Elisabeth Borne : première déclaration insipide, « je ne mentirai pas «
Pour a première interview, la nouvelle première ministre n’a guère fait dans l’originalité, le dynamisme et encore moins dans le charisme. Elle répète à peu près mot pour mot les propos de Macron avec de la pommade en plus. Une sorte en même temps très flou dans lequel il est bien difficile de distinguer une ligne politique claire. (extrait)
Quel est votre modèle de Premier ministre ?
J’ai beaucoup apprécié de travailler avec Jean Castex et Édouard Philippe, mais il m’apparaît essentiel d’exercer sa fonction en cohérence avec soi-même, et non pas au regard de ce qu’étaient ses prédécesseurs. Ce qui me tient à cœur : concevoir des politiques publiques et agir dans le dialogue avec tous les acteurs, le plus possible en proximité avec les Français. Et pour cela : faire du gouvernement un collectif. J’aurai à cœur de l’animer ainsi.
J’ai une relation …. fluide avec Emmanuel Macron
Comment allez-vous fonctionner dans votre duo avec Emmanuel Macron ?
C’est un honneur de travailler à ses côtés. J’ai porté des réformes et des politiques importantes pour mettre en œuvre son projet pendant ces cinq dernières années, et cela nous a permis de bâtir une relation solide et fluide.
Sur 27 membres du gouvernement, 14 sont issus de l’équipe sortante. Ce n’est pas le changement dans la continuité, mais la continuité dans la continuité, non ?
Emmanuel Macron a été élu sur la base d’un programme. Pour le mettre en œuvre, il est important d’avoir un équilibre : les ministres en place depuis plusieurs années et qui ont fait face à des crises inédites et conduit des chantiers importants apportent leur expérience et permettent d’être opérationnel tout de suite dans un contexte de crise préoccupant. Mais il faut aussi une respiration et faire entrer de nouveaux visages légitimes et compétents dans leur domaine, issus aussi bien de la société civile que de la gauche, du centre ou de la droite. L’essentiel, c’est que nous avons des personnalités très engagées et très énergiques, qui arriveront à des résultats rapides.
Le maintien d’Éric Dupond-Moretti au ministère de la Justice devrait susciter une levée de boucliers des magistrats. N’est-ce pas une erreur politique ?
Ce que les Français peuvent constater, c’est qu’Éric Dupond-Moretti a obtenu la plus forte hausse du budget de la justice depuis vingt ans et des résultats concrets en matière d’effectifs et de délais de traitement des affaires, qu’il s’est pleinement mobilisé sur la justice de proximité. C’est ce que les Français attendent. Des états généraux de la justice ont été lancés pour aller plus loin et engager un chantier en profondeur. Il était important qu’il puisse recevoir les conclusions de ces travaux et engager rapidement leur mise en œuvre.
Depuis l’annonce surprise de sa nomination à l’Éducation nationale, Pap Ndiaye est la cible d’attaques de l’extrême droite. Est-ce une rupture avec l’héritage de Jean-Michel Blanquer ?
Évitons de caricaturer les positions. Tous les deux poursuivent le même but : assurer l’égalité des chances et l’excellence pour nos jeunes, ce qu’incarne parfaitement le nouveau ministre. Ce sont des personnalités différentes, mais je peux vous assurer que Pap Ndiaye aura à cœur de capitaliser sur ce qui a été fait sous le précédent quinquennat, comme le dédoublement des classes de CP. Nous devons aller plus loin. Notre détermination est totale pour garantir à chaque jeune de France les mêmes chances quelle que soit leur adresse, leur origine sociale.
À en croire Jean-Luc Mélenchon, votre gouvernement « ne fait que passer » puisque, selon lui, les Insoumis vont remporter les législatives des 12 et 19 juin…
Les outrances de Jean-Luc Mélenchon, personnellement, m’intéressent assez peu. M. Mélenchon, comme nous tous, devrait respecter nos institutions. L’élection présidentielle se joue à deux tours, et je rappelle qu’il n’était pas au second tour. Le gouvernement est déjà dans l’action. Il porte un projet au service des Français, comme tous nos candidats aux législatives.
Une Première ministre « chargée de la transition écologique », ainsi que vous a présentée Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée, en annonçant votre gouvernement vendredi, comment ça marche ?
La transition écologique doit irriguer l’ensemble des politiques publiques. Elle fait donc partie des fonctions de la Première ministre. Cette idée de planification est importante pour rassurer à la fois ceux qui trouvent qu’on ne va pas assez vite et leur montrer qu’on tient le cap, en l’occurrence l’objectif de neutralité carbone en 2050, et ceux qui craignent de ne pas être assez accompagnés dans cette transition. Nous devons montrer qu’on aidera les entreprises, les ménages et tous les Français pour arriver à cette neutralité carbone.
Comment allez-vous fonctionner avec les deux ministres chargées de la transition écologique ?
J’ai à mes côtés Amélie de Montchalin à la Planification écologique territoriale et Agnès Pannier-Runacher à la Planification énergétique. La première devra mettre en œuvre avec les élus la transition écologique dans les territoires, c’est-à-dire soutenir des projets d’aménagement en évitant les consommations excessives de ressources naturelles, accompagner les mobilités propres ou encore la rénovation des bâtiments. Bref, des choses très concrètes. La deuxième aura pour mission de sortir la France des énergies fossiles, de mener une politique fondée sur le renouvelable et le nucléaire, composante essentielle d’un mix énergétique, et de renforcer nos progrès en matière d’économie d’énergie. Il y aura également un secrétariat général chargé de la planification rattaché à la Première ministre pour s’assurer que chaque ministre porte dans son champ d’action l’ambition en matière de transition écologique.
Et si les ministres ne tiennent pas leurs objectifs ?
La Première ministre s’assurera que l’action de chaque membre du gouvernement les respecte.
Quelles seront les premières mesures à effet immédiat en matière d’écologie ?
Pouvoir d’achat et transition écologique sont conciliables. Cela suppose d’accompagner les plus modestes quand il s’agit par exemple de changer sa chaudière au fioul ou au gaz ou encore de passer des voitures thermiques aux voitures électriques… Nous voulons le faire rapidement. Comme le montre la sécheresse actuelle, le dérèglement climatique est déjà là. C’est maintenant qu’il faut agir.
Justement, qu’y aura-t-il sur la table du Conseil des ministres lundi ?
Les priorités ont été tracées par le président de la République : école, santé, transition écologique. Il y a aussi un sujet qui suscite l’inquiétude des Français : le pouvoir d’achat. Nous devons en tenir compte et être attentifs aux plus fragiles, qui peuvent être mis en difficulté par la hausse du prix des denrées alimentaires combinée à celle de l’énergie. Grâce aux mesures lancées par le précédent gouvernement, avec notamment le bouclier énergétique, nous sommes un des pays où l’inflation a été le plus contenue. Chez nos voisins, les prix du gaz et de l’électricité ont augmenté de 70 % voire 120 %. Je le redis, nous continuerons à agir. Le premier texte examiné par la nouvelle Assemblée nationale sera donc sur le pouvoir d’achat.
Que contiendra ce projet de loi de finances rectificatif ?
Différents types de mesures sont prévus : la prolongation du bouclier tarifaire et de la remise sur les prix du carburant, la création du chèque alimentation, la revalorisation des minima sociaux ainsi que des retraites sur l’inflation, le relèvement du point d’indice de la fonction publique, la suppression de la redevance audiovisuelle, le triplement de la prime Macron et une nouvelle baisse des charges pour les indépendants.
Les loyers vont-ils être gelés ?
J’ai deux principes : être attentive à toutes les idées mais se méfier des fausses bonnes idées ! Des retraités louent un bien dont ils sont propriétaires, et les loyers qu’ils perçoivent composent une partie de leurs revenus. Les geler, comme des associations le suggèrent, risque de les mettre en difficulté. Nous avons aussi besoin de construire des logements, et il ne faut pas assécher les sources de financement des bailleurs sociaux. Parallèlement, le gouvernement a pris des mesures pour soutenir les salariés au smic et bientôt pour les fonctionnaires. Pour éviter les décisions hâtives, des concertations vont s’engager avec Bruno Le Maire.
Ce sont des dépenses supplémentaires alors que la dette publique atteint 113 % du PIC. Comment éviter de creuser encore le déficit ?
Tous les pays européens sont confrontés aux mêmes difficultés. Protéger les plus fragiles, c’est indispensable. Nous avons fait le choix de prendre des mesures temporaires, jusqu’à ce que les cours de l’énergie reviennent à un niveau acceptable, et ciblées sur les plus en difficulté. Nous allons également continuer à agir pour soutenir la croissance, créer des emplois, ce qui est aussi un moyen d’assurer des recettes fiscales. Donc non : nous ne laissons pas filer le déficit.
Autre moyen de lutter contre l’endettement, le « travailler plus longtemps ». Y a-t-il vraiment urgence à réformer les retraites ?
C’est une réforme nécessaire. Ceux qui voudraient faire croire qu’elle n’est pas indispensable ne disent pas la vérité aux Français. Car l’enjeu, pour notre pays, est d’assurer la force de notre modèle social, de poursuivre le progrès social et d’investir, notamment dans la santé et l’éducation. Le président de la République a pris des engagements clairs : ni hausse d’impôts, ni augmentation de la dette. Or nous vivons de plus en plus longtemps, le rapport entre le nombre d’actifs et le nombre de retraités diminue… Si on veut préserver le système de retraite par répartition, auquel nos concitoyens sont attachés, il faudra progressivement travailler un peu plus longtemps. Mais c’est une mesure qui doit tenir compte des différences entre les parcours professionnels. Clairement, un salarié des abattoirs ou un carreleur n’ont pas eu les mêmes conditions de travail que vous et moi. La pénibilité et l’usure professionnelle feront donc partie des sujets abordés lors des concertations avec les partenaires sociaux, qui s’ouvriront après les législatives.
65 ans, est-ce le bon curseur ?
Ce n’est pas un totem, mais il faut assurer le financement de notre modèle social. Et annoncer aux Français qu’ils vont travailler moins, brandir la retraite à 60 ans, c’est leur mentir. C’est ce qu’a fait le RN pendant des années. C’est aussi une mesure que l’on retrouve dans le programme de la Nupes et qui n’est pas crédible. Les promesses façon « demain on rase gratis », les Français n’y croient pas. Moi, je ne leur mentirai pas.
Mais un Français sur deux liquide ses droits à retraite en étant au chômage ou inactif…
Le maintien dans l’emploi des seniors, le recul de l’âge de départ, la pénibilité… Toutes ces questions, nous les aborderons conjointement avec les partenaires sociaux. Les sujets des retraites et du travail sont totalement liés. Par le passé, les réformes des retraites ont conduit à augmenter le taux d’emploi des seniors. C’est pour cela que le choix a été fait de confier ce dossier au ministre du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion, Olivier Dussopt.
La crispation du pays sur ce sujet est forte. Ne redoutez-vous pas des conflits sociaux d’ampleur ?
Cette réforme, comme les autres, se fera dans le dialogue. Il faut que chacun mesure les enjeux : si on ne travaille pas plus longtemps, on devra consacrer davantage de nos ressources publiques à financer la retraite. Or nous refusons de creuser le déficit, de baisser les pensions ou d’augmenter les impôts. Au contraire, nous souhaitons revaloriser les retraites et créer une pension minimum à 1 100 euros. Pour financer ces mesures mais aussi dégager des moyens supplémentaires afin par exemple de permettre à nos aînés de bien vieillir chez eux, nous devons ouvrir ce débat avec les organisations syndicales et patronales. Il y a besoin de pédagogie et de dialogue. Réformer les retraites, c’est préserver des marges de manœuvre pour agir sur des politiques essentielles.
Qu’allez-vous conserver de la précédente réforme, inaboutie, sur la création d’un système universel ?
Ce bouleversement avait inquiété les Français, le Président l’avait bien senti. Nous continuons à viser un système plus juste, avec la fermeture des régimes spéciaux pour les nouveaux recrutés. Notre intention est de faire les choses de manière progressive et de rassurer les Français quant à l’évolution de leur niveau de retraite.
Comment faire face à la situation extrêmement tendue dans les services d’urgence à l’approche des congés d’été ?
Nous allons nous atteler à ce dossier prioritaire dès lundi avec la ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon. Les tensions sont fortes à l’hôpital et nous devons trouver des réponses rapidement pour que les Français puissent continuer à être soignés dans de bonnes conditions.
Concerter, c’est votre leitmotiv ?
Je suis profondément convaincue que les bonnes réformes se bâtissent dans le dialogue avec tous les acteurs et en proximité. Notre pays est fait de diversité. Les habitants de Vire ou d’Évrecy, dans le Calvados, où je suis candidate, n’ont pas forcément les mêmes préoccupations que les habitants de la région parisienne. Dans chaque territoire, il y a des acteurs qui peuvent participer à construire des réponses. Nous devons gérer le pays au plus près du terrain. C’est la promesse du président de la République. Ce sera notre méthode sur les deux chantiers prioritaires que sont la santé et l’éducation.
Quand vous étiez ministre du Travail, certains syndicats vous ont reproché d’écouter mais pas d’entendre…
J’ai bâti la loi d’orientation des mobilités en concertation avec tous les acteurs concernés, élus, associations, partenaires sociaux… Certes nous avons eu des désaccords sur la réforme de l’assurance chômage. Mais les organisations syndicales et patronales se souviennent des débats sur le passe sanitaire en entreprise : elles étaient contre, et nous ne l’avons pas mis en œuvre. Ce n’est pas de la concertation pour la concertation, mais pour tenir compte du point de vue des uns et des autres afin de bâtir ensemble des solutions.
Souhaitez-vous entamer une réforme du grand âge, comme le président de la République s’y était engagé lors de son premier quinquennat ?
Des mesures ont été prises durant le précédent quinquennat, avec notamment la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale. Dans son programme, l’ambition d’Emmanuel Macron est de permettre à nos aînés de bien vieillir chez eux. Nous allons donc travailler à un meilleur accompagnement à domicile, ce qui suppose de revaloriser les métiers et de mieux former les personnels, de proposer des aides pour adapter les lieux de vie… à travers le projet d’une Prime Adapt’. Le tout – et vous allez dire que je me répète – en concertation avec les acteurs concernés.
Tout cela fait beaucoup de priorités prioritaires, non ?
La vie de notre pays est faite de beaucoup de sujets qu’il faut traiter avec détermination, quand ils sont urgents. Il faut en même temps porter des visions de long terme sur les grands défis qui sont devant nous, c’est l’objet notamment de la planification écologique.
Les signaux de ralentissement de la croissance vous inquiètent-ils ?
La guerre en Ukraine suscite l’inquiétude des Français et des Européens, elle a des conséquences sur la consommation. La désorganisation d’un certain nombre de chaînes d’approvisionnement est aussi un point de vigilance. Dans les prochaines semaines, nous devrons continuer à protéger au mieux notre pays des conséquences de la guerre. Comment ? En gardant le cap de la protection de notre économie et de notre réindustrialisation pour préparer l’avenir et en restant agiles, comme nous l’avons été pendant le Covid. Deux ministres ont, dans l’intitulé de leur fonction, le terme « souveraineté ». C’est très important.
Comment allez-vous mener votre première campagne électorale, pour les législatives, dans la circonscription du Calvados ?
Je serai sur le terrain et je suis mobilisée pour gagner.
N’appréhendez-vous pas de vous mesurer pour la première fois au suffrage universel ?
J’aime aller à la rencontre des Français. Lors de mes déplacements, je reçois souvent un accueil chaleureux, parfois plus réservé, voire agacé ou en colère. C’est extrêmement important de prendre le temps de parler. Il peut y avoir des malentendus, des aspects de notre politique qui ne sont pas connus ou compris. D’où l’intérêt de ces temps d’échange. Il faut aller au plus près des Français pour être à leur écoute, casser l’idée que les ministres seraient lointains et ne s’intéresseraient pas à leurs problèmes quotidiens.
Les Français vous connaissent peu. Comment vous décririez-vous ?
Je suis peut-être le prototype de la méritocratie républicaine. C’est quelque chose qui me tient à cœur. J’ai eu une enfance assez compliquée. Si la République n’avait pas été à mes côtés, je ne serais certainement pas ici. J’ai pu poursuivre mes études parce que j’étais pupille de la nation, j’ai pu intégrer une école dans laquelle on est rémunéré, Polytechnique… Notre pays a su m’apporter beaucoup, je considère donc que je lui dois beaucoup.