Mondialisation : une nouvelle phase entre autarcie et échanges
Le monde semble être entré, depuis deux ans, dans une ère de grande instabilité, avec des répercussions profondes sur les échanges internationaux. Est-ce la fin du modèle de mondialisation rationalisé sur lequel les sociétés modernes se sont construites ? Par Sébastien Lefebure, Directeur général Europe du Sud de Manhattan Associates ( la Tribune)
En mars dernier, le patron du plus grand gestionnaire d’actifs du monde – BlackRock – annonçait dans une lettre à ses actionnaires « la fin de la mondialisation que nous avons connue au cours des trois dernières décennies ». En cause, le conflit en Ukraine qui est brutalement venu bouleverser l’ordre mondial qui prédominait depuis les années 1990 et, avec lui, certains liens commerciaux qui existaient entre de nombreuses nations.
Cette annonce de Larry Fink intervenait deux ans, quasiment jour pour jour, après le début d’une autre crise majeure ayant mis le monde à rude épreuve, et ayant elle aussi remis profondément en question le modèle de mondialisation en place.
Le dénominateur commun ? La prise de conscience soudaine du risque inhérent à la dépendance. Dépendance énergétique, dépendance alimentaire, dépendance sanitaire, dépendance économique… Le monde expérimente à ses dépens les failles d’un système qui, bien que vertueux à de multiples égards, repose malgré tout sur un fragile équilibre.
Sécuriser est devenu le mot d’ordre, dans un environnement d’une immense complexité. Si certains plébiscitent, à juste titre, la nécessité de relocaliser et de privilégier les circuits courts, il ne s’agit pas pour autant de passer d’un extrême à l’autre. Le protectionnisme et l’autarcie ne sont probablement pas des réponses viables. C’est un nouvel équilibre qu’il faut mettre en place. Et c’est ce qui est en train de se passer.
En à peine deux ans, c’est-à-dire une milliseconde à l’échelle de l’histoire récente du commerce international, la plupart des entreprises se sont réorganisées pour sécuriser la production, les approvisionnements et, tant bien que mal, les coûts. Un véritable tour de force organisationnel et logistique dont les consommateurs ne mesurent toujours l’intensité.
Plus que la capacité à s’adapter, c’est peut-être la rapidité avec laquelle cette adaptation s’opère qui est une prouesse. Combien d’années, voire de décennies aurait-il fallu aux entreprises de la fin du siècle dernier pour réorganiser leur mode de fonctionnement dans un contexte de crise mondiale similaire ? Cela aurait-il simplement été possible sans les systèmes connectés et la numérisation des processus ?
En tout état de cause, il y a aura un avant et un après 2020. Cette décennie est celle de l’accélération d’un basculement que l’on croyait bien plus long à mettre en œuvre.
Ce serait une erreur de penser que les symptômes actuels (pénuries, inflation, …) sont de simples accidents conjoncturels. La mondialisation des Supply Chains et l’augmentation des risques (politiques, diplomatiques, technologiques, cyber, …) créent une complexité, une fragilité et une incertitude dont ils sont le résultat. Et face auxquelles il est devenu vital de s’adapter extrêmement vite.
La mondialisation rationalisée telle que nous la connaissons, avec des flux bien en place et massifiés, ne fait pas que trembler sur ses bases depuis deux ans. Les crises à répétition sont en train de faire voler ce modèle en éclats. Mais c’est un mal nécessaire dont il faut se saisir pour mettre en place le modèle de demain. Un modèle à la fois plus hybride, plus durable et plus protecteur.
Ce n’est pas la fin d’un modèle, c’est le début d’une nouvelle phase de son évolution.