, il est important de souligner que le nouveau clade 1b est émergent donc les scientifiques manquent encore de recul pour le décrire.

Ainsi, nombre de questions restent à élucider sur le volet de la transmission : ce nouveau clade est-il plus transmissible que celui qui a circulé en 2022 ? Outre la contamination via des lésions au niveau des organes génitaux et du fait de contacts physiques étroits, le nouveau clade 1b est-il également transmissible par des fluides comme le lait, le sperme, les sécrétions vaginales ?

Enfin, des inquiétudes se font jour quant à la létalité de ce nouveau clade 1b, c’est-à-dire le pourcentage de décès qui surviennent parmi les personnes infectées par le mpox.

Depuis le début de l’année 2024, l’OMS a rapporté des taux de létalité élevés qui avoisinent les 4 % sur l’ensemble des cas suspectés de contamination par les virus mpox de clade 1a et 1b en RDC. Cela signifie que près de 4 personnes infectées sur 100 sont décédées. Mais les chiffres sont plus élevés chez les nourrissons et jeunes enfants.

Actuellement, en RDC et dans les pays avoisinants, sévissent le clade 1a (qui se transmet essentiellement via les lésions sur la peau et qui est présent depuis des décennies dans le bassin du Congo) et le clade 1b (nouvellement identifié et qui se transmet par contacts sexuels).

Il existe également un autre clade de mpox, appelé clade 2. Originellement basé plutôt en Afrique de l’Ouest, il s’est propagé hors du continent africain. C’est ce clade 2, et plus précisément le clade 2b (issu du clade 2 initial après qu’il a subi des modifications génétiques), qui a été responsable de la flambée qui a sévi en 2022 en Europe, en Amérique et en Asie.

À l’occasion de cette épidémie mondiale, il a été observé que le clade 2b se transmettait par contacts sexuels, en particulier chez des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. C’était alors la première fois qu’une transmission de virus mpox par voies sexuelles était mise en évidence.

L’évolution du virus, depuis qu’il a été décrit la première fois chez l’être humain en 1970, nous donne des éléments de compréhension des modes de transmission de ce virus, aussi du profil des personnes contaminées. À l’origine, le mpox se transmettait plutôt de l’animal à l’être humain, et touchait généralement les enfants, suite à des contacts avec les animaux.

À ce propos, soulignons que les animaux concernés étaient généralement des rongeurs, et non des singes, même si la dénomination « monkey pox » (expression anglaise signifiant « variole du singe ») a longtemps été utilisée.

Un vaccin est recommandé par les autorités de santé en France, comme à l’international, compte tenu de sa bonne tolérance et de son efficacité (estimée autour de 82 % après deux doses), selon la Haute autorité de santé (HAS) qui a mis à jour ses recommandations vaccinales pour lutter contre la circulation du mpox en France.

Le vaccin recommandé est un vaccin contre la variole dit « de troisième génération » (vaccin MVA-BN pour Modified Ankara Vaccine, développé par Bavarian Nordic au Danemark). Comme le mpox et la variole font partie de la même famille des orthopoxvirus, cela permet au vaccin développé contre le virus de la variole d’être indiqué contre le mpox.

À noter que l’OMS préconise aussi le recours à deux autres vaccins (un autre vaccin antivariolique de troisième génération développé au Japon, voire un vaccin de deuxième génération si ceux de troisième génération ne sont pas disponibles).

Le vaccin de troisième génération recommandé en France est commercialisé sous les noms de marque Imvanex ou Jynneos. Sur son site Internet, le ministère de la santé français précise la stratégie vaccinale et, notamment, le nombre de doses recommandé (une ou deux) selon que l’on a été ou nom vacciné contre la variole dans l’enfance, avant 1980. Il fournit également toutes les informations pratiques sur la vaccination et, le cas échéant, la prise en charge d’éventuels cas de mpox sur le territoire.

Il y a deux ans, lors de l’épidémie provoquée par le clade 2b, en France, il avait été procédé à la vaccination de personnes à risque et de sujets qui avaient été en contact avec des malades. Mais concernant l’épidémie actuelle, certaines questions restent néanmoins en suspens : les personnes qui ont été vaccinées en 2022 restent-elles protégées deux ans plus tard ? le vaccin aura-t-il la même efficacité contre le clade que l’on vient d’identifier ?

Dans un avis actualisé en septembre 2024 à la demande du ministère de la santé, la HAS recommandait l’administration d’une dose de rappel pour les personnes vaccinées au moins deux ans auparavant.

Pour lutter contre le mpox, il existe un vaccin qui a montré son efficacité lors de précédentes flambées et des outils de diagnostics biologiques fiables (tests basés sur la technique PCR, pour « polymerase chain reaction », ou « réaction en chaîne par polymérase », NDLR).

Ces moyens sont accessibles dans des pays comme la France. La question cruciale réside dans son manque d’accès en RDC alors que ce pays connaît des épidémies de mpox à répétition.

Il convient d’évoquer également le manque de disponibilité des tests de diagnostic biologique qui se pose de manière criante. La complexité de cette épidémie vient aussi du fait qu’en RDC, les moyens de diagnostics biologiques ne sont pas disponibles partout et font défaut notamment dans les territoires reculés.

La varicelle ou la rougeole font partie des maladies auxquelles on peut également penser face à un tableau clinique qui évoque le mpox (on parle de diagnostics différentiels), en particulier chez l’enfant. On comprend alors combien le comptage des cas et la surveillance sont rendus difficiles pour les agents de santé et soignants qui sont amenés à établir le diagnostic à partir des lésions, sans pouvoir le confirmer par des tests biologiques fiables.

L’alerte de l’OMS a été lancée du fait de la recrudescence des cas en RDC et dans les pays voisins, en raison de l’identification de ce nouveau clade et du fait de l’absence de vaccins. L’objectif est donc de mobiliser l’ensemble de la communauté internationale et les bailleurs afin de tenter de mettre en place une coordination globale pour déclencher une réponse adéquate.

Climat et enjeux technologiques

Climat et  enjeux technologiques

À l’heure où les effets du changement climatique se font déjà sentir, l’adaptation technologique s’impose comme une priorité incontournable. Par Clarisse Angelier, DG ANRT, Olivier Appert, Denis Randet, Richard Lavergne, Présidents GT Transition Énergétique et Antoine Belleguie, Coordinateur GT Transition énergétique ( dans la Tribune)

 

Les travaux du Groupe de Travail (GT) Transition énergétique de l’Association nationale de la Recherche et de la Technologie (ANRT) en 2024 ont exploré cette question complexe, en identifiant les technologies clés pour renforcer la résilience de notre économie et de nos infrastructures. L’adaptation ne consiste pas seulement à répondre aux crises actuelles, mais à préparer les systèmes humains et naturels à un monde où les vagues de chaleur, les sécheresses et les inondations seront plus intenses et fréquentes. Les secteurs de l’eau, de l’énergie et de l’agriculture figurent en première ligne, tant pour leur vulnérabilité que pour leur rôle stratégique dans la résilience globale.

Le rapport du GT Transition énergétique met en lumière la nécessité d’une approche systémique : les solutions technologiques doivent intégrer les interconnexions entre secteurs. Ainsi, optimiser la gestion de l’eau, par exemple via des systèmes d’irrigation intelligente ou la réutilisation des eaux usées, ne peut se concevoir sans une coordination accrue entre agriculture, urbanisme et énergie.

Cette synergie est essentielle à plus d’un titre, ne serait-ce que pour l’optimisation des investissements qui permet de produire des solutions clés pour plusieurs secteurs simultanément. L’approche systémique est également utile pour réduire les coûts et éviter les effets de rebond ou les impacts négatifs non intentionnels. Enfin, appuyons-nous sur les interactions entre différents secteurs pour déployer une gestion intégrée des risques climatiques et ainsi mieux garantir la résilience des infrastructures critiques.

Certaines technologies sont déjà disponibles, mais nécessitent une montée en puissance rapide. C’est le cas des « smart grids », qui rendent les réseaux électriques plus résilients face aux aléas climatiques, ou encore des stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), essentielles pour équilibrer les fluctuations des énergies renouvelables.

D’autres innovations, comme les systèmes de refroidissement à air pour les centrales thermiques, qui permettent de réduire la dépendance à l’eau dans les processus de refroidissement, sont particulièrement adaptées dans un contexte de stress hydrique croissant. Toutefois, leur mise en œuvre à grande échelle reste confrontée à des défis économiques et techniques, notamment en termes de coûts d’installation et d’efficacité énergétique par rapport aux systèmes traditionnels. Dans l’agriculture des technologies éprouvées telles que la sélection variétale pour des cultures résistantes à la sécheresse et l’adoption de pratiques agroécologiques sont déjà disponibles et doivent être déployées à grande échelle.

Ces approches constituent des priorités stratégiques pour garantir la sécurité alimentaire face à des régimes climatiques de plus en plus instables. Dans le secteur énergétique, les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) jouent un rôle clé en stockant l’énergie excédentaire produite par des sources renouvelables pour la restituer en période de forte demande, renforçant ainsi la résilience des réseaux. Dans l’industrie, la réutilisation des eaux usées pour les processus industriels réduit la pression sur les ressources en eau douce, tandis que la modernisation des chaînes de production grâce à la numérisation et à l’intégration de capteurs intelligents optimise la gestion des ressources et renforce la résilience face aux aléas climatiques.

Le rapport souligne l’urgence de moderniser les infrastructures critiques. En matière énergétique, l’enfouissement des lignes électriques et le renforcement des digues autour des centrales nucléaires sont des exemples d’adaptations nécessaires pour prévenir des interruptions catastrophiques de service.

Dans les villes, les îlots de chaleur urbains, aggravés par la densité des constructions et le manque de végétation, appellent à repenser l’urbanisme : ingénierie systémique des bâtiments, visant à garantir leur habitabilité en cas de chaleurs ou de pluies extrêmes, n’est plus une option, mais une nécessité.

Les technologies spatiales apportent un appui essentiel dans la planification et l’adaptation des infrastructures. Les satellites fournissent des données en temps réel sur les phénomènes climatiques majeurs, comme la montée des eaux, les zones inondables ou les évolutions de la biodiversité, permettant ainsi d’anticiper les vulnérabilités des infrastructures critiques et d’orienter les priorités d’adaptation.

Ces transformations exigent une gouvernance cohérente et une mobilisation massive des financements publics et privés. Le Plan national d’Adaptation au Changement climatique (PNACC) identifie des investissements prioritaires, mais le défi est immense. Chaque euro investi aujourd’hui en adaptation permettra d’économiser des sommes bien plus conséquentes demain, en évitant les coûts liés aux catastrophes climatiques.

Cependant, le financement seul ne suffit pas. Il est crucial de privilégier la recherche d’une cohérence systémique entre les stratégies, plans, règles et normes. Cette cohérence doit être fondée sur des bases argumentées et des objectifs clairement définis, afin de garantir une mise en œuvre efficace et alignée des solutions. Le rapport souligne également l’importance de la transversalité comme levier central, car aucune technologie ne peut réussir isolément.

Face à l’accélération du changement climatique, il est impératif d’agir dès maintenant pour adapter nos systèmes technologiques et organisationnels. L’innovation ne doit pas être perçue comme un luxe, mais comme un outil incontournable pour adapter nos économies.

Par Clarisse Angelier, Olivier Appert, Denis Randet, Richard Lavergne et Antoine Belleguie

Climat: Les enjeux technologiques

Climat: Les enjeux technologiques

À l’heure où les effets du changement climatique se font déjà sentir, l’adaptation technologique s’impose comme une priorité incontournable. Par Clarisse Angelier, DG ANRT, Olivier Appert, Denis Randet, Richard Lavergne, Présidents GT Transition Énergétique et Antoine Belleguie, Coordinateur GT Transition énergétique ( dans la Tribune)

 

Les travaux du Groupe de Travail (GT) Transition énergétique de l’Association nationale de la Recherche et de la Technologie (ANRT) en 2024 ont exploré cette question complexe, en identifiant les technologies clés pour renforcer la résilience de notre économie et de nos infrastructures. L’adaptation ne consiste pas seulement à répondre aux crises actuelles, mais à préparer les systèmes humains et naturels à un monde où les vagues de chaleur, les sécheresses et les inondations seront plus intenses et fréquentes. Les secteurs de l’eau, de l’énergie et de l’agriculture figurent en première ligne, tant pour leur vulnérabilité que pour leur rôle stratégique dans la résilience globale.

Le rapport du GT Transition énergétique met en lumière la nécessité d’une approche systémique : les solutions technologiques doivent intégrer les interconnexions entre secteurs. Ainsi, optimiser la gestion de l’eau, par exemple via des systèmes d’irrigation intelligente ou la réutilisation des eaux usées, ne peut se concevoir sans une coordination accrue entre agriculture, urbanisme et énergie.

Cette synergie est essentielle à plus d’un titre, ne serait-ce que pour l’optimisation des investissements qui permet de produire des solutions clés pour plusieurs secteurs simultanément. L’approche systémique est également utile pour réduire les coûts et éviter les effets de rebond ou les impacts négatifs non intentionnels. Enfin, appuyons-nous sur les interactions entre différents secteurs pour déployer une gestion intégrée des risques climatiques et ainsi mieux garantir la résilience des infrastructures critiques.

Certaines technologies sont déjà disponibles, mais nécessitent une montée en puissance rapide. C’est le cas des « smart grids », qui rendent les réseaux électriques plus résilients face aux aléas climatiques, ou encore des stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), essentielles pour équilibrer les fluctuations des énergies renouvelables.

D’autres innovations, comme les systèmes de refroidissement à air pour les centrales thermiques, qui permettent de réduire la dépendance à l’eau dans les processus de refroidissement, sont particulièrement adaptées dans un contexte de stress hydrique croissant. Toutefois, leur mise en œuvre à grande échelle reste confrontée à des défis économiques et techniques, notamment en termes de coûts d’installation et d’efficacité énergétique par rapport aux systèmes traditionnels. Dans l’agriculture des technologies éprouvées telles que la sélection variétale pour des cultures résistantes à la sécheresse et l’adoption de pratiques agroécologiques sont déjà disponibles et doivent être déployées à grande échelle.

Ces approches constituent des priorités stratégiques pour garantir la sécurité alimentaire face à des régimes climatiques de plus en plus instables. Dans le secteur énergétique, les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) jouent un rôle clé en stockant l’énergie excédentaire produite par des sources renouvelables pour la restituer en période de forte demande, renforçant ainsi la résilience des réseaux. Dans l’industrie, la réutilisation des eaux usées pour les processus industriels réduit la pression sur les ressources en eau douce, tandis que la modernisation des chaînes de production grâce à la numérisation et à l’intégration de capteurs intelligents optimise la gestion des ressources et renforce la résilience face aux aléas climatiques.

Le rapport souligne l’urgence de moderniser les infrastructures critiques. En matière énergétique, l’enfouissement des lignes électriques et le renforcement des digues autour des centrales nucléaires sont des exemples d’adaptations nécessaires pour prévenir des interruptions catastrophiques de service.

Dans les villes, les îlots de chaleur urbains, aggravés par la densité des constructions et le manque de végétation, appellent à repenser l’urbanisme : ingénierie systémique des bâtiments, visant à garantir leur habitabilité en cas de chaleurs ou de pluies extrêmes, n’est plus une option, mais une nécessité.

Les technologies spatiales apportent un appui essentiel dans la planification et l’adaptation des infrastructures. Les satellites fournissent des données en temps réel sur les phénomènes climatiques majeurs, comme la montée des eaux, les zones inondables ou les évolutions de la biodiversité, permettant ainsi d’anticiper les vulnérabilités des infrastructures critiques et d’orienter les priorités d’adaptation.

Ces transformations exigent une gouvernance cohérente et une mobilisation massive des financements publics et privés. Le Plan national d’Adaptation au Changement climatique (PNACC) identifie des investissements prioritaires, mais le défi est immense. Chaque euro investi aujourd’hui en adaptation permettra d’économiser des sommes bien plus conséquentes demain, en évitant les coûts liés aux catastrophes climatiques.

Cependant, le financement seul ne suffit pas. Il est crucial de privilégier la recherche d’une cohérence systémique entre les stratégies, plans, règles et normes. Cette cohérence doit être fondée sur des bases argumentées et des objectifs clairement définis, afin de garantir une mise en œuvre efficace et alignée des solutions. Le rapport souligne également l’importance de la transversalité comme levier central, car aucune technologie ne peut réussir isolément.

Face à l’accélération du changement climatique, il est impératif d’agir dès maintenant pour adapter nos systèmes technologiques et organisationnels. L’innovation ne doit pas être perçue comme un luxe, mais comme un outil incontournable pour adapter nos économies.

Par Clarisse Angelier, Olivier Appert, Denis Randet, Richard Lavergne et Antoine Belleguie

Mercosur: les enjeux

Mercosur: les enjeux

 

L’accord UE-Mercosur cristallise les tensions entre ambitions économiques et exigences écologiques. S’il a le potentiel de renforcer la position stratégique de l’Europe, il risque également de fragiliser son « soft power », fondé sur la puissance normative, la durabilité et la capacité à protéger ses secteurs stratégiques ainsi que ses standards environnementaux. Par Véronique Chabourine, Analyse « soft power » dans  » la Tribune ».

Le 26 novembre, l’Assemblée nationale a marqué son opposition au traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, avec un vote consultatif nettement défavorable (484 voix contre 70). Ce scrutin, bien que non contraignant pour le gouvernement, marque un signal politique fort, aligné sur les préoccupations d’autres États membres comme la Pologne et l’Italie. Signé en 2019, cet accord reflète les tensions entre commerce et environnement.

Avec ses 260 millions de consommateurs, le Mercosur (regroupant le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay) représente une zone géographique cruciale pour l’Union européenne. L’accord vise à éliminer progressivement les droits de douane sur une large gamme de produits, à ouvrir l’accès aux marchés publics et à simplifier les conditions d’exportation pour les entreprises européennes. En 2023, l’UE réalise 22% de ses importations depuis la Chine et 18% de ses exportations vers les États-Unis. En comparaison, les échanges avec le Mercosur représentent environ 40 milliards d’euros par an, soit 1% du commerce total de l’Union européenne. La suppression prévue de 4 milliards d’euros de droits de douane pourrait renforcer ces flux commerciaux. Pour la France, qui exporte chaque année environ 3 milliards d’euros vers le Mercosur, cet accord constitue une opportunité économique significative.

L’une des critiques majeures adressées à cet accord porte sur ses effets attendus sur l’agriculture. Les éleveurs français craignent une concurrence déloyale de la part des produits sud-américains, notamment la viande bovine et le sucre, souvent produits selon des normes environnementales et sanitaires moins strictes qu’en Europe. Malgré des importations contingentées, elles pourraient accroître la pression sur un secteur déjà fragilisé par des crises et une concurrence intra-européenne. L’accord prévoit, par exemple, l’introduction d’un quota de 99.000 tonnes de viande bovine à droits de douane réduits, ce qui pourrait entraîner une augmentation des importations agricoles européennes depuis le Mercosur de 20 à 30%.

Au-delà des considérations commerciales, l’accord Mercosur pose de sérieux enjeux environnementaux. La déforestation en Amazonie, accélérée par l’expansion agricole, compromet les écosystèmes mondiaux et les engagements climatiques de l’UE. Bien que le traité interdise l’importation de produits non conformes aux normes européennes, il reste vague sur les mécanismes de contrôle et de vérification à la frontière. La mise en œuvre de « clauses miroirs » exigeant des pays exportateurs qu’ils respectent des normes européennes se heurte à la réalité des écarts de production entre l’UE et le Mercosur. La directive européenne contre la déforestation importée, prévue pour 2025, pourrait partiellement atténuer ces risques. Si l’accord UE-Mercosur venait à être ratifié, les importations agricoles européennes depuis le Mercosur pourraient augmenter notamment sur la viande bovine. Selon la Fondation pour la Nature et l’Homme, les exportations pourraient accélérer la déforestation de 5% par an pendant six ans.

Dans un contexte de tensions commerciales et de retour du protectionnisme, le Mercosur constitue également un outil stratégique pour l’UE. Face à la montée de la Chine en Amérique latine et au retour de Donald Trump marqué par un protectionnisme accru, cet accord représente un enjeu stratégique pour l’Europe. Toutefois, cette ambition devra être équilibrée par une responsabilité environnementale accrue et une attention particulière aux intérêts des secteurs économiques les plus exposés.

Renforcer le « soft power » européen sans compromettre ses valeurs

Le traité du Mercosur soulève des interrogations fondamentales quant à la capacité de l’Union européenne à concilier croissance économique, autonomie stratégique et respect de ses valeurs. Aujourd’hui, l’Union européenne dispose d’atouts uniques : elle est la troisième économie mondiale avec un poids de 17,4% du PIB mondial, derrière les États-Unis et la Chine, et elle s’impose comme une puissance normative. Dans le classement 2024 du « soft power », l’UE confirme sa position de leader sur le pilier Sustainable Future, qui évalue les contributions des États à un avenir durable. Cinq pays européens figurent dans les dix premiers avec respectivement l’Allemagne (2e), la Suède (4e), les Pays-Bas (6e), la Finlande (8e) et le Danemark (10e). Le Pacte vert avec son objectif à 2030 est un levier majeur d’influence. Il exporte des normes ambitieuses et positionne l’Europe comme une référence pour les politiques climatiques mondiales. L’UE n’a pas seulement construit une influence normative sur la scène mondiale, mais a aussi aligné ses objectifs de durabilité avec sa puissance économique. Bien que moins dominante sur le pilier Business and Trade, l’Europe conserve une influence notable avec l’Allemagne (4e), la France (7e) et la Suède (9) dans le top 10. En 2023, avec 17,4% du PIB mondial et un marché unique de 447 millions de consommateurs, l’Europe reste un acteur clé du commerce international.

Selon les projections, le traité du Mercosur apporterait un gain de 0,1% à 0,3% du PIB européen par an. Ces chiffres soulignent l’importance de voir cet accord comme un outil stratégique plutôt qu’un moteur de croissance économique. Conformément au cadre défini par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en 2017, cet accord pourrait être qualifié d’accord mixte.  Cela signifie qu’il couvre à la fois des compétences exclusives de l’UE (volet commercial) et des compétences partagées avec les États membres (normes environnementales, sociales et protection des investissements). Si cette nature mixte est confirmée, l’accord devra être ratifié par les 27, et la France pourrait exercer son droit de véto si l’accord ne correspond toujours pas à ses exigences clés — respect des engagements climatiques de l’Accord de Paris, clauses miroirs et protection de l’agriculture française — si la Commission européenne venait à scinder l’accord en deux volets dont un purement commercial, pour contourner un éventuel véto, la France et d’autres pays opposés devront envisager des stratégies de contestation, notamment par une mobilisation politique, des alliances et potentiellement des recours juridiques.

Le Mercosur est un test clé pour l’Union européenne, qui doit concilier ambitions économiques et « soft power ».

Mercosur : les enjeux

Mercosur : les enjeux

484 voix pour et 70 contre. Tel est le score obtenu par la déclaration du gouvernement français s’opposant à la signature du traité contre le Mercosur. C’est dire que les accords de commerce international sont critiqués. Parallèlement, le futur président des États-Unis, Donald Trump, a redit son intention de relever les droits de douane dans les échanges avec plusieurs pays, à commencer par ses voisins mexicains et canadiens. Charlotte Emlinger, économiste au Cepii, décrypte le contenu du Traité et les enjeux qu’il contient dans The Conversation. .


Quand on parle de l’accord signé avec le Mercosur, on parle d’un traité de libre-échange. Mais que désigne-t-on par ce terme ?

Nous parlons d’accords préférentiels de commerce ou d’accords de libre-échange. Ce sont des accords bi ou multi-latéraux qui ont pour finalité de réduire réciproquement les droits de douane pour favoriser le commerce entre les zones. Derrière cette idée générale, il faut savoir qu’il existe des types d’accords très différents avec des clauses spécifiques et des niveaux d’intégration variés. Par exemple, l’Union européenne, au départ, est un accord de libre échange pour la circulation de l’acier et du charbon entre la France et l’Allemagne.

L’accord entre l’UE et le Mercosur a pour objectif de réduire les droits de douane et de favoriser l’accès au marché pour les produits de chacun. On y trouve aussi des dispositions sur l’accès aux marchés publics, des dispositions sur les services… Par ailleurs, dans le cadre des produits sensibles comme la viande bovine, la volaille ou le sucre dont il est beaucoup question, les droits de douane ne sont pas supprimés mais juste réduits dans le cadre de quotas, donc avec des effets relativement limités. L’idée qu’on ouvrirait complètement les frontières aux produits « made in Mercosur » est complètement fausse.

 

Ce sont des négociations très longues pour aboutir à un accord et plus encore à sa ratification. Quel était le contexte au commencement de la négociation ?

Depuis les années 90, l’Union européenne est engagée dans la négociation d’accords commerciaux avec plusieurs pays. L’UE est d’ailleurs la zone qui a signé le plus d’accords dans le monde (Japon Afrique du Sud Canada…). Dans ce contexte, le cas du Mercosur est intéressant, parce qu’il s’agit d’une zone très vaste, qui est très protégée avec des droits de douane jusque-là très élevés pour les produits industriels, comme les automobiles, les produits pharmaceutiques, les machines-outils, la chimie mais aussi certains produits comme les vins ou les fromages. Un tel accord est très logique dans une démarche de recherche de marchés d’extension pour vendre les biens produits dans l’Union européenne. Car il s’agit d’un vaste marché, avec une classe moyenne en forte croissance…

Les critiques de l’accord expliquent qu’on aurait sacrifié l’agriculture au bénéfice de l’industrie. Quelle part de vérité y a-t-il dans cette affirmation ?

Dans un accord commercial, on trouve toujours des gagnants et des perdants de part et d’autre. Quand on négocie, on ne peut pas gagner sur tous les tableaux en même temps, c’est du donnant donnant. Il existe toujours des secteurs qui profitent davantage de la signature de l’accord que d’autres. En l’espèce, nos secteurs offensifs sont les produits manufacturés et les services où la France est très compétitive.

Mais de là à dire, que l’agriculture serait purement et simplement sacrifiée est faux. Les producteurs de vins et de fromages ont tout à y gagner. Dans le Traité, on trouve aussi des dispositions sur les indications géographiques (IG) qui peuvent profiter aux agriculteurs. En effet, l’UE insère dans les accords la protection de listes d’IG, ce qui favorise les exportations de ces produits. Cette protection des IG dans les accords commerciaux comme dans le CETA (accord avec le Canada) permet aux producteurs de vendre leurs produits plus chers, par exemple dans le secteur des fromages

Globalement, dire comme on l’entend que l’Union européenne aurait fait trop de concessions sur l’accès aux produits sensibles est très exagéré. Les réductions de droits de douane sur les produits agricoles sont très faibles et les importations restent contingentées. On parle d’importations de viande de bœuf qui représentent 1,2 % de la consommation européenne.

Dans les débats actuels, on évoque peu la présence très importante d’industriels français, par exemple dans l’industrie automobile, dans les pays du Mercosur. ce n’est pourtant pas neutre…

Aujourd’hui, les droits de douane sur l’automobile dans le Mercosur atteignent 30 %, ce qui est rédhibitoire et empêche les producteurs européens d’exporter vers cette zone. Ces droits de douane incitent plutôt les industriels étrangers à s’installer sur place pour ne pas payer les droits de douane. On parle alors de « tarif jumping ». Il serait tentant de dire alors que l’accord avec le MERCOSUR ne va rien changer puisque les constructeurs européens produisent et vendent déjà dans ces pays. C’est plus complexe. En effet, tout n’est pas produit sur place et les pays du MERCOSUR importent des composants automobiles qui pourront être importés sans droits de douane. On peut aussi imaginer que le traité favorisera l’exportation de nouveaux produits comme les voitures électriques.

Par ailleurs, quand vous produisez du champagne ou du fromage, vous ne pouvez pas faire du « tarif jumping » en vous installant au Brésil ou en Argentine. La baisse des tarifs douaniers a alors un intérêt pour rendre vos produits plus compétitifs sur le marché de destination.

On parle beaucoup de clauses miroirs. De quoi s’agit-il ?

La notion de clause miroir suppose qu’on demande aux pays qui exportent vers chez nous les mêmes contraintes que celles imposées à nos producteurs. Cela relève un peu du fantasme : les pays ne commercent pas pour avoir la même législation !

Ceci étant rappelé, je voudrais préciser quelques points sur les normes, car là-aussi tout ce qu’on n’entend n’est pas exact. Dans le cadre du Mercosur, il n’est pas question de réduire les normes sur les produits importés, ce sujet n’est pas inclus dans l’accord. Non, on ne va pas massivement importer du bœuf aux hormones demain, ces produits sont toujours interdits sur le marché européen. En revanche, il est exact que les contrôles aux frontières ne sont pas toujours efficaces. Il n’est pas simple de détecter certains résidus de pesticides, par exemple.

Un test n’étant pas suffisant pour vérifier si le bœuf importé n’a pas été produit avec des hormones, une vraie traçabilité des produits est nécessaire. Le vrai enjeu est donc de renforcer les contrôles à la frontière pour être sûrs du respect des normes sur le marché européen. Ce sujet est d’autant plus important quand on signe un accord avec des partenaires commerciaux dont les standards sont très éloignés des nôtres, comme les pays du MERCOSUR. Il n’est cependant pas lié spécifiquement à l’accord avec ces pays.

Le sujet des clauses miroirs est aussi lié aux questions environnementales. Nous demandons beaucoup à nos producteurs sur ce sujet, ce qui n’est pas le cas des pays du MERCOSUR. Il serait extrêmement difficile d’imposer ces mêmes contraintes aux agriculteurs de ces pays, il faudrait pouvoir aller contrôler chaque ferme argentine ou brésilienne pour voir si elle applique bien la même régulation environnementale qu’en Europe, car le respect de ces mesures (protection des haies, de la biodiversité, des cours d’eau) n’est pas lié à un produit en particulier et ne peut pas s’observer à la frontière.

Faut-il en conclure que le traité ne pose aucun problème ?

Non. Les importations supplémentaires de bœuf, même si elles sont faibles, peuvent déstabiliser un marché déjà fragile. Sur le principe, demander à nos producteurs de respecter des contraintes que les exportateurs n’auront pas est par ailleurs difficile. La colère des éleveurs est compréhensible, voire légitime. C’est un secteur économiquement très fragile qui a récemment dû faire face à de nombreux problèmes, zoonoses, intempéries…

Toutefois, la concurrence potentielle avec les producteurs du MERCOSUR n’est pas vraiment le problème, et l’accord est surtout un symbole fédérateur pour le secteur. Beaucoup d’agriculteurs se plaignent plutôt de la concurrence intra-européenne, car les contraintes environnementales n’étant pas les mêmes partout.

Quel sens a ce type d’accords internationaux quand, le reste du temps, on parle de délocalisations, de circuits courts, de souveraineté, notamment en matière d’alimentation ?

Ces accords reposent sur la notion d’avantages comparatifs mis en évidence par David Ricardo. Je pense que ce sera pertinent aussi longtemps qu’il existera des différences climatiques, des écarts dans le coût de la main-d’œuvre, des différences de spécialisation d’un pays à l’autre. Une grande critique contre le commerce international concerne la dimension écologique du transport. Là encore, il y a beaucoup d’idées fausses qui circulent. Non, le transport de marchandises n’est pas ce qui produit le plus d’émissions. Sur les circuits courts, mieux vaut manger une tomate produite au Maroc et livrée en camion qu’une tomate produite sous serre en Bretagne.

En revanche, le traité avec le Mercosur passe à côté d’un vrai sujet : la déforestation qui est loin d’être mineure quand on parle de commercer avec des pays où se trouve l’Amazonie. L’Union européenne a finalement repoussé sa directive contre la déforestation importée qui devait s’appliquer en décembre 2024. Cette directive avait pour objectif d’interdire les importations d’un certain nombre de produits (bœuf, cacao, caoutchouc, café…) s’ils venaient de zones déforestées. Sa mise en application devrait permettre de réduire en partie les effets négatifs de l’accord avec le MERCOSUR sur les forêts, si elle s’applique, comme prévu, fin 2025.

Les débats actuels s’inscrivent à un moment particulier où Donald Trump a prévenu que la mise en place de droits de douane sera une de ces premières mesures. Est-ce la fin du mouvement de libéralisation des échanges entamé dans les années 80 90 ?

La remise en question du commerce international vient du fait que nous évoluons dans un univers géopolitique incertain. Il existe de fortes tensions et le commerce est utilisé comme moyen de faire la guerre autrement. Il y a cette idée que produire chez soi, c’est moins dépendre des autres, dont les intentions ne nous sont pas toujours connues. Pour revenir à l’accord avec le MERCOSUR, cet accord est aussi le moyen pour l’Union européenne de se garantir un accès à certains minerais critiques dont elle a grandement besoin pour continuer à innover. Augmenter le commerce avec ces pays serait aussi un moyen d’y contrer l’influence de la Chine. Le sujet est aussi géopolitique.

 

Impôt Entreprises : pas la hauteur des enjeux

Impôt Entreprises : pas la hauteur des enjeux

De manière à la fois soudaine et tardive, le gouvernement s’est aperçu de la grande dérive du budget dans le déficit prévu à 4,4% et dépassera 6 % en 2024. D’où la nécessité de trouver des ressources nouvelles via la fiscalité notamment sur les plus fortunés et les entreprises pour mieux faire passer aussi l’augmentation des impôts concernant les couches moyennes.Le problème est que l’enjeu serait de trouver 30 milliards cette année et progressivement monter jusqu’à 100 milliards d’ici 2027 ou 2030. À tout le moins pour rendre ce budget présentable aux institutions financières il faudrait trouver un minimum de 20 milliards. La surtaxe d’impôt sur les entreprises et autres fortunés ne seraient susceptibles de fournir que quelques milliards, autour de 5 milliards.

La difficulté consiste aussi à ne pas trop alourdir les prélèvements obligatoires qui handicaperaient la compétitivité et la croissance de la France.

Pour toutes ces raisons la surtaxe exceptionnelle dite temporaire risque d’être assez modérée, en tout cas pas la hauteur de l’enjeu des 100 milliards qu’il est nécessaire de trouver à terme pour ramener le déficit du budget à 3 % du PIB

Rapport Draghi: Les enjeux pour sauver l’Europe du déclassement

Rapport Draghi: Les enjeux pour sauver l’Europe du déclassement

Draghi  est de retour pour sauver l’Europe. Cette fois, du déclassement. Il ne s’agit pas de taire les mérites de son épais rapport, remis à la présidente de la Commission européenne qui le lui avait commandé avant d’être reconduite dans ses fonctions, car celui-ci pourrait bien tracer la voie d’une réindustrialisation, faisant résonner innovation et décarbonation, en remède aux dépendances dont souffre le vieux Continent. Mais soyons lucides et vigilants. Par Jézabel Couppey-Soubeyran, Maîtresse de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Conseillère scientifique de l’Institut Veblen, responsable scientifique de la Chaire énergie et prospérité.
( dans La Tribune)

Dans son ensemble, la préconisation revient à servir toujours plus le capitalisme financier, en élargissant les marchés de la dette, en relançant la titrisation, et en multipliant les appels à la dérégulation financière. C’est sur les rives d’un capitalisme un peu verdi mais encore plus financiarisé que Mario Draghi veut faire accoster l’Europe. Nouveaux rivages ou dangereux mirage ?

C’est un grand mérite du « rapport Draghi » que d’essayer de graver dans les esprits un ordre de grandeur rehaussé du manque d’investissements de transformation en Europe, de l’ordre de 5 points de produit intérieur brut par an. Jusqu’ici prévalaient dans le débat public des ordres de grandeurs plus petits, issus de rapports louables sur les investissements climat (comme le 2% de PIB en France du rapport « Pisani-Ferry et Mahfouz ») mais étroits dans leur perspective de transformation et n’appréhendant la transition écologique que sous l’angle du climat. Le « rapport Draghi » n’a pas une conception plus large de la transition écologique, qu’il réduit à la lutte contre le réchauffement climatique en ignorant les huit autres limites planétaires alors que six d’entre elles sont d’ores et déjà dépassées. Cependant, même si son horizon ne dépasse pas la croissance verte, il élargit la focale en attirant l’attention sur les dépendances dont souffre le Vieux continent et sur la nécessité de rebâtir une autonomie dans des secteurs stratégiques. Il en identifie dix, de l’énergie aux technologies vertes, en passant par l’automobile, les industries énergivores, les matières premières critiques ou encore les semi-conducteurs. Sur les matières premières critiques, par exemple, la dépendance à l’égard de la Chine notamment est particulièrement problématique (cf. L’économie mondiale 2025, chap IV : Matières premières critiques : vers l’autonomie stratégique européenne ? Romain Capliez, Carl Grekou, Emmanuel Hache, Valérie Mignon, Ed. La Découverte et CEPII, sept. 2024)

Autre grand mérite du « rapport Draghi », celui de relancer la perspective d’un emprunt commun, pérennisé et non plus exceptionnel, pour élargir l’espace budgétaire européen.
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De quoi peut-être réamorcer les discussions sur l’union budgétaire. L’Allemagne pourra-t-elle s’y opposer encore longtemps ? Peut-être pas. Son modèle économique est en état de souffrance et ce n’est sans doute pas qu’une fatigue passagère comme l’explique Céline Antonin dans L’économie mondiale 2025 (chap. III, ibid.). Pour axer comme elle l’entend sa politique industrielle sur la transition écologique, l’Allemagne a besoin d’investissements massifs, qui seront impossibles si elle reste enfermée dans son carcan budgétaire qu’elle impose aussi à ses partenaires européens. Dans un tel contexte, la proposition d’emprunt commun du « rapport Draghi » pourrait bien ouvrir le chemin de l’union budgétaire qui restait jusqu’ici fermé.

Cependant, au niveau financier, la lecture du « rapport Draghi » appelle à la plus grande vigilance. D’abord, l’union des marchés de capitaux qu’il appelle de ses vœux n’est autre qu’un élargissement des marchés de la dette privée, pour apporter toujours plus de carburant au capitalisme financier, au risque d’élever encore le risque de crises financières, dont on devrait pourtant avoir réalisé depuis celle de 2007-2008 à quel point celles-ci sont économiquement et socialement coûteuses. Ensuite, il contient des appels plus ou moins explicites à la dérégulation financière.

Le plus manifeste concerne le marché de la titrisation qu’il faudrait « approfondir » avec « le soutien de garanties publiques » pour « accroître la capacité de financement du secteur bancaire ». Le rapport recommande explicitement à la Commission de réduire les exigences prudentielles et les règles de transparence pour les actifs titrisés, c’est-à-dire les créances que les banques revendent à des entités financières qui les transforment en titres rémunérateurs dans lesquels diverses entreprises financières y compris des banques investissent. De façon à peine plus masquée, il appelle aussi à ne pas accepter la finalisation des accords de Bâle 3, qui visent à limiter le contournement de la réglementation des fonds propres par les grandes banques dotées de modèles qui leur permettent d’évaluer le risque de leurs actifs par elles-mêmes. Il faut croire que Mario Draghi, quand il était aux manettes de la banque centrale européenne, a bien aimé gérer la crise financière de 2007-2008 et celle des dettes souveraines entre 2010 et 2012, dont les principaux éléments déclencheurs ont précisément été l’excès de dette privée, la titrisation des crédits bancaires et la faiblesse des garde-fous …

À quoi servira donc l’embarcation proposée par le « rapport Draghi » ? Le risque est grand qu’en cours de route l’indispensable effort d’investissement auquel il exhorte passe par-dessus bord avec les bonnes intentions d’emprunt commun et que restent uniquement ses appels à la dérégulation financière, que les lobbies bancaires et financiers seront ravis d’acheminer à bon port.

Enjeux et risques des cryptomonnaies d’après la direction du Trésor

 

Enjeux et risques des cryptomonnaies d’après la direction du Trésor

Les crypto-actifs désignent une multitude d’actifs hétérogènes, qui, s’ils servent assez peu de moyens de paiement, constituent une classe d’actifs de plus en plus répandue, soutenus par le développement d’un écosystème financier ainsi que l’émergence de la finance décentralisée. Pourtant, ils présentent différentes limites et risques pour les investisseurs, soulignés par les épisodes violents de correction engagés depuis un an, justifiant l’instauration d’un cadre réglementaire adapté.

 

d’après un note de la Direction du Trésor 

 

Les crypto-actifs, communément définis comme l’ensemble des actifs numériques reposant sur la technologie de la blockchain, se sont largement développés depuis plusieurs années, et désignent désormais une multitude d’actifs hétérogènes, dont le fonctionnement et les enjeux sont extrêmement divers. Au-delà des crypto-actifs issus des blockchains historiques, tels que le bitcoin et l’ether, une multitude de jetons (tokens), émis en général par l’intermédiaire d’applications plus ou moins décentralisées, contribuent au développement de l’écosystème. Par ailleurs, les stablecoins, dont la valeur est supposément adossée à d’autres actifs, se sont fortement développés et jouent un rôle pivot au sein du secteur en offrant des passerelles vers le secteur financier traditionnel.S’ils ne servent qu’assez marginalement de moyen de paiement, les crypto-actifs constituent une classe d’actifs pouvant offrir du rendement et de la diversification, au risque d’une forte volatilité. Ils sont également utilisés comme véhicules de transferts de fonds, notamment pour les transactions internationales. Un écosystème financier important s’est développé, favorisant l’arrivée des investisseurs institutionnels sur ce marché, en complément des investisseurs particuliers. Les crypto-actifs sont également au cœur du projet de finance décentralisée qui permettrait, selon ses promoteurs, de réduire les frictions liées à l’intermédiation.

Pour autant, le marché des crypto-actifs, qui a connu plusieurs épisodes de contraction depuis mai 2021, et dont la taille de marché a été divisée par trois depuis novembre 2021, est confronté à des limites persistantes – frais élevés et lenteur des transactions, coût énergétique, sécurité défaillante – qui entrave son développement. Par ailleurs, l’écosystème présente des vulnérabilités, liées à sa forte concentration, à des risques de liquidité élevés, et à une forte exposition au risque de marché, faisant peser des risques sur la stabilité financière, bien que la taille du marché reste modeste en comparaison des principales autres classes d’actifs (environ 800 Md$ en juin 2022 contre environ 25 000 Md$ pour la seule bourse de New-York ou 11 000 Md$ pour le marché de l’or).

L’encadrement du secteur, tel qu’engagé via la loi Pacte au niveau national, le règlement Mica en cours de finalisation au niveau européen, et différentes réglementations prudentielles, est indispensable pour offrir un cadre propice aux développements du secteur et des technologies liées, tout en protégeant les investisseurs et la stabilité financière, et en luttant contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

 

Intrusion des ukrainiens en Russie : enjeux et risques

Intrusion des ukrainiens en Russie : enjeux et risques

 

Les Ukrainiens s’étaient habitués, ces derniers mois, aux sombres nouvelles provenant de l’Est de leur pays, assiégé par l’armée russe. Mais les choses ont brusquement changé. Depuis le 6 août, date du début d’une incursion jusqu’à présent couronnée de succès des forces armées de Kiev dans la région russe de Koursk, des journalistes ukrainiens radieux couvrent désormais la guerre depuis le territoire russe conquis. La contre-attaque surprise de l’Ukraine, dont les troupes n’avaient jusqu’ici jamais pénétré en Russie, ne semble pas encore avoir atteint son point culminant. Contrairement aux raids précédents menés au printemps dernier par la milice russe anti-Poutine Légion pour la liberté de la Russie, les forces armées ukrainiennes mettent à contribution certaines de leurs unités les plus expérimentées.

 

par 

Associate Professor (Adj), Griffith Asia Institute; and Fellow, Strategic and Defence Studies Centre, Australian National University dans The Conversation 

 

Après avoir percé une portion peu défendue de la frontière à une centaine de kilomètres de la ville russe de Koursk – elle-même célèbre pour avoir été le théâtre d’une des plus grandes victoires de l’Union soviétique contre l’Allemagne au cours de la Seconde Guerre mondiale – les forces ukrainiennes se seraient emparées de près de 80 localités. Ce faisant, elles ont pris le contrôle d’un territoire d’une superficie d’environ 1 000 kilomètres carrés, avançant d’environ 30 kilomètres à l’intérieur de la Russie.

Il existe de nombreuses théories sur les objectifs de l’Ukraine. L’une est qu’elle cherche à s’implanter sur la durée en Russie afin, par la suite, dans le cadre de futurs pourparlers de paix, de se servir de ces territoires comme monnaie d’échange contre les territoires ukrainiens capturés par les Russes au cours des deux dernières années et demie. Cette affirmation pourrait être étayée par des informations récentes selon lesquelles les soldats ukrainiens auraient creusé des tranchées dans les zones conquises afin de fortifier leurs positions.

Selon une autre hypothèse, les objectifs de Kiev seraient plus modestes : il s’agirait seulement de conserver certaines localités clés ainsi que les nœuds routiers et ferroviaires. D’une part, cela rendrait plus compliquée la reconquête russe, d’un point de vue logistique ; d’autre part, ces zones, quoique moins étendues que celles évoquées dans la première théorie, seraient tout de même, pour l’Ukraine, susceptibles d’être échangées à l’avenir contre des territoires pris par les Russes.

Une troisième éventualité est que les forces ukrainiennes se retirent rapidement, après avoir forcé Moscou à sécuriser sa frontière en détournant d’importantes ressources militaires jusqu’ici utilisées sur le territoire ukrainien.

Les deux dernières versions sont probablement les plus proches de la réalité. Il serait en effet très difficile pour l’Ukraine de tenir de larges pans du territoire russe une fois que les forces armées du Kremlin auront surmonté leur inertie initiale. Un tel effort immobiliserait en permanence certains des meilleurs soldats de Kiev et les exposerait au risque d’être tués ou capturés.

Bien entendu, Kiev a également d’autres motivations. Outre le fait de remonter le moral d’une population épuisée par la guerre, l’Ukraine pourrait chercher à récupérer, en contrepartie des militaires russes faits prisonniers lors de la présente opération, certains de ses soldats capturés. C’est sans doute ainsi qu’il faut comprendre les récents propos du président Volodymyr Zelensky qui a déclaré que les forces ukrainiennes « reconstituaient leur fonds de change ».

En outre, a-t-il ajouté, la décision de Kiev a été motivée par le désir de montrer aux Russes que la guerre avait eu des conséquences pour eux, et pas seulement pour les Ukrainiens.

L’incursion envoie également un message aux États-Unis et à leurs alliés de l’OTAN.

La Maison Blanche a hésité à autoriser l’Ukraine à utiliser des armes américaines à longue portée pour frapper le territoire russe, craignant qu’il s’agirait d’une escalade dangereuse qui, de surcroît, alimenterait le discours russe selon laquelle l’OTAN est un cobelligérant de facto dans le conflit russo-ukrainien.

Il n’en demeure pas moins que, en portant le fer dans le territoire russe, Kiev rappelle avec force à Washington, où l’élite se focalise avant tout sur la prochaine élection présidentielle, que ses forces peuvent obtenir des résultats surprenants dès lors qu’elles disposent des capacités adéquates.

Jusqu’ici, la réaction de Moscou à l’incursion donne du poids au discours ukrainien selon lequel les craintes d’escalade exprimées aux États-Unis sont exagérées.

Certains dignitaires du régime russe, comme l’ancien président Dmitri Medvedev, ont vaguement évoqué des représailles sévères, et les propagandistes du Kremlin sur les réseaux sociaux ont prétendu que, dans la région de Koursk, les troupes de l’OTAN opéraient conjointement avec les soldats ukrainiens. Mais ce n’est pas nouveau : voilà des années que les responsables et les commentateurs officiels russes affirment à tort que l’OTAN combat aux côtés des forces ukrainiennes et préviennent que l’Ukraine sera anéantie si elle ne se soumet pas.

Dans cette optique, l’avancée de Kiev en territoire russe apparaît comme un calcul rationnel. L’Ukraine fait le pari que ses gains internationaux, moraux et matériels justifient le coût qu’auraient pour elle les représailles russes.

Bien entendu, ce calcul repose sur l’hypothèse que ces représailles seront d’une ampleur similaire à celles infligées précédemment à l’Ukraine. Le régime de Poutine a régulièrement démontré qu’il considérait les lois et les normes de la guerre comme des distractions gênantes, recourant volontiers à la terreur et à la destruction gratuite pour contraindre ses adversaires à la capitulation.

Mais les Ukrainiens ont déjà connu tout cela. Que l’on se remémore le massacre de civils à Boutcha, l’écrasement de villes comme Marioupol, les attaques aveugles contre des hôpitaux civils et les menaces voilées concernant la survenue prochaine d’« accidents » dans la centrale nucléaire occupée de Zaporijia.

L’incursion ukrainienne a révélé une fois de plus les faiblesses manifestes des forces armées russes. Elle met notamment en lumière l’orgueil démesuré de ses dirigeants, dont nul n’a oublié qu’ils avaient annoncé que Kiev tomberait en trois jours seulement. C’était il y a plus de 900 jours.

Nombreux sont ceux qui ont salué, à juste titre, les préparatifs de l’Ukraine en vue de son incursion comme un chef-d’œuvre de sécurité opérationnelle. Ce ne fut certainement pas une mince affaire que de rassembler les ressources nécessaires à un assaut de grande envergure sans alerter ni Moscou ni Washington, qui ont tous deux réagi dans un premier temps avec surprise.

Cependant, plusieurs rapports indiquent que les dirigeants militaires russes ont été avertis d’une concentration de troupes ukrainiennes près de la frontière et n’ont pas jugé utile de s’en inquiéter.

Depuis le début de l’opération, des informations contradictoires ont été publiées sur l’identité de la personne chargée de la réponse militaire de la Russie. En principe, c’est Valéri Guérassimov, le chef de l’état-major général, qui devrait être aux commandes. Pourtant, Poutine a cependant qualifié la réponse à l’attaque ukrainienne d’« opération antiterroriste », ce qui semble la placer sous la responsabilité d’Alexandre Bortnikov, le chef du Service fédéral de sécurité (FSB) de la Russie. D’autres encore affirment que la responsabilité a été confiée à Alexeï Dioumine, un favori de Poutine parfois présenté comme son possible successeur.

La confusion au niveau du commandement a également révélé la faiblesse des forces restantes à l’intérieur de la Russie. Une combinaison amassée à la va-vite de conscrits, d’infanterie de marine russe, de troupes du FSB et de la Rosgvardia (la garde nationale personnelle de Poutine) n’a pas été en mesure de déloger les forces ukrainiennes très mobiles.

Après avoir sécurisé la ville de Soudja, les troupes ukrainiennes ont également pu acheminer du matériel et des renforts, ce qui a encore compliqué la tâche des forces russes. La majeure partie de l’armée régulière russe étant immobilisée en Ukraine, il a même été spéculé que Moscou devrait acheminer vers la région de Koursk des troupes déployées dans son enclave de Kaliningrad, dans le nord de l’Europe.

Sur le plan politique, l’opération ukrainienne est très embarrassante pour Poutine, qui s’est déjà montré lent à réagir lorsqu’il a été confronté à des défis similaires par le passé. Il y a un peu plus d’un an, les tergiversations de Moscou ont permis au convoi rebelle du Groupe Wagner d’Evguéni Prigojine de s’approcher à moins de 200 kilomètres de Moscou avant qu’un accord d’amnistie ne soit conclu.

Cette fois, Poutine a été contraint d’interrompre le gouverneur de la région de Koursk Alexeï Smirnov lors d’une réunion télévisée des responsables de la défense, alors que celui-ci annonçait de mauvaises nouvelles sur l’ampleur de l’incursion ukrainienne. Après avoir été sèchement prié de s’en tenir à la discussion sur l’aide et les efforts de secours, Smirnov a promptement répondu qu’environ 180 000 Russes avaient été déplacés à l’intérieur du pays.

S’agit-il de signes de fragilité ? Il est certain que les réfugiés russes ont exprimé une grande colère contre les dirigeants de la région et les hommes des forces de sécurité présentes dans la région de Koursk, dont certains semblent avoir été les premiers à s’enfuir. Des rapports font également état de pillages commis par des soldats russes dans la zone de conflit. Des Russes de la région de Koursk ont également critiqué Poutine lui-même.

En ce qui concerne de stabilité du régime, cet épisode peut avoir trois issues différentes.

Première option : l’incursion de l’Ukraine en territoire russe – qui fait mentir le leitmotiv constant du Kremlin sur le fait que les Russes sont en sécurité – entraîne un torrent de colère publique qui met directement en péril le pouvoir de Poutine.

Deuxième possibilité : l’outrage que représente la prise d’un pan de territoire russe par les Ukrainiens pourrait unir la population russe derrière le président.

C’est toutefois le troisième cas de figure qui apparaît le plus probable. Dans ce scénario, la majorité des Russes restent apathiques. Les élites du Kremlin ne voient pas de raison de s’opposer à Poutine, et l’indignation populaire se limite à Koursk sans s’étendre aux centres de pouvoir de Moscou et de Saint-Pétersbourg.

Pour résumer, l’incursion de l’Ukraine en Russie n’a pas seulement porté un coup à Poutine. Elle a remonté le moral des troupes de Kiev, révélé que l’affirmation du Kremlin selon laquelle le territoire russe serait un sanctuaire était loin d’être conforme à la réalité, et rappelé à l’Occident que l’Ukraine était un acteur important à part entière. Sur ces trois plans, Kiev a une fois de plus fait preuve d’une remarquable ingéniosité.

Législatives : des promesses inadaptées aux enjeux

 

Législatives : des promesses  inadaptées aux enjeux

Les programmes des deux blocs arrivés en tête après le premier tour des élections législatives font comme si la France était isolée du reste du monde, libérée de ses engagements européens et sans comptes à rendre à ses bailleurs de fonds, estime, dans sa chronique, Stéphane Lauer, éditorialiste au « Monde ».

 

par Stéphane Lauer, Editorialiste au « Monde »

 

La colère et la peur ne sont pas bonnes conseillères. Ce sont pourtant les deux sentiments qui ont prévalu dans le choix des Français lors du premier tour des élections législatives. La peur est nourrie par la perte de repères dans la période d’instabilité intense que nous traversons. Tensions géopolitiques dans un monde multipolaire ; mutations démographiques avec le vieillissement des populations au nord et l’accélération des flux migratoires au sud ; changement climatique et adaptation brutale à ses conséquences ; intelligence artificielle aux promesses ambivalentes et réseaux sociaux amplificateurs des désordres du monde : tout concourt à remettre en question notre façon de vivre sans que s’imposent des solutions simples pour s’y adapter. La colère, elle, découle du sentiment d’impuissance que donnent les gouvernants quant à leurs capacités à offrir des perspectives dans cet environnement bouleversé.

Sans préjuger du résultat qui sortira des urnes le 7 juillet, un constat s’impose déjà : les deux blocs en tête à l’issue du premier tour, le Rassemblement national (RN) et le Nouveau Front populaire (NFP), misent, chacun dans un registre différent, sur la démagogie pour séduire une opinion désabusée, en grande défiance à l’égard du politique.

D’un côté, les remèdes de l’extrême droite sur la sécurité et l’immigration : des propositions simplistes, inapplicables sur le plan légal et diplomatique, mais surtout dangereuses pour la cohésion nationale. Le tout est emballé dans un galimatias économique sans cohérence, sans vision, à rebours de l’urgence climatique et qui prône un repli sur soi mortifère. Le but consiste à élargir le socle électoral du RN avec des promesses à géométrie variable au fur et à mesure qu’il se rapproche du pouvoir pour mieux imposer son obsession de la préférence nationale.

De l’autre côté, le programme commun de la gauche, qui peine à dissimuler le manque de cohérence de ses composantes par une relance keynésienne très vintage, à l’efficacité et à la faisabilité douteuses. Sa vocation première et légitime consiste à empêcher la France de basculer à l’extrême droite. Mais ses solutions pour apaiser les colères – tout aussi légitimes – semblent inadaptées aux enjeux auxquels le pays fait face.

Législatives: les enjeux

Législatives: les enjeux

 

 

 par , Doctorant en science politique, Université de Montréal, dans The Conversation 

 

« J’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote », a annoncé le chef de l’État ce dimanche 9 juin, déclarant la dissolution de l’Assemblée nationale et convoquant des élections législatives anticipées les 30 juin et 7 juillet prochains. Cette déclaration fait suite au score historique réalisé par Jordan Bardella (Rassemblement national) lors des élections européennes, et celui, beaucoup plus faible, de la majorité présidentielle (portée par Valérie Hayer). Julien Robin, doctorant en sciences politiques, spécialiste de la vie parlementaire française, revient sur les enjeux de cette décision.


Pourquoi l’enjeu du scrutin européen a-t-il un tel poids sur la vie parlementaire française ?

Le scrutin européen a longtemps été considéré comme de « second ordre » – une expression créée par les politologues Karlheinz Reif et Hermann Schmitt pour décrire les premières élections européennes en 1979 : c’est-à-dire des élections qui ne sont pas nationales, et pour lesquelles la participation est souvent plus basse qu’aux élections de « premier ordre ».

Or, depuis le scrutin européen de 2014, la participation électorale est en hausse, avec 42,43 %, soit +1,8 point de plus qu’en 2009. Cette tendance est confirmée par le scrutin de 2024, qui aura mobilisé plus d’électeurs qu’en 2019 (+2,5 points environ par rapport à la participation de 50,12 % en 2019), et où l’abstention est la plus basse depuis les élections européennes de 1994.

Ainsi, le scrutin européen semble avoir de plus en plus de poids dans la vie politique française, notamment avec la nationalisation du mode de scrutin depuis 2019 (étant donné qu’il n’y a plus qu’une circonscription électorale, les candidats sont mieux identifiés par les électeurs) et les enjeux mis en avant. En devenant un référendum anti-Macron, ces élections servent d’outil d’opposition contre le gouvernement actuel, et de tremplin électoral pour les forces politiques (notamment le RN, la LFI ou encore Renaissance).

Dans les derniers jours, cette nationalisation de l’élection s’est déroulée sur les plateaux de télévision (débat Bardella-Attal ; proposition de débat Le Pen-Macron), ce qui résonne avec l’élection présidentielle de 2022… voire donne un éventuel avant-goût de celle de 2027…

À quand remonte la dernière dissolution, et quel signal donne-t-elle à la vie politique et parlementaire française ?

La dernière dissolution remonte à 1997 et elle a été décidée par le président Jacques Chirac. Sa volonté était de redonner un souffle à la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, qui avait été affaiblie par la mobilisation contre la réforme des retraites de 1995 et les projets de réduction de déficit en 1997. À l’époque, la majorité à l’Assemblée n’était pas strictement celle du président Chirac. Elle était issue des élections de 1993, soit deux ans avant qu’il soit élu chef de l’État. En tentant une remobilisation par les urnes, la décision prise par Jacques Chirac aboutira in fine à l’avènement de la gauche plurielle, avec un gouvernement dirigé par Lionel Jospin.

Aujourd’hui, le président de la République met en avant une exigence de « clarté dans les débats » pour expliquer sa décision de dissoudre et de renvoyer les électeurs aux urnes dans les prochaines semaines. Politiquement, le contexte était épineux pour lui, avec un gouvernement minoritaire à l’Assemblée nationale (malgré les facilités institutionnelles offertes par la constitution, comme le recours à l’article 49.3 notamment pendant la réforme des retraites), où des rumeurs de motions de censure se faisaient de plus en plus pressantes ; sans compter l’explosion du nombre de groupes à l’Assemblée nationale, qui sont au nombre de dix, ce qui est exceptionnel et rend difficile l’obtention de majorités stables pour le vote de certains textes de loi. À cela s’ajoute le résultat de ces élections européennes, scrutin souvent annoncé comme celui de « mi-mandat ».

Ainsi, la dissolution peut être vue comme une décision assez typique de l’ADN macronien qui aime le disruptif, et comme un acte politique fort, qui redonne la voix aux électeurs, en particulier pour des élections législatives, puisque l’Assemblée nationale constitue la représentation nationale, c’est-à-dire l’assemblée légitime à adopter les lois selon les orientations politiques de citoyens.

 

Quels sont les principaux enjeux pour l’Assemblée nationale, et pour les formations qui la composent, compte tenu des résultats du scrutin européen ?

Les principaux enjeux pour l’Assemblée nationale vont être de voir si la fragmentation politique obtenue en juin 2022, avec ses dix groupes parlementaires, ce qui était inédit pour la Ve République, va se maintenir en juin 2024. En effet, celle-ci a des effets concrets sur l’organisation du travail à l’Assemblée.

Pour les formations politiques, il y a plusieurs enjeux :

  • à gauche : ces élections vont déterminer le nouveau rapport de force entre les diverses parties prenantes de la Nupes, où la gauche sociale-démocrate est ragaillardie par la troisième position de la lister PS-PP aux européennes ; la débâcle des écologistes et surtout le nouveau poids de la LFI. À peine les résultats annoncés, certaines figures à gauche en appellent à des discussions pour une liste commune, comme l’a fait Marie Toussaint.
  • pour le RN : alors que dans un sondage secret commandité par les Républicains en décembre 2023, le RN était annoncé majoritaire en cas d’élections législatives anticipées, le vrai enjeu est de savoir si le RN va parvenir à accéder au pouvoir en obtenant une vraie majorité à l’Assemblée nationale, nécessaire pour obtenir la confiance du gouvernement. Le résultat exceptionnel du RN aux élections européennes (16 points d’avance sur la majorité actuelle) est un vrai tremplin pour ces élections anticipées.
  • pour Renaissance : alors que se posait la question de l’après-Macron dès sa réélection en 2022, Renaissance va devoir s’interroger sur son positionnement politique et surtout sur l’éventualité de mener des ententes électorales avec Les Républicains au niveau local. Cela pourrait se laisser présager, puisque Stéphane Séjourné, en qualité de SG de Renaissance, a annoncé ce soir à l’AFP que la majorité « ne présentera pas de candidat » contre des députés sortants « faisant partie du champ républicain ».

Le sujet est qu’en sept ans, le parti présidentiel est passé de la plus large majorité à l’Assemblée nationale sous la Vᵉ République en 2017, à une majorité relative en 2022, puis à un possible passage dans l’opposition.

Par ailleurs, l’enjeu pour les Républicains est de voir si le parti demeurera encore une réelle force politique nationale, en sachant qu’il vient d’effectuer son pire score dans une élection européenne, et surtout quelle sera la position adoptée en cas de succès du RN aux prochaines législatives.

La décision de dissoudre l’Assemblée nationale prise par le président peut-elle être vue comme un aveu de faiblesse ? Quelle pourrait être la stratégie du parti présidentiel ?

C’est à la fois un aveu de faiblesse et l’anticipation d’une probable censure du gouvernement annoncée depuis des mois par certains groupes à l’Assemblée. C’est également le signe que le président Macron aura connu toutes les situations inédites sous la Ve République : la plus forte majorité puis un gouvernement minoritaire et maintenant une dissolution.

 

Bien que l’élection européenne de 2024 aura marqué un certain retour du clivage gauche-droite ainsi qu’un réel clivage pro- ou anti-UE, c’est forcément la force du RN qui va déterminer le positionnement de la majorité.

Il est possible que la partie la plus à droite de la majorité (comme Horizons) pèse dans les tractations internes, pour séduire des députés LR sortants, et assumer un virage plus libéral et conservateur. Cette stratégie pourrait s’envisager, notamment en raison d’un certain désaveu des électeurs de gauche Macron-compatibles, qui ont observé un certain réalignement vers la droite du macronisme, à travers la réforme des retraites, la loi sur l’immigration ou encore la réforme de l’assurance-chômage.

Une cohabitation avec le RN est-elle envisageable ? Peut-on imaginer un changement radical pour le système partisan français ?

Une cohabition avec le RN est envisageable, mais il va falloir voir concrètement au lendemain de ces élections législatives anticipées. Le système partisan français était en cours de quadripolarisation selon les politologues Bruno Jérome, Philippe Mongrain et Richard Nadeau. Les quatre blocs sont : la gauche et la droite traditionnelles, ainsi que le centrisme macronien et le RN. Désormais, ces élections vont régler les tensions internes à chaque bloc :

  • pour le RN : faut-il se « normaliser » quitte à perdre des voix au profit de Reconquête ?
  • pour la droite : avec qui faire une coalition (ou du moins, s’entendre) pour tenter une survie politique, mais aussi influencer l’orientation des majorités à l’Assemblée ?
  • pour le centre macroniste : comment se réinventer dans un second mandat qui sonne comme une fin de règne ?
  • pour la gauche (globalement) : quelle ligne va dominer ? une ligne sociale-démocrate ? radicale ? une troisième voie avec l’émergence de François Ruffin ?

Paradoxalement, jamais les élections européennes n’auront autant affecté la vie politique française.

Politique- Dissolution de l’Assemblée nationale : les enjeux

Politique- Dissolution de l’Assemblée nationale : les enjeux

 

« J’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote », a annoncé le chef de l’État ce dimanche 9 juin, déclarant la dissolution de l’Assemblée nationale et convoquant des élections législatives anticipées les 30 juin et 7 juillet prochains. Cette déclaration fait suite au score historique réalisé par Jordan Bardella (Rassemblement national) lors des élections européennes, et celui, beaucoup plus faible, de la majorité présidentielle (portée par Valérie Hayer). Julien Robin, doctorant en sciences politiques, spécialiste de la vie parlementaire française, revient sur les enjeux de cette décision.( dans The Conversation)

Pourquoi l’enjeu du scrutin européen a-t-il un tel poids sur la vie parlementaire française ?

Le scrutin européen a longtemps été considéré comme de « second ordre » – une expression créée par les politologues Karlheinz Reif et Hermann Schmitt pour décrire les premières élections européennes en 1979 : c’est-à-dire des élections qui ne sont pas nationales, et pour lesquelles la participation est souvent plus basse qu’aux élections de « premier ordre ».

Or, depuis le scrutin européen de 2014, la participation électorale est en hausse, avec 42,43 %, soit +1,8 points de plus qu’en 2009. Cette tendance est confirmée par le scrutin de 2024, qui aura mobilisé plus d’électeurs qu’en 2019 (+2,5 points environ par rapport à la participation de 50,12 % en 2019), et où l’abstention est la plus basse depuis les élections européennes de 1994.

Ainsi, le scrutin européen semble avoir de plus en plus de poids dans la vie politique française, notamment avec la nationalisation du mode de scrutin depuis 2019 (étant donné qu’il n’y a plus qu’une circonscription électorale, les candidats sont mieux identifiés par les électeurs) et les enjeux mis en avant. En devenant un référendum anti-Macron, ces élections servent d’outil d’opposition contre le gouvernement actuel, et de tremplin électoral pour les forces politiques (notamment le RN, la LFI ou encore Renaissance).

Dans les derniers jours, cette nationalisation de l’élection s’est déroulée sur les plateaux de télévision (débat Bardella-Attal ; proposition de débat Le Pen-Macron), ce qui résonne avec l’élection présidentielle de 2022… voire donne un éventuel avant-goût de celle de 2027…

À quand remonte la dernière dissolution, et quel signal donne-t-elle à la vie politique et parlementaire française ?

La dernière dissolution remonte à 1997 et elle a été décidée par le président Jacques Chirac. Sa volonté était de redonner un souffle à la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, qui avait été affaiblie par la mobilisation contre la réforme des retraites de 1995 et les projets de réduction de déficit en 1997. À l’époque, la majorité à l’Assemblée n’était pas strictement celle du président Chirac. Elle était issue des élections de 1993, soit deux ans avant qu’il soit élu chef de l’État. En tentant une remobilisation par les urnes, la décision prise par Jacques Chirac aboutira in fine à l’avènement de la gauche plurielle, avec un gouvernement dirigé par Lionel Jospin.

Aujourd’hui, le président de la République met en avant une exigence de « clarté dans les débats » pour expliquer sa décision de dissoudre et de renvoyer les électeurs aux urnes dans les prochaines semaines. Politiquement, le contexte était épineux pour lui, avec un gouvernement minoritaire à l’Assemblée nationale (malgré les facilités institutionnelles offertes par la Constitution, comme le recours à l’article 49 al. 3 notamment pendant la réforme des retraites), où des rumeurs de motions de censure se faisaient de plus en plus pressantes ; sans compter l’explosion du nombre de groupes à l’Assemblée nationale, qui sont au nombre de dix, ce qui est exceptionnel et rend difficile l’obtention de majorités stables pour le vote de certains textes de loi. À cela s’ajoute le résultat de ces élections européennes, scrutin souvent annoncé comme celui de « mi-mandat ».

Ainsi, la dissolution peut être vue comme une décision assez typique de l’ADN marconien qui aime le disruptif, et comme un acte politique fort, qui redonne la voix aux électeurs, en particulier pour des élections législatives, puisque l’Assemblée nationale constitue la représentation nationale, c’est-à-dire l’assemblée légitime à adopter les lois selon les orientations politiques de citoyens.

Quels sont les principaux enjeux pour l’Assemblée nationale, et pour les formations qui la composent, compte tenu des résultats du scrutin européen ?

Les principaux enjeux pour l’Assemblée nationale vont être de voir si la fragmentation politique obtenue en juin 2022, avec ses dix groupes parlementaires, ce qui était inédit pour la Ve République, va se maintenir en juin 2024. En effet, celle-ci a des effets concrets sur l’organisation du travail à l’Assemblée.

Pour les formations politiques, il y a plusieurs enjeux :

  • à gauche : ces élections vont déterminer le nouveau rapport de force entre les diverses parties prenantes de la Nupes, où la gauche sociale-démocrate est ragaillardie par la troisième position de la lister PS-PP aux européennes ; la débâcle des écologistes et surtout le nouveau poids de la LFI. A peine les résultats annoncés, certaines figures à gauche en appellent à des discussions pour une liste commune, comme l’a fait Marie Toussaint.
  • pour le RN : alors que dans un sondage secret commandité par les Républicains en décembre 2023, le RN était annoncé majoritaire en cas d’élections législatives anticipées, le vrai enjeu est de savoir si le RN va parvenir à accéder au pouvoir en obtenant une vraie majorité à l’Assemblée nationale, nécessaire pour obtenir la confiance du gouvernement.

Le résultat exceptionnel du RN aux élections européennes (16 points d’avance sur la majorité actuelle) est un vrai tremplin pour ces élections anticipées.

  • pour Renaissance : alors que se posait la question de l’après-Macron dès sa réélection en 2022, Renaissance va devoir s’interroger sur son positionnement politique et surtout sur l’éventualité de mener des ententes électorales avec Les Républicains au niveau local. Cela pourrait se laisser présager, puisque Stéphane Séjourné, en qualité de SG de Renaissance a annoncé ce soir à l’AFP que la majorité « ne présentera pas de candidat » contre des députés sortants « faisant partie du champ républicain ».

Le sujet est qu’en 7 ans, le parti présidentiel est passé de la plus large majorité à l’Assemblée nationale sous la Vᵉ République en 2017, à une majorité relative en 2022, puis à un possible passage dans l’opposition.

Par ailleurs, l’enjeu pour les Républicains est de voir si le parti demeurera encore une réelle force politique nationale, en sachant qu’il vient d’effectuer son pire score dans une élection européenne, et surtout quelle sera la position adoptée en cas de succès du RN aux prochaines législatives.

La décision de dissoudre l’Assemblée nationale prise par le Président peut-elle être vue comme un aveu de faiblesse ? Quelle pourrait être la stratégie du parti présidentiel ?

C’est à la fois un aveu de faiblesse et l’anticipation d’une probable censure du gouvernement annoncée depuis des mois par certains groupes à l’Assemblée. C’est également le signe que le président Macron aura connu toutes les situations inédites sous la Ve République : la plus forte majorité puis un gouvernement minoritaire et maintenant une dissolution.

Bien que l’élection européenne de 2024 aura marqué un certain retour du clivage gauche-droite ainsi qu’un réel clivage pro- ou anti-UE, c’est forcément la force du RN qui va déterminer le positionnement de la majorité.

Il est possible que la partie la plus à droite de la majorité (comme Horizons) pèse dans les tractations internes, pour séduire des députés LR sortants, et assumer un virage plus libéral et conservateur. Cette stratégie pourrait s’envisager, notamment en raison d’un certain désaveu des électeurs de gauche Macron-compatibles, qui ont observé un certain réalignement vers la droite du marconisme, à travers la réforme des retraites, la loi sur l’immigration ou encore la réforme de l’assurance-chômage.

Une cohabitation avec le RN est-elle envisageable ? Peut-on imaginer un changement radical pour le système partisan français ?

Une cohabition avec le RN est envisageable, mais il va falloir voir concrètement au lendemain de ces élections législatives anticipées. Le système partisan français était en cours de quadripolarisation selon les politologues Bruno Jérome, Philippe Mongrain et Richard Nadeau. Les 4 blocs sont : la gauche et la droite traditionnelles, ainsi que le centrisme macronien et le RN. Désormais, ces élections vont régler les tensions internes à chaque bloc :

Pour le RN : faut-il se « normaliser » quitte à perdre des voix au profit de Reconquête ?

Pour la droite : avec qui faire une coalition (ou du moins s’entendre) pour tenter une survie politique, mais aussi influencer l’orientation des majorités à l’Assemblée ?

Pour le centre macroniste : comment se réinventer dans un second mandat qui sonne comme une fin de règne ?

Pour la gauche (globalement) : quelle ligne va dominer ? une ligne sociale-démocrate ? radicale ? une troisième voie avec l’émergence de Francois Ruffin ?

Paradoxalement, jamais les élections européennes n’auront autant affecté la vie politique française.

Dissolution de l’Assemblée nationale : les enjeux

Dissolution de l’Assemblée nationale : les enjeux

 

« J’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote », a annoncé le chef de l’État ce dimanche 9 juin, déclarant la dissolution de l’Assemblée nationale et convoquant des élections législatives anticipées les 30 juin et 7 juillet prochains. Cette déclaration fait suite au score historique réalisé par Jordan Bardella (Rassemblement national) lors des élections européennes, et celui, beaucoup plus faible, de la majorité présidentielle (portée par Valérie Hayer). Julien Robin, doctorant en sciences politiques, spécialiste de la vie parlementaire française, revient sur les enjeux de cette décision.( dans The Conversation)

Pourquoi l’enjeu du scrutin européen a-t-il un tel poids sur la vie parlementaire française ?

Le scrutin européen a longtemps été considéré comme de « second ordre » – une expression créée par les politologues Karlheinz Reif et Hermann Schmitt pour décrire les premières élections européennes en 1979 : c’est-à-dire des élections qui ne sont pas nationales, et pour lesquelles la participation est souvent plus basse qu’aux élections de « premier ordre ».

Or, depuis le scrutin européen de 2014, la participation électorale est en hausse, avec 42,43 %, soit +1,8 points de plus qu’en 2009. Cette tendance est confirmée par le scrutin de 2024, qui aura mobilisé plus d’électeurs qu’en 2019 (+2,5 points environ par rapport à la participation de 50,12 % en 2019), et où l’abstention est la plus basse depuis les élections européennes de 1994.

Ainsi, le scrutin européen semble avoir de plus en plus de poids dans la vie politique française, notamment avec la nationalisation du mode de scrutin depuis 2019 (étant donné qu’il n’y a plus qu’une circonscription électorale, les candidats sont mieux identifiés par les électeurs) et les enjeux mis en avant. En devenant un référendum anti-Macron, ces élections servent d’outil d’opposition contre le gouvernement actuel, et de tremplin électoral pour les forces politiques (notamment le RN, la LFI ou encore Renaissance).

Dans les derniers jours, cette nationalisation de l’élection s’est déroulée sur les plateaux de télévision (débat Bardella-Attal ; proposition de débat Le Pen-Macron), ce qui résonne avec l’élection présidentielle de 2022… voire donne un éventuel avant-goût de celle de 2027…

À quand remonte la dernière dissolution, et quel signal donne-t-elle à la vie politique et parlementaire française ?

La dernière dissolution remonte à 1997 et elle a été décidée par le président Jacques Chirac. Sa volonté était de redonner un souffle à la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, qui avait été affaiblie par la mobilisation contre la réforme des retraites de 1995 et les projets de réduction de déficit en 1997. À l’époque, la majorité à l’Assemblée n’était pas strictement celle du président Chirac. Elle était issue des élections de 1993, soit deux ans avant qu’il soit élu chef de l’État. En tentant une remobilisation par les urnes, la décision prise par Jacques Chirac aboutira in fine à l’avènement de la gauche plurielle, avec un gouvernement dirigé par Lionel Jospin.

Aujourd’hui, le président de la République met en avant une exigence de « clarté dans les débats » pour expliquer sa décision de dissoudre et de renvoyer les électeurs aux urnes dans les prochaines semaines. Politiquement, le contexte était épineux pour lui, avec un gouvernement minoritaire à l’Assemblée nationale (malgré les facilités institutionnelles offertes par la Constitution, comme le recours à l’article 49 al. 3 notamment pendant la réforme des retraites), où des rumeurs de motions de censure se faisaient de plus en plus pressantes ; sans compter l’explosion du nombre de groupes à l’Assemblée nationale, qui sont au nombre de dix, ce qui est exceptionnel et rend difficile l’obtention de majorités stables pour le vote de certains textes de loi. À cela s’ajoute le résultat de ces élections européennes, scrutin souvent annoncé comme celui de « mi-mandat ».

Ainsi, la dissolution peut être vue comme une décision assez typique de l’ADN marconien qui aime le disruptif, et comme un acte politique fort, qui redonne la voix aux électeurs, en particulier pour des élections législatives, puisque l’Assemblée nationale constitue la représentation nationale, c’est-à-dire l’assemblée légitime à adopter les lois selon les orientations politiques de citoyens.

Quels sont les principaux enjeux pour l’Assemblée nationale, et pour les formations qui la composent, compte tenu des résultats du scrutin européen ?

Les principaux enjeux pour l’Assemblée nationale vont être de voir si la fragmentation politique obtenue en juin 2022, avec ses dix groupes parlementaires, ce qui était inédit pour la Ve République, va se maintenir en juin 2024. En effet, celle-ci a des effets concrets sur l’organisation du travail à l’Assemblée.

Pour les formations politiques, il y a plusieurs enjeux :

  • à gauche : ces élections vont déterminer le nouveau rapport de force entre les diverses parties prenantes de la Nupes, où la gauche sociale-démocrate est ragaillardie par la troisième position de la lister PS-PP aux européennes ; la débâcle des écologistes et surtout le nouveau poids de la LFI. A peine les résultats annoncés, certaines figures à gauche en appellent à des discussions pour une liste commune, comme l’a fait Marie Toussaint.
  • pour le RN : alors que dans un sondage secret commandité par les Républicains en décembre 2023, le RN était annoncé majoritaire en cas d’élections législatives anticipées, le vrai enjeu est de savoir si le RN va parvenir à accéder au pouvoir en obtenant une vraie majorité à l’Assemblée nationale, nécessaire pour obtenir la confiance du gouvernement.

Le résultat exceptionnel du RN aux élections européennes (16 points d’avance sur la majorité actuelle) est un vrai tremplin pour ces élections anticipées.

  • pour Renaissance : alors que se posait la question de l’après-Macron dès sa réélection en 2022, Renaissance va devoir s’interroger sur son positionnement politique et surtout sur l’éventualité de mener des ententes électorales avec Les Républicains au niveau local. Cela pourrait se laisser présager, puisque Stéphane Séjourné, en qualité de SG de Renaissance a annoncé ce soir à l’AFP que la majorité « ne présentera pas de candidat » contre des députés sortants « faisant partie du champ républicain ».

Le sujet est qu’en 7 ans, le parti présidentiel est passé de la plus large majorité à l’Assemblée nationale sous la Vᵉ République en 2017, à une majorité relative en 2022, puis à un possible passage dans l’opposition.

Par ailleurs, l’enjeu pour les Républicains est de voir si le parti demeurera encore une réelle force politique nationale, en sachant qu’il vient d’effectuer son pire score dans une élection européenne, et surtout quelle sera la position adoptée en cas de succès du RN aux prochaines législatives.

La décision de dissoudre l’Assemblée nationale prise par le Président peut-elle être vue comme un aveu de faiblesse ? Quelle pourrait être la stratégie du parti présidentiel ?

C’est à la fois un aveu de faiblesse et l’anticipation d’une probable censure du gouvernement annoncée depuis des mois par certains groupes à l’Assemblée. C’est également le signe que le président Macron aura connu toutes les situations inédites sous la Ve République : la plus forte majorité puis un gouvernement minoritaire et maintenant une dissolution.

Bien que l’élection européenne de 2024 aura marqué un certain retour du clivage gauche-droite ainsi qu’un réel clivage pro- ou anti-UE, c’est forcément la force du RN qui va déterminer le positionnement de la majorité.

Il est possible que la partie la plus à droite de la majorité (comme Horizons) pèse dans les tractations internes, pour séduire des députés LR sortants, et assumer un virage plus libéral et conservateur. Cette stratégie pourrait s’envisager, notamment en raison d’un certain désaveu des électeurs de gauche Macron-compatibles, qui ont observé un certain réalignement vers la droite du marconisme, à travers la réforme des retraites, la loi sur l’immigration ou encore la réforme de l’assurance-chômage.

Une cohabitation avec le RN est-elle envisageable ? Peut-on imaginer un changement radical pour le système partisan français ?

Une cohabition avec le RN est envisageable, mais il va falloir voir concrètement au lendemain de ces élections législatives anticipées. Le système partisan français était en cours de quadripolarisation selon les politologues Bruno Jérome, Philippe Mongrain et Richard Nadeau. Les 4 blocs sont : la gauche et la droite traditionnelles, ainsi que le centrisme macronien et le RN. Désormais, ces élections vont régler les tensions internes à chaque bloc :

Pour le RN : faut-il se « normaliser » quitte à perdre des voix au profit de Reconquête ?

Pour la droite : avec qui faire une coalition (ou du moins s’entendre) pour tenter une survie politique, mais aussi influencer l’orientation des majorités à l’Assemblée ?

Pour le centre macroniste : comment se réinventer dans un second mandat qui sonne comme une fin de règne ?

Pour la gauche (globalement) : quelle ligne va dominer ? une ligne sociale-démocrate ? radicale ? une troisième voie avec l’émergence de Francois Ruffin ?

Paradoxalement, jamais les élections européennes n’auront autant affecté la vie politique française.

Elections européennes 2024 : des enjeux pour le climat

Elections européennes 2024 : des enjeux pour le climat

 

Sur le montant de nos impôts, le calcul de nos retraites, l’organisation de notre système éducatif ou de santé, l’Europe n’est pas décisionnaire. En matière de climat, cependant, elle pèse lourd. Les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre sont décidés à l’échelle de l’Union européenne (UE). Ainsi, c’est le Conseil des chefs d’État qui a adopté l’objectif de réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030 pour viser la neutralité en 2050, décision ensuite traduite dans la loi par les députés sortants du Parlement européen. L’UE joue également un rôle crucial dans la mise en œuvre des politiques climatiques. Les normes réglementaires, comme celle abondamment discutée par les candidats sur l’interdiction des ventes de voitures neuves thermiques à partir de 2035, sont européennes. C’est enfin l’UE qui a la main sur le système d’échange des quotas de CO₂, grand absent des débats malgré son rôle dans les réductions d’émission. Pour mieux cerner les enjeux climatiques du scrutin, examinons où en est l’UE en matière de réduction d’émissions et les leviers dont elle dispose pour atteindre l’objectif de – 55 %.

 

par  , Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSL dans The Conversation.

En 2023, les émissions brutes de l’UE (mesurées hors séquestration du CO2 par les forêts) sont en recul d’un tiers par rapport à 1990. Contrairement à une idée reçue, cette baisse ne résulte pas de délocalisations d’émissions de CO2 que nous réimporterions via l’achat de produits émetteurs à des pays tiers. Depuis 2005, l’empreinte de consommation de l’UE, qui inclut ces émissions incorporées aux importations, diminue au même rythme que les émissions sur le territoire de l’UE.

S’il a fallu 33 ans pour réduire de 33 % les émissions, atteindre – 55 % sur les 7 ans qui restent d’ici 2030 est-il un objectif atteignable ? Il faut en réalité distinguer deux périodes :

  • Les émissions de l’UE ont stagné entre 1990 et 2005.
  • Depuis 2005, elles suivent une tendance baissière de 2 % par an, une fois gommées les fluctuations de court terme.
Évolution des émissions de gaz à effet de serre de l’UE. Agence Européenne de l’Environnement (estimation provisoire pour 2023), Fourni par l’auteur

La cause de cette rupture de tendance est clairement identifiable. 2005 marque le démarrage effectif des politiques climatiques européennes, avec l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto et celle du système d’échange de quotas de CO₂.

Pour atteindre l’objectif de – 55 %, il faudra doubler ce rythme de baisse tendanciel d’ici 2030. C’est l’objet de la panoplie des mesures du « Pacte vert » et de leurs déclinaisons sectorielles. Si on conteste ces mesures, ce qui est bien sûr le droit de chacun en démocratie, il faudra leur proposer des substituts ou renoncer à l’objectif de -55 %. C’est dans ces termes qu’il conviendrait d’organiser le débat public.

Deux secteurs, la production d’énergie (électricité, chaleur, raffinage du pétrole) et l’industrie ont réalisé 80 % des réductions d’émissions (voir tableau ci-dessous). Ce sont les secteurs couverts par le système d’échange des quotas dont la réforme est un maillon essentiel du Pacte vert.

Un prix élevé du quota de CO2 accélère l’arrêt des centrales électriques utilisant le charbon ou d’autres combustibles fossiles. La suppression des allocations gratuites de quotas encore accordées à l’industrie manufacturière, couplée à la taxe carbone à la frontière, devra faciliter la décarbonation des procédés industriels les plus émetteurs en protégeant les secteurs concernés (acier, ciment, engrais…) de la concurrence des pays tiers.

Or, les candidats plébiscitent la taxe à la frontière mais bottent en touche sur les autres volets de la réforme du marché des quotas de CO2.

Les émissions générées par le transport – un quart du total, un tiers si on inclut les transports internationaux – sont encore nettement au-dessus de leur niveau de 1990. C’est dans ce secteur qu’il faut impérativement trouver des réductions d’émission supplémentaires d’ici 2030 en s’attaquant aux transports routiers, principale source d’émissions de CO2 du secteur, mais aussi à l’aérien et au fret maritime.

L’électrification des véhicules, visée sur les nouveaux véhicules par les normes européennes, n’est que l’un des vecteurs de cette transformation. Il faudra aussi jouer sur le partage entre transports individuels et collectifs, la vitesse des déplacements, leur nombre, l’organisation de la logistique. L’inclusion des transports domestiques dans un second système de quotas de CO2, à partir de 2027, devra faciliter cette transition vers la mobilité bas carbone qui implique aussi de repenser l’organisation des mobilités à l’échelle des territoires.

On aurait aimé que les candidats se prononcent sur les conditions sociales et économiques permettant l’émergence de cette mobilité bas carbone qui va impacter nos modes de vie.

Pour viser l’objectif de – 55 %, il faudra également consolider les baisses d’émissions dans l’agriculture et les bâtiments. La période récente a vu une accélération des réductions d’émission liées à l’usage des bâtiments (résidentiels ou professionnels), avec le renchérissement des factures à la suite du conflit ukrainien, mais aussi grâce au déploiement des pompes à chaleurs dont les effets s’additionnent à ceux des rénovations thermiques des bâtiments.

Sur l’agriculture, l’évolution récente a plutôt pris l’allure d’un tête-à-queue. La baisse passée des émissions agricoles, notamment dans l’élevage bovin, a été le reflet des difficultés économiques des producteurs, bien plus que le résultat de politiques climatiques embryonnaires. La PAC, par laquelle transite la majorité des soutiens agricoles, n’a que marginalement intégré les enjeux climatiques via des écoconditionnalités. Sous la pression du mouvement des agriculteurs, l’Europe a reculé sur les volets agricoles du Pacte vert qui privilégiaient la norme sur les instruments d’accompagnement économiques ou financiers.

Au-delà de formules incantatoires sur la souveraineté alimentaire ou l’agroécologie, il y a urgence à reconstruire la PAC pour assurer la résilience de l’agriculture européenne face au dérèglement climatique et faire refluer ses émissions. C’est particulièrement le cas en France où l’agriculture compte pour 20 % des émissions nationales, contre 11 % dans l’ensemble de l’UE.

Sur les émissions brutes, l’UE est dans la bonne direction, avec un gros bémol pour l’agriculture, mais pas dans le bon tempo. On vient de le voir. Ce n’est pas le seul levier à mobiliser pour atteindre l’objectif de réduction de 55 %. Cela implique aussi de porter la séquestration du CO2 atmosphérique grâce aux forêts et aux autres puits de carbone à 310 millions de tonnes (Mt) de CO2 en 2030 (34 Mt pour la France). Or, en matière de séquestration du CO2, ce n’est pas le tempo qui est insuffisant, mais la direction suivie qui est mauvaise.

La capacité d’absorption des puits de carbone naturels de l’UE a perdu un peu plus de 100 Mt durant la dernière décennie et a été divisée par deux en France. La superficie des massifs forestiers continue de s’étendre, mais la croissance des arbres est affaiblie par les changements climatiques : sécheresses, tempêtes, incendies et surtout remontée des invasifs qui propagent de nouvelles maladies. Comme pour l’agriculture, il y a urgence à construire des politiques publiques qui protègent la capacité des puits de carbone forestiers face au durcissement des conditions climatiques.

Pour atteindre l’objectif européen de – 55 % en 2030, chaque pays contribue différemment suivant la structure de son économie et ses contraintes domestiques. Ainsi, la France vise un objectif de réduction de – 50 % par rapport à 1990 et l’Allemagne de – 67 %. Les deux pays suivent des stratégies différentes en matière énergétique pour atteindre ces objectifs. L’Allemagne a choisi de se retirer du nucléaire et d’investir massivement dans l’énergie renouvelable. Pour certains, cette stratégie est une impasse conduisant à une « relance du charbon ». Pour d’autres, c’est la preuve que le renouvelable est «  la solution ».

Examinons les faits. En 2023, l’Allemagne émet encore 8 tonnes équivalent CO2 par habitant, quand la France est descendue à 5,5 tonnes. L’écart provient principalement de la production d’électricité bien moins émettrice en France, où les trois-quarts du courant sont fournis par le parc nucléaire.

Mais l’Allemagne réduit nettement plus rapidement ses émissions qui sont, en 2023, en recul de 56 % sur le niveau de 1990, contre seulement – 30 % en France. L’écart résulte principalement de la forte baisse des émissions du secteur électrique allemand, où le charbon ne fournit plus que 26 % de l’électricité en 2023, contre près de 50 % 10 ans auparavant, grâce au développement accéléré des renouvelables. Il n’y a donc pas de relance du charbon en Allemagne, contrairement à une opinion répandue en France.

Pour autant, l’option de sortir en priorité du nucléaire a un coût élevé pour le climat, car elle ralentit le désinvestissement du charbon. L’arrêt de huit réacteurs à la suite de la catastrophe de Fukushima en 2011 a entraîné un recours accru aux centrales thermiques jusqu’en 2015. Sur la période récente, la fermeture des dernières centrales nucléaires (totale depuis avril 2023) a pesé sur l’offre d’électricité décarbonée en Allemagne et a contribué à la reprise temporaire des émissions du secteur électrique en 2021 et 2022.

Si l’Allemagne était sortie du nucléaire plus progressivement, les investissements massifs dans le renouvelable auraient permis un recul encore plus rapide des émissions de CO2.

L’exemple allemand nous montre combien il est important, dans le débat sur le nucléaire, de distinguer les choix concernant l’utilisation du parc existant de ceux concernant le nouveau nucléaire. Des éléments à verser au débat de ce côté du Rhin, si un jour les choix énergétiques y sont discutés au Parlement comme le prévoit explicitement la loi.

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