,
Associé d’Initiatives et Finance, François-Xavier Oliveau accompagne les entreprises dans leur transition écologique.Il évoque la compatibilité entre le développement et l’environnement.
Les sociétés occidentales n’ont jamais aussi bien vécu et pourtant les crises se multiplient. Vous en identifiez trois : la crise environnementale, celle de l’argent et celle du travail. Avons-nous des problèmes de riches ?
Oui, en quelque sorte. La richesse crée paradoxalement des difficultés. Nous avons accédé, grâce au progrès technique, à une richesse inouïe, utopique pour nos ancêtres. Mais cette richesse provoque aussi de graves crises. La consommation d’énergie et de produits dégrade nos écosystèmes et réchauffe notre planète. L’abondance d’un argent désormais gratuit fait exploser la dette et creuse les inégalités. Machines, robots et logiciels omniprésents libèrent notre temps mais concurrencent notre travail et remettent en cause notre rôle social.
Le libéralisme est-il en tort ?
Non, je ne crois pas. Le libéralisme a joué un rôle essentiel pour créer cette abondance qui nous a sortis de la misère. L’innovation fait baisser les coûts puis la concurrence et le marché transmettent cette baisse dans les prix. La principale faiblesse du libéralisme est la gratuité des externalités négatives, qui aboutit à une exploitation excessive de la nature. Inversement, des fonctions actuelles de l’économie associées au libéralisme sont en réalité très anti-libérales, comme la façon dont nous fabriquons l’argent.
Pour remédier à la crise écologique, vous proposez de taxer la pollution. Cette idée a donné lieu aux mouvements des Bonnets rouges et des Gilets jaunes. Comment la rendre acceptable ?
Il existe en réalité déjà de nombreuses taxes vertes mais elles taxent la pollution de façon très hétérogène et avec une grande incohérence. En outre, la fiscalité environnementale ne représente qu’à peine 5% des 1 200 milliards annuels de recettes publiques françaises. Il s’agit donc de substituer ces nouvelles taxes à d’autres qui ponctionnent le travail ou le capital, et non pas de les ajouter comme on l’a fait maladroitement. Une fiscalité intelligente rendrait les biens et les services polluants plus chers et le capital et le travail moins chers, en évitant de détériorer le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises. Pourquoi ne pas taxer une pollution nuisible en réduisant la fiscalité sur le capital et le travail, utiles ?
«Nous avons tous envie et besoin de contribuer socialement. Les “inactifs” travaillent presque toujours bénévolement. En revanche, l’économie aura de moins en moins la capacité de rémunérer un travail concurrencé par la machine, les robots ou l’intelligence artificielle»
À l’ère de l’argent gratuit et abondant, les banques centrales devraient, selon, vous donner de l’argent aux citoyens et non plus s’endetter. N’est-ce pas contre-intuitif ?
Très contre-intuitif et même choquant pour beaucoup d’entre nous ! C’est pourtant logique. Nous créons toujours plus de richesse, ce qui exige de créer de la monnaie en quantité équivalente pour stabiliser les prix. Les banques centrales stimulent donc la création monétaire. En revanche, il est absurde de le faire par la dette, une monnaie temporaire qui disparaît quand on la rembourse. Nous tentons d’équilibrer une création permanente de richesse par une monnaie temporaire : c’est une mission impossible ! C’est ce qui explique la baisse continue et structurelle des taux d’intérêt depuis quarante ans et l’endettement astronomique des Etats, devenus « emprunteurs en dernier ressort ». Il serait en réalité bien plus logique de créer une monnaie définitive, distribuée aux agents économiques. Je propose de la flécher vers les citoyens, sur la base d’un montant unique par personne, qui évoluerait en fonction de l’inflation. Ce « dividende monétaire » aurait de nombreux bénéfices. Il recentrerait la dette sur son objectif principal : financer l’économie et non stabiliser les prix. Il ôterait à la banque centrale un pouvoir discrétionnaire aujourd’hui très excessif pour un organe non-élu. Il permettrait enfin d’exiger des Etats un engagement d’équilibre budgétaire, puisque le soutien à l’économie serait opéré par l’injection directe vers les ménages. Contrairement à l’approche dangereuse de la « théorie monétaire moderne » qui pousse l’Etat à un emprunt infini, celle que je préconise lui impose au contraire de rembourser ses dettes, comme tout agent économique.
Quel serait le montant actuel de ce dividende monétaire ?
En 2019, j’avais estimé le montant du dividende monétaire entre 50 et 100 euros par personne. Aujourd’hui, les pressions déflationnistes sont telles que les montants à injecter se situeraient vraisemblablement autour de 150 à 200 euros par personne. Ils diminueraient avec la reprise économique, quitte à s’annuler en cas d’inflation au-dessus de la cible de 2%.
À ce dispositif monétaire, vous ajouteriez un dispositif social : le revenu universel. Cela ne fait-il pas beaucoup ?
Le dividende monétaire et la fiscalité environnementale sont des priorités pour rétablir un équilibre macroéconomique et écologique. Le revenu universel s’inscrit dans une logique de plus long terme. L’abondance résulte aussi d’une hausse de la part du capital dans la production, au détriment du travail. Depuis 200 ans, nous avons ainsi gagné du temps libre. Grâce aux études longues, aux congés, à la retraite, nous travaillons aujourd’hui 12% de notre vie éveillée, contre 70% au début du XIXe siècle. Mais je ne crois pas à la fin du travail, car nous avons tous envie et besoin de contribuer socialement. Les « inactifs » travaillent d’ailleurs presque toujours bénévolement dans le cadre familial ou associatif. En revanche, l’économie aura de moins en moins la capacité de rémunérer un travail concurrencé par la machine, les robots ou l’intelligence artificielle. Le revenu universel accompagne cette divergence entre travail et revenu.
Comment alimenter ce revenu ?
Nous devons partir de la situation actuelle sans chercher à accentuer la redistribution. Toute personne dans la précarité touche aujourd’hui en France, par l’intermédiaire de multiples dispositifs (RSA, réductions de cotisations, emplois aidés, etc.), un montant de l’ordre de 500 euros. Le revenu universel permet avant tout de restructurer ces différents flux en les simplifiant et en réduisant leur coût pour l’Etat. Le revenu universel tel que je le propose ne résulte donc pas en gain de pouvoir d’achat mais plutôt en gain de simplicité. Il supprime des trappes à inactivité liées à la complexité du système. Tout le monde y aurait droit, mais les personnes avec des revenus plus élevés le repaieraient par l’impôt.
L’abondance représenterait selon vous une troisième voie dans l’opposition entre croissance productiviste et décroissance mortifère. De quelle manière ?
L’abondance se manifeste par trois effets : la croissance, la diminution continue du temps de travail, enfin la baisse des prix. Nous devons donc apprendre à maîtriser ces trois effets plutôt que de se focaliser sur la seule croissance, ce qui aboutit à des politiques keynésiennes financées par une dette qui augmente à l’infini et concentre les pouvoirs entre les mains de l’Etat. Le schéma que je propose permet au contraire à chacun d’arbitrer librement entre plus de richesse, plus de temps ou plus d’épargne, tout en incitant par le prix à une réduction des impacts négatifs sur le bien commun. L’ère de l’abondance, c’est la liberté.
L’ère de l’abondance ne concerne pour l’instant que les économies occidentales. Quelles relations imaginer avec les pays toujours en croissance ?
Même dans les pays pauvres, la qualité de la vie en matière de santé, d’accès à l’eau ou de nutrition s’améliore chaque année. Aujourd’hui, l’espérance de vie d’un enfant qui naît en RDC est largement supérieure à celle d’un enfant né à Paris en 1900. Il reste évidemment énormément à faire, mais je ne vois pas d’obstacle structurel à une abondance universelle : nous avons la force de travail, le capital et les ressources nécessaires. Il faut probablement repenser l’aide internationale et la faire évoluer vers un système de don plus que de prêt. L’endettement est une barrière au développement. On peut privilégier une logique de transfert monétaire sans contrepartie. Tant qu’on arrive à maintenir une inflation raisonnable, il est possible d’injecter de l’argent pour développer les infrastructures essentielles ou même en distribuer directement aux citoyens.