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Déficits-Michel Barnier : « Nous devons tous faire un effort »

Déficits-Michel Barnier : « Nous devons tous faire un effort »

Michel Barnier détaille les économies à venir Dans une interview à la » Tribune »

 La crise financière « est devant nous », avez-vous déclaré vendredi en déplacement à Cournon-d’Auvergne. À  vos yeux, est-elle donc inéluctable  ?

MICHEL BARNIER - Non, certainement pas. La crise, si on ne fait rien, est probable. Notre devoir est donc de la prévenir. Et comme on va agir, on va l’empêcher. Quand on a une situation budgétaire comme la nôtre avec une dette de 3 228,4  milliards d’euros, des intérêts qui coûtent aux Français près de 55  milliards par an, c’est un devoir de responsabilité de freiner le déficit public. Je ne sais pas combien de temps je serai là. Cela dépendra de l’Assemblée nationale et, dans tous les cas, cela s’arrêtera en 2027. Mais tant que je serai ici, je me suis fixé deux ambitions : tenter de réduire les dettes budgétaire et écologique et trouver avec le gouvernement des solutions concrètes pour améliorer la vie des Français.

 

Diriez-vous être à la tête d’un État en faillite  ?

Non. D’abord je ne suis pas à la tête de l’État, c’est le président de la République qui l’est. Pour ma part, je suis à la tête d’un gouvernement qui doit gérer une situation très dégradée et sauvegarder la crédibilité de la signature française. Et, très franchement, cette dégradation ne date pas de six mois, ni même de sept ans. Je veux, pour être objectif, dire que Gabriel Attal a commencé à réduire la dépense publique et à faire des efforts.

Avez-vous l’impression de faire le sale boulot que les autres n’ont pas voulu faire  ?

Non. Je suis chargé à coup sûr d’un travail difficile. Mais je l’ai accepté en connaissance de cause quand le chef de l’État me l’a proposé. Je suis là pour servir. Je n’ai pas d’ambition pour l’après. J’ai 73 ans. Je ne me suis pas roulé par terre pour devenir Premier ministre. Ma seule préoccupation est d’être utile. Je suis à un moment de ma vie où je vais utiliser tout ce que j’ai appris depuis quarante ans. Et j’apprends encore beaucoup aujourd’hui.

Gabriel Attal a commencé à réduire la dépense publique et à faire des efforts

 

Vous imposez 60  milliards d’euros d’économies, dont 20  milliards de hausses d’impôts. Pour l’homme de droite que vous êtes, n’est-ce pas renier vos principes
et faire fausse route  ?

Nous ne faisons pas fausse route. Je veux que l’effort soit juste. Les hausses d’impôts seront exceptionnelles et ciblées sur les grandes entreprises et les très hauts revenus. Leur durée maximale sera de deux ans et elle sera inscrite dans la loi. Ce n’est pas cela qui va empêcher les entrepreneurs d’investir. Ce qui est susceptible de les décourager serait que l’État continue à créer des postes et à dépenser l’argent public alors qu’ils triment. Nous devons tous faire un effort et nous retrousser les manches. Un pays est mieux géré quand on lui donne une perspective et quand on dit la vérité.

La revalorisation des pensions de retraite est reportée du 1er  janvier au 1er  juillet. Qu’en est-il des autres prestations sociales  ?

Elles seront bien revalorisées aux dates prévues. Ce sera aussi le cas du minimum vieillesse, au 1er  janvier. Je vois bien que le gel provisoire des pensions de retraite génère du mécontentement. Laurent Wauquiez l’a fait remarquer. Cela reste néanmoins un effort raisonnable qui traduit cet effort collectif, partagé. Les parlementaires ont la possibilité, comme sur d’autres sujets, de faire évoluer le texte, à condition de trouver des économies équivalentes, à hauteur de 4 milliards d’euros. De manière générale, il est essentiel que les efforts votés au Parlement atteignent 60 milliards d’euros. Aux parlementaires, s’ils le souhaitent, de proposer d’autres économies que celles qui seront mises sur la table cette semaine.

 

Les 40  milliards d’économies sur la dépense publique restent extrêmement flous…

Nous allons demander un effort à tous les ministres. Nous allons regrouper des structures qui exercent des activités proches. Est-ce vraiment nécessaire d’avoir trois dispositifs différents pour accompagner la transition vers les voitures électriques  ? Nous avons aussi deux agences pour promouvoir l’économie française à l’étranger [Business France et Atout France], il n’y en aura plus qu’une. Nous pouvons également rapprocher les agences du sport et le ministère des Sports. Nous allons simplifier le fonctionnement de l’État  : nous pouvons gagner 1 ou 2 points de PIB en quelques années si nous simplifions nos structures. Je refuse que l’on ajoute de nouvelles normes à celles qui existent déjà. Il faut que ce pays soit géré au plus près des gens. Il faut que nous déconcentrions des pouvoirs à l’échelle des préfets. Il faut leur donner une capacité d’expérimentation, de dérogation et de flexibilité. Ce travail est long, il va s’étaler sur deux ou trois ans. Nous allons aussi engager un travail avec les collectivités locales. Partout où il y a des doublons, ils doivent être supprimés.

Les lois de programmation ont fixé des hausses budgétaires sur cinq ans
pour la défense, la justice et la recherche. Sont-elles remises en question  ?

Il y a plusieurs lois de programmation. De manière générale, accroître les moyens sur ces secteurs est essentiel pour notre justice, notre sécurité au quotidien et notre défense. Ces ministères devront néanmoins fournir leur part d’efforts, notamment par redéploiement, même si les lois de programmation seront dans l’ensemble préservées.

Les partenaires sociaux vont reprendre la main sur l’assurance chômage et rouvrir la négociation. Leur demandez-vous de dégager de nouvelles économies  ?

La négociation doit aboutir à mieux utiliser l’argent des contribuables. Il faut surtout que cette réforme encourage le travail. C’est aussi l’objectif de l’allocation sociale unique que nous comptons mettre en œuvre dans les prochaines années. Elle fusionnera plusieurs prestations sociales et garantira que les personnes au travail gagnent systématiquement plus que les autres. Il faut que le travail paie davantage.

S’agissant de la fonction publique, combien de postes seront supprimés  ?

Il n’y aura pas de coup de rabot. Je sais que l’on a besoin de fonctionnaires pour un service public de qualité dans la santé, à l’hôpital, à l’Éducation nationale, pour la sécurité.

 

Vous appliquerez le ratio d’un départ sur deux non remplacé, comme sous Nicolas Sarkozy  ?

Je le répète, nous ne voulons pas de coup de rabot. S’agissant des administrations centrales et des opérateurs, nous allons passer des contrats avec leurs responsables, qui doivent avoir une forte latitude de gestion. Une partie de leurs efforts pourraient être redistribués en interne, comme cela se pratique dans les entreprises.

 

Les collectivités locales sont pointées du doigt pour leurs dépenses excessives. Que leur demandez-vous  ?

Nous allons travailler avec les collectivités locales. Je ne veux pas les mettre en accusation. J’ai moi-même dirigé un département, la Savoie, pendant dix-sept ans. Certes, il y a beaucoup de dépenses d’investissement et de fonctionnement. Mais nous allons signer un contrat de responsabilité avec les mairies, départements et Régions. Catherine Vautrin, ministre que j’ai chargée du Partenariat avec les territoires, a engagé cette mission avec détermination.

L’apprentissage est une belle réussite, mais cela a pu créer des effets d’aubaine coûteux

 

Selon Bercy, les aides à l’apprentissage sont trop généreuses. Est-ce un gisement d’économies pour vous  ?

L’apprentissage est une belle réussite. Mais cela a pu créer des effets d’aubaine coûteux. Faut-il baisser l’aide forfaitairement, limiter le dispositif en fonction du niveau de diplôme  ? Cela fait partie des sujets pour lesquels la discussion est possible à l’Assemblée nationale et au Sénat. De manière générale, nous allons co-construire le budget avec les parlementaires. On discutera de leurs amendements, j’en déposerai au nom du gouvernement. Je vous rappelle que nous n’avons eu que quinze jours pour préparer ce budget  !

Les arrêts de travail coûtent de plus en plus cher, allez-vous limiter leur prise en charge  ?

Il y a plusieurs sujets, celui de la prise en charge, des indemnités journalières, du jour de carence, et de la prévention… Il faut en effet limiter le coût des arrêts de travail, et nous en discuterons avec les parlementaires.

Le récent rapport des économistes Bozio et Wasmer préconise une refonte des allègements de charges, avec 4  milliards d’euros d’économies à la clé. Allez-vous appliquer leur recommandation  ?

J’ai reçu ce rapport il y a quatre jours  ! Je souscris à l’idée de revoir les aides, afin d’éviter le phénomène de trappe à bas salaires dont tous les syndicats que j’ai rencontrés m’ont parlé. Il existe 80  milliards d’allégements de charges pour les entreprises, nous souhaitons en retirer quatre et favoriser une meilleure dynamique salariale au-dessus du smic avec les 76  milliards restants.

 

En matière de lutte contre la fraude, quels sont vos objectifs  ?

S’agissant de la fraude fiscale, nous renforcerons la lutte contre les réseaux mafieux et les trafiquants. Certains effets d’optimisation peuvent aussi être limités. S’agissant de la fraude sociale, nous voulons sécuriser les cartes Vitale en les adossant aux cartes d’identité numériques. Il y a, en France, trop de fraude sociale. Il faut redire cette vérité.

Votre ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq, estime qu’il ne faut pas toucher à l’aide médicale d’État (AME) tandis que votre ministre de l’Intérieur veut la réformer. Dans quel sens allez-vous arbitrer  ?

Je ne ferai pas d’idéologie. Je vais être pragmatique. Je veux vérifier qui utilise l’AME et qui ne l’utilise pas. Nous verrons comment cette aide peut faire l’objet d’abus ou de détournements, et nous tiendrons compte avec les ministres des travaux d’évaluation précédents.

En matière d’OQTF (obligation de quitter le territoire français), la politique de restriction des visas vis-à-vis des pays du Maghreb a peu porté ses fruits. Pourquoi cela marcherait-il mieux avec vous  ?

Les Français ne le supportent plus. Les expulsions seront rendues plus effectives par le ministre de l’Intérieur. Il y est déterminé. Les pays d’origine doivent reprendre leurs nationaux. Cela n’a pas bien marché jusqu’à présent. On doit utiliser tous les moyens, y compris la renégociation de traités bilatéraux, pour améliorer le dialogue avec le Maroc, l’Algérie, le Sénégal et d’autres pays. J’en parlerai avec le chef de l’État pour que nous trouvions les meilleures solutions. On doit aussi aller vers une mise en œuvre des procédures d’asile dans les pays de transit en utilisant mieux nos consulats et ambassades.

Y a-t-il eu du laxisme en matière de politique migratoire  ?

Cela n’a pas fonctionné, depuis quinze ou vingt ans. On doit pouvoir rétablir des contrôles à nos frontières, comme le fait l’Allemagne. Au niveau européen, les frontières extérieures ne sont pas assez contrôlées. Le nouveau pacte européen asile et immigration, sur lequel Gérald Darmanin a beaucoup travaillé, nous donne de nouveaux moyens d’action. Frontex doit retrouver sa mission de garde-frontière. On doit pouvoir savoir qui entre dans l’Union européenne et qui en sort. Il faut y mettre les moyens.

 

Mardi, Marine Le  Pen a réclamé un projet de loi sur l’immigration reprenant les mesures censurées par le Conseil constitutionnel en janvier. Avez-vous l’intention d’y donner suite  ?

Bruno Retailleau a dit qu’il faudrait changer certaines lois, pas l’État de droit mais certaines lois  quand elles ne fonctionnent pas. On le fera. Mais nous allons d’abord utiliser tous les moyens que nous donnent aujourd’hui les textes européens et les lois qui ont déjà été votées pour mieux sécuriser les frontières et expulser ceux qui doivent l’être. Si on veut agir le plus efficacement et le plus rapidement pour les Français, il faut d’abord effectivement mettre en œuvre tout l’arsenal qui existe et rendre effective l’application des lois. Proposer de nouvelles lois et les faire voter, ça prend du temps. Je ne dis pas qu’on ne le fera pas, mais l’agenda est déjà chargé cet automne avec les textes budgétaires puis la loi d’orientation agricole, qu’il faut reprendre après les travaux très importants conduits par Marc Fesneau. À des lois qui auront des effets lointains, je préfère des progrès concrets. Je veux être le Premier ministre d’un gouvernement qui apporte des solutions concrètes, visibles sur le terrain.

 

J’irai moi-même en Nouvelle-Calédonie le moment venu parce que je pense que c’est la responsabilité d’un Premier ministre

Irez-vous bientôt en Nouvelle-Calédonie  ?

C’est un dossier dont je me suis occupé dès le lendemain de ma nomination. J’ai tout de suite consulté l’ensemble des élus de toutes sensibilités pour essayer de reconstruire un chemin d’apaisement, de discussion et de considération. Je pense que nous pouvons y parvenir avec les deux mesures que j’ai annoncées, d’un commun accord avec le chef de l’État, lors de ma déclaration de politique générale : un report des élections qui étaient prévues et la non-saisine du Congrès pour entériner le dégel initialement prévu du corps électoral. Nous prendrons le temps, au moins une année, pour en rediscuter et trouver un nouvel équilibre. Nous pouvons reconstruire un dialogue entre toutes les communautés. Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, que je remercie, vont aller en Nouvelle-Calédonie pour une mission de dialogue de très haut niveau. J’irai moi-même en Nouvelle-Calédonie le moment venu parce que je pense que c’est la responsabilité d’un Premier ministre. À côté de ce chemin d’apaisement que nous devons trouver, avec le ministre des Outre-Mer, il faudra s’atteler aussi à la reconstruction économique et sociale, puisque 20 % du capital productif a été détruit par les émeutiers durant la crise.

Sur la proportionnelle, quelle sera votre méthode  ?

Nous ouvrirons la discussion en début d’année prochaine. Faut-il faire appel à une personnalité extérieure pour éclairer le chantier ou repartir des travaux qui ont déjà été conduits à l’Assemblée nationale  ? Je prendrai le temps d’écouter tous les partis politiques.

Mais, depuis votre nomination, on vous sent personnellement plutôt réticent sur ce sujet…

Ce n’est pas le cas. J’ai moi-même été élu à la proportionnelle en 1986 et aux européennes en 2009. Ce sont d’ailleurs des modalités de scrutin proportionnel différentes.

Vous ne ménagez pas beaucoup vos alliés, comme par exemple Gabriel Attal. Êtes-vous sûr que cela va tenir  ?

Je suis comme je suis, c’est-à-dire assez spontané parfois. Mais, j’apprécie et j’ai confiance en mes alliés. Pour être clair, la dette que j’ai trouvée n’est pas seulement celle de mes prédécesseurs immédiats. Elle est le fruit de vingt ans de laisser-aller. Mon état d’esprit n’est pas celui de faire un inventaire, ni de distribuer des bons et des mauvais points. Je n’ai pas le temps pour ça. J’ai beaucoup d’estime pour Gabriel Attal. C’est un élu de grande qualité qui a un avenir. J’entends bien ce qui se dit, mais il n’y a entre nous aucune difficulté, même si nous avons un tempérament et un style différents. Nous nous parlons régulièrement. Il est à la tête d’un groupe parlementaire important. J’ai besoin de lui. Comme j’ai besoin en particulier de Laurent Wauquiez, de François Bayrou, d’Édouard Philippe et de tous les présidents de groupe et des parlementaires au Sénat et à l’Assemblée, et évidemment, des deux présidents des chambres, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher. L’expérience que nous vivons est inédite. Nous sommes des « inventeurs ». Le gouvernement a besoin de tout le monde.

Mardi, vous affronterez votre première motion de censure. Dans quel état d’esprit l’abordez-vous  ?

Je sais que je suis dans la main du Parlement. S’il y a conjonction de la gauche et du Rassemblement national, je quitterai mon poste. Je sais ça. Quand je suis arrivé ici, j’ai passé des coups de fil à Boris Vallaud, à Olivier Faure que je connais bien, à François Hollande… Tous m’ont dit, avant même que je présente un programme de gouvernement, qu’ils déposeraient une censure tout simplement parce que j’ai été nommé. Je leur rappellerai simplement que si la majorité qui soutient mon gouvernement est relative, c’est bien la plus importante à l’Assemblée.

«Des écolos qui considère que nous devons faire pénitence»

 «Des écolos qui considère que nous devons faire pénitence»

Jérôme Fourquet est le directeur du département Opinion et stratégies d’entreprise de l’institut de sondages Ifop, et l’auteur de L’Archipel françaisNaissance d’une nation multiple et divisée (Seuil), prix du livre politique 2019. Il revient sur la polémique des verres vis-à-vis du tour de France et des sapins de Noël.

Sur le Tour de France, la cérémonie du Vœu des échevins ou encore les sapins de Noël, les propos de certains maires écologistes ont fait récemment le buzz. Est-ce une stratégie politique?

Jérôme FOURQUET. - Il s’agit de marquer les esprits et de montrer qu’une ère nouvelle est en train de s’ouvrir dans une partie des municipalités du pays: les villes conquises ont vocation à être des vitrines de ce qu’est une gestion locale écologiste. Avec en ligne de mire les futures échéances locales puis nationales: les Verts espèrent sans doute remporter quelques régions, qui gèrent d’importants budgets et leur permettraient de changer d’échelle politique.

Environnement : Après le Coronavirus, : « Nous devons tout repenser »

Environnement : Après le Coronavirus,  : « Nous devons tout repenser »

L a sociologue et philosophe Dominique Méda espère de la crise du Covid-19 qu’elle serve de « déclencheur pour la grande bifurcation qu’exige l’imminence de la crise écologique ».(Interview dans la tribune

 

 

Ce moment si particulier de début de confinement, comment l’éprouvez-vous intimement, comment l’interprétez-vous intellectuellement ?

Je le vis comme le prélude à d’autres crises et d’autres confinements, toujours plus graves, toujours plus surprenants, et pourtant prévisibles. Je veux dire que nous savons plus ou moins toutes et tous aujourd’hui que nous ne pouvons plus vivre comme avant, que nous avons forcé et dépassé un certain nombre de limites.

J’envisage cette crise comme un coup de semonce qui met en lumière notre aveuglement et notre impréparation. J’espère qu’elle va nous servir de déclencheur pour la grande bifurcation qu’exige l’imminence de la crise écologique.

C’est, par son ampleur et sa diffusion, une crise inconnue, une crise plurielle – économique, sociale, financière – et tentaculaire, une crise d’une soudaineté terrifiante, c’est en premier lieu une crise qui frappe et interroge « toute » la société et « toute » la planète. Vit-on un moment inédit de « crise holistique » ?

Hier, je parlais par Skype avec une Américaine installée au fin fond des Etats-Unis. Elle me racontait exactement la même situation que celle dans laquelle je me trouvais moi. Les écoles fermées, le confinement, les morts, les hôpitaux submergés, l’impuissance.

Cette internationalisation des événements, la simultanéité des expériences, ou encore la diversité des réponses et l’incapacité de former un « nous » alors que nous vivons la même chose et que nous sommes en quelque sorte constitués en une humanité unie par cet événement, forment quelque chose de tout à fait extraordinaire. Si cela nous permettait justement de prendre conscience de l’identité des défis auxquels nous sommes confrontés, ce serait magnifique. Plus encore si nous en profitions pour façonner des réponses communes.

Nous devons absolument reprendre la main et sur la finance et sur la production, revenir sur la liberté de circulation des capitaux et sur l’actuelle division internationale du travail.

Comment la globalisation du monde doit-elle être questionnée par cette crise ?

A l’évidence, elle a été beaucoup trop loin et elle n’a pas été contrôlée. A cet égard, le fameux article de Rawi Abdelal, (« Le consensus de Paris : la France et les règles de la finance mondiale« ) qui montre comment les Français ont promu la libéralisation complète de la finance en croyant pouvoir la maîtriser, est important. Car comme l’admet désormais le FMI, c’est un échec.

Et accepter la désindustrialisation et la dépendance que cela a provoqué est insensé. Nous devons absolument reprendre la main et sur la finance et sur la production, revenir sur la liberté de circulation des capitaux et sur l’actuelle division internationale du travail.

Le fonctionnement de cette globalisation, que l’on dit communément inégalitaire, égoïste, compartimenté, mercantile, peut-il à terme mais aussi dès maintenant profiter de cet indicible pour se réinventer ? L’urgence sanitaire mondialisée semble faire naître des desseins de ce type. En revanche, de l’Europe aux Etats-Unis, la cartographie géopolitique n’est guère encourageante…

Certes, mais la prise de conscience est brutale et intense. Il va falloir reconstruire très vite un programme politique de rechange exactement comme pendant la Seconde Guerre mondiale avec Beveridge et Keynes. Il nous faudra profiter de cette situation pour engager une véritable reconversion. Nous devons tout repenser, y compris et d’abord nos représentations des rapports entre humains et Nature, ce qu’est la vocation humaine, réapprendre le sens des limites, trier dans ce que la Modernité nous a apporté.

L’histoire est, à ce titre, un éternel recommencement : c’est dans l’exploitation des peurs que fermente le succès populaire et électoral des thèses isolationnistes, nationalistes, xénophobes. L’incontestable succès des candidats RN sortants ne doit-il pas être lu à cette aune ? Au-delà, et notamment au sein des pays d’Europe mais aussi aux Etats-Unis engagés dans la bataille des Présidentielles, ce spectre est-il inéluctable ?

Beaucoup de recherches ont mis en évidence le lien étroit entre délocalisations, automatisation, chômage et vote pour les extrêmes. Dans la reconversion écologique que je propose, nous devons mettre au centre l’impératif de justice sociale. Bien pensée, celle-ci peut permettre de recréer des emplois, de renouer avec le sens du travail, tout en sauvegardant des « conditions de vie véritablement humaines ».

Une « autre » réalité de nos existences est concrètement frappée : le travail, « l’exercice du travail ». Les premières mesures de l’Etat vous satisfont-elles ? Quels dangers, à plus long terme, cette déflagration fait-elle peser sur cet exercice du travail ?

Ce moment devrait nous permettre d’une part de faire le tri entre les métiers vraiment utiles et ce que Graeber appelle les « bullshits jobs », d’autre part de reconsidérer la rémunération relative des métiers. Il faut être aveugle pour ne pas voir quels sont aujourd’hui les métiers sans lesquels la société ne peut pas vivre.

Peut-on dès maintenant « tirer profit » de ce moment de crise pour questionner l’organisation, les réglementations, les conditions futures de cet « exercice du travail » ?

Oui, il nous faut préparer l’après dès aujourd’hui. A tous points de vue, nous devons renouer avec le réel et atterrir. La société de demain doit se préparer à faire face à des catastrophes climatiques et sanitaires. Nous devons nous organiser pour y faire face.

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Dominique Méda est professeur de sociologie à l’Université Paris Dauphine, et titulaire de la Chaire « Reconversion écologique, travail, emploi, politiques sociales » à la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FSMH).

 




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