Archive pour le Tag 'Dissuasion'

Ukraine: Où est la dissuasion occidentale ?

Ukraine: Où est la dissuasion occidentale ?

  • Un papier de l’Opinion s’interroge sur les capacités de dissuasion de l’Occident vis-à-vis de la fuite en avant de Poutine. Il paraît en effet de plus en plus évident que les réponses occidentales ne sont plus à la hauteur des crimes et de la terreur du dictateur russe.

En février dernier, les Occidentaux n’ont pas su dissuader la Russie d’envahir l’Ukraine. Désormais, alors que Vladimir Poutine tente un chantage à l’arme nucléaire, ils doivent impérativement rétablir une dissuasion crédible à l’égard du dirigeant du Kremlin. Le président russe mord en effet régulièrement la ligne jaune de la menace nucléaire. « Ce n’est pas du bluff », disait-il récemment, promettant d’« utiliser tous les moyens à notre disposition » pour répondre à un prétendu « chantage nucléaire » occidental.

Vladimir Poutine veille encore à employer des périphrases, mais son message est transparent – et ses propagandistes n’en font pas mystère. En parlant ainsi de la menace atomique, le président russe modifie les conditions de la dissuasion. Celle-ci repose sur des évidences partagées (dernier ressort, risque de destruction mutuelle) qu’il n’est pas nécessaire d’évoquer publiquement, sauf à vouloir délibérément accroître les tensions. C’est le cas.

Jusqu’à présent, Moscou s’en tient à une détestable « dissuasion offensive » : en s’abritant derrière son arsenal nucléaire, il peut attaquer l’Ukraine, en empêchant les Occidentaux de s’engager trop directement. En face, le parapluie nucléaire de l’Otan « sanctuarise » toujours le territoire des alliés : l’escalade est évitée, pas la guerre.

Même si les Occidentaux évitent la surenchère verbale avec Moscou, ils comprennent que le monde entre dans une zone de danger, tel qu’il n’en a pas connu depuis les crises de la Guerre froide. Manifestement, le président russe ne sait plus comment se sortir de l’impasse en Ukraine. D’où la crainte d’une frappe nucléaire, sous la forme d’un « avertissement », comme disent les stratèges. Une manière, pour le Kremlin, d’affirmer à la face du monde que la Russie n’acceptera jamais la défaite. Il faut vraiment l’en dissuader.

Préparer le tribunal des dirigeants la Russie

Préparer le tribunal des dirigeants de la Russie

 

L’historien et réalisateur Christian Delage souligne, dans une tribune au « Monde », l’importance de documenter rapidement les exactions commises dans le conflit en Ukraine en vue de futurs procès.

 

Tribune.

 

Le ministre ukrainien de la défense, Oleksii Reznikov, le proclamait le 3 avril : « Le monde entier doit le savoir : au cours de ce siècle, l’humanité vivra les nouveaux procès de Nuremberg. Ils auront lieu à La Haye, à Kharkiv, à Boutcha ou à Irpine. » Le lendemain, le président Volodymyr Zelensky s’adressait ainsi au peuple russe : « Le temps viendra où chaque Russe apprendra toute la vérité sur qui, parmi ses concitoyens, a tué. Qui a donné des ordres. Qui a fermé les yeux sur les meurtres (…) Nous sommes maintenant en 2022. Et nous avons bien plus d’outils que ceux qui ont poursuivi les nazis après la seconde guerre mondiale. »

Depuis le début de la guerre d’agression conduite par la Russie contre l’Ukraine, la capacité des dirigeants ukrainiens à préparer immédiatement, au niveau national, la mise en jugement des crimes commis contre la population civile est particulièrement remarquable, tout comme le fait que la Cour pénale internationale (CPI) diligente une enquête. Aux procès tenus sur le lieu des crimes pourront en effet s’adjoindre ceux relevant d’une instance supranationale, comme cela a été le cas en 1945. Et le président Zelensky souligne avec raison que les moyens d’investigation désormais à disposition des enquêteurs sont plus nombreux qu’à la fin de la seconde guerre mondiale.

Parmi ces sources d’information, l’image joue un rôle essentiel. Tandis que les nazis avaient empêché la production, et plus encore la diffusion, d’images des crimes commis à l’Est et de la destruction des juifs d’Europe, l’une des toutes premières décisions du procureur général américain, quelques jours après l’ouverture du procès de Nuremberg, avait été de placer les dirigeants nazis devant les images des camps de concentration prises par les Alliés. La projection d’images, qualifiées de preuves par la Cour, avait en effet trois fonctions : attester des crimes commis en les rendant crédibles ; obliger les accusés à faire face visuellement à leurs atrocités ; croiser les images avec d’autres documents et témoignages, en les soumettant au débat contradictoire propre à l’instance judiciaire.

Aujourd’hui, à Kharkiv comme à La Haye, les premières enquêtes réalisent un travail de documentation comprenant le rassemblement de traces, de rapports écrits, de témoignages et d’images. De son côté, la contre-propagande russe, si elle a pu se déployer à son aise dans les médias officiels et sur certains réseaux sociaux sous son influence, a été si grossière et cynique que sa prégnance en est fortement limitée.

 

Conflit: Pour une dissuasion économique radicale

Pour une  dissuasion économique radicale

 

 

La dissuasion nucléaire devait rendre les agressions impossibles parce que la menace nucléaire se devait de rendre le coût du recours aux armes trop élevé. Le risque d’un cataclysme dévastateur devait impliquer pour tout agresseur potentiel que la raison l’emporterait sur toute visée belliqueuse ; l’attaquant potentiel se sachant menacé d’une déflagration sur son propre territoire, aucun apprenti va-t-en-guerre ne s’aventurerait à tirer le premier. Par Léonidas Kalogeropoulos, Président de Médiation & Arguments, Fondateur des Entrepreneurs pour la République et Vice-président d’Ethic.

 

Le retour à la réalité se fait violemment sous nos yeux. Le bouclier nucléaire ne protège qu’un seul protagoniste : l’agresseur !

Loin d’empêcher l’attaque du faible par le fort, l’arme nucléaire ne dissuade que d’une chose : elle prohibe toute intervention de forces alliées pour venir en aide à la victime, dont nous sommes condamnés à assister impuissants à l’écrasement par les armes, sous peine de transformer une guerre territoriale en guerre mondiale.

Les dernières illusions de la dissuasion nucléaire, celles qui nous avaient fait ranger la conscription aux oubliettes de l’Histoire – parce que l’Histoire était supposée avoir été débarrassée du risque de guerre – se sont évaporées en quelques semaines, constatant à quel point celui qui veut obtenir la victoire par les armes à tout prix détient un avantage stratégique et militaire déterminant, sur tous ceux qui ne détiennent des armes que pour dissuader quiconque de s’en servir.

L’agresseur du Kremlin avait déjà testé le prototype de sa méthode en Syrie, puis en Crimée. Les condamnations étant restées symboliques ou à tout le moins indolores, il est sous nos yeux en train d’industrialiser une méthode désormais bien rodée, livrant une leçon de conquête militaire à tous ceux qui sur la planète sont encore tentés de s’appuyer sur la force militaire pour étendre les limites de leur Empire.

Dans ce nouveau contexte, la riposte économique mise en place depuis trois semaines se doit elle aussi de s’intensifier et de s’industrialiser à grande vitesse, pour s’ériger en nouvelle arme de dissuasion apte à faire reculer des puissances tentées d’agresser leur voisin pour les soumettre par les armes.

Les sanctions économiques décidées par l’Union Européenne et les Gouvernements des Etats membres ont été rapides et pénalisantes, tout autant que celles décidées par des entreprises qui d’elles-mêmes, ont pris l’initiative de quitter la Russie ou d’interrompre la poursuite de toute collaboration avec des entreprises russes tant que l’agression de l’Ukraine ne sera pas stoppée.

Les oligarques ne sont pas seules victimes de ces mesures, loin s’en faut. La population russe elle-même en sera victime, tout comme les entrepreneurs russes, qui peuvent potentiellement être coupés du monde économique environnant, pénalisant leurs exportations tout comme leurs approvisionnements. Pour que le coût économique infligé à l’agresseur soit maximisé, encore faut-il que cet embargo généralisé ne soit pas contourné par d’autres puissances tentées de protéger l’agresseur ou de trouver dans ces sanctions l’opportunité de gagner de nouveaux contrats.

C’est donc doublement, par accords entre Etats à l’échelle internationale, mais aussi par voie contractuelle entre acteurs privés, avec des clauses croisées rendant ces sanctions automatiques en cas de conflits provoqués par un Etat agresseur, que la dissuasion économique peut devenir une véritable alternative à la dissuasion nucléaire dont la faille apparait désormais béante aux yeux du monde et de l’Histoire.

Outre la définition des règles imposant un tel embargo au sein de l’ONU, de telles clauses doivent pouvoir s’intégrer aux contrats commerciaux et intégrer les exigences de compliance pour encadrer la « respectabilité » des entreprises avec lesquelles il est possible de travailler, supposant que partout dans le monde, il serait possible de s’assurer que les partenaires avec lesquels on collabore s’engagent à rompre leurs relations commerciales avec toutes entités économique d’un pays qui attaque militairement son voisin. Cette promesse de déclenchement de représailles économiques « automatiques », généralisées et de très grande ampleur, est de nature à venir asseoir le principe d’une nouvelle dissuasion à faire la guerre, pour supplanter celle qui a préservé la paix en Europe durant près de soixante-quinze ans, et dont les fondements se sont évaporés en quelques semaines en Ukraine.

Pour que cette nouvelle riposte prenne la dimension d’une arme de dissuasion massive, elle doit être consacrée dès à présent dans toute sa radicalité, ce qui suppose un embargo immédiat et absolu sur le gaz russe, quel qu’en soit les conséquences pour nous, qui seront toujours plus faibles que celles qui s’abattent quotidiennement sur la population civile ukrainienne.

Mais parvenir à rendre opérationnelle cette nouvelle dissuasion économique va supposer davantage que de nouvelles règles internationales et l’extension de clauses de compliance : il va falloir parvenir à se doter d’une puissance économique qui donne au concept de « souveraineté » la plénitude de sa dimension, en termes géopolitiques et désormais aussi en termes militaires.

Juger Poutine pour crimes de guerre

Juger Poutine  pour  crimes de guerre 

 

Au regard du droit international, le président russe est passible des chefs d’accusation de crime d’agression et de crime de guerre, affirment, dans une tribune au « Monde », l’avocat Emmanuel Daoud et l’élève avocate Camille Thomé.

 

 

Jeudi 24 février 2022, 5 heures 05 du matin, premières frappes aériennes. La ville de Kiev est bombardée. Vladimir Poutine annonce officiellement le déclenchement d’une « opération militaire spéciale » en Ukraine. La guerre est ainsi déclarée malgré des mois de tentatives de négociations diplomatiques, ou plutôt de mascarade diplomatique du côté russe.

Vladimir Poutine a fait le choix d’attaquer ce « pays frère », menaçant au passage la communauté internationale par les propos suivants : « Quiconque entend se mettre sur notre chemin ou menacer notre pays et notre peuple doit savoir que la réponse russe sera immédiate et aura des conséquences jamais vues dans son histoire. »

Le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) doit saisir la Cour pénale internationale (CPI) et user de tous les moyens, notamment juridiques, pour stopper l’agression russe et empêcher que cette invasion militaire ne cause davantage de pertes humaines parmi la population ukrainienne.

Rappelons à cet égard quelques éléments de droit, concernant tout d’abord les qualifications de crime d’agression et de crime de guerre.

Au sens de l’article 8 bis du statut de Rome, instituant la Cour pénale internationale, il y a crime d’agression lorsqu’un Etat emploie la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance politique d’un autre Etat. Ce crime doit être le fait d’un dirigeant, c’est-à-dire d’une personne en position de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un Etat. Cet acte d’agression doit constituer par sa nature, sa gravité et son ampleur une violation manifeste de la Charte des Nations unies.

Le 24 février, Vladimir Poutine a ordonné l’invasion de l’Ukraine. Son objectif est clair : prendre le contrôle du territoire ukrainien, comme pour la Crimée quelques années plus tôt. Il ne fait donc aucun doute que cette qualification est applicable au cas de l’Ukraine, Vladimir Poutine ayant ordonné à ses troupes d’envahir son territoire.

Vladimir Poutine doit également être jugé pour ses crimes de guerre passés et à venir. On entend par « crimes de guerre » les violations graves du droit international humanitaire commises à l’encontre de civils ou de combattants ennemis à l’occasion d’un conflit armé international ou interne, violations qui entraînent la responsabilité pénale individuelle de leurs auteurs.

Il convient de souligner que l’article 8 du statut de Rome réprime les crimes commis en violation du droit international humanitaire. Ces normes sont applicables durant les conflits armés. Elles visent tant à protéger les populations civiles victimes et certains biens spécifiques, notamment ceux affectés au service sanitaire ou à une mission d’aide humanitaire, qu’à édicter des règles relatives à la conduite des hostilités.

 

Pour une dissuasion nucléaire européenne ?

Pour une  dissuasion nucléaire européenne ?

 

 

Natalia Pouzyreff, députée LREM des Yvelines et membre de la commission de la défense nationale et des forces armées militent en faveur d’une dissuasion nucléaire européenne. Le seul problème c’est que c’est eux position et surtout françaises et que l’Allemagne notamment préfère et de loin le parapluie de l’OTAN et des États-Unis.

Interview dans la Tribune

Le contexte stratégique s’est particulièrement dégradé ces dernières années, avec la persistance de la prolifération nucléaire, que ce soit en Corée ou en Iran, ainsi que par des ruptures de concept avec l’arrivée de nouveaux systèmes, potentiellement équipés de charges duales, à l’instar de ceux développés par la Russie. Actuellement, le caractère de la menace nucléaire est de nature à déstabiliser l’équilibre mondial et la sécurité jusqu’aux frontières de l’Europe.

Dans ce contexte, la dissuasion doit être maintenue et sa crédibilité renforcée ; l’administration américaine est en passe de renouveler son budget pour sa dissuasion nucléaire, et le Royaume-Uni a fait plusieurs déclarations au sujet d’une augmentation du plafond de son stock d’ogives nucléaires. Pour la France, les forces nucléaires restent l’ultime garant de sa souveraineté, elles n’ont pas vocation à la frappe en premier mais assurent une capacité de riposte en cas d’agression nucléaire. La crédibilité de la dissuasion nucléaire française réside dans la continuité de la doctrine et la permanence de la posture.

Ainsi, l’arme nucléaire est une arme politique, aux mains du chef de l’État, qui s’inscrit en pleine cohérence à travers le discours politique sur la souveraineté depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette « arme politique » repose également sur des institutions solides et un consentement national. À ce titre, le budget alloué à la modernisation de la dissuasion nucléaire est voté chaque année au Parlement (1).

L’efficience opérationnelle de notre système de dissuasion s’affirme lors d’exercices qui ont lieu tous les dix-huit mois pour la composante nucléaire aéroportée. La composante navale se distingue quant à elle par la permanence à la mer, grâce aux quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, qui patrouillent successivement.

Pour autant, la France parvient à concilier la crédibilité de sa force nucléaire avec son engagement en faveur de la maîtrise des armements telle que figurant dans les intentions du TNP (2) en matière de réduction des arsenaux. En effet, la France a mis en œuvre l’arrêt de la production de matières fissiles ainsi que le démantèlement des activités correspondantes et applique donc, un principe de stricte suffisance.

En Europe, la France, comme le Royaume-Uni, assument une posture souveraine et unilatérale en contribuant à la défense de l’Europe. Il est clair que les intérêts vitaux de notre nation revêtent une dimension européenne, au moment où la Grèce se retrouve à portée de missiles balistiques iraniens et où nous restons attachés au processus de réassurance sur le flan Est.

Toutefois, la pierre angulaire de la défense collective de l’Europe reste bel et bien l’OTAN, à travers l’alliance nucléaire en responsabilité partagée avec les 21 États de l’Union européenne qui en sont membres. Ces États sont donc, eux aussi, parties prenantes en matière de dissuasion.

Cependant on peut s’interroger sur le caractère plus ou moins assumé selon les États de cette contribution au sein de l’alliance. En ce sens, les pays de l’Union doivent véritablement se poser la question du rôle de la dissuasion nucléaire en Europe. Pour cela, il faut que s’amorce une véritable réflexion entre Européens et que puisse se développer une culture stratégique commune. C’est le sens de la proposition du 7 février 2020 faite par le président Macron, en vue de renforcer la dimension européenne de la dissuasion.

De même, il est essentiel que l’unité entre pays européens s’exprime en matière de maîtrise des armements. En effet le TNP associé au système de vérification de l’AIEA (3), sont les seuls à garantir un certain équilibre dans la posture stratégique des P5 (4). Au contraire du TIAN (5), qui prend le risque de l’asymétrie et ne propose aucun système de contrôle.

Ensuite, l’entente entre États membres est d’autant plus nécessaire dans le contexte actuel post FNI (6), qui connait une résurgence de l’utilisation de système d’armes à portée intermédiaire aux frontières mêmes de l’UE. De fait, il serait opportun que les pays membres de l’UE s’intéressent et s’emparent du sujet. Une discussion commune entre l’UE et l’OTAN doit être engagée. Nous le devons à nos concitoyens car il s’agit avant tout de la sécurité des européens. C’est à ce titre également que les parlementaires peuvent s’impliquer davantage en contribuant au débat public.

 

Pour conclure, l’Europe à travers ses États membres doit formuler sa posture en matière de dissuasion, tout en renforçant le pilier européen de l’OTAN et le lien transatlantiqueC’est uniquement à cette condition que notre sécurité collective gagnera en crédibilité et que nos nations assumeront ensemble leur communauté de destin.

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(1) La loi de programmation militaire pluriannuelle planifie 25 milliards d’euros pour la dissuasion nucléaire sur la période 2019-2023.

(2) Traité de Non-Prolifération

(3) Agence Internationale de l’Énergie Atomique

(4) Les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies

(5) Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires

(6) Le traité de 1987 sur les forces nucléaires à portée intermédiaire visait à abandonner le recours à des missiles balistiques et de croisière conventionnels ayant une portée de 500 à 5.500 kilomètres.

Dissuasion nucléaire: contestation de son manque de crédibilité

Dissuasion nucléaire: contestation de son manque de crédibilité

 

Deux spécialistes de la stratégie et des armes nucléaires, François Géré et Philippe Wodka-Gallien réagissent à leur tour aux propos des deux chercheurs remettant en cause la crédibilité de la force de frappe française à ses débuts ( dans l’Opinion)

Le 13 février 1960, le premier engin nucléaire français « Gerboise bleue » explose avec succès dans le désert saharien du Tanezrouft.

Sous le titre « Pendant longtemps, la dissuasion nucléaire française n’a pas été crédible », l’Opinion a publié le 23 février un entretien avec deux chercheurs. Ce texte provoque de nombreuses et vives réactions dans les milieux spécialisés. Soucieux d’ouvrir le débat, après une première réponse de deux historiens réputés Maurice Vaïsse et Dominique Mongin, nous publions celle, très polémique, de deux spécialistes de la dissuasion française, François Géré et Philippe Wodka-Gallien.

A propos d’un article récent de Pélopidas and C°, remercions les auteurs d’avoir fouillé dans les poubelles de l’histoire pour exhumer les arguments tendancieux et ineptes qui ont marqué les débuts de la construction de la stratégie de dissuasion nucléaire française en les reprenant à leur compte. Saluons une démarche qui démontre une ignorance du principe même de cette stratégie en accumulant les erreurs involontaires ou délibérées et les affirmations infondées. Il y en a tant qu’il serait fastidieux de les reprendre toutes. Par souci de brièveté, nous n’accorderons d’attention qu’aux falsifications les plus grossières.

Il est faux d’affirmer que la doctrine s’est bornée à suivre l’avancée des capacités techniques. Les fondements de la stratégie nucléaire ont été énoncés dès le début des années 1950 par le colonel Ailleret (responsable des essais atomiques du Sahara, devenu ensuite chef d’état-major des Armées). En janvier 1955, il publie dans Défense Nationale — la revue fait référence en matière de travaux académiques — un article intitulé « L’arme atomique : facteur de paix » où il explique : « Si villes, richesses, populations doivent de toute manière être détruites, la guerre n’a plus aucun sens. » Ses articles et conférences ont fait l’objet d’une synthèse, « Essai général de stratégie », rédigée en 1959, avant son entrée en fonction où figurent les principes d’utilisation par la France de l’arme nucléaire.

Le général de Gaulle s’est tenu constamment informé des évolutions de l’arme nucléaire. Fin 1956, après Suez, il avait reçu le colonel Gallois. La synthèse de ses réflexions a été exprimée en décembre 1959, dans le discours dit « de la Rotonde Gabriel », à l’Ecole militaire, qui donne les raisons et présente sans ambiguïté les grandes lignes de la stratégie de dissuasion nucléaire.

 

« Se prétendant novateurs, les auteurs ne font que reprendre l’ouvrage polémique de Raymond Aron “Le grand débat” »

Lavage de cerveau. Se prétendant novateurs, les auteurs ne font que reprendre l’ouvrage polémique de Raymond Aron Le grand débat, 1963, dirigé contre Gallois — qu’il avait pourtant encensé dans la préface de son livre de 1960 Stratégie de l’âge atomique. A la suite d’un séjour aux Etats-Unis où il avait complaisamment subi un lavage de cerveau par les « crânes d’œuf » entourant McNamara, Aron a repris l’argumentaire de ce dernier qualifiant la petite force nucléaire française « d’inefficace, inutile et dangereuse ». L’approche d’Aron était d’autant plus étrange qu’à cette date, il ne pouvait ignorer les objectifs capacitaires fixés par la loi de programmation militaire de 1960.

Sur le plan technique, il est faux de prétendre que les Mirages IV ne pouvaient accomplir leur mission. En dépit d’une défense aérienne, même très performante, l’interception à 100 % n’existe pas. S’agissant de bombes conventionnelles, le phénomène est évidemment gênant mais tolérable ; avec des armes nucléaires, le fait que quelques avions puissent passer relève du risque exorbitant. Quel dirigeant rationnel prendrait le risque de la guerre nucléaire devant la probabilité que quelques appareils puissent passer ? Mach 2 est encore l’atout maître du Mirage IV pour percer. Aucun adversaire ne saurait faire le pari de stopper la totalité d’un raid de saturation, qui bénéfice en outre d’avions d’escorte.

S’attaquer à la crédibilité revient à saper les fondements de la politique française, fondée sur l’autonomie de décision. La crédibilité repose sur une capacité de riposte garantie vers des cibles démographiques de haute valeur, donc un petit nombre. Dès l’entrée en service du Mirage IV en octobre 1964, première composante de la force de frappe, la crédibilité repose sur deux éléments : le vecteur et la charge. La loi de programmation militaire de 1960 prévoit de constituer en dix ans un parc diversifié de vecteurs pour, peu ou prou, traverser les défenses adverses. L’objectif capacitaire prévoit plus de 60 bombardiers Mirage IV (50 au titre d’un premier contrat, puis 16, le tout livré en cinq ans !), les missiles du Plateau d’Albion (ce sera 18, mai 1968 ayant eu raison du budget), et cinq sous-marins lanceurs d’engins dotés chacun de 16 missiles (un à deux sont en mer).

 

Dès 1965, le potentiel balistique est démontré avec la mise en orbite réussie d’Astérix, le premier satellite français. La fusée Diamant sert à la mise au point des missiles de la force de frappe. L’engin est 100 % « made in Normandie ». La démarche est ab initio. La nouvelle Direction de l’armement lance le projet de SNLE sans passer par l’étape intermédiaire du sous-marin d’attaque, à l’inverse des Soviétiques, des Américains et des Britanniques. Un seul M1 ou M2, équivaut à 40 Hiroshima, une mégatonne avec le M20.

« A Washington, McNamara, secrétaire d’Etat, s’oppose à la constitution de forces nucléaires indépendantes au sein de l’Alliance. Pourtant, il doit s’incliner devant John Kennedy qui accepte de nous fournir des avions de ravitaillement »

« Bombinette ». Parlons « charges ». C’est la vocation des essais nucléaires. Le premier, le 13 février 1960, dans le désert algérien, dégage 40 kilotonnes, trois fois l’arme qui a ravagé Hiroshima. En juillet 1966, l’essai Tamouré voit un Mirage IV larguer une bombe opérationnelle, validant ainsi le combiné Mirage IV-bombe AN21, une « bombinette » qui produit 50 kilotonnes. L’opération est renouvelée avec un Mirage III en 1973 puis un Jaguar en 1974. Le premier essai thermonucléaire, en août 1968, donne 2,6 mégatonnes.

La relation avec les alliés a toute sa place dans notre récit nucléaire. Le général de Gaulle s’appuie sur l’atome pour s’affirmer vis-à-vis de Londres et de Washington. Coopérer entre alliés : rien de plus normal. A Washington, McNamara, secrétaire d’Etat, s’oppose à la constitution de forces nucléaires indépendantes au sein de l’Alliance. Pourtant, il doit s’incliner devant John Kennedy qui accepte de nous fournir des avions de ravitaillement d’autant que cette demande reçoit le soutien du général Curtis Le May. La solution alternative aurait fait appel à des Caravelle modifiées en citernes volantes. L’aide des alliés est bienvenue en apportant gain de temps et gain d’argent.

Il est faux et ridicule de reprendre la thèse, sans lendemains, du « détonateur », selon laquelle la force française n’aurait eu pour fin que de pousser les Etats-Unis à une frappe nucléaire contre l’Union soviétique.

Il est faux de mentionner qu’un chiffre a été retenu pour déterminer les pertes de l’URSS. On s’est contenté de mentionner des « dommages intolérables », parfois d’un équivalent à la « valeur France », mais sans jamais fixer de seuil.

« La raison de cette entreprise négationniste se révèle en fin de parcours : remettre en question les programmes de modernisation de l’armement nucléaire français. Nommons cela la stratégie du castor : “Ronger les racines pour faire tomber l’arbre” »

Domaine du virtuel. Mis à part Gallois, les auteurs ignorent (ou veulent ignorer) les théoriciens de la stratégie de dissuasion nucléaire : Ailleret, Beaufre et Poirier. Ceci explique une incompréhension totale des particularités, uniques, de ce mode dissuasif. Beaufre remarquait « la compréhension générale du phénomène est faussée chaque fois que l’on envisage un problème nucléaire sous l’angle de son déclenchement et non sous celui de la dissuasion — ce qui est juste l’inverse. » On ne saurait confondre, ajoute Beaufre, « la menace de déclenchement avec le déclenchement effectif. » (Dissuasion et Stratégie, 1964).

Cette distinction fondamentale se retrouve dans les écrits de Lucien Poirier auteur du « modèle de stratégie nucléaire concevable pour la France » (1966) fondant le concept de « dissuasion du faible au fort », validé par le ministre des Armées, Pierre Messmer et approuvé par de Gaulle. Poirier explique que la dissuasion nucléaire opère dans le domaine du virtuel. L’arme nucléaire constitue une menace pour le candidat agresseur éventuel qui se voit dans l’obligation de l’intégrer en amont dans son calcul du gain escompté au regard des pertes probables. Si la dissuasion venait à échouer, cela n’entraînerait nullement de manière automatique une riposte nucléaire. Les responsables auraient à déterminer le choix d’une nouvelle stratégie soit de manière autonome, soit en concertation avec leurs alliés.

Il est faux d’affirmer que la notion de « tous azimuts » a figuré dans la doctrine française. L’article du général Ailleret dans la « Revue de Défense nationale », en décembre 1967 était conçu par de Gaulle comme un « ballon d’essai » qui fut rapidement abandonné.

La raison de cette entreprise négationniste se révèle en fin de parcours : remettre en question les programmes de modernisation de l’armement nucléaire français. Nommons cela la stratégie du castor : « Ronger les racines pour faire tomber l’arbre. » Mais ce n’est pas par des artifices aussi grossiers que l’on y parviendra.

François Géré est président du Cercle Lucien Poirier et de l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas), auteur du livre «  La pensée stratégique française contemporaine » (Economica).

Philippe Wodka-Gallien est membre de l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas) et auteur du livre «  La dissuasion nucléaire française en action – Dictionnaire d’un récit national  » (Ed. Decoopman).




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