Économiser, consommer ou investir ?
Christian Staub, managing director Rurope de Fidelity International s’interroge sur le choix des épargnants dans l’Opinion
En ces temps difficiles, épargner constitue une réaction humaine tout à fait normale. Et rares sont les années qui ont été aussi marquées par l’incertitude que la dernière. Face à la crise du coronavirus, les Européens ont, ainsi sans surprise, réagi en mettant davantage d’argent de côté. En conséquence, le taux d’épargne des ménages a augmenté, selon Eurostat, de plus de 17 % au troisième trimestre 2020 pour atteindre le deuxième niveau le plus élevé observé depuis 1999, l’année où ces données ont commencé à être suivies.
Toutefois, les épargnants sont extrêmement réticents à l’idée de flécher leurs économies placées sur leurs comptes épargne vers des comptes de placement. Les données d’Eurostat montrent également que, dans le même temps, le taux d’investissement – compris entre 8 et 9 % – est resté quasiment inchangé depuis 2012. En outre, il n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant la crise financière de 2008, taux alors supérieur à 11 %.
Ces chiffres peuvent être interprétés de différentes manières, néanmoins, un élément ressort clairement : il s’agit des coûts d’opportunité. L’argent économisé sur un compte bancaire, qui ne sert presque pas d’intérêts, ne contribue ni à la reprise économique ni à faire fructifier un capital en vue de la retraite.
Si l’on additionne ces chiffres pour de nombreux ménages et sur de nombreuses années, le montant qui en résulte est colossal. Selon l’EFAMA (European Fund and Asset Management Association), la richesse des ménages européens serait supérieure d’environ 1 200 milliards d’euros s’ils avaient réduit leurs dépôts bancaires entre 2008 et 2019 et investi plutôt en bourse, sur les marchés actions et obligataires.
C’est ainsi qu’au sortir de cette pandémie, les responsables politiques se trouvent confrontés à une mission difficile : les entreprises, et dans une certaine mesure les ministres des finances, ont tout intérêt à ce que cette épargne soit réinjectée dans l’économie par le biais de la consommation.
Mais se concentrer uniquement sur la consommation à court terme comme un pilier de la reprise économique, cela équivaut à ne pas saisir une occasion inégalée d’inciter les investisseurs particuliers à participer aux marchés des capitaux de l’Union européenne. Car l’épargne pourrait très bien être orientée vers une perspective de prospérité à long terme, négligée sur les dix dernières années.
Nous avons besoin d’une reprise fondée sur les investissements au moins autant que d’une relance par la consommation.
C’est pourquoi nous saluons l’initiative lancée dans le cadre de l’Union des Marchés de Capitaux, qui encourage la participation des investisseurs particuliers aux marchés par l’intermédiaire de différents programmes, tel que le produit paneuropéen d’épargne-retraite individuelle (PEPP), un tableau de bord Retraite et un rapprochement des normes de publication d’informations. Nous accueillons favorablement également la révision imminente des directives MiFID (et DDA) concernant la distribution de fonds.
Cependant, dans un monde post-crise, une réponse rapide est nécessaire, en tirant parti des aspects positifs du comportement des consommateurs résultant de la pandémie – avec une inflexion digitale sur tout le continent. En effet, les outils en ligne de prévoyance et de planification financière, basés sur des normes d’architecture ouverte et qui contribuent à l’inclusion financière, devraient être une pierre angulaire de la politique future.
Promouvoir un système financier sain. Les outils de planification financière sont doublement bénéfiques s’agissant de la participation des investisseurs particuliers aux marchés des capitaux : ils accroissent à long terme le nombre de particuliers sur les marchés tout en encourageant les placements stratégiques plutôt que la spéculation à court terme.
Cela s’avère particulièrement important à une époque qui voit se multiplier des mouvements spéculatifs se multiplier, impliquant des particuliers qui ont trouvé dans la Bourse un jeu. L’instinct d’épargne peut rapidement s’altérer et se transformer en un désir accru de prise de risques à mesure que les incertitudes s’éloignent.
C’est pourquoi nous devons tout faire le plus rapidement possible pour intégrer les investisseurs particuliers en devenir, restaurer la confiance des citoyens dans les marchés de capitaux et y encourager leur participation. Faute de quoi, nous risquons de traverser une nouvelle décennie avec un taux d’investissement atone.
Christian Staub est managing director Europe de Fidelity International.
Finances publiques : comment économiser des milliards d’euros »
En 2025 d’après le projet de lois de finance, les besoins de financement de l’État sont de 306,7 milliards d’euros. Avec des notations financières qui se dégradent, une politique monétaire qui expose la France à des taux plus élevés, ne faut-il pas repenser le paradigme de nos finances publiques ? Par Gabriel Gaspard, Chef d’entreprise à la retraite, spécialiste en économie financière.( Dans La Tribune)
Depuis la promulgation par le Président G. Pompidou de la loi n°73-7 du 3 janvier 1973, l’État français ne peut plus emprunter à sa propre Banque Nationale. Cette dette est passée de 15% du PIB en 1974 à 110,6% du PIB fin 2023 (3 101,2 milliards d’euros). À la fin du deuxième trimestre 2024, la dette publique s’établit à 3 228,4 milliards d’euros d’après l’INSEE, soit 112% du PIB. Le gouvernement retient 109,7% pour 2024.
Bien que ce soit principalement les sociétés de gestion, les banques et les fonds d’investissement qui vont acheter des OAT français, il est techniquement possible pour un particulier d’acheter des OAT sur le marché secondaire via un courtier. Il est inutile de préciser que la fiscalité des valeurs du trésor est un labyrinthe inaccessible aux PME ainsi qu’aux ménages français.
Le rapport de loi de finances pour 2025 (n° 324) indique que :
En effet, le taux de rendement de l’obligation – France 10 ans est au 10 janvier 2025 à 3,41% et la prime de risque frôle les 90 points. Le taux moyen pondéré sur 2024 est de 2,91%, l’encours de la dette négociable de l’État au 30 novembre 2024 atteint 2 605,20 milliards d’euros. Le mouvement s’inscrit dans un contexte de remontée des taux. Les principales raisons pour cette envolée des taux d’intérêt : la nouvelle politique financière des États-Unis avec une prévision de forte inflation, un dollar qui décolle face à l’euro, la Banque centrale européenne BCE en retard dans la politique monétaire et son arrêt de rachat des dettes des États membres au 1er janvier 2025.
En ce qui concerne les OATi et OATei la hausse en 2022 du coût pour l’État et donc pour le contribuable est de 414%.
D’après le projet du budget 2025, avec une dette publique avoisinant les 3 228 milliards d’euros et une charge d’intérêts prévue autour de 55 milliards, le taux moyen s’établit à environ 1,83%. Si on considère que l’inflation prévue en 2025 est estimée à 1,5%, le taux d’intérêt réel moyen corrigé de l’inflation devient 0,33%. Ce taux réel n’est plus négatif comme certaines années précédentes. En 2025, en empruntant 306,7 milliards à un taux moyen de 3,5% au lieu de 2,91%, la charge d’intérêts réelle supplémentaire sera d’environ 11 milliards d’euros. En plus avec la nouvelle pression de la BCE, la France doit trouver des investisseurs privés pour acquérir le montant record de 306,7 milliards d’euros dont plus de 58% seraient des étrangers.
Avec des taux d’intérêt qui remontent pour l’État, c’est une très mauvaise nouvelle pour la croissance. Plusieurs économistes proposent d’utiliser l’épargne des ménages pour contribuer au financement de l’investissement de l’État, des administrations publiques et des entreprises.
Les Français adorent épargner et adorent les Livrets réglementés. Le plus connu des livrets réglementés est le Livret A (anciennement Livret de Caisse d’Épargne). Il a été créé le 22 mai 1818, à la fin des guerres napoléoniennes, à l’initiative de Benjamin Delessert, industriel et banquier. Dès son origine la Caisse d’Épargne avait pour mission d’être au service des plus démunis. En 1837, les Caisses d’Épargne confient la gestion des fonds du Livret A à la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Mais le Livret A n’est pas parvenu à protéger l’épargne des ménages face à l’inflation pendant 205 ans.
En 2017, le taux du Livret A est gelé à 0.75% jusqu’en janvier 2020. Une mauvaise nouvelle pour les petits épargnants, car l’inflation en 2017 a atteint 1%, en 2018 1,8% et en 2019 1,1%. Il a atteint son taux le plus bas à 0,5% en février 2020, à la veille de la crise de la Covid-19. La formule de calcul du taux a été changée le 14 juin 2018 et mise à jour par l’arrêté du 27 janvier 2021.
Début 2023, le taux du Livret A était à 2%, il sera à un taux de 3% au 1er février 2023 avec une inflation de 4,9%. Encore une très mauvaise nouvelle pour les épargnants qui seront rémunérés à un taux réel de -1,9% par rapport à l’inflation. Le taux passera à 2,4% au 15 février 2025. De nouveau c’est une mauvaise nouvelle pour les épargnants et une bonne nouvelle pour les Banques. Les banques ont prêté aux PME en 2024 à un taux supérieur à 4% (4,67% en septembre 2024).
Dans le sillage du Livret A, on trouve le Livret de développement durable et solidaire (LDDS) et le Livret jeune qui seront également rémunérés à 2,4% au 1er février 2025. Le Livret d’Épargne populaire (LEP) avec un nouveau taux à 3,5% est réservé aux ménages les plus modestes. Le taux du plan épargne logement tombe à 1,75%, etc.
Avant 2009, le Livret A n’était disponible que dans trois établissements bancaires. Il a servi à financer le logement social et la politique de la ville. Les montants collectés étaient centralisés à 100% à la Caisse des dépôts et des consignations (CDC). En échange, ces banques recevaient une commission qui était en 2008 de 1,12% en moyenne. La loi de Modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008 a modifié les règles régissant la collecte et la centralisation des fonds du livret A. Les fonds seront collectés par toutes les banques qui centralisent une partie dans le fonds d’épargne de la CDC, une autre partie sera utilisée pour prêter aux PME. La CDC va utiliser uniquement une partie de cette épargne pour le logement social et la politique de la ville, etc. L’autre partie sera placée en actifs financiers.
Ceci peut expliquer aujourd’hui le manque de logements sociaux, etc. Pour l’ancien directeur de la CDC et actuel ministre de l’Économie et des Finances :
L’épargne privée est énorme et l’investissement est faible, ce qui implique une faiblesse chronique de la demande et un recours massif à l’emprunt d’État. Deux propositions peuvent être mises en place rapidement pour réduire l’endettement extérieur de la France.
La première, comme avant 1990, le gouvernement actuel doit permettre l’émission des bons du Trésor à court et moyen terme (1 à 5 ans) à un taux fixe et intérêts annuels avantageux, renouvelables, gérés par le Trésor public. Leurs revenus devraient être exonérés de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux et garantis par l’Europe.
La seconde, une meilleure affectation de l’épargne actuelle comme le Plan d’Épargne Logement PEL. Le PEL n’a plus de sens, il faut le remplacer. Le PEL est un produit financier proposé par des établissements bancaires ou des institutions financières sous la réglementation en vigueur en France. L’argent placé sur l’ensemble des plans d’épargne logement est donc prêté à ceux qui souhaitent bénéficier d’un prêt immobilier ou pas suivant les critères des banques émettrices des crédits. Depuis plus de 30 ans, le taux d’épargne du PEL n’a cessé de diminuer… Le taux du PEL au 1er janvier 2025 tombe à 1,75%, son montant maximal est de 61 200 euros. Depuis 2018, les intérêts perçus du PEL sont soumis à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux (FLAT TAX de 30%), ce qui donne un taux réel (déduction faite du taux de l’inflation) à – 0,27%. Le PEL est bloqué pendant 4 ans. Le montant du prêt ne peut dépasser 92 000 euros et le taux de prêt est fixé à 2,95%. II faut comparer ce taux au meilleur taux au 1er janvier 2025 de 3,2%, avec la BCE qui anticipe une politique moins restrictive.
L’encours du PEL au 31 décembre 2023 représente 253 milliards d’euros. Une somme très importante, les Français doivent pouvoir sortir de leur PEL sans pénalités et les transférer à de nouveaux livrets réglementés.
Dans une période de faible croissance, il est préférable pour l’État de disposer d’argent nécessaire pour investir ; sans emprunter sur le marché financier ; sans créer de la monnaie additionnelle, mais diminuer plutôt la quantité de liquidité pour lutter contre l’augmentation des prix. Avec la BCE qui ne rachète plus massivement sur les marchés la dette de la France dans le cadre de sa politique d’assouplissement quantitatif, il est préférable que la dette de la France soit détenue en majorité par les Français. Dans ce cas, la France peut faire appel au surplus des dépôts à vue des Français et à une grande partie de l’encours du PEL. La rémunération doit être très attractive (par exemple 2,91%, le taux pondéré moyen 2024 des OAT), exonérée d’impôts et des prélèvements sociaux. Ainsi les Français seront attirés à investir dans des activités fortement créatrices d’emplois, hautement productives et plus respectueuses de l’environnement. Les rémunérations des livrets seront payées par l’État avec une commission de 0,20% pour des caisses de crédit publiques.
Avec ces livrets, l’État doit mieux investir au service de la croissance et la réduction du déficit. Avec une croissance plus élevée, l’État pourra réduire sa dette et les prélèvements obligatoires et augmenter ses dépenses. Il n’y aura plus de discussion autour de la retraite et de la santé. Les Français n’auront plus le sentiment de baisse du pouvoir d’achat et l’impression de léguer à leurs enfants une charge qui pourra obérer leur niveau de vie. Les Français pourront consommer plus.
À titre d’exemple, pour un investissement de 1% du PIB soit 285 milliards d’euros (PIB 2024 estimé à 2 853 milliards d’euros) le multiplicateur budgétaire est évalué à 1% sur 1 an (OFCE). Le PIB sera dynamisé de 285 milliards d’euros. Dans une économie comme la France, caractérisée par une pression fiscale de 43,2%, la recette fiscale additionnelle serait de 123,12 milliards d’euros en 2025.
Les recettes fiscales totales en 2025 seraient de 125,82 milliards d’euros (123,12 milliards d’euros + 11 milliards d’euros – 8,30 milliards d’euros rémunération versée) à comparer au total des charges budgétaires des dettes en 2024 et 2025 de 104,8 milliards d’euros.