Gauche: L’union des désaccords
Les récentes fractures identitaires dans les rangs de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale illustrent d’autres clivages au sein de cette alliance, observe dans sa chronique Philippe Bernard, éditorialiste au « Monde ».
En politique aussi, les lapsus, les faux pas sont souvent révélateurs. Coup sur coup, des acteurs politiques de gauche viennent de poser des actes qui confirment le poids des débats identitaires dans leurs rangs. Au moment même où le camp progressiste affiche un « programme commun » est ainsi mise en lumière sa division sur les sujets fondamentaux que sont le féminisme, le racisme et l’islam politique.
En choisissant de mener campagne pour autoriser le burkini dans les piscines de sa ville, Eric Piolle, maire (Europe Ecologie-Les Verts) de Grenoble, a suscité la polémique dans sa propre majorité municipale. Tandis qu’il défendait, au nom du « progrès social » et de « la liberté », le droit pour les femmes de se baigner en portant ce maillot couvrant le corps et la tête prôné par les courants radicaux de l’islam, d’autres élus de son bord dénonçaient ledit burkini comme le vecteur d’« un discours qui remet en cause l’émancipation des femmes ».
Eric Piolle a transformé une affaire locale, et qui aurait dû le rester, en une controverse nationale dont font leur miel non seulement la droite et l’extrême droite – Marine Le Pen pourfend désormais la « coalition burkini » –, mais aussi les courants islamistes qui font du maillot couvrant un marqueur de leur influence et cherchent à culpabiliser les femmes qui ne le portent pas.
En tombant dans leur piège pour d’obscurs bénéfices politiques, le maire s’est, en tout cas, posé en promoteur d’une gauche ouverte aux logiques communautaristes. Alors que la question des tenues de bain est davantage une question d’hygiène que de laïcité – celle-ci pose le principe de la liberté dans l’espace public –, elle permet à la droite de s’approprier un peu plus encore l’étendard laïque dérobé à la gauche, et exacerbe la division de celle-ci sur le sujet.
Le scénario qui a conduit au retrait de la candidature du journaliste et militant Taha Bouhafs de l’investiture de La France insoumise (LFI) à Venissieux (Rhône) met en cause, lui, l’étonnante question de la compatibilité entre antiracisme et féminisme. Le choix par LFI, début mai, de cet homme de 25 ans, né de parents algériens, pourfendeur du racisme « systémique » dans la police et habitué des polémiques sur les réseaux sociaux, a déclenché une tempête de réactions hostiles. Certaines directement racistes, d’autres liées au choix par les « insoumis » d’un homme condamné en septembre 2021 pour « injure publique à raison de l’origine », pour avoir qualifié d’« Arabe de service » la policière et syndicaliste Linda Kebbab. Qu’il ait fallu l’intervention du communiste Fabien Roussel pour contester ce choix donne la mesure du gouffre qui sépare les familles de la gauche sur l’antiracisme.