Quelle adaptation au nouveau monde du travail ( directeur général de l’OIT)
«Il est dans l’intérêt de tous que les parties prenantes de l’Organisation internationale du travail (gouvernements, employeurs et travailleurs) s’engagent dans le processus de refonte du cadre juridique et réglementaire des relations de travail»
par Gilbert Houngbo, directeur général élu de l’OIT.
Une tribune intéressante mais un peu générale et sans grand originalité. NDLR
Fondée en 1919, l’Organisation internationale du travail (OIT) s’efforce, depuis lors, de promouvoir la justice sociale et économique, en fixant des normes internationales. Elle est l’une des plus anciennes agences spécialisées des Nations unies et compte 187 Etats membres. L’OIT est une structure tripartite unique, qui associe des représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, à toutes ses discussions et politiques.
Au cours des dernières décennies, le monde du travail étant devenu plus complexe, l’organisation a dû s’adapter pour assumer de nouvelles réalités et responsabilités. Ces dix dernières années, Guy Ryder, le directeur général, a lancé une série d’initiatives importantes afin de maintenir l’institution sur les rails, en dépit des bouleversements dont beaucoup ont été provoqués par les progrès des technologies de l’information. Les dernières années ont été marquées par une série de crises mondiales : la récession économique et la « baisse des revenus » de 2016-2017 ; la pandémie de Covid-19 ; le conflit en Ukraine et l’impact inflationniste sur les approvisionnements énergétiques et alimentaires.
L’inflation, qui a suivi la réouverture des économies après le blocage de la pandémie, a affecté les capacités de rebond. En réponse à la hausse des prix, les banques centrales ont augmenté les taux d’intérêt, ce qui a eu pour effet de refroidir la demande. En fait, selon les prévisions triennales (2021-2023) du FMI, la meilleure période de croissance mondiale depuis le déclenchement de la pandémie pourrait déjà être derrière nous, à la fin de 2021.
On imagine encore mal le stress auquel les travailleurs ont dû faire face pour maintenir les économies locales et les chaînes d’approvisionnement mondiales lors de la pandémie, et les faire redémarrer par la suite. La crise du coût de la vie qui s’est ensuivie est effrayante. Heureusement, les travailleurs font preuve de résilience. Ces véritables héros sont prêts à soutenir la prise de risque des employeurs et des investisseurs ainsi que la persistance des décideurs politiques à rétablir la normalité.
« On ne saurait trop insister sur les avantages de la numérisation, notamment la décentralisation, une plus grande flexibilité, une transparence accrue et la responsabilisation »
Tensions. Néanmoins, le stress et les tensions sur le marché du travail peuvent persister. En effet, les problèmes actuels, dont on espère qu’ils sont de nature transitoire, détournent l’attention de la transition plus permanente du marché du travail. Avant le déclenchement de la pandémie, l’impact de l’hyperconnectivité et de la numérisation retenait déjà l’attention des décideurs politiques. La probabilité d’un déplacement à grande échelle de la main-d’œuvre par des machines et des ordinateurs avait suscité, d’une part, des craintes fondées de pertes d’emploi, et, d’autre part, amené les gouvernements à s’interroger sur la manière de taxer les robots effectuant le travail autrefois effectué par les humains.
Si ces craintes sont fondées, on ne saurait trop insister sur les avantages de la numérisation, notamment la décentralisation, une plus grande flexibilité, une transparence accrue et la responsabilisation. Ces avantages seraient encore plus équitables si des investissements ciblés étaient consacrés à la construction d’infrastructures, à l’extension de la connectivité et à l’amélioration de l’accès aux technologies. Cela permettrait d’accélérer la réduction de la fracture numérique pour les entreprises et les travailleurs et, surtout, de faire progresser la justice sociale.
Ces questions sont du ressort de l’OIT. L’institution jouera un rôle central dans la résolution de ces problèmes. Il faut une vision qui unifiera les intérêts divergents des parties prenantes. Il s’agit essentiellement de restructurer et de remanier les règles et pratiques existantes pour les adapter à l’avenir émergent du travail.
La justice sociale doit continuer à sous-tendre les pratiques du travail, et les progrès réalisés par de nombreux pays doivent continuer à gagner du terrain. Beaucoup plus de femmes participent au marché du travail formel qu’il y a vingt ans. De même, l’idée d’un salaire égal pour un travail égal est de plus en plus acceptée comme socialement équitable. Les progrès réalisés dans la lutte contre le travail forcé ou « esclavage moderne », le travail des enfants et la traite des êtres humains ou encore la sécurisation des lieux de travail sont tout aussi encourageants.
Toutefois, les progrès ne sont pas uniformes et trop lents dans le monde.
Selon le Gender Gap Report 2021 du Forum économique mondial, il faudra encore 267,6 ans pour combler l’écart mondial entre les sexes en matière de participation et d’opportunités économiques. Nous devons tous travailler pour accélérer le rythme des progrès.
« Notre compréhension de la justice sociale doit également s’élargir. Les risques environnementaux et sociaux se renforcent mutuellement »
Cohésion sociale. Notre compréhension de la justice sociale doit également s’élargir. Les risques environnementaux et sociaux se renforcent mutuellement. Comme nous l’avons vu lors des inondations massives au Pakistan ou la sécheresse dans la Corne de l’Afrique, ces catastrophes d’origine climatique ont entraîné une rupture de la cohésion sociale. Et si les fortes émissions de carbone des pays industrialisés sont principalement responsables du réchauffement de la planète, ce sont les pauvres, concentrés dans les pays en développement, qui subissent le plus durement les chocs climatiques, en raison du manque de capacité d’adaptation.
L’interdépendance entre les risques sociaux et environnementaux nécessite la mise en œuvre d’une participation plus large pour affronter les menaces et atténuer leur impact négatif sur le bien-être des travailleurs. Il est tout aussi évident qu’une coopération mondiale accrue est nécessaire pour relever ces défis.
Il est temps de réécrire les règles qui sous-tendent le nouveau monde du travail, notamment pour que les travailleurs soient équipés d’outils et de savoir-faire numériques. Pendant les confinements, la plupart des lieux de travail sont passés des bureaux et des magasins aux domiciles. Si le travail hors site existait déjà, son adoption généralisée durant cette période constitue un fait nouveau. Pourtant, de nombreux travailleurs — ne possédant pas de compétences numériques — ont perdu leur emploi.
Une autre question requiert l’attention urgente, celle de la discrimination non fondée sur le sexe en matière de revenu du travail. Les disparités de rémunération entre les travailleurs « en col blanc » et en « col bleu » ne sont plus acceptables. La valeur réelle de la main-d’œuvre a récemment été mise en évidence lorsque celle-ci s’est lancée dans des actions syndicales ou a menacé de le faire. De nombreux pays ont réagi sous la contrainte. Mais un nouveau régime de compensation doit être mis en place de manière ordonnée, par la négociation collective ou l’institution d’un revenu de base universel.
Il est dans l’intérêt de tous que les parties prenantes de l’OIT (gouvernements, employeurs et travailleurs) s’engagent dans le processus de refonte du cadre juridique et réglementaire des relations de travail et des pratiques sur le lieu de travail. Faciliter ce processus sera une priorité lors de mon mandat qui débute en octobre. Nous devons libérer le travail pour qu’il puisse libérer tout son potentiel afin de parvenir à une prospérité inclusive pour toutes les personnes dans tous les pays.
Gilbert Houngbo est le directeur général élu de l’OIT.