Des patriotes ou des tacticiens ?
AURÉLIEN PRADIÉ - Chacun doit bien avoir conscience que la seule voie possible est le rassemblement des patriotes de droite et de gauche dans un gouvernement. Compte tenu de la configuration de l’Assemblée nationale, ce sera l’unique manière de tenir dans le temps. Mais au-delà d’une affaire d’arithmétique, c’est aussi une question d’espoir. Le rôle d’un exécutif n’est pas seulement d’échapper à une motion de censure, c’est d’améliorer la vie des Français. Les élections législatives, marquées par une participation exceptionnelle, ne peuvent pas accoucher d’un bricolage politicien. Les Français attendent un gouvernement de reconstruction capable de porter un espoir nouveau. Nous n’en avons pas connu depuis l’après-guerre. Toutes proportions gardées, nous sommes à un moment équivalent. La France n’a jamais autant été exposée sur le plan extérieur comme à l’intérieur de ses frontières.
Quelles sont les conditions pour qu’un tel gouvernement voie le jour ?
D’abord respecter le vote des Français. Désormais, le président de la République devra partager le pouvoir, ce qu’il semble avoir acté. Cela s’appelle une cohabitation. On en a déjà connu plusieurs et elles n’ont pas été défavorables à l’équilibre des pouvoirs. Simplement, elle aura forcément une forme originale du fait de l’absence de majorité absolue. L’époque politique a changé. La question n’est pas de « dealer » mais bien de cohabiter. Pour réussir, les partis politiques doivent quitter le jeu de rôle dans lequel ils se sont installés depuis les résultats des législatives. Le spectacle auquel nous assistons est une pantalonnade. Je vois beaucoup de calculs pour se préserver de l’exercice des responsabilités au profit d’ambitions présidentielles plus ou moins cachées. Face à cela, des femmes et des hommes capables de s’émanciper de leurs appareils politiques épuisés devront privilégier l’intérêt supérieur du pays. Les Français châtieront celles et ceux qui auront fait prévaloir leur intérêt tactique. Refuser de trouver une solution à l’impasse dans laquelle nous sommes, c’est faire le jeu de tous ceux qui veulent nous faire entrer dans une crise de régime, c’est-à-dire les amis de monsieur Mélenchon et ceux qui veulent lui rendre service.
Cela signifie que vous regrettez que Laurent Wauquiez refuse toute coalition…
Oui. L’ambition présidentielle est noble et exigeante. Laurent Wauquiez a des qualités pour la porter. Mais je lui dis, comme à tous mes amis, que nous sommes à un moment démocratique historique et que nous devons sortir de nos vieilles logiques, comme les gaullistes ont su le faire à la reconstruction. Ils n’y ont rien perdu, au contraire. Ces grandes personnalités ont fait vivre une certaine idée de l’honneur politique. Nous sommes des patriotes avant d’être des tacticiens. Miser sur l’échec du pays est un luxe cynique que seuls Le Pen ou Mélenchon peuvent s’autoriser. Pas les héritiers du général de Gaulle.
Je dis à Laurent Wauquiez que nous devons sortir de nos vieilles logiques, comme les gaullistes ont su le faire à la reconstruction
Emmanuel Macron a-t-il des concessions à faire sur le fond ?
Pour réunir des patriotes de gauche et de droite, nous devrons nous entendre sur deux grands principes : le rétablissement de l’ordre et celui de la justice, notamment sociale. Le premier point essentiel, c’est la question de la souveraineté nationale. D’abord sur le plan sécuritaire ; la justice des mineurs est la clé. Puis la souveraineté énergétique, grâce à la réaffirmation du nucléaire. Sur le plan budgétaire ensuite : la première mission de l’exécutif sera de rétablir l’équilibre de nos finances, avec un plan de bataille à dix ans qui préserve le régalien, l’école et les services publics, et assainit les dépenses artificielles. S’agissant de notre souveraineté économique, il nous faudra se mettre d’accord sur un plan de réindustrialisation passant par l’attractivité fiscale de la France. Il nous faudra enfin préserver notre souveraineté alimentaire. Notre agriculture a-t-elle vocation à produire ou à nourrir des dogmes ? Il y a sûrement des consensus à trouver sur ce point. Au-delà, il nous faudra refonder un pacte social, en premier lieu autour du partage de la valeur et de la question des salaires. Je ne crois pas que l’augmentation mécanique du smic soit la solution mais je sais que, depuis 1945, nous vivons la première période où le travail ne permet plus à une majorité de Français d’améliorer leurs conditions de vie. Il faut une révolution du travail.
Faudra-t-il aussi revenir sur la réforme des retraites ?
La dernière fois que nous avons pu, à l’Assemblée nationale, rassembler des points de vue de droite, de gauche, mais aussi du Rassemblement national, c’était lors de la bataille pour les carrières longues. Je suis fier du combat que j’ai mené, parce qu’il respectait la valeur du travail. Cette question va revenir le 31 octobre lors de la niche parlementaire du RN, et je pense que c’est l’une des clés de stabilité du futur gouvernement. Je propose donc deux choses. D’abord, faire en sorte que ceux qui ont commencé le plus tôt, dont les métiers sont les plus difficiles, partent à la retraite plus tôt. Ensuite rouvrir le chantier de la réforme à points, telle qu’interrompue en 2020, et privilégier la durée de cotisation.
Si le Premier ministre vient de la gauche, il ne pourra pas être issu du Nouveau Front populaire
En attendant, la réforme de 2023 doit-elle être abrogée ?
Elle est aujourd’hui installée. Il faut éviter de consacrer plus d’énergie à la défaire qu’à imaginer une autre voie. La priorité c’est de donner acte sur les carrières longues, et aussitôt rouvrir le chantier avec les partenaires sociaux.
Et comment un tel gouvernement pourrait-il s’entendre sur l’immigration ?
La droite républicaine doit sortir des postures en la matière. Nous avons besoin d’une immigration liée au travail, qui est d’ailleurs l’un des meilleurs vecteurs d’intégration. De l’autre côté, une partie de la gauche est capable d’entendre qu’il faut reprendre le contrôle de nos flux migratoires, qu’une personne qui travaille a sa place dans notre pays à la condition qu’elle respecte toutes les valeurs de la République. L’intransigeance sur nos valeurs peut rassembler.
Le scrutin proportionnel doit-il être mis à l’ordre du jour ?
C’est aujourd’hui une obsession portée principalement par une partie de la gauche, qui se cherche du courage pour acter son divorce avec LFI. Les Français doivent comprendre que la proportionnelle, c’est la prime aux appareils politiques. Elle ne donne pas plus de représentativité démocratique, mais plus de force aux partis qui composent, en coulisses, les listes lors des élections. Nous sommes à un moment où la démocratie a davantage besoin de personnalités libres que de calculs partisans. J’y vois donc une fausse bonne idée.
Qui serait, selon vous, le Premier ministre idéal ?
Qui que soit le Premier ministre, il lui faudra une équipe de vaillants, de personnalités tempétueuses, peut-être un peu balafrées, capables de comprendre le pays. Je ne crois pas une seconde à la pérennité d’un gouvernement qui ne soit pas éminemment politique, car le moment est politique. Si le Premier ministre vient de la gauche, il ne pourra pas être issu du Nouveau Front populaire, à moins d’avoir définitivement rompu avec lui. Pas à moitié, totalement. Je préférerais évidemment qu’il s’agisse d’un de mes amis. Et sa première mission, la plus importante, sera d’avoir une équipe obsédée par autre chose que la prochaine présidentielle.
Souhaitez-vous faire partie de cette équipe ?
En juillet, j’ai repris ma liberté. Avec mon collègue Raphaël Schellenberger, nous avons pris un risque en refusant de siéger dans le groupe de Laurent Wauquiez. Je n’éprouve aucune animosité à son égard. Mais si les écuries sont souvent plus rassurantes, je préfère l’aventure. Simplement je pense qu’on est à un moment où nous devons passer des postures à l’action. En étant volontaire pour travailler avec des femmes et des hommes, ardents républicains, venus de la droite et de la gauche, j’ai conscience de sortir du cadre. Mais c’est hors du cadre que l’avenir du pays se joue désormais. Et c’est là que je porterai mon énergie.