Gifle à Macron : la désacralisation du corps politique
L’agression subie par Emmanuel Macron n’illustre en rien une montée de la violence mais reflète la désacralisation du corps politique, l’effacement des partis, qui ne jouent plus leur rôle de médiation, et le narcissisme qu’encouragent les réseaux sociaux, analyse, dans une tribune au « Monde », Xavier Crettiez, professeur de science politique.
Que nous dit la désormais fameuse baffe portée au président lors d’une « visite de terrain » au plus près de la population, le 8 juin, à Tain-l’Hermitage (Drôme) ? Sûrement pas grand-chose sur la violence en politique. Succédant à divers épisodes où les élus ont pu éprouver une colère à fleur de peau, elle n’illustre en rien « une montée de la violence dans notre pays » et « un débordement de haine contre la République », comme on a pu le lire ici ou là.
La violence n’est pas nouvelle en politique. Outre que le conflit est consubstantiel à l’activité politique, qui a aussi comme tâche de transmuer la régulation par les coups en régulation par les mots, la violence a toujours existé, y compris contre les élus, même les plus illustres d’entre eux.
Le général de Gaulle a fait l’objet de plusieurs tentatives d’atteinte à sa vie, dont l’attentat du Petit-Clamart − commis le 22 août 1962 par des nostalgiques de l’Algérie française −, resté dans les mémoires. Avant lui, un futur président du Conseil socialiste, Léon Blum, alors député de Narbonne, avait, le 13 février 1936, dans le quartier Saint-Germain-des-Prés, à Paris, échappé de peu à un lynchage des Camelots du roi, formation monarchiste activiste d’extrême droite.
Non seulement la violence n’est pas nouvelle, mais elle fut même bien pire dans les années d’entre-deux-guerres, époque de « milicianisation » de la rue, où les affrontements entre anciens combattants communistes, royalistes, fascistes étaient monnaie courante. Nous n’évoquerons pas la trentaine de morts du 6 février 1934 et son millier de blessés en plein cœur de la capitale.
Les années 1970, dans le sillage des affrontements idéologiques puissants de Mai-68, furent également des moments de tensions où bien des oppositions se réglaient à coups de barre de fer. Une récente étude d’un collectif de chercheurs [Violences politiques en France, Isabelle Sommier, Xavier Crettiez et François Audigier, Presses de Sciences Po, 2021, 416 p., 24 euros] a constitué la plus importante base de données de la réalité de la violence politique en France, ces quarante dernières années. La violence est une réalité, mais elle doit être relativisée.
La France a connu, sur cette période de presque quarante ans, un peu plus de six mille épisodes de violence politique, dont 87 % n’ont fait aucune victime. Pour le reste – hors épisodes « gilets jaunes » –, on comptera 446 blessés légers, 158 blessés graves et 418 décès.