Technologies « écologiques » : manque d’investissements
80 % ! Telle est la part des investissements industriels mondiaux réalisés en Asie et en Amérique en 2023. Loin derrière, notre vieux continent ne pèse que pour 6 %, en dépit de ses ambitions pour accoucher d’une « croissance verte ». La France a arrêté un plan d’investissement de 11 milliards par an pendant cinq ans, France 2030, destiné à « accélérer la transformation des secteurs clés de notre économie » et à se positionner « en leader du monde de demain ». À titre de comparaison, la Corée du Sud s’apprête à investir 12 milliards par an pendant vingt ans sur le seul cluster industriel des semi-conducteurs ! Certes, France 2030 ne résume pas l’ensemble des investissements innovants accomplis en France et l’Europe n’est pas restée inactive, mais la course technologique se joue puissance contre puissance ; et à la fin, c’est l’Asie ou l’Amérique qui gagne.
Cette concurrence mortifère est particulièrement âpre pour des industries directement liées aux enjeux de la transition écologique. Comment y faire face ? Tout d’abord, être au meilleur niveau technologique : autrement dit, accentuer le soutien à l’effort de recherche et d’innovation. À cet égard, le CIR joue en France un rôle essentiel. Le programme France 2030 cible avec raison certaines des technologies les plus sensibles à l’avenir pour notre industrie. Il faudrait aller plus loin et porter l’effort national de recherche de 2,2 % à 3 % du PIB, objectif fixé il y a plus de vingt ans à Lisbonne et que dépassent les États-Unis, la Corée, le Japon, ou l’Allemagne.
Le deuxième impératif est celui de la compétitivité de l’appareil industriel. Les industries liées à la transition énergétique reçoivent aux États-Unis un soutien massif avec l’IRA. La Chine assure de facto la quasi-exclusivité de son immense marché et de ses programmes étatiques à son industrie domestique, à qui elle offre ainsi une rampe de lancement à son offensive mondiale. On l’a vu pour le photovoltaïque ; l’histoire risque de se reproduire pour les éoliennes ou les batteries automobiles. L’Europe ne peut pas rester inerte. La France est à l’origine des Projets importants d’intérêt européen commun (PIEEC) qui ont par exemple porté les premières usines de batteries européennes. La Commission a heureusement assoupli sa position sur les aides d’État, comme le montre sa récente autorisation de la subvention allemande de 740 millions d’euros, au profit du suédois Northvolt, pour éviter que ce dernier n’implante son usine de batteries aux États-Unis. Pourrait-on imaginer que l’Europe, comme elle l’a fait pour le Covid, mobilise sur son crédit des financements permettant à l’industrie européenne de faire sa mutation vers un monde décarboné en restant compétitive ?
Face aux protectionnismes, oser la riposte
Mais une question se pose : la Chine n’est pas un marché ouvert et les États-Unis développent des politiques ouvertement protectionnistes : quelle peut être la réponse de l’Europe ? À tout le moins, deux ripostes sont possibles, sans remettre en cause le principe d’ouverture des frontières. La première, c’est la prise en compte du contenu carbone des produits importés. Le système d’ajustement carbone aux frontières récemment mis en place ne résout que très partiellement la question et présente même des risques car il peut peser sur la compétitivité des productions européennes. La mesure mise en œuvre en France conditionnant le bonus à l’achat des véhicules électriques au respect d’un seuil de contenu carbone, elle, est au contraire exemplaire, même si elle est ponctuelle.
La deuxième riposte, c’est l’application, concrète et stricte, du principe de réciprocité lorsque l’industrie européenne se heurte pour exporter à un protectionnisme direct ou indirect. L’Europe reconnaît le principe de réciprocité, mais elle a été jusqu’à présent frileuse dans sa mise en œuvre, craignant des rétorsions. La situation de concurrence sur certaines industries justifierait de l’activer plus franchement.
Enfin, faut-il exclure, sur des industries non encore stabilisées et sur des marchés nouveaux adossés à des politiques publiques et liés à la transition écologique, des mesures européennes de limitation temporaire des importations ? Il s’agit de permettre à nos industries naissantes ou adolescentes de gagner en maturité sans être, dès le départ, submergées par une concurrence extérieure qui s’appuie elle-même sur des marchés de fait protégés. La question peut se poser à brève échéance pour les éoliennes ou les batteries d’origine chinoise. Le précédent du photovoltaïque doit nous conduire au moins à ne pas l’éluder.
____
(*) Louis Gallois : Diplômé de l’Ecole des hautes études commerciales et de l’Ecole nationale d’administration (promotion Charles de Gaulle), après une carrière dans l’administration publique, il devient successivement PDG de la Snecma (1989), d’Aérospatiale (1992), président de la SNCF (1996), et président exécutif d’EADS N.V. (2007), président du conseil de surveillance de PSA (2014-2021). Il est co-président de La Fabrique de l’industrie depuis sa création en 2011.
Pierre-André de Chalendar : Diplômé de l’ESSEC et ancien élève de l’Ecole Nationale d’Administration, ancien Inspecteur des Finances, il est, depuis juillet 2021, Président du Conseil d’administration de la Compagnie de Saint-Gobain. Pierre-André de Chalendar est par ailleurs administrateur de BNP Paribas et de Veolia ainsi que et Vice-Président d’Entreprises pour l’Environnement, qu’il présida de 2012 à 2015. Depuis juillet 2017 il est co-président de La Fabrique de l’industrie et Président du Conseil de surveillance de l’ESSEC depuis février 2019.