Aide à domicile : la grand misère sociale
Une enquête témoignage de France info qui rend bien compte de la misère sociale du concept d’aide à domicile avec les souffrances des personnes aidées mais aussi les conditions de travail lamentables des assistantes de vie, condamnées à travailler à toute heure, tous les jours dans un temps de plus en plus contraint. Des assistante de vie dont on calcule le temps de travail à la minute prés et dont les trajets et les pertes temps ne sont pas pris en compte. En plus avec la crise économique les patients ont tendance à réduire le temps intervention. Du coup l’assistante de vie disposée 15 minutes par ci, 15 minutes ailleurs. Parfois revenir à midi, aussi le soir ; Quand on fait les comptes, les assistantes de vie sont de très bonnes cliente pour l’industrie automobile. En quelques années elles bousillent uen voiture. L’enquête reportage de France info (qui reste pudique et névole pas l nettoyage des personnes qui ne maitrisent lus leurs besoins naturels !) « . Comme, paulette atteinte Alzheimer » tous les matins, hors dimanches et fêtes, reçoit la visite d’une aide à domicile pour l’accompagner dans sa toilette. Le renfort de Laura Léon est bienvenu pour le mari de 84 ans, écrasé par la peine et un brin dépassé par les événements. »On accepte parfois mieux l’aide d’autrui, souligne-t-il. Quand c’est moi qui lui dis qu’elle a mis son maillot à l’envers, elle fait que rouspéter… »
Chaque jour, en France, des centaines de milliers de personnes dépendantes bénéficient de l’assistance de professionnels de l’aide à domicile. Ce secteur, d’une importance cruciale dans un pays vieillissant, est sous tension. « Les difficultés de recrutement sont considérables, les conditions de travail difficiles, l’absentéisme très élevé et les accidents du travail record », alerte le rapport de la « concertation grand âge et autonomie » rendu à la ministre de la Santé, fin mars, en vue d’une réforme à la fin de l’année. « Mais l’aide à domicile, c’est aussi un très beau métier », insiste Laura Léon, que nous avons suivie pendant une journée dans le secteur de La Ferté-Bernard.
Officiellement, l’intervention chez les Piédalu, programmée de 8 heures à 8h30, consiste en trois tâches : un change, une aide à la toilette et une aide à l’habillage. Laura Léon ne s’arrête pas à ce programme. « On est là pour aider des personnes, pas pour accomplir des tâches », résume-t-elle d’une voix décidée. Dans l’intimité de la salle de bains, la jeune femme de 31 ans, soigneusement maquillée, stimule son aînée, l’implique dans sa toilette, lui demande de se laver elle-même le visage. Maintenir un rapport au corps, plutôt que déposséder et infantiliser.
Si je fais tout à la place des gens, c’est plus facile et je gagne dix minutes. Mais je ne suis pas là pour ça. Laura Léon, aide à domicile à franceinfo
Après une formation de dix mois, Laura Léon a obtenu son diplôme d’Etat d’auxiliaire de vie sociale en 2014. Elle en a gardé »des valeurs » et un jargon. Quand elle aide Paulette Piédalu à enfiler son pull, elle fait « de l’éducation à l’habillage ». Quand elle discute avec elle, elle « relationne ». Elle a aussi un faible pour la »communication non verbale », qui lui permet de « relationnel » avec les personnes privées de la parole.
Pendant la toilette, l’aide à domicile questionne la retraitée sur le jour de la semaine et prend des nouvelles de sa famille. « En faisant ça, je teste sa mémoire et je mesure son intérêt pour ses proches. » De retour dans la cuisine, la discussion s’oriente sur les peurs de la septuagénaire, persuadée que cette maison, qu’elle occupe depuis 24 ans, n’est pas la sienne. Il faut rassurer, ne pas brusquer. Parfois, rien ne sert de raccrocher à une réalité devenue trop angoissante.
Régulièrement aux prises avec Alzheimer, Laura Léon garde le souvenir d’une autre femme, en pleurs, qui l’avait un jour conduite dans sa chambre. « Elle me montre une gaufre, qu’elle a posée devant un homme en photo dans un magazine. Cette femme, pleine d’amour, pleure parce qu’il ne mange pas la gaufre. La confronter au réel serait trop violent. J’entre dans son jeu, en lui disant d’attendre un peu. En plus, l’homme de la photo sourit, il est content de cette attention. Rassurée, elle accepte d’aller s’habiller. J’en profite pour enlever la gaufre ; elle n’y prêtera plus attention. »
En apparence, l’ambiance est plus légère chez Marcel Patault. Cet habitant de Cherré, amateur de chasse et de pêche, accueille Laura Léon avec un beau sourire et un fond d’accordéon. « On prend un café ? » lance-t-il. « Pas question de changer nos habitudes ! » répond-elle, pour le plus grand plaisir de son hôte. Chaque semaine, l’ancien cultivateur de 87 ans fait appel à l’association ADMR de La Ferté-Bernard pour deux heures de ménage, prises en charge à 50%, qui lui coûtent 123 euros par mois.
« L’entretien ménager aide à prévenir les maladies », avance Laura Léon, en ajustant ses lunettes violettes. Marcel Patault, lui, y voit surtout un remède à la solitude. Ce n’est pas le vrombissement de l’aspirateur qui va l’empêcher de papoter. Sous son pull à col en V et sa chemise boutonnée jusqu’en haut se cache un « grand émotif », selon l’auxiliaire de vie sociale.
Le jovial octogénaire fond en larmes à l’évocation de sa femme de 86 ans, qui souffre de la maladie de Parkinson. La maison de retraite où elle vit depuis deux ans coûte 2 124 euros par mois, bien plus que la pension de 1 600 euros que se partage le couple. « Je suis en train de bouffer la cabane », se désespère le mari. Il dit avoir fini de puiser dans les économies de son épouse et n’avoir que de quoi « tenir deux ans et demi » avec les siennes. En mimant de se trancher la gorge, il prévient :
Moi, il ne faut pas m’enfermer en maison de retraite, plutôt avaler mon bulletin de naissance ! Marcel Patault, retraitéà franceinfo
Durant sa formation, Laura Léon a passé un mois et demi dans une maison de retraite. « C’était du travail à la chaîne, chronométré, se souvient-elle. On entrait dans la chambre pour la toilette, on ouvrait les volets, la personne n’avait pas le temps de se réveiller, il n’y avait pas d’attention au bien-être. »Elle a trouvé son compte dans le secteur de l’aide à domicile, qui permet « plus d’écoute et de participation ».
Ces deux dernières années, la Sarthoise à la frange brune a pourtant connu des conditions de travail « horribles », avec des heures supplémentaires à la pelle, faute de personnel. « Ce n’était plus un plaisir, cela devenait éreintant, décrit-elle. On perdait en patience chez les gens, on devenait irritable. » Il y a quelques semaines, une embauche et le retour d’arrêt maladie d’une collègue ont permis de retrouver un rythme plus supportable. Ses journées s’étendent généralement de 8 heures à 19h15, avec un week-end travaillé sur deux.
Aide à domicile 24 h/24
Ce vendredi, le planning de Laura Léon prévoit une pause déjeuner de près de trois heures. L’occasion de se ressourcer à la maison ? Plus ou moins. Dans l’appartement qu’elle loue près de la gare de La Ferté-Bernard, l’aide à domicile retrouve son mari, Christopher. Cet ami d’enfance, qu’elle a épousé en 2012, est devenu chauffeur de car. Mais depuis qu’on lui a diagnostiqué des troubles bipolaires en 2017, il ne travaille plus.
Tout en préparant des pâtes au poulet et aux champignons, la tonique trentenaire aux cheveux bouclés s’enquiert du rendez-vous chez le psychologue de son époux, prévu l’après-midi. Epuisé, il ne s’y rendra pas et restera au lit. « Cette maladie est notamment marquée par des phases de fatigue intense, avec des angoisses et un repli sur soi », explique Laura Léon.
Chez elle, l’auxiliaire de vie sociale retrouve des problématiques connues.« Avec la maladie, les gens se renferment, ils développent une peur de l’extérieur et des regards, détaille-t-elle. On est là pour qu’ils osent à nouveau sortir et conservent un lien social. » Son expérience professionnelle l’aide à accompagner son mari, même si elle y « laisse des plumes ».
Dans le couple, on devient plus aidant que conjoint. Il ne faut pas trop déborder. Laura Léon à franceinfo
Et si elle faisait elle-même appel à une aide à domicile ? « Je n’ai jamais pensé à le demander, reconnaît-elle. Accepter une présence extérieure dans la maison serait difficile pour mon mari. » Au travail, elle a connu des aidants familiaux qui peinaient à « lâcher du lest ». « C’est vrai que ce sont souvent eux qui savent ce qui est le mieux pour le malade. On doit les rassurer, se montrer à l’écoute de leurs conseils. »
Jusqu’ici, Laura Léon n’a guère pu profiter de son temps partiel à 80%, qui devait lui permettre d’accompagner son mari. Cette année, avant l’embauche d’une nouvelle collègue, elle a déjà cumulé 75 heures supplémentaires en quatre mois. L’an dernier, elle avait fini sur un total de 120 heures sup’. « Du travail pour rien, car les heures payées en plus à la fin de l’année pèsent sur le calcul de l’allocation adulte handicapé (AAH) de mon mari. Au final, on n’y gagne rien. » Aujourd’hui, le couple vit avec 750 euros d’AAH et 1 220 euros de salaire net par mois.
Il est 13h45, la journée de travail redémarre. Direction Boëssé-le-Sec, un village à une dizaine de kilomètres de La Ferte-Bernard. Laura Léon est attendue devant une maison, coincée entre une ligne de TER et une départementale sinueuse, où attend un taxi. Elle y retrouve un préadolescent, trisomique et sourd, de retour de sa matinée dans un institut médico-éducatif du Mans. Au programme, jusqu’à 17h30 : jeu sur les couleurs, piscine à balles, goûter, entretien de la chambre, mais aussi repassage, « pour soulager la mère et lui permettre, le week-end, d’avoir du temps pour ses autres enfants». Laura Léon se rend chez un de ses bénéficiaires, le 17 mai 2019, dans la Sarthe. (
Vient le moment de rentrer à La Ferté, pour une demi-heure auprès d’un homme atteint de la maladie de Parkinson. Il faut le changer, lui prodiguer une toilette intime, le mettre en pyjama et l’amener à son fauteuil pour le repas. « Il y a un gros travail de prévention des chutes avec lui », souligne Laura Léon.
Enfin, à quelques centaines de mètres de là, 45 minutes pour une toilette intime et une aide au déshabillage d’une femme dialysée, hémiplégique à la suite d’un AVC. Dans cet appartement enfumé, où elle vit avec l’un de ses fils, la bénéficiaire tient tête à Laura Léon. Bougonne, elle refuse de se lever de la chaise et zappe entre W9 et France 2. Plongé dans sa collection de vignettes Panini, son fiston, jeune adulte en surpoids, lève la tête et lui confisque la télécommande pour la convaincre de filer.
A chaque situation, l’auxiliaire doit s’adapter et improviser. Sérieuse avec les uns, taquine avec les autres.
On est comme des comédiens. D’une maison à l’autre, on ne va pas donner la même chose. Laura Léon à franceinfo
Mais jusqu’où donner ? « Madame Léon doit veiller à ne pas trop s’impliquer, pour garder du recul, souligne sa responsable de secteur, Samantha Eloy. A trop s’investir, on risque de vouloir tout résoudre soi-même, au lieu d’alerter et de faire intervenir d’autres acteurs. » Pour le reste, la salariée est saluée pour sa « très bonne analyse des situations », sa « compétence reconnue en matière d’accompagnement » et sa « participation » en interne. C’est aussi « une vraie bonne personne ressource », régulièrement appelée à encadrer de nouvelles recrues.
Ces qualités lui ont valu d’être intégrée à une « brigade » départementale de l’ADMR, qui vient ponctuellement en aide aux professionnelles confrontées à des difficultés. « Dans le cas d’un monsieur qui était très crispé lorsqu’il était transféré au lit, on s’est rendu compte que la salariée ne lui parlait pas, pas un mot, rapporte Laura Léon. Moi, je dis ce que je fais et les gens se détendent. Parfois, porter le regard sur eux suffit. Ce sont des gens souvent vieux, pas beaux, que la société ne regarde plus. »
Certaines salariées sont uniquement dans l’action, et pas dans le relationnel. Laura Léon à franceinfo
Mercredi 12 juin, le Premier ministre, Edouard Philippe, a confirmé qu’un projet de loi réformant le secteur de la dépendance serait présenté « à la fin de l’année ». Avant cela, « des mesures favorisant le maintien à domicile «seront intégrées au prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Laura Léon réclame un vaste plan de formation. De nombreuses aides à domicile n’ont en effet aucune qualification, ce qui nuit à la qualité des services et génère des accidents de travail. La jeune Sarthoise souhaite aussi une revalorisation du métier, qui peine à susciter les vocations. « Une fois, trois jours après avoir signé un CDI, une fille est partie en disant qu’elle gagnait plus en restant chez elle. »
L’auxiliaire de vie sociale pense aussi aux allocations accordées aux personnes dépendantes, parfois trop maigres pour une bonne prise en charge. « Il faut plus de moyens, plus de matériel et plus de lien social », énumère-t-elle. Dans quelques années, c’est la question du maintien à domicile de ses propres parents qui risque de se poser. « Je ne les vois pas en maison de retraite », prévient-elle, alors que sa journée touche à sa fin. Il est 19h15 et le week-end débute. Le programme de Laura Léon est vite vu : elle travaille.
«Comment confiner les SDF dans leur domicile ! »
«Comment confiner les SDF dans leur domicile ! »
Julien Damon , professeur associé à Sciences Po, spécialiste des questions de pauvreté s’interroge dans l’Opinion: comment confiner les SDF dans leur domicile ?
Au printemps 2020, l’épidémie de Covid-19 entraîna brutalement des décisions à prendre et souleva de nouveau des discussions fondamentales sur les sans-abri et sur les politiques menées dans leur direction. Une mobilisation exceptionnelle permit de compenser des lacunes et de réduire des inquiétudes élevées.
Alors qu’une partie des bénévoles, généralement âgés, étaient confinés, il a fallu trouver d’autres personnes de bonne volonté. Les équipes professionnelles de travailleurs sociaux et les centres d’hébergement durent également gérer les craintes et les contraintes de leurs personnels. Dans l’urgence du jour et dans l’incertitude de ce qu’il fallait faire, des opérations d’envergure produisirent leurs effets.
Au plus haut de la responsabilité publique, alors qu’un état d’urgence sanitaire se mettait en place, il a été convenu d’agir, selon le mot d’Emmanuel Macron, « quoi qu’il en coûte ». Ce qui était inenvisageable quelques semaines plus tôt s’est décidé : usage possible de la réquisition pour augmenter l’offre d’accueil, prolongation jusqu’en juillet de la « trêve hivernale » qui interdit les expulsions.
Du chef de l’Etat à l’humble bénévole en passant par les élus locaux, il a fallu agir et innover. Collectivités territoriales, associations, organismes de logement social, services de l’Etat ont assuré la bonne marche, autant que faire se pouvait, d’un système de prise en charge ajusté. Qu’il s’agisse d’aide alimentaire, d’équipes allant au-devant des sans-abri ou de gestionnaires de résidences sociales, la période appelait des adaptations. Marginales ou structurelles, celles-ci ont autorisé une gestion de crise sans catastrophe. Non pas qu’il n’y ait rien à critiquer, mais l’ensemble, assez légitimement, a été collectivement salué.
Reste, tout de même, une observation importante. Chacun aura noté la présence, plus visible encore qu’à l’habitude, des sans-abri dans les rues. Parfois, la ville semblait livrée à des SDF, isolés ou regroupés, apathiques et parfois agressifs. N’est-il pas possible de faire autrement quand, dans une situation de puissantes limitations des libertés, tout un chacun doit respecter des obligations inédites ? Plus généralement, après les leçons tirées d’un tel épisode de confinement, quelles nouvelles propositions pour le reconfinement qui débute ?
Trois idées pour le reconfinement et ensuite
1/ Préparer
Sans vouloir livrer une boîte à outils clés en main, des propositions alimentent toujours utilement les discussions et – souhaitons-le – les actions. Afin d’être synthétique et mnémotechnique, proposons un programme « PDF ». Il tient en trois mots débutant donc par les lettres PDF : préparation, décentralisation, formalisation.
Autorités publiques et citoyens regrettent le manque de préparation face au coronavirus, qui a conduit aux difficultés du premier confinement. Le secteur de la prise en charge des sans-abri n’a pas été plus en défaut que d’autres. Au contraire sans doute. Il convient cependant de toujours s’améliorer et de mieux prévoir, afin d’avoir moins à réagir dans l’urgence.
Disposer de capacités de réserves, en équipements, en personnels et en fournitures adaptées semble s’imposer. La réserve d’hébergement devrait en réalité être très limitée, car c’est dans des logements que doivent d’abord se trouver les gens. Se préparer à mieux gérer un retour du coronavirus ou l’arrivée de nouveaux virus, pour les sans-abri, passe par l’accélération et la réussite de programmes dits de « logement d’abord » (tout faire pour proposer un logement autonome plutôt que des centres d’hébergement).
En sus et en parallèle, une adaptation du système de prise en charge, en situation exceptionnelle, doit se calibrer. Gouverner, c’est prévoir. C’est anticiper et calibrer. Pour les sans-abri, après le plan froid qui revient chaque hiver, et le plan canicule qui revient chaque été, s’impose un plan pandémie, valable, lui, toute l’année. Les deux épisodes du confinement et du reconfinement permettront de formater ce plan, activable à l’arrivée de tout nouveau virus impliquant sa mise en œuvre.
2/ Décentraliser
La gestion trop jacobine du confinement et de ses règles a été critiquée. Il en ira de même pour le reconfinement. Pourquoi une même limite d’un kilomètre de son domicile pour des balades quotidiennes, au cœur des métropoles comme au fond des campagnes ? L’organisation de l’aide aux sans-abri ne pourrait-elle pas bénéficier de davantage de souplesse et d’adaptation aux réalités locales ?
Une deuxième recommandation touche donc une transformation radicale : lancer, en France, la décentralisation de la politique de prise en charge des sans-abri. Il serait souhaitable, en effet, que cette politique suive les mouvements généraux de réforme de l’Etat et de l’action sociale.
«Mettre de côté que les services d’hébergement d’urgence sont d’abord des services pour les sans-papiers, ce n’est pas se donner la possibilité de régler les problèmes. Sans régularisation d’une partie des sans-papiers et sans reconduite aux frontières d’une autre partie, la gestion de la prise en charge se résout à l’impuissance »
Dans la plupart des pays occidentaux, l’action publique en direction des sans-abri s’ordonnance bien plus à l’échelle locale que nationale. En finir avec les renvois incessants de responsabilités et de dossiers entre Etat et collectivités locales, affecter les moyens et la compétence à des élus locaux qui seraient redevables devant leurs électeurs, voici de quoi changer la donne.
Afin de progresser en matière de prise en charge des SDF, les mesures paramétriques ne suffisent pas. Il faut, au moins pour le débat, des propositions structurelles. Le changement ne passera pas par le consensus absolu, mais d’abord par des débats sérieux sur des options neuves, dont la décentralisation.
3/ Formaliser
Une troisième suggestion embrasse le sujet dans sa globalité. Il faut formuler autrement la question des sans-abri. Avec trop de commisération et pas assez de raison, elle se trouve garnie d’idéologies et d’idées reçues, de contre-vérités ou de vérités non dites. L’ensemble empêche son traitement efficace.
A trop, par exemple, mettre de côté que les services d’hébergement d’urgence sont aujourd’hui d’abord des services pour les sans-papiers, ce n’est pas se donner la possibilité de régler les problèmes. Sans régularisation d’une partie des sans-papiers et sans reconduite aux frontières d’une autre partie, la gestion de la prise en charge se résout à l’impuissance.
De même, à ne pas vouloir prendre à bras-le-corps plus volontairement le problème des sans-abri qui restent dehors malgré tous les efforts, l’action publique se condamne à rouler, sans être heureuse, le rocher de Sisyphe. L’offre complémentaire débloquée pour les confinements doit se diriger prioritairement sur les personnes complètement à la rue. Si cette offre est suffisante et adaptée, il faut inciter des personnes très marginalisées à accepter la prise en charge.
Il est tout de même étrange qu’au moment où l’on demande à chacun de rester chez soi, les seules personnes autorisées à rester dehors soient les sans-abri. Le sujet des sans-abri, érigé parmi les priorités de l’action publique, en période d’épidémie comme tout au long de l’année, mérite autre chose que de cacher sous le tapis certaines de ses dimensions essentielles.
Préparation des crises potentielles, décentralisation des politiques et formalisation de la réalité dans une doctrine claire : voici trois voies à suivre. Un « PDF » ambitieux en tout cas. La réalisation d’un objectif « zéro SDF », en période de confinement comme en période de « monde d’après », passe par l’offre d’un service d’hébergement, mais aussi par des évolutions de stratégie (recomposition des responsabilités, traitement du sujet des sans-papiers, nouvelle gestion des espaces publics). Sans quoi on ne changera pas réellement la donne.
Julien Damon est professeur associé à Sciences Po, spécialiste des questions de pauvreté. Dernier ouvrage paru : Inconfinables ? Les sans-abri face au coronavirus (éditions de L’Aube & Fondation Jean-Jaurès, 2020)