Scandale McKinsey: rapport du sénat (extrait)
L’ESSENTIEL
La crise sanitaire a mis en lumière l’intervention des consultants dans la conduite des politiques publiques. Ce n’était en réalité que la face émergée de l’iceberg : au quotidien, des cabinets privés conseillent l’État sur sa stratégie, son organisation et ses infrastructures informatiques. Peu connus du grand public, ils s’appellent Accenture, Bain, Boston Consulting Group (BCG), Capgemini, Eurogroup, EY, McKinsey, PwC, Roland Berger ou encore Wavestone et emploient environ 40 000 consultants en France. À l’initiative du groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE), le Sénat a investigué pendant 4 mois sur l’influence des cabinets de conseil sur les politiques publiques, en utilisant les moyens de contrôle renforcés des commissions d’enquête parlementaires. Auditions Personnes entendues sous serment Questionnaires envoyés Documents recueillis et analysés Les travaux de la commission d’enquête révèlent un phénomène tentaculaire. Les cabinets de conseil interviennent au cœur des politiques publiques, ce qui soulève deux principales questions : notre vision de l’État et de sa souveraineté face à des cabinets privés, d’une part, et la bonne utilisation des deniers publics, d’autre part. Publiée pendant les travaux du Sénat, la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 sur l’encadrement des prestations de conseil est à la fois tardive et incomplète : l’objectif de réduction des dépenses (- 15 % pour le conseil en stratégie et en organisation en 2022) est peu ambitieux, alors que la transparence des prestations demeure la grande oubliée. –
UN RECOURS MASSIF ET CROISSANT AUX CABINETS DE CONSEIL : LES CONSULTANTS AU CŒUR DES POLITIQUES PUBLIQUES A. PLUS D’UN MILLIARD D’EUROS POUR DES PRESTATIONS DE CONSEIL, UN « POGNON DE DINGUE »
En 2021, les dépenses de conseil de l’État au sens large ont dépassé le milliard d’euros, dont 893,9 millions pour les ministères et 171,9 millions pour un échantillon de 44 opérateurs. Il s’agit d’une estimation minimale car les dépenses des opérateurs sont en réalité plus élevées : si la commission d’enquête a interrogé ceux dont le budget était le plus important (Pôle emploi, Caisse des dépôts et consignations, etc.), l’échantillon ne représente que 10 % du total des opérateurs. Le recours aux consultants n’a pas commencé sous ce quinquennat, chacun gardant en mémoire la révision générale des politiques publiques (RGPP). Il a toutefois été croissant entre 2018 et 2021, comme le confirment les données de la direction du budget : les dépenses de conseil des ministères ont plus que doublé, avec une forte accélération en 2021 (+ 45 %). Évolution des dépenses de conseil des ministères (en millions d’euros) Au sein de cette enveloppe, les dépenses de conseil les plus stratégiques (445,6 millions d’euros) augmentent significativement : le conseil en stratégie et organisation a été multiplié par 3,7 depuis 2018 ; le conseil en stratégie des systèmes d’information par 5,8. – 9 – Près de 85 % des dépenses sont concentrées dans 5 ministères : Intérieur, Économie et Finances, Armées, Transition écologique, ministères sociaux. Répartition des dépenses les plus stratégiques des ministères (en %, 2021) En pratique, le recours aux cabinets de conseil est facilité par des accords-cadres, dont celui de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et de la centrale d’achat UGAP. Ces contrats mettent à la disposition des ministères un vivier de cabinets de conseil, dans lequel ils peuvent aisément piocher. B.
RECOURIR À DES CONSULTANTS EST DEVENU UN RÉFLEXE, Y COMPRIS POUR LES PRINCIPALES RÉFORMES DU QUINQUENNAT
Le recours aux consultants constitue aujourd’hui un réflexe : ils sont sollicités pour leur expertise technique – même lorsque l’État dispose déjà de compétences en interne – et leur capacité à apporter un regard extérieur à l’administration – par exemple pour des parangonnages internationaux (benchmarks). La force de frappe des cabinets de conseil s’adapte à l’accélération du temps politique : des consultants peuvent être mobilisés très rapidement pour répondre aux priorités d’un ministre ou d’un directeur d’administration centrale. Comme l’a souligné l’universitaire Julie Gervais, un cabinet international peut, en deux semaines, « être en mesure de produire un rapport de trois cents pages en allant puiser auprès de ses succursales aux États-Unis, en Suisse ou ailleurs ». En pratique, les consultants sont intervenus sur la plupart des grandes réformes du quinquennat, renforçant ainsi leur place dans la décision publique. En 2019, un cabinet d’avocats – Dentons – a même – 10 – participé à la rédaction de l’étude d’impact du projet de loi d’orientation des mobilités. …