Politique-Corse et autonomie : une promesse électoraliste ?
Le gouvernement a fait savoir qu’il était disposé à envisager « l’autonomie » de l’île, une position contraire à la fermeté affichée jusque-là par Emmanuel Macron. Ce changement, en pleine campagne électorale et après des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre, accrédite l’idée dangereuse que la violence paie explique un papier du « Monde ».
Dépêché en Corse pour tenter de ramener le calme après deux semaines de manifestations et de violents affrontements avec les forces de l’ordre, Gérald Darmanin n’a pas cherché à finasser. Dans un entretien à Corse-Matin, paru mercredi 16 mars, au premier jour de son déplacement dans l’île, le ministre de l’intérieur a évoqué une piste qu’aucun gouvernement n’avait jusqu’à présent voulu mettre sur la table : « Nous sommes prêts à aller jusqu’à l’autonomie », a-t-il promis tout en faisant du retour au calme une condition sine qua non.
Ce geste d’ouverture, fait en pleine campagne présidentielle, n’a pas soulevé, sur le fond, de tollé. L’extrême droite a martelé que la Corse devait « rester française », mais la candidate Les Républicains Valérie Pécresse n’a pas fermé la porte à une évolution statutaire pourvu que l’autonomie se fasse « dans le cadre de la République ». La plupart des candidats de gauche s’y sont également montrés favorables.
Sur ce dossier épineux, le problème ne réside pas dans la proposition formulée par le gouvernement mais dans la volte-face opérée par Emmanuel Macron et dans le moment où elle intervient. Pendant cinq ans, le président de la République a en effet fermé la porte à toutes les demandes politiques formulées par les dirigeants de l’île. La tension a connu son point culminant lors de son premier déplacement sur le territoire, en février 2018. Le chef de l’Etat a opposé une fin de non-recevoir à l’autonomiste Gilles Simeoni et à l’indépendantiste Jean-Guy Talamoni, qui se partageaient alors le pouvoir et qui lui demandaient de reconnaître le « caractère politique de la question corse ». Perçu comme une humiliation, le ton présidentiel a douché toutes les attentes.
Une concession majeure
En juin 2021, la confortable réélection de Gilles Simeoni à la tête de la Collectivité de Corse aurait pu être l’occasion d’un nouveau départ. Débarrassé de son alliance parfois encombrante avec Jean-Guy Talamoni, affranchi du carcan des équilibres entre les différentes fractions nationalistes, l’autonomiste a cette fois cherché des alliés, notamment auprès de Régions de France, désormais favorable à l’élaboration d’un statut d’autonomie pour l’île. Un déplacement du premier ministre a été envisagé, mais rien n’est venu parce que la crise sanitaire a de nouveau frappé et parce que l’Elysée n’était, au fond, pas convaincu.
Le revirement opéré intervient au pire moment : l’Etat est mis en accusation parce qu’il n’a pas su protéger Yvan Colonna, qui purgeait à la maison centrale d’Arles une peine de prison à perpétuité pour avoir participé à l’assassinat du préfet Erignac en 1998. La sauvage agression dont a été victime le nationaliste par un codétenu particulièrement dangereux a déclenché un nouveau cycle de violence sur l’île que le gouvernement tente à présent d’éteindre en faisant une concession majeure avant même l’ouverture de toute discussion. Non seulement le chef de l’Etat donne l’impression de jeter aux orties ses convictions pour sauver sa campagne, mais il laisse penser que, pour débloquer des dossiers compliqués, deux semaines de manifestations musclées valent mieux que cinq années de travail des élus.
La crise des « gilets jaunes » avait déjà commencé à accréditer cette idée que la violence paie. Le dossier corse la renforce, avec qui plus est un sérieux risque de surenchère entre les différents courants nationalistes qui s’étaient mis en sommeil. Cela s’appelle jouer avec le feu.
Le Monde