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Désindustrialisation : une erreur collective (Louis Gallois)

Désindustrialisation : une erreur collective (Louis Gallois)

Haut fonctionnaire, ancien patron d’Airbus et de la SNCF, passé par le public et la présidence du conseil de PSA, Louis Gallois aborde les responsabilités de la désindustrialisation fut une erreur collective d’après lui ( Dans la tribune

Les conséquences concrètes de ce qui est effectivement un drame national s’inscrivent dans le « paysage » français : chômage massif qui se résorbe lentement mais au prix d’une stagnation de la productivité, déséquilibre extérieur abyssal (la balance commerciale des produits manufacturés est en déficit de 80 milliards d’euros alors qu’elle était à l’équilibre en 2000), perte de souveraineté dont les Français ont pris conscience pendant la crise du Covid, fractures territoriales qui marginalisent des régions entières, sentiment de déclassement. Nous n’avons pas fini de payer la facture de cette négligence collective.

À compter des années 1980, l’image de l’industrie s’est brouillée, devenant synonyme de secteur gris, dépassé, polluant. Comment l’expliquez-vous ? Et pourquoi donc nos voisins allemands et italiens ont su prendre un autre chemin ?

Je pourrais tenter de rechercher des causes culturelles. Le grand salon annuel en Allemagne est la Foire de Hanovre consacrée aux machines. Le grand salon en France est celui de l’Agriculture. D’une certaine manière, la France rêve de sa ruralité perdue. La tradition industrielle est moins forte qu’en Allemagne ou dans le Nord de l’Italie, sauf dans les régions qui justement ont le plus souffert de la désindustrialisation : le Nord, l’Est, les Ardennes, les vallées des Vosges.

Les crises ont succédé aux crises : crise de la sidérurgie, du textile, des chantiers navals. J’ai eu personnellement à en traiter certaines comme directeur général de l’Industrie, au ministère de l’Industrie. En fait, on a baissé les bras. On a cru que l’intégration européenne allait nous dispenser de l’effort.

On est entré dans l’Euro en appliquant les 35 heures et en augmentant les charges sociales mais aussi les salaires ; les Allemands faisaient l’inverse avec Schröder et les lois Hartz. Il y a eu aussi cette illusion que les services remplaceraient l’industrie, que les centres de recherche se substitueraient aux usines ; les questions de compétitivité ont disparu des agendas.

Les Français ont pris conscience de l’ampleur du drame. Le rapport que j’ai rendu fin 2012 sur la compétitivité a coïncidé avec cette prise de conscience. Elle était indispensable pour que les politiques se saisissent vraiment du sujet et s’engagent dans une politique de l’offre, non par idéologie mais parce que c’était l’offre qui était en souffrance. François Hollande en a payé le prix avec les frondeurs. Ceux-ci ont vigoureusement contesté son choix qui était effectivement en rupture avec la préférence traditionnelle de la Gauche pour le soutien keynésien de la demande.

Emmanuel Macron a poursuivi et amplifié ce mouvement. Celui-ci sera durable si les Français ont le sentiment que cette politique réussit. Certains signes sont positifs : emplois industriels en croissance, plus de sites industriels qui ouvrent que de sites qui ferment, succès industriels dans certains territoires dynamiques. Or, l’industrie française continue à perdre des parts de marché par rapport aux autres pays européens, ce qui montre que rien n’est acquis et qu’il reste beaucoup à faire !

La réindustrialisation doit devenir une priorité nationale, reconnue comme telle par les Français. Cela veut dire qu’elle doit faire l’objet d’un débat démocratique conclu devant le Parlement. La planification de l’effort public peut en être l’occasion. La recherche et l’innovation, les compétences, l’énergie, la santé… autant de thèmes sur lesquels les acteurs économiques, les syndicats et l’opinion publique ont besoin de connaître les ambitions et les perspectives de l’action de l’État.
Mais il faut aussi construire le récit de la réindustrialisation : pourquoi réindustrialiser ? Comment cela ouvre-t-il à des métiers passionnants ? Comment cela participe-t-il à la souveraineté nationale et à la transition énergétique et écologique ? Redonner à notre pays des marges de manœuvre vis-à-vis de l’extérieur, créer des richesses durables, retrouver la valeur du « faire » et du « savoir-faire », fabriquer les outils de la décarbonation, saisir les opportunités ouvertes dans le recyclage, les plastiques biodégradables, les matériaux isolants, les systèmes énergétiques décarbonés ; inventer la croissance verte plutôt que d’aller vers une décroissance mortifère. Si, grâce à ce récit, nous donnons aux jeunes l’envie d’aller vers l’industrie, nous aurons fait une grande partie du chemin de la reconquête industrielle.

Parlons de l’avenir pour finir… Quelles devraient être les grandes caractéristiques de l’industrie du futur ?

L’industrie de demain, quels qu’en soient les secteurs, ne sera pas celle d’hier. Elle aura au moins quatre caractéristiques. Elle sera d’abord technologique, d’une part parce que les coûts des pays industrialisés les conduisent vers des activités à forte valeur ajoutée, d’autre part parce que la grande bataille entre les trois blocs – Chine, États-Unis, Europe – va être technologique et que nous ne pouvons pas, à notre mesure, en être absents. Cela suppose de relever notre effort de recherche massivement. Il se situe à 2,2 % du PIB, contre 3,1 en Allemagne avec un objectif de 3,5 et 4,5 en Corée. Il y a un vrai risque de déclassement si nous n’allons pas rapidement vers 3 % au moins, soit 20 milliards de plus par an.

Deuxième caractéristique : l’industrie de demain sera numérisée. C’est une évidence mais pas encore une réalité dans notre tissu de PME qui hésite souvent à s’engager dans le « tout numérique ». La France est un des pays d’Europe où la 5G pénètre le plus lentement alors qu’elle est nécessaire pour le dialogue des machines dans les ateliers.

Troisièmement, l’industrie sera écoresponsable. Cela a deux conséquences : les process industriels devront être décarbonés. Cela va coûter très cher et la rentabilité des investissements de décarbonation sera au mieux différée. Il va donc falloir des aides publiques importantes. Les États-Unis ont mis en place un plan d’aide de plus de 400 milliards de dollars pour la décarbonation de l’industrie (l’IRA). Chaque pays européen fait ses efforts à la mesure de ses moyens. Un grand programme européen, fondé sur la capacité d’endettement de l’Europe, serait la bonne réponse à l’IRA. Mais la transition écologique ouvre aussi des opportunités nouvelles. J’en citais plusieurs il y a quelques instants. Il va falloir les saisir pour que ces nouveaux produits soient fabriqués en France et en Europe. Le précédent des panneaux solaires désormais fabriqués à 90 % en Chine doit nous inciter à la vigilance… et à l’action !

Enfin, l’industrie sera électrique, c’est la conséquence de la décarbonation des process. L’industrie aura besoin d’une électricité décarbonée, abondante, prévisible et compétitive. Cela veut dire que le nucléaire devra rester la base de notre système de production électrique et continuer à représenter de l’ordre de 70 % de l’électricité produite. Les errements de la politique énergétique du passé font que notre production d’électricité décarbonée ne retrouvera son équilibre qu’au-delà de 2035-2040 quand les nouveaux réacteurs qui doivent être lancés, je l’espère le plus rapidement possible, délivreront leur production. D’ici là, nous allons vivre avec des solutions provisoires où le gaz et les importations joueront leur rôle alors que la disponibilité d’une électricité à un prix acceptable et prévisible est une condition essentielle de la réindustrialisation.

Désindustrialisation: Le résultat d’une décision idéologique

Désindustrialisation: Le résultat d’une décision idéologique

L’économiste, spécialiste des relations économiques internationales, estime que la désindustrialisation a bien été une décision idéologique.

Interview dans la tribune

Le chef de l’Etat a expliqué hier que la désindustrialisation était un choix « presque idéologique ». Les annonces d’hier marquent-elles le retour d’un protectionnisme industriel assumé ?

La désindustrialisation a bien été une décision idéologique. Lorsque les pays en développement sont apparus dans les chaînes de production, les pays développés ont admis que leur industrie ne pourrait pas rivaliser avec des coûts de main-d’œuvre beaucoup plus faibles et serait inévitablement délocalisée, particulièrement en Asie. Le projet économique était de tout miser sur les services, par définition pas délocalisables.

Le choc de compétitivité subi par l’industrie française et européenne ne peut se comprendre qu’à travers cette doctrine, encore très présente chez les économistes. Aujourd’hui, nous en sommes progressivement sortis. En tant qu’économiste, je parle ouvertement d’un retour du protectionnisme car c’est de cela dont il s’agit. Ce mouvement est visible depuis quinze ans. Avant même la crise de 2008, l’Inde, la Chine, la Russie, l’Amérique Latine avaient déjà de plus en plus recours à des barrières non-tarifaires pour défendre leur marché intérieur.

Pourquoi préfère-t-on parler de « souveraineté » que de « protectionnisme » ?

Le terme de « protectionnisme » est politiquement sensible. Certains pays du Nord de l’Europe y sont hostiles. Emmanuel Macron parle donc souveraineté pour ne pas froisser ses partenaires européens. Au fond, l’enjeu reste le même. Les chocs géopolitiques vont être de plus en plus nombreux. Ainsi, il faut être un minimum autosuffisant sur le plan industriel pour réduire ses dépendances à l’extérieur. Aujourd’hui, la géopolitique a pris le dessus sur l’économie, à l’image du conflit qui se profile entre la Chine et les Etats-Unis.

Emmanuel Macron en a pris acte. Néanmoins, ce n’est pas du tout le paradigme de l’Union européenne, construite sur un marché le plus ouvert possible et des prix bas pour les consommateurs. Redonner la priorité à la production industrielle aura pour conséquence une hausse des prix. Cette politique de souveraineté industrielle est inflationniste. Il faut clairement dire qu’acheter un jean à 20 euros produits dans 50 pays ne sera plus possible.

Un crédit d’impôt en faveur des industries vertes, sur le modèle de celui de l’IRA (Inflation Reduction Act, aux Etats-Unis) se prépare. De quels outils utilisés à l’étranger la France doit-elle s’inspirer pour se réindustrialiser ?

Il est d’abord nécessaire de débloquer des subventions industrielles et surtout de les conditionner à l’achat de produits faits localement, à la manière de ce qu’exigent les Etats-Unis. Les aides publiques doivent, en outre, être simples et rapides à toucher, sur le modèle du crédit d’impôt de l’IRA.

Enfin, le dernier levier, peut-être le plus important, est le prix de l’énergie. La France possède un avantage comparatif sur l’Allemagne et l’Italie avec le nucléaire pour fournir aux industriels de l’énergie bon marché. Sur ce point, les Etats-Unis, autosuffisants en hydrocarbures, sont très en avance.

Le plan pour les industries vertes de la France intervient près d’un an après le vote de l’IRA. Le crédit d’impôt annoncé par Emmanuel Macron suppose encore d’attendre que les Européens s’accordent sur les produits concernés. Dans le même temps, les investissements affluent aux Etats-Unis et la Chine a des années d’avance sur les véhicules électriques ou les panneaux solaires. Est-ce que l’industrie française et européenne pourra rattraper son retard ?

Non, on ne rattrapera pas notre retard sur les technologies existantes comme les panneaux solaires ou les batteries actuelles. En revanche, nous sommes au tout début de l’émergence de technologies d’avenir. Les batteries produites dans cinq ans n’auront rien à voir avec les modèles actuels. Elles seront plus puissantes, plus économes, plus rapides à charger. Il nous appartient de nous positionner maintenant comme leader sur ces innovations pour se réindustrialiser dans des secteurs d’avenir.

La désindustrialisation, pourquoi ?

 La désindustrialisation, pourquoi ?

Dans son dernier livre, le président de la Banque publique d’investissement, Nicolas Dufourcq, s’appuie sur les témoignages de 47 personnalités du monde économique pour développer les raisons qui, selon lui, ont mené au démantèlement de l’industrie française.

De 1980 à 2020, nous avons assisté à la mondialisation de l’économie, un phénomène quasi unique à ce jour, avec comme point d’orgue l’entrée de la Chine en 2001 à l’Organisation mondiale du commerce, qui a achevé de transformer l’empire du Milieu en plus grande usine de la planète.

En parallèle, de 1995 à 2015, la France a connu une désindustrialisation massive et sans précédent, observe le président de la Banque publique d’investissement, Nicolas Dufourcq, dans son dernier livre. L’un ne va pas sans l’autre. Et un mot couramment employé dans les années 1990 résume ces errements passés : « fabless », c’est-à-dire une entreprise « sans usine ».

Mais l’homme d’affaires – qui s’appuie sur les témoignages de 47 personnalités, dont des entrepreneurs (Laurent Burelle, de Plastic Omnium, Xavier Fontanet, d’Essilor…), des politiques (Jean-Pierre Chevènement, Alain Madelin…), des syndicalistes (Marcel Grignard, de la CFDT…), des hauts fonctionnaires (Louis Gallois, François Villeroy de Galhau…), des économistes (Laurence Boone…) – entend aller plus loin dans l’analyse, car il existe une exception hexagonale.

La France a été plus rapidement et plus en profondeur que ses voisins européens – comme l’Allemagne, l’Italie et la Suisse – dans cette voie de la désindustrialisation, avant d’amorcer un rétropédalage. L’auteur avance d’ailleurs une raison originale, structurelle – liée à la prise de décision très verticale chez nous –, mais aussi idéologique : « Les grands groupes français étaient exposés aux influences anglo-saxonnes, via leurs sièges parisiens, leurs banques, leurs consultants et leurs actionnaires, tous mondialistes, tous favorables aux délocalisations et au “fabless”. » Or nos voisins sont « moins libéraux et moins influençables, parce que provinciaux », écrit-il, avant d’ajouter : « La culture du bon sens et le souci de l’ancrage territorial allemand, italien, suisse les ont protégés. »

Les chiffres sont en effet éloquents : il y a aujourd’hui 7,5 millions d’emplois dans l’industrie allemande, contre 2,7 millions dans l’industrie française.

Nicolas Dufourcq pointe que, en vingt ans, la France a perdu le tiers de ses effectifs, alors que l’Allemagne est restée stable.

Mais un autre phénomène est tout aussi saisissant : « Les ventes par les filiales françaises se sont substituées aux exportations qui étaient faites auparavant depuis l’Hexagone », constate M. Dufourcq. Cet excédent généré par les services et les revenus nets des investissements directs à l’étranger permet de compenser le déficit du commerce extérieur français.

Balance commerciale : le signe de la désindustrialisation

Balance commerciale : le signe de la désindustrialisation

 

Signe de la désindustrialisation, les importations augmentent toujours plus vite que les exportations et la France affiche 84,7 milliards d’euros de déficit de son commerce extérieur observe  Béatrice Madeline dans le Monde.

Si la position de la France s’écroule en matière de biens par contre elle s’améliore concernant les services. Le problème est que l’économie mondiale repose encore sur une certaine matérialité. En France le choix plus ou moins conscient a été de miser sur la dématérialisation et les services. Le problème est que cela a entraîné la décomposition de l’industrie, le déaménagements du territoire mais aussi la dette puisqu’il faut bien emprunter pour compenser le déficit des flux financiers du commerce international NDLR

Pour le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, c’est « le problème économique qu’il nous reste à régler dans les dix prochaines années ». Alors que la France affiche une croissance de 7 % pour 2021, supérieure à celle de ses principaux voisins, des créations d’emplois florissantes et que le chômage recule, le commerce extérieur reste l’ombre au tableau économique. Le déficit commercial de la France s’est en effet de nouveau aggravé sur l’année écoulée, à 84,7 milliards d’euros, selon les données des douanes publiées mardi 8 février. Il pulvérise le précédent record de 75 milliards d’euros, atteint en 2011. Une dégradation préoccupante, alors que l’impératif de la souveraineté face aux grands pays producteurs comme la Chine n’a jamais été autant mis en avant

Par rapport à 2020, où il avait atteint 64,2 milliards d’euros, le déficit commercial s’est donc creusé d’une vingtaine de milliards en grande partie en raison de l’alourdissement de la facture énergétique, passée de 25,2 milliards d’euros en 2020 à 43,1 en 2021.

France: les ravages de la désindustrialisation

France: les ravages de la désindustrialisation

Déjà auteur du remarquable « Archipel français », paru en 2019, où il décrivait la lente atomisation d’un pays à l’unité vacillante, le politologue Jérôme Fourquet signe donc, avec, cette fois, le journaliste et essayiste Jean-Laurent Cassely, « La France sous nos yeux », un instantané exceptionnel de lucidité et de clarté réalisé à l’aide d’une compilation inédite de statistiques, celles de l’Insee ou des grands organismes afférents, naturellement, mais aussi avec le secours d’une batterie de données qu’il a fallu chercher dans les tréfonds des multiples banques de data disponibles.

On en ressort avec le nombre de piscines construites sur le sol français, le nombre de visiteurs du zoo de Beauval, le profil des amateurs de Kebab ou celui des néoruraux de la Drôme – nouveau département hype du moment – sans oublier l’incroyable décryptage de la France périphérique, aussi appelée « France Plaza » par les auteurs, du nom du célèbre agent immobilier devenu star de la télé.

Que trouve-t-on au fil de ces indicateurs souvent originaux mais jamais loufoques mis bout à bout ? Une vision à la fois macro et micro de notre territoire, presque à hauteur d’homme et loin de la seule froideur et du funeste penchant des statisticiens pour la moyennisation.

Dire que les auteurs révèlent, à l’occasion, une grande tendance qui nous aurait échappé serait exagéré. Comme nous tous, ils constatent les ravages au long cours de la désindustrialisation, la transformation de notre pays en vaste zone de chalandise prise d’assaut d’abord par la grande distribution puis par les entrepôts du type de ceux d’Amazon, ou encore les bouleversements de la métropolisation conjugués à la lassitude urbaine qui, considérablement dopée par le télétravail de masse né du Covid-19, conduit aujourd’hui à un exode important des citadins vers les campagnes.

Ce qu’ils montrent, en revanche, c’est l’incroyable brutalité et rapidité avec lesquelles ces évolutions se sont produites, pour le meilleur et pour le pire. Pour le pire, voici l’exemple maintes fois raconté de l’Alcatel « sans usines », ce « fabless » devenu une folie française dans les années 2000, une folie dont s’empara le patron de l’époque Serge Tchuruk. Dans un tableau édifiant reproduit dans le livre, on se rend compte qu’entre 1995 et 2013 le groupe fermera ou cédera pas moins de 17 usines sur le territoire. Autant de plaies béantes ouvertes dans la plupart des zones concernées, autant de décisions qui, au nom d’une vision quasi suicidaire, précipiteront la chute du groupe.

Voici aussi la France d’Intermarché et consorts, lequel Intermarché se déploiera au rythme hallucinant de deux ouvertures par semaine entre 1980 et 1990, redessinant, comme tous ses rivaux distributeurs, les abords des villes, transformant les flux de transports, améliorant le pouvoir d’achat des classes modestes, modifiant radicalement les codes de l’alimentation.

La France d’Amazon

Voici enfin, en 2020, la France d’Amazon, symbole de la victoire absolue du secteur tertiaire mais dont les élus locaux sont loin de se plaindre, bien au contraire. Car cette France des entrepôts, qui offrent au regard leur rectangle grisâtre dans les campagnes, est à nouveau synonyme d’emplois, singulièrement dans des régions sinistrées par la disparition de l’industrie. Les chiffres, retrouvés par nos auteurs, sont édifiants : en quinze ans, l’emploi dans le secteur de l’entreposage et de la manutention aura augmenté de plus de 50 %.

Pour serrer au plus près l’impact de ces multiples ruptures sur l’attractivité de telle ou telle portion de notre territoire, Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely ont eu l’idée d’analyser le trafic généré sur Wikipédia par toutes les communes qui y sont répertoriées. Bilan, une transformation profonde des hiérarchies où la France triple A d’autrefois n’est plus forcément celle d’aujourd’hui. La perte d’influence du Lubéron au profit de Biarritz, l’incroyable réveil de Bordeaux, l’engouement pour La Rochelle ou Avignon contrastent avec cette France « gris foncé » allant de la Haute-Normandie à la Picardie en passant par la Franche-Comté ou le sud de l’Alsace.

La « démoyennisation »

La France d’aujourd’hui est celle de la « démoyennisation », affirment les auteurs. La polarisation est partout, y compris dans la même famille de consommation. Le burger peut-être premium comme il peut être « popu ». Le camping, mode de tourisme populaire par excellence, a désormais ses fans bobos. Et la France d’en haut a plus souvent qu’autrefois l’occasion de rencontrer celle d’en bas sur Leboncoin. Impossible, ici, de rendre compte en détail d’un livre foisonnant. En creux, ce sont évidemment les transformations sociales à l’oeuvre, pas toujours bien comprises, qui sont décortiquées. « L’écart entre le pays tel qu’il se présente désormais à nos yeux et les représentations que nous en avons est abyssal », écrivent les auteurs. C’est pourquoi ce livre est indispensable.

Par Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely. Editions du Seuil, 483 pages, 23 euros

Bridgestone: le symbole de la désindustrialisation

Bridgestone: le symbole de la désindustrialisation

 

La tribune du maire de Cannes, vice président de l’association des maires de France dans l’Opinion à propos du processus de désindustrialisation.

 

 

 

 

 

Le fabricant japonais de pneumatiques Bridgestone a annoncé le mois dernier vouloir entamer des discussions en vue de la fermeture de son usine de Béthune (Pas-de-Calais) en raison de la faiblesse de la demande et d’une forte concurrence. Cette usine, mise en service en 1961 et d’une capacité de production d’environ 17 000 pneus par jour, emploie 863 personnes.

La fermeture annoncée de l’usine Bridgestone à Béthune est d’abord un drame humain. Toutes les familles concernées vont subir de plein fouet les conséquences sociales de cette décision. Elle est aussi le symbole de la faillite de l’Etat en matière de politique industrielle depuis des décennies.

Car, ne nous y trompons pas : ce plan social, qui concerne les 863 employés du seul site français du fabricant de pneumatiques japonais, n’a que peu à voir avec la crise liée à l’épidémie de Covid-19. Il a tout à voir avec des choix économiques et fiscaux qui se sont révélés mortifères pour l’industrie nationale et pour l’emploi depuis plus de trente ans.

En 2020, nous comptons déjà près de 400 plans de ce type, si injustement appelés « plans de sauvegarde de l’emploi » dans un vocabulaire technocratique qui ne tient plus aucun compte des réalités humaines depuis longtemps. C’est davantage que l’année dernière à la même époque et se réfugier derrière la crise sanitaire reviendrait à nier une évidence.

Les chiffres sont bien connus et ils sont saisissants. En quarante ans, la part de l’industrie manufacturière dans le PIB de la France a été divisée par plus de deux. Elle n’est plus que de 10 % aujourd’hui. Le nombre d’emplois a suivi la même pente dévastatrice avec plus de deux millions d’emplois perdus dans le secteur industriel sur la même période.

Si certains de ces plans sociaux marquent davantage les esprits – on se souvient de Gandrange, de Florange ou encore, en pleine campagne présidentielle 2017, de l’usine Whirlpool d’Amiens – la plupart ne mobilisent pas autant l’intérêt des médias et des politiques, sinon locaux.

Désindustrialisation. Sur ces questions, la démagogie l’emporte trop souvent. A droite comme à gauche on se dit « indigné » ou « scandalisé » et on continue d’adopter des postures étatistes à chaque fermeture d’usine ou délocalisation, alors même que cette approche étatiste, faite de subventions de circonstances alimentées par les prélèvements les plus élevés de l’OCDE, a conduit notre industrie à l’échec.

Nos gouvernements successifs s’empressent de répondre à chaque problème par un traitement social qui coûte cher, ne résout rien et alimente la spirale délétère de la perte de responsabilité privée et de la hausse de la dépendance publique, source de surfiscalité, de surendettement et de dégradation de la compétitivité du pays

Certains en viennent même à appeler à la nationalisation de l’usine concernée. Or, si la question de la participation de l’Etat dans certains secteurs stratégiques pour la souveraineté du pays peut se poser, il n’est ici pas question de cela mais des mauvais choix effectués par nos gouvernements successifs qui s’empressent de répondre à chaque problème par un traitement social qui coûte cher, ne résout rien et alimente la spirale délétère de la perte de responsabilité privée et de la hausse de la dépendance publique, source de surfiscalité, de surendettement et de dégradation de la compétitivité du pays.

Pour « traiter » ce qui est visible médiatiquement et relève du théâtre politique, on maltraite tout le tissu économique invisible qui fait la réalité entrepreneuriale et sociale de la France.

Nous ne parviendrons jamais à lutter contre le processus de désindustrialisation à l’œuvre depuis les années 80 sans prendre enfin le contre-pied de ces mesures aussi démagogiques qu’inefficaces et finalement destructrices.

Pour ce faire, cessons enfin de surtaxer le capital, de surdensifier le Code du travail, de créer chaque année de nouvelles normes qui nous pénalisent vis-à-vis de nos concurrents internationaux ; développons les infrastructures de communication et des formations professionnelles en phase avec les réalités entrepreneuriales ; rapprochons les charges de celles de nos voisins qui ont une politique sociale efficace ; stimulons la recherche et la mise en réseaux des entreprises ; veillons à de bonnes externalités (transports, logement, accueil des enfants, etc.) ; soutenons le marketing territorial pour créer des flux économiques positifs.

Compétitivité dégradée. Surtout, nous devons mettre fin à cette spécificité nationale des impôts de production qui pèsent en France d’un poids considérable par rapport à nos partenaires et concurrents. La dégradation substantielle de la compétitivité de notre économie réside en grande partie dans ce constat alarmant relevé récemment par le Conseil d’Analyse Economique : les impôts de production représentent 3,7 % de la valeur ajoutée des entreprises en France contre 0,8 % en Allemagne. En Europe, seule la Grèce prélève davantage !

Dans son budget 2021, le gouvernement a prévu une baisse de 10 milliards de ces impôts mais qui concerne principalement la part régionale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) sans toucher à la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) qui accable pourtant les entreprises dès le premier euro de chiffre d’affaires et dont la suppression aurait été bien plus pertinente. De plus, la CVAE permettant le financement des collectivités locales, la question se pose, une fois de plus, de l’autonomie fiscale de celles-ci et au bout du compte de leur capacité à peser sur la réindustrialisation du pays.

Désigner le Covid-19 comme étant le seul responsable des plans sociaux qui vont encore frapper des milliers de Français dans les mois qui viennent ne serait pas honnête et ne permettrait pas d’enrayer ce terrible processus. Nous devons enfin être lucides. Nous devons dépasser le registre de l’émotion pour proposer de vraies solutions. Nous devons faire le choix de la liberté microéconomique et de la régulation stratégique macroéconomique.

Cela nécessite un peu de courage, un langage de vérité et une vraie volonté d’agir plutôt que de s’indigner. A défaut, nous entendrons encore et toujours les mêmes et sempiternels refrains, jusqu’à ce que le rideau tombe définitivement et que la France du travail mette la clé sous la porte.

David Lisnard est maire de Cannes (06) et Vice-Président de l’Association des Maires de France (AMF).




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