Nucléaire : quel avenir pour des centrales au thorium
Un article du site Sciences et Avenir évoque les perspectives d’avenir pour les centrales nucléaires au thorium ; une solution possible mais pas miraculeuse. (Extrait)
« Le thorium est trois à quatre fois plus abondant dans la croûte terrestre que l’uranium, et notamment chez les pays qui sont susceptibles de construire des réacteurs dans le futur, comme l’Inde, le Brésil et la Turquie », explique Martha Crawford-Heitzmann, directrice de la recherche, du développement et de l’innovation du géant français du nucléaire Areva.
« En cas de construction de nouveaux réacteurs, ces pays pourraient nous demander des solutions au thorium », ajoute-t-elle.
Areva a signé avec le belge Solvay, en décembre, un accord incluant un programme de recherche et de développement pour étudier l’exploitation de ce minerai comme combustible potentiel de centrales nucléaires.
Des réacteurs expérimentaux au thorium avaient été construits dès le milieu des années 1950, mais les recherches mises entre parenthèses au profit de l’uranium.
« Elles étaient motivées par la crainte d’une pénurie d’uranium. Puis elles ont ralenti, notamment en France où l’on a pu fermer le cycle de l’uranium en mettant en place un système de recyclage du combustible usé », selon Mme Crawford-Heitzmann.
Si les recherches reprennent aujourd’hui, c’est parce que l’abondance de la ressource profiterait à certains pays, comme l’Inde qui, avec environ un tiers des réserves mondiales, s’est clairement engagée dans la voie du thorium dans le cadre de son ambitieux programme de développement nucléaire civil.
En revanche, pas de bouleversement en vue dans une France très nucléarisée. « De nombreux pays ont investi des milliards et des milliards d’euros dans des infrastructures industrielles qui dépendent de l’uranium. Ils cherchent à les amortir et n’ont pas envie de les remplacer », souligne Mme Crawford-Heitzmann.
Les avantages ne sont pas suffisamment décisifs pour sauter le pas. « L’intérêt du thorium ne prend tout son sens que dans des réacteurs très innovants, comme ceux à sels fondus, qui sont encore à l’étude papier », selon le chargé de mission CNRS Sylvain David, qui travaille sur un tel projet à l’Institut de physique nucléaire d’Orsay.
Evolution plutôt que révolution
Principal inconvénient du thorium: il n’est pas naturellement fissile, contrairement à l’uranium 235 utilisé dans les réacteurs actuels. Ce n’est qu’après absorption d’un neutron qu’il produit une matière fissile, l’uranium 233, nécessaire pour déclencher la réaction en chaîne dans le réacteur. Pour amorcer un cycle thorium, il faut donc de l’uranium ou du plutonium (issu de l’activité des centrales).
« Sans compter qu’il faudra plusieurs dizaines d’années pour accumuler suffisamment de matière fissile pour pouvoir démarrer un cycle », souligne le Commissariat à l’énergie atomique (CEA).
Les risques ne sont pas non plus nuls. Certes, les combustibles au thorium fondent à une température plus élevée, retardant le risque de fusion du coeur du réacteur en cas d’accident. « Mais on ne peut pas dire que c’est le cycle magique où il n’y a plus de déchets, plus de risques, plus Fukushima », insiste M. David.
L’uranium 233 est fortement irradiant, ce qui nécessiterait « des usines beaucoup plus compliquées, avec des blindages pour respecter les règles de radioprotection », selon le CEA.
Quant à dire que les déchets sont moins radioactifs, « ce n’est pas exact: la radioactivité est plus faible à certaines périodes, et plus forte à d’autres. Il n’y a pas un avantage absolument décisif à cet égard ».
Résultat: la production industrielle d’énergie grâce au thorium n’est pas pour demain.
« Je ne pense pas qu’on aura des réacteurs avant 20 ou 30 ans. Et cela se fera progressivement, en complément au cycle fermé », prédit Martha Crawford-Heitzmann. D’autant plus qu’avec le cycle fermé uranium-plutonium, « la ressource nucléaire est assurée pour des siècles ».
Dans cette optique, le CEA développe un prototype de réacteur à neutrons rapides refroidis au sodium, baptisé « Astrid », qui grâce à l’uranium 238 permet d’utiliser plusieurs fois le plutonium et même d’en produire plus qu’il n’en consomme par « surgénération ».
Or, l’uranium 238 représente 99,3% du minerai d’uranium et « de grandes quantités ont déjà été extraites des mines, dont on ne sait pas quoi faire », souligne M. David.