Dette publique: pourquoi ?
La France se débat face à une dette publique de plus en plus ingérable. Si d’autres pays comme l’Italie ou l’Espagne trouvent des solutions, pourquoi la France semble-t-elle paralysée ? Analyse des leviers possibles et des défis économiques à surmonter. Par Nicolas-Jean Brehon, Conseiller honoraire au Sénat, ancien membre de la commission des infractions fiscales.(dans la Tribune)
La France ne semble pas capable de réduire sa dette. Elle y est pourtant parvenue jadis. D’autres — le Portugal, l’Italie, la Grèce, l’Espagne —, y parviennent aujourd’hui. Mais la France est comme tétanisée, réduite aux appels à l’effort. Les engagements de trajectoires de redressement des finances publiques sont déclamés dans l’indifférence. Toutes les projections se sont révélées caduques sitôt publiées. La Cour des comptes a eu des phrases définitives dans son examen de la situation début 2025. « La dérive inédite des finances publiques s’est accentuée ». Pourquoi tant de difficultés ?
L’histoire économique enseigne qu’il y a plusieurs leviers pour faire baisser la dette. Agir sur le stock, sur le contexte, sur le flux. Tous ont été utilisés, mais très peu sont pertinents aujourd’hui.
Le levier le plus direct consiste à agir sur le stock, c’est-à-dire sur le montant.
Un levier lui-même divisé en trois moyens.
Rembourser la dette en vendant ses actifs. Vendre les biens du clergé et des émigrés pendant la Révolution, privatiser les grandes entreprises nationales ou les infrastructures aujourd’hui. C’est la solution qui vient spontanément à l’esprit et qui est venue aux experts du FMI, de la Banque centrale européenne (BCE) et de l’Union européenne imposant les privatisations à la Grèce en 2008. Pour un résultat plus que décevant. Privatiser un port ou un aéroport, passe encore, privatiser la distribution d’eau au profit d’un groupe étranger ne fait que provoquer des manifestations. Et puis, les privatisations rapportent très peu. On ne vend jamais bien lorsqu’on est obligé de vendre. En outre, la France a privatisé des dizaines de sociétés depuis 1986. Elle n’a presque plus rien à vendre.
Annuler la dette. La banqueroute fut jadis l’acte d’autorité du souverain qui ne s’en privait pas (une dizaine de banqueroutes sous la monarchie). La faillite des États existe toujours en Amérique latine. Mais elle n’est plus décidée arbitrairement et doit être négociée. Avec nos partenaires européens ? Sûrement ! Et puis la BCE a dit qu’elle cessait les rachats de dette.
Restructurer la dette. C’est la solution grecque de 2008 : les créanciers abandonnent une partie de leurs créances soit en effaçant la dette soit en allongeant sa durée ou en diminuant les taux. Une solution qu’il ne faut pas sous-estimer sous la forme d’un emprunt forcé qui permettrait de substituer des citoyens français aux prêteurs internationaux s’ils venaient à manquer. L’emprunt obligatoire a été utilisé en 1983 et concernait alors les contribuables qui payaient plus de 5000 francs d’impôt sur le revenu. Les Français ont un quasi-record d’épargne (avec un encours d’assurance vie de 2000 milliards d’euros) et beaucoup occupent même des appartements trop grands pour eux… Une curieuse étude de l’INSEE qui n’augure rien de bon (Un quart des ménages vivent dans un logement en sous-occupation très accentuée, Insee première 2064, 8 juillet 2025). Une clientèle toute trouvée pour un emprunt forcé ? De là à atteindre 3300 milliards…
Le levier le plus indirect est d’agir sur l’environnement économique.
Renouer avec la croissance. C’est évidemment le levier vertueux. Croissance signifie plus de rentrées fiscales et l’arrêt des emprunts. Une perspective illusoire en France comme dans la plupart des pays de l’UE tant la croissance est y atone depuis longtemps. Voilà vingt ans que les discours évoquent le retour de la croissance. Qui croira encore à ce genre de sornettes ? Les prévisions de croissance en France, revues à la baisse, sont parmi les plus mauvaises de l’UE (0,6 % annoncé en 2025)…
Accepter l’inflation. C’est le moyen le plus discret de faire baisser la dette. L’inflation ou l’euthanasie des rentiers disait Keynes. Une méthode insidieuse, mais très pratiquée après les guerres. Que pèsent les coupons et les remboursements lorsque les prix ont été multipliés par 10, 20, 50 ? 10, 20, 50 fois moins. En France, le retour de l’inflation est peu probable moins du fait du contrôle de la BCE qui a pour mission de maintenir la stabilité des prix, que sous l’effet de la concurrence internationale qui pèse sur les prix. Et puis c’est l’un des rares motifs de satisfaction avec une inflation globalement moins élevée en France qu’en Europe, un petit avantage par rapport aux concurrents dont les prix augmentent. Alors, l’inflation pour réduire la dette ? Oublions.
Reste le levier intermédiaire : agir sur le flux qui entretient la dette, c’est-à-dire sur le déficit annuel.
Réduire le déficit public, premier carburant de la dette, et plus précisément le déficit primaire, c’est-à-dire hors charge des intérêts (largement imposée par les marchés et accessoirement par les agences de notations). Un levier lui-même divisé en deux moyens.
Améliorer les recettes publiques. En France, pas question d’instituer de nouvel impôt. La hausse des taux de TVA (le choix de l’Espagne et du Portugal) qui offre un bon rendement budgétaire (relever le taux normal de 20 à 21 % représenterait 6,5 milliards d’euros) est trop conflictuelle. En revanche, il existe des pistes pour améliorer les rentrées fiscales sans bouleverser la législation : réduire les niches fiscales (les 474 dispositifs coûtent 85 milliards d’euros), supprimer l’abattement de 10 % des retraites les plus élevées, élargir l’assiette de l’impôt sur la fortune, supprimer un jour férié, mieux lutter contre la fraude fiscale, qui touche toutes les catégories sociales et professionnelles… La panoplie est large. Mais la réforme ne peut réussir que si chaque catégorie a l’impression que les autres payent aussi. La fiscalité est étroitement corrélée avec la justice et l’égalité, deux totems français.
Réduire la dépense. Cette fois, on arrive à l’os. Pas de réduction de dette sans coupes franches. Quelques exemples : gel (Espagne) voire réduction (Portugal, Irlande) des traitements des fonctionnaires, réduction des pensions (Grèce), réduction du nombre d’agents publics (Portugal), augmentation du temps de travail (Irlande), suppression des 13e mois (Portugal), durcissement des conditions des départs anticipés (Italie)… Quand certains y vont à la tronçonneuse, la France décide du rabot ou de la lime à ongles. Les centaines d’idées qui circulent dans tous les cafés de France sont sans rapport avec l’enjeu financier (les agences, les voitures et les gardes du corps des ministres, etc.). Les vraies pistes, les réformes « structurelles », exigent une force au sens propre comme au sens figuré qu’en France, aucun gouvernement ne pourra employer sans risque. La réforme de l’État s’est arrêtée à la suppression de l’ENA ! Une fanfaronnade démagogue (l’Ena supprimée comme une tête au bout d’une pique, Slate 2 mai 2019). Il faudrait oser réformer le statut de la fonction publique pour une partie des agents de l’État. Un statut qui engage les finances de l’État pour 60 ans (activité et pensions) est devenu absurde dans un grand nombre de cas. Recruter un agent public dont le traitement va augmenter automatiquement à l’ancienneté tous les deux ans (par le changement d’indice) et presque automatiquement tous les cinq ou sept ans (par le changement de grade) pour finir en apothéose avec des fonctionnaires anciens qui sont mieux payés sous prétexte qu’ils sont vieux et que cela va compter pour leur retraite ? Sans compter que le rendement baisse sérieusement dans les dernières années. L’armée a trouvé la solution des carrières courtes. Mais toucher au statut, c’est évidemment mettre des millions d’agents publics dans la rue. Qui osera affronter la rue ?
Le Premier ministre pyrénéen se voit attaquer l’Himalaya. Mais il risque de s’arrêter au premier camp de base du débat budgétaire. Face à la curée qui s’annonce, le président de la République quitterait ses fonctions avant le terme de son mandat. Le suivant, qu’il s’agisse de celui chargé de l’intérim ou du nouvel élu, ne peut être qu’un président de sacrifice. En politique, c’est plutôt rare. Mais la patrie serait reconnaissante.