Pour une désintoxication numérique à l’école
Si elle fut un recours pour les enseignants lors du confinement, la tablette numérique est « une trappe à inapprentissage » pour des collégiens déjà saturés d’écrans, estime, dans une tribune au « Monde », l’économiste Jean-Pascal Gayant.
Tribune
Depuis plusieurs années, des présidents de conseil départementaux s’achètent une image de modernité et une bonne conscience éducative en dotant les collégiens de tablettes numériques. Dans les cénacles des collectivités territoriales, comme dans les couloirs du ministère de l’éducation, il serait incongru de remettre en cause le bien-fondé de cette option éducative : les tablettes sont un outil ludique qui ne peut – c’est une évidence – qu’accroître l’efficacité des apprentissages.
Dans le même temps, la France s’effondre dans les classements internationaux de compétences en mathématiques à l’entrée et pendant les années collèges. A priori, il n’y a aucun lien entre ces deux faits : les cohortes de collégiens dotés des outils numériques ont fait leur entrée dans le système éducatif avant les réformes Blanquer-Macron, et il est trop tôt pour juger à la fois de l’introduction des outils numériques et de l’efficacité des réformes.
Une intuition confortée
En revanche, les praticiens de l’enseignement ont désormais un certain recul pour évaluer les conséquences du recours aux outils numériques pour les apprentissages. Depuis plus de vingt ans maintenant, il est possible d’utiliser le logiciel PowerPoint (ou d’autres logiciels faisant apparaître des « slides » sur un écran) comme support des enseignements.
Pour ceux qui ont expérimenté la pédagogie avant et après cette évolution, les enseignements à tirer sont très nuancés : certes la vidéo-projection est un outil formidable pour illustrer certains savoirs (à l’aide de cartes, de photographies, de dessins ou tableaux, de films ou même de musiques), mais elle n’est que d’un piètre secours pour l’enseignement des mathématiques ou de disciplines ayant recours à sa formalisation.
En d’autres termes, le recours à une projection d’informations et de données pré-écrites est plutôt moins bénéfique que l’usage de la craie (ou du feutre) pour écrire les hypothèses, résoudre les équations et illustrer graphiquement les formes fonctionnelles et les ensembles (et leurs interactions).
Les périodes de confinement et le recours massif à l’enseignement à distance ont conforté de façon éclatante cette intuition : même pour les enseignements formalisés, il a souvent fallu abandonner la craie pour des « diapositives » numériques prémâchées, rendant le travail des enseignants frustrant (et fastidieux), et la transmission des savoirs aux étudiants dégradée.
Ni conservatisme, ni technophobie
Ceux des enseignants qui pouvaient s’appuyer sur des tablettes numériques depuis le lieu où ils télétravaillaient l’ont spontanément fait puisqu’il s’agissait de la meilleure option pour se rapprocher du mode de transmission irremplaçable que permet l’usage de la craie sur le tableau noir.