Archive pour le Tag 'Dépendance'

Panne informatique : Le risque de la dépendance aux géants de l’informatique

Panne informatique mondiale  : Le risque de la dépendance aux géants de l’informatique

Le professeur Jean-Gabriel Ganascia souligne, dans une tribune au « Monde », le défi que la dépendance aux géants de l’informatique lance à la souveraineté des Etats.

 

La panne informatique survenue le 19 juillet atteste de notre dépendance au numérique : plus de 22 000 vols retardés ou annulés, hôpitaux désorganisés, perturbations dans la diffusion des journaux télévisés… les dérèglements occasionnés ont été innombrables.

Pourtant les causes ont été connues très tôt, et vite corrigées, en moins d’une heure et demie. II ne s’agit pas d’une attaque informatique conduite par des cybercriminels, mais d’une incompatibilité entre deux logiciels consécutive à une mise à jour hâtive de l’un d’entre eux. Cela a pourtant suffi à désorganiser l’ensemble de la planète. A n’en pas douter, les leçons que l’on en tirera seront multiples et l’événement restera dans les annales.

Dès à présent, trois points cruciaux méritent qu’on y porte attention.

Le premier tient à la fragilité des infrastructures numériques. Une erreur de programmation minime suffit à provoquer des incidents en cascade aux effets tout à la fois catastrophiques et imprévisibles. Aujourd’hui, il n’est plus possible de prouver irréfutablement la solidité de systèmes informatiques, compte tenu de leur complexité. On ne saurait donc assurer une protection absolue !

On peut néanmoins réduire la probabilité de survenues de pannes. A cette fin, on procède à des tests massifs pour détecter des anomalies. On fait même parfois intervenir des « équipes rouges » chargées d’envisager tous les possibles pour déceler des failles potentielles. Mais, là encore, c’est coûteux et cela prend du temps. On doit donc faire des compromis du fait du nombre vertigineux de points de vulnérabilité.

Anticiper l’improbable

A cette fragilité s’ajoute le risque d’attaques adverses destinées à déstabiliser des entreprises, des institutions publiques, voire des ministères ou même des pays entiers, comme ce fut le cas pour les cyberattaques de 2007 en Estonie. A cet égard, il n’est pas anodin de constater que l’origine de l’incident massif du 19 juillet tint à la mise à jour d’un dispositif de protection, le système CrowdStrike, destiné à aider les responsables de la sécurité informatique à repérer des comportements inhabituels potentiellement responsables de malveillances.

Contre la dépendance technologique des GAFAM

Contre la  dépendance technologique des GAFAM

 

La chercheuse en géopolitique Ophélie Coelho, chercheuse en géopolitique  propose dans une tribune au « Monde », une lecture critique des annonces triomphales d’investissements d’infrastructures numériques, qui renforcent le contrôle des Gafam sur les territoires et les données.

 

Sous le couvert de la simplification administrative, un projet de loi, actuellement examiné au Sénat, vise à accélérer l’implantation de mégacentres de données en France en contournant le pouvoir de décision des élus locaux. Le 13 mai, lors du sommet Choose France 2024, les Big Tech Amazon, Microsoft, IBM, la société de placement immobilier américaine Equinix et le japonais Telehouse ont annoncé un plan d’investissement total de près de 7 milliards d’euros pour l’expansion de leurs infrastructures en France. Ces annonces marquent une nouvelle étape dans un processus entamé il y a plusieurs années. Car, en Europe et partout dans le monde, la territorialisation des infrastructures du numérique avance à pas de géant.Ces implantations de centres de données sont loin d’être anodines. Elles font d’abord partie d’une stratégie d’expansion globale de la part des Big Tech, qui va de pair avec la construction des mégacâbles sous-marins les plus puissants au monde. Il suffit de s’intéresser, sur les littoraux européens, à l’atterrage des câbles Dunant (Google), Amitié (Meta), Equiano (Google), 2Africa (Meta, China Mobile, MTN) ou encore Peace (consortium chinois), qui ont tous été construits ces dernières années.Et si ces câbles géants sont les « routes » qui transportent les données et les logiciels, les centres de données sont les « comptoirs » numériques de cette expansion territoriale. Ces infrastructures sont des relais de dépendance technologique majeure aux Big Tech, dont la gestion des données et des logiciels reste hors de contrôle du décideur, du régulateur et de l’utilisateur européens. En fin de compte, cette consolidation des dépendances pèse lourd sur nos capacités de négociation avec l’« ami américain ».

Cette territorialisation infrastructurelle des Big Tech poursuit plusieurs objectifs. Il s’agit d’abord d’une consolidation du marché numérique européen sur le cloud, avec l’idée que la localisation des données sur le territoire est une garantie qu’elles ne seront pas transmises aux Big Tech. Mais l’implantation des centres de données en Europe prépare aussi le terrain à la conquête d’un nouveau marché : la « transformation numérique » du continent africain. Dans cette nouvelle bataille, qui oppose entreprises américaines et chinoises, l’Europe joue le rôle de rampe de lancement et de partenaire conciliant en accueillant sur son territoire les comptoirs numériques des Big Tech…..

Une nouvelle réglementation des télécoms pour réduire la dépendance numérique de l’Europe

Une nouvelle réglementation des télécoms pour réduire la dépendance numérique de l’Europe

Réduire la dépendance numérique de l’Europe notamment vis-à-vis des États-Unis mais aussi de la Chine, ce serait l’objet d’une nouvelle réglementation des télécoms en Europe. Actuellement dans le champ européen, le marché est complètement éclaté entre une multitude de petits opérateurs qui ne peuvent évidemment avoir d’ambition mondiale.

Thierry Breton veut « faciliter les opérations transfrontalières et la création de véritables opérateurs d’infrastructures paneuropéens ». Seuls de tels acteurs auraient, d’après le commissaire, « l’envergure nécessaire pour exploiter pleinement le potentiel d’un marché des télécommunications à l’échelle de l’UE ».

Parmi les enjeux de la nouvelle loi il s’agit donc de favoriser la création d’opérateurs susceptibles de rivaliser avec des grands mondiaux. Il y aura aussi la question des attributions de fréquences des services 3G, 4G ou 5Gc’est et leurs tarifs aujourd’hui coûteux pour les opérateurs. Sans parler de la complexe question de l’utilisation des données.

Réduire la dépendance économique du pays Christophe Lecourtier

Réduire la dépendance économique du pays par Christophe Lecourtier (Business France)

Christophe Lecourtier (Business France)Estime nécessaire de réduire la dépendance économique

La redécouverte du plan en quelque sorte avec France 2030 mais il est probable que les moyens ne seront pas à la hauteur de l’enjeu si l’on compare par exemple la France et l’Allemagne NDLR


Les menaces de récession se précisent partout en Europe. Où se situent l’économie française actuellement et l’attractivité de la France en particulier ?

CHRISTOPHE LECOURTIER – La situation de l’économie française est contrastée mais le tableau est loin d’être complètement noir. Les créations d’emplois restent dynamiques. Le moral des chefs d’entreprise, dans l’industrie, est en voie d’amélioration. La croissance devrait rester positive à la fin de l’année. L’attractivité de la France fait face aux difficultés du contexte international. Au sein de l’Europe, la France est confrontée aux mêmes problématiques que la plupart de ses voisins.

Elle a cependant la chance de disposer de France 2030, qui éclaire le moyen terme. Ce projet fixe des priorités et mobilise des moyens importants. Plus de 50 milliards d’euros sont mobilisés pour favoriser le développement des énergies renouvelables mais aussi des industries de la santé, de l’agroalimentaire…etc. France 2030 vise à réduire notre dépendance aux importations et redonner au tissu industriel français une longueur d’avance.

Quel regard portez-vous sur les perspectives pour l’année prochaine ?
En 2023, le monde entier risque de traverser une zone de turbulences. D’où l’importance de se projeter au-delà. Au regard de nos voisins, la France est la seule à avancer cette vision. L’Allemagne est confrontée à sa dépendance au gaz russe et le Royaume-Uni change très souvent de politique économique. Dans le domaine de l’énergie, la France fait face à une potentielle difficulté en termes de génération d’électricité mais nous disposons de nombreuses centrales nucléaires qui devraient se remettre en fonctionnement dans quelques mois.
La France a également annoncé la construction de nouveaux réacteurs. Cette vision et ces projets vont conforter la volonté des investisseurs étrangers de continuer à choisir la France comme leur destination favorite. Jusqu’en octobre, nous constatons une légère croissance du nombre de projets potentiels d’investissement par rapport à 2021 alors que c’était déjà une année record.

Dans un contexte géopolitique particulièrement tendu, comment aidez-vous les entreprises tricolores à se projeter à l’international ?
Nous aidons les entreprises étrangères à venir prendre part à cette stratégie France 2030. Les trous dans la raquette industrielle de la France ne seront pas tous comblés par des entreprises françaises. Business France compte bien donner envie aux entreprises étrangères de participer à la réindustrialisation et, par ailleurs, nous aidons les entreprises françaises, les PME et les ETI, à exporter en plus grand nombre et davantage en s’appuyant sur la Team France Export.
A cet égard, les équipes de la Team France Export, partout en France, aident nos entreprises à définir leur stratégie et à choisir les marchés étrangers prioritaires pour elles. A l’étranger, nos équipes les accueillent et les accompagnent pour rencontrer les bons partenaires. C’est un outil puissant, qui fonctionne efficacement, car le nombre d’exportateurs a augmenté ces dernières années malgré la pandémie. La France compte sur son territoire 139.000 exportateurs contre 132.000 au début du précédent quinquennat. C’est plus qu’en Italie. Même si la balance commerciale est négative en raison notamment du coût de l’énergie, les exportations connaissent une belle dynamique. Sur le premier semestre 2022, la France a davantage exporté qu’au premier semestre 2019 avant la crise sanitaire.

Vous avez récemment organisé les deuxièmes rencontres de la Team France Invest. Quelles sont les nouvelles priorités de la stratégie d’attractivité à l’international de la France et de ses régions ?
La souveraineté industrielle et la réindustrialisation font partie des priorités. Cela doit passer notamment par France 2030. Il y a également un axe de priorité sur la méthode de travail avec les régions. Car c’est dans ces territoires que les projets atterrissent. Nous avons renforcé le travail en équipe avec les régions, pour offrir aux investisseurs étrangers un « front uni », par le biais des équipes de la Team France Invest.
Ce « meilleur accompagnement » est très concret. Il s’agit d’aider les entreprises à trouver des terrains, de la main-d’œuvre, les bonnes aides pour réussir leur implantation. La Team France Invest entend être le guichet unique pour les investisseurs étrangers.

Lors d’une récente intervention devant la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, vous avez évoqué le sujet du foncier en France. Comment concilier cette problématique et celui des enjeux de préservation environnementale ?
Le foncier disponible en France n’est pas abondant. On a travaillé à identifier des sites clés en main, c’est-à-dire des lieux ayant toutes les autorisations nécessaires pour limiter l’impact environnemental ou archéologique. 127 territoires ont été identifiés. Les entreprises évoquent aussi certaines difficultés résultant du dispositif de « zéro artificialisation nette » des sols.
Cela implique de mieux utiliser les friches, mais ce n’est pas toujours adapté aux besoins. Il existe aussi des enjeux d’acceptabilité des populations des projets qui peuvent être polluants. Il faut réussir à jongler entre tous ces paramètres et trouver le bon équilibre. Il faut concilier les règles nécessaires, le respect des souhaits des populations et en même temps ne pas s’interdire de poursuivre la réindustrialisation.

La France est devenue en 2019 le premier pays en matière d’accueil d’investissements étrangers en Europe. La guerre en Ukraine risque-t-elle de mettre un coup d’arrêt à cette place de leadership sur le Vieux continent ?
La France a réussi à passer de la troisième place en 2017 à la première place en 2019. Nous avons réussi à conserver cette place en 2020 et 2022, et même creuser l’écart avec l’Allemagne et la Grande Bretagne. Le Royaume-Uni semble entré dans une ère d’instabilité économique et politique. En Allemagne, la question énergétique est très forte dans le contexte de la guerre en Ukraine et de la dépendance au gaz russe. L’Europe, et l’Allemagne en particulier, ont compris qu’elles ne voulaient plus être prises en otage d’un fournisseur qui prend le gaz comme une arme.
Les pays compétiteurs de la France sont logés à la même enseigne. Actuellement, tous les pays en Europe connaissent des prix très élevés de l’énergie. Tous les pays doivent faire face à l’inflation et la désorganisation des chaînes de production. Je suis convaincu que le pays gagnant sera celui qui sera capable de présenter un projet à l’horizon 2030. C’est un horizon suffisamment loin pour espérer que la guerre en Ukraine soit terminée et que l’inflation soit contrôlée. Mais c’est un horizon suffisamment proche pour un investisseur. Les investisseurs qui viennent en France investissent pour des durées suffisamment longues. Il s’agit de prendre en compte les évolutions annoncées et de bénéficier des avantages traditionnels du site France. Cette période de turbulences peut compliquer les décisions d’investissement mais pas particulièrement en France. Ce n’est pas l’Hexagone qui est dans l’œil du cyclone.

Le renchérissement des matières premières et des prix de l’énergie menace-t-il tous les efforts réalisés en matière de réindustrialisation et de relocalisation ?

Il faut espérer que ce renchérissement ne dure pas trop longtemps. La France doit être suffisamment convaincante sur le projet France 2030 pour que les investisseurs étrangers continuent à s’intéresser à notre territoire, et aient envie de bâtir à notre côté nos industries de demain.

Les investisseurs que nous rencontrons raisonnent sur du moyen terme. Ils sont évidemment sensibles aux sujets conjoncturels mais ce qui les guide dans leur choix d’implantation, ce sont des trajectoires. C’est tout le sens de France 2030 qui dessine cette transition de notre économie à travers des choix clairement énoncés.

Dans les pharmacies françaises, certains médicaments manquent à l’appel. Le phénomène est en train d’empirer, frappant désormais certains antibiotiques et imposant aux autorités sanitaires de prendre des mesures d’urgence. Comment faire pour inciter les industries pharmaceutiques à rapatrier leurs productions en France ?
La santé fait partie des filières prioritaires de France 2030. La pandémie a montré que la France était trop dépendante, notamment de la Chine, mais pas seulement, en matière de médicaments. Depuis 2020, la France a commencé à rapatrier certains éléments des chaînes de production. Aujourd’hui on se bat en permanence pour pouvoir localiser ici de nouveaux produits, tout en recherchant un bon équilibre entre les incitations offertes aux investisseurs et une maîtrise des dépenses en matière de santé.

Même si la France ne peut pas être autosuffisante, la santé est un secteur suffisamment critique pour que des efforts soient faits afin de reconstituer ou développer un tissu industriel dans ce domaine. Il y a un vrai besoin, qui justifient des efforts pour que les industriels français et étrangers développent leurs activités chez nous. Ma conviction qu’il existe un environnement des affaires, et un régimes d’aides, suffisamment attractifs pour que ces industriels restent, viennent et se développent.

Grandes plates-formes numériques : la dépendance alarmante de la France

Grandes plates-formes numériques : la dépendance alarmante de la France

Il devient urgent de remettre en question le modèle de la Startup Nation et de construire une Infrastructure Nation, c’est-à-dire une stratégie de résilience numérique. Par Tariq Krim, entrepreneur, pionnier du Web et ancien vice-président du Conseil national du numérique.

Risques de Splinternet, cet Internet divisé et coupé d’une grande partie du monde à l’image de ce qui existe en Chine ; capacités d’innovation européenne en sous régime pour cause de difficultés d’approvisionnement en puces ; coûts insurmontables pour les datacenters européens qui subissent les effets conjugués de l’explosion du prix de l’énergie, des restrictions d’eau et de la parité euro/dollar. La guerre en Ukraine met la France et l’Europe face à de nouveaux scénarios aux antipodes du discours un peu naïf de la Startup Nation. Trouver des solutions à ces défis ne sera possible que si l’on comprend que nous sommes pris en tenailles entre deux risques majeurs qui n’ont pas été anticipés : l’un économique et l’autre géopolitique.
Risque économique.

Qui aurait cru que la hausse soudaine du prix de l’énergie et la parité euro/dollar, monnaie d’achat des composants dans cette industrie, rendent désormais le secteur du cloud largement plus compétitif aux États-Unis ? La pénurie de puces, et notamment de puces pour l’intelligence artificielle, a obligé les États-Unis à sécuriser pour dix ans au moins leur approvisionnement. La signature par Biden du Chip Act et le soutien renouvelé à Taïwan les fait passer en priorité. Finie l’époque où des pays comme l’Allemagne pouvaient négocier directement des Vaccins contre des Puces. Désormais l’Europe passe après et certains constructeurs automobiles se voient obligés de racheter des stocks de machines à laver pour y récupérer les puces nécessaires à la commercialisation de leurs modèles.

L’échange Gaz contre Données, signé entre la présidente de l’Union Européenne et Biden, qui veut rétablir le flux d’absorption des données personnelles des Européens vers les États-Unis, redonne un avantage décisif aux GAFAM car il revient sur la décision d’illégalité de ces transferts par la Cour de Justice de l’union Européenne (arrêt Schrems 2)
Enfin, l’inflation, la hausse des taux, et donc la fin de l’argent facile, provoque un très fort ralentissement des financements des startups et risquent de transformer de nombreuses licornes en « zombiecorns ».

Un scénario où une partie de la tech européenne pourrait s’écrouler est désormais plausible. Toutefois, dans les faits, c’est plutôt une délocalisation énergétique de l’activité numérique au profit des Etats-Unis qui semble se profiler. En Europe, grâce à un « Ruban énergétique », les Big Tech seront capables d’opérer à des coûts connus pour 2024, alors que les opérateurs de cloud européens, qui subissent dès cette année un doublement de leur facture énergétique, n’ont aucune visibilité pour l’instant.

Si le débat sur nos besoins en souveraineté numérique n’avait pas été caricaturé et infantilisé, notamment par le précédent secrétaire d’Etat au numérique, nous aurions pu avoir collectivement une réflexion approfondie sur ces questions, et ce bien avant le conflit en Ukraine. Parce qu’une grande partie du conflit se déroule dans le cyberespace, l’impensable devient plausible. Et c’est donc totalement impréparé, sans aucun plan B, que le gouvernement aborde ce qui est peut-être aussi la première cyberguerre mondiale.
Face à la violence des attaques logicielles qui visent nos infrastructures physiques ou notre modèle de démocratie à travers la manipulation des réseaux sociaux, la boîte à outils à notre disposition est très limitée.
Deux options s’ouvrent à nous. La première consiste à nicher notre informatique à l’intérieur des grandes plateformes américaines pour y sous traiter notre sécurité numérique. Une sorte d’OTAN numérique privatisé. Une solution qui plaît à l’Allemagne car elle offre une protection immédiate de leurs appareils industriels contre des cyberattaques de grande envergure. Cette solution est aussi poussée par le gouvernement français et nos grandes entreprises avec l’offre de « Cloud de confiance », les services des GAFAM vendus sous licence par de grandes marques françaises : Thalès avec Google, Orange et Capgemini avec Microsoft. Une solution qui permet d’aller plus vite mais avec une faible valeur économique. Elle amplifie notre déficit du commerce extérieur puisqu’une grande partie des profits du cloud repartent aux États-Unis.

Mais la solidité d’un tel accord repose sur une confiance aveugle dans les contrats signés. Ces accords seront-ils respectés ? Seront-ils être modifiés à tout moment en fonction de l’évolution des rapports de force géopolitiques ? Rappelons que l’accord sur les sous-marins australiens AUKUS avait été contractualisé avant d’être dénoncé et annulé. Le Cloud US, qu’il soit de confiance ou pas, est désormais le gaz de Poutine de l’innovation européenne. Dans ces conditions, la Startup Nation passe du coup politique au coût politique.
L’effet long terme d’une telle solution transformerait notre modèle social. Il n’est plus possible de créer des services sur mesure quand on devient locataire à vie de briques numériques prémâchées pour nos entreprises et nos administrations. Notre inventivité industrielle, culturelle et militaire n’y survivrait pas.
Ce serait aussi un sacré coup porté à tous ceux qui, en France, travaillent depuis des années à construire des alternatives parfaitement utilisables. Il faut donc un plan B, ou plutôt un plan R comme résilience.

En 2012, pour la création de la French Tech à laquelle j’avais été missionné, j’avais proposé une autre option à Fleur Pellerin, Ministre du Numérique d’alors. Cette solution consistait à s’appuyer sur notre savoir-faire national et sur nos développeurs pour créer une véritable « infrastructure nation » en développant un ensemble de briques logicielles juridiquement basées en Europe. Pour ceux qui pensent que le logiciel libre reste une solution viable, le bras de fer entre Trump et l’Iran a montré que, juridiquement dépendant des grandes fondations américaines, il pouvait être soumis à des restrictions d’exportation. Cette solution fut rejetée, et à l’époque mon rapport faillit ne pas sortir.
10 ans de retard dans la résilience numérique

Depuis 10 ans, cette « infrastructure nation » pouvait facilement être financée par la commande publique, et bénéficier d’une petite partie des fonds européens. Mais, parce que ce secteur est surtout constitué de chercheurs, d’indépendants ou de petites PME, il n’a jamais été crédible aux yeux des décideurs. Ce qui n’empêche pas les GAFAM de récupérer et d’intégrer discrètement leurs technologies dans leurs services pour les louer ensuite au prix fort aux grandes entreprises européennes.

Toutefois, les derniers discours de Bruno Le Maire marquent une inflexion remarquable. Il est sans doute conscient que, comme pour le nucléaire, toute absence de solution de résilience lui sera reprochée. Mais en l’absence de propositions concrètes, la résilience numérique de la France reste un vœu pieux.
Au moment où la French Tech demande à être renflouée, se pose aussi la question du bon usage de nos deniers publics. Surtout quand on parle dès cet hiver de la possibilité de couper l’Internet en cas de délestage. Chose que l’on pensait réservée aux pays du tiers-monde et à la Californie.

Bâtir la résilience numérique de la France ou faire perdurer le mythe des licornes ?
Une seule chose est sûre, c’est qu’en l’absence de plan B sérieux, un effondrement technologique de la France mais aussi de l’Europe devient possible.
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Entrepreneur, pionnier du Web, Tariq Krim est aussi l’auteur de « Lettre à ceux qui veulent faire tourner la France sur l’ordinateur de quelqu’un d’autre » disponible en téléchargement sur le site codesouverain.fr

France, une dépendance alarmante vis-à-vis des grandes plates-formes numériques

France, une dépendance alarmante vis-à-vis des grandes plates-formes numériques

Il devient urgent de remettre en question le modèle de la Startup Nation et de construire une Infrastructure Nation, c’est-à-dire une stratégie de résilience numérique. Par Tariq Krim, entrepreneur, pionnier du Web et ancien vice-président du Conseil national du numérique.

Risques de Splinternet, cet Internet divisé et coupé d’une grande partie du monde à l’image de ce qui existe en Chine ; capacités d’innovation européenne en sous régime pour cause de difficultés d’approvisionnement en puces ; coûts insurmontables pour les datacenters européens qui subissent les effets conjugués de l’explosion du prix de l’énergie, des restrictions d’eau et de la parité euro/dollar. La guerre en Ukraine met la France et l’Europe face à de nouveaux scénarios aux antipodes du discours un peu naïf de la Startup Nation. Trouver des solutions à ces défis ne sera possible que si l’on comprend que nous sommes pris en tenailles entre deux risques majeurs qui n’ont pas été anticipés : l’un économique et l’autre géopolitique.
Risque économique.

Qui aurait cru que la hausse soudaine du prix de l’énergie et la parité euro/dollar, monnaie d’achat des composants dans cette industrie, rendent désormais le secteur du cloud largement plus compétitif aux États-Unis ? La pénurie de puces, et notamment de puces pour l’intelligence artificielle, a obligé les États-Unis à sécuriser pour dix ans au moins leur approvisionnement. La signature par Biden du Chip Act et le soutien renouvelé à Taïwan les fait passer en priorité. Finie l’époque où des pays comme l’Allemagne pouvaient négocier directement des Vaccins contre des Puces. Désormais l’Europe passe après et certains constructeurs automobiles se voient obligés de racheter des stocks de machines à laver pour y récupérer les puces nécessaires à la commercialisation de leurs modèles.

L’échange Gaz contre Données, signé entre la présidente de l’Union Européenne et Biden, qui veut rétablir le flux d’absorption des données personnelles des Européens vers les États-Unis, redonne un avantage décisif aux GAFAM car il revient sur la décision d’illégalité de ces transferts par la Cour de Justice de l’union Européenne (arrêt Schrems 2)
Enfin, l’inflation, la hausse des taux, et donc la fin de l’argent facile, provoque un très fort ralentissement des financements des startups et risquent de transformer de nombreuses licornes en « zombiecorns ».

Un scénario où une partie de la tech européenne pourrait s’écrouler est désormais plausible. Toutefois, dans les faits, c’est plutôt une délocalisation énergétique de l’activité numérique au profit des Etats-Unis qui semble se profiler. En Europe, grâce à un « Ruban énergétique », les Big Tech seront capables d’opérer à des coûts connus pour 2024, alors que les opérateurs de cloud européens, qui subissent dès cette année un doublement de leur facture énergétique, n’ont aucune visibilité pour l’instant.

Si le débat sur nos besoins en souveraineté numérique n’avait pas été caricaturé et infantilisé, notamment par le précédent secrétaire d’Etat au numérique, nous aurions pu avoir collectivement une réflexion approfondie sur ces questions, et ce bien avant le conflit en Ukraine. Parce qu’une grande partie du conflit se déroule dans le cyberespace, l’impensable devient plausible. Et c’est donc totalement impréparé, sans aucun plan B, que le gouvernement aborde ce qui est peut-être aussi la première cyberguerre mondiale.
Face à la violence des attaques logicielles qui visent nos infrastructures physiques ou notre modèle de démocratie à travers la manipulation des réseaux sociaux, la boîte à outils à notre disposition est très limitée.
Deux options s’ouvrent à nous. La première consiste à nicher notre informatique à l’intérieur des grandes plateformes américaines pour y sous traiter notre sécurité numérique. Une sorte d’OTAN numérique privatisé. Une solution qui plaît à l’Allemagne car elle offre une protection immédiate de leurs appareils industriels contre des cyberattaques de grande envergure. Cette solution est aussi poussée par le gouvernement français et nos grandes entreprises avec l’offre de « Cloud de confiance », les services des GAFAM vendus sous licence par de grandes marques françaises : Thalès avec Google, Orange et Capgemini avec Microsoft. Une solution qui permet d’aller plus vite mais avec une faible valeur économique. Elle amplifie notre déficit du commerce extérieur puisqu’une grande partie des profits du cloud repartent aux États-Unis.

Mais la solidité d’un tel accord repose sur une confiance aveugle dans les contrats signés. Ces accords seront-ils respectés ? Seront-ils être modifiés à tout moment en fonction de l’évolution des rapports de force géopolitiques ? Rappelons que l’accord sur les sous-marins australiens AUKUS avait été contractualisé avant d’être dénoncé et annulé. Le Cloud US, qu’il soit de confiance ou pas, est désormais le gaz de Poutine de l’innovation européenne. Dans ces conditions, la Startup Nation passe du coup politique au coût politique.
L’effet long terme d’une telle solution transformerait notre modèle social. Il n’est plus possible de créer des services sur mesure quand on devient locataire à vie de briques numériques prémâchées pour nos entreprises et nos administrations. Notre inventivité industrielle, culturelle et militaire n’y survivrait pas.
Ce serait aussi un sacré coup porté à tous ceux qui, en France, travaillent depuis des années à construire des alternatives parfaitement utilisables. Il faut donc un plan B, ou plutôt un plan R comme résilience.

En 2012, pour la création de la French Tech à laquelle j’avais été missionné, j’avais proposé une autre option à Fleur Pellerin, Ministre du Numérique d’alors. Cette solution consistait à s’appuyer sur notre savoir-faire national et sur nos développeurs pour créer une véritable « infrastructure nation » en développant un ensemble de briques logicielles juridiquement basées en Europe. Pour ceux qui pensent que le logiciel libre reste une solution viable, le bras de fer entre Trump et l’Iran a montré que, juridiquement dépendant des grandes fondations américaines, il pouvait être soumis à des restrictions d’exportation. Cette solution fut rejetée, et à l’époque mon rapport faillit ne pas sortir.
10 ans de retard dans la résilience numérique

Depuis 10 ans, cette « infrastructure nation » pouvait facilement être financée par la commande publique, et bénéficier d’une petite partie des fonds européens. Mais, parce que ce secteur est surtout constitué de chercheurs, d’indépendants ou de petites PME, il n’a jamais été crédible aux yeux des décideurs. Ce qui n’empêche pas les GAFAM de récupérer et d’intégrer discrètement leurs technologies dans leurs services pour les louer ensuite au prix fort aux grandes entreprises européennes.

Toutefois, les derniers discours de Bruno Le Maire marquent une inflexion remarquable. Il est sans doute conscient que, comme pour le nucléaire, toute absence de solution de résilience lui sera reprochée. Mais en l’absence de propositions concrètes, la résilience numérique de la France reste un vœu pieux.
Au moment où la French Tech demande à être renflouée, se pose aussi la question du bon usage de nos deniers publics. Surtout quand on parle dès cet hiver de la possibilité de couper l’Internet en cas de délestage. Chose que l’on pensait réservée aux pays du tiers-monde et à la Californie.

Bâtir la résilience numérique de la France ou faire perdurer le mythe des licornes ?
Une seule chose est sûre, c’est qu’en l’absence de plan B sérieux, un effondrement technologique de la France mais aussi de l’Europe devient possible.
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Entrepreneur, pionnier du Web, Tariq Krim est aussi l’auteur de « Lettre à ceux qui veulent faire tourner la France sur l’ordinateur de quelqu’un d’autre » disponible en téléchargement sur le site codesouverain.fr

Le danger d’une trop grande dépendance de l’Europe aux métaux stratégiques

Le danger d’une trop grande dépendance de l’Europe aux métaux stratégiques

 

 

Experts de l’industrie minière, Vincent Donnen, Alexandre Nominé et François Rousseau appellent, dans une tribune au « Monde », à prendre conscience de la dépendance de l’Europe aux « métaux stratégiques » indispensables à la transition énergétique.

 

L’Europe, dont l’activité minière en matériaux stratégiques est extraordinairement réduite au regard de son poids économique, n’intègre pas assez rapidement la transformation rapide et brutale du monde et de ses règles du jeu. En l’absence d’une réaction forte et rapide, sa stratégie économique pourrait être mise à mal par l’absence de souveraineté sur les nouvelles matières premières stratégiques (essentiellement des métaux comme le cobalt, nickel, néodyme, rhénium, etc.), au point d’essuyer des pénuries, de se mettre en situation de dépendance face à des puissances étrangères ou de n’avoir d’autre alternative que d’importer des produits finis.

La doctrine établie depuis des décennies en matière d’approvisionnements stratégiques est celle qui maximalise les indicateurs financiers. Les concepts de main invisible du marché, zéro stock, juste à temps, contrats à terme, se sont imposés comme un objectif dans un monde où mondialisation et libéralisme étaient synonymes de progrès. C’est une opinion toujours répandue.

L’Europe peut-elle encore s’appuyer sur ce théorème pour son développement et sa souveraineté ? Il est permis d’en douter. Car le monde doit réussir d’ici 30 ans un chantier titanesque, sans précédent dans l’histoire de l’Humanité, la transition énergétique.

Or les nouvelles énergies sont intermittentes et diluées dans l’espace : il faut stocker et mobiliser plus de matériaux pour produire et distribuer une même quantité d’énergie. Nous passons donc d’un monde intensif en hydrocarbures à un monde intensif en métaux. Les travaux scientifiques qui permettent de quantifier les implications de cette transition (comme ceux du directeur de recherche à l’Institut des sciences de la Terre de Grenoble, Olivier Vidal) font tourner la tête. Rien que d’ici 2050, il faudra extraire autant de métaux que nous l’avons fait depuis l’aube de l’Humanité. Et aucun modèle n’est soutenable jusqu’à la fin du siècle sans un taux de recyclage encore jamais atteint.

Nous avons connu un monde stable, globalisé, prédictible, dominé par le gendarme américain, un état qui a pu sembler intangible. Nous sommes entrés dans un monde multipolaire, instable, fragmenté (notamment par la rivalité sino-américaine) : les approvisionnements ne sont plus acquis, ni de façon permanente, ni indépendamment des frontières.

L’optimisation qui a jusqu’alors prévalu était une optimisation de la performance, un renoncement au coût de la résilience. Les chaînes d’approvisionnement n’étant plus garanties – comme on a pu le constater avec les semi-conducteurs et comme on peut s’y attendre pour les matières premières agricoles – l’optimum doit désormais inclure la résilience de notre économie.

La dépendance maladive aux réseaux sociaux

La dépendance maladive aux réseaux sociaux

Dérivé du verbe anglais « to scroll », « faire défiler », ce mot désigne la consultation compulsive d’informations anxiogènes, un comportement né de la rencontre entre la curiosité humaine et les produits des plates-formes numériques. ( Par Marion Dupont du « Monde »)
En bon français la dépendance maladive aux réseaux sociaux NDLR

 

 

Histoire d’une notion.

 

Dans les transports, dans la file d’attente du supermarché, dans l’ascenseur, dans le confort d’un canapé ou l’intimité d’un lit, les contenus défilent d’un mouvement machinal du pouce ou de l’index quasi automatique. Sur Facebook, Instagram, TikTok ou Twitter, ils s’égrènent inexorablement : images de la guerre en Ukraine, chiffres de la pandémie de Covid-19, articles déchiffrant le dernier rapport du GIEC, commentaires alarmés sur l’état du paysage politique. Le plus souvent, aucune émotion ne transparaît sur le visage de l’utilisateur ; mais, en son for intérieur, la curiosité ou l’ennui le cèdent parfois à l’appréhension, voire à l’angoisse la plus pure. Qu’importe : il continue. Cette consultation compulsive a désormais un nom : le doomscrolling, c’est-à-dire le fait – ou le sentiment – de ne pas pouvoir s’empêcher de faire défiler indéfiniment des contenus multimédias anxiogènes.

Le mot dérive du verbe anglais to scroll, signifiant « faire défiler un contenu sur un écran », un terme aujourd’hui employé si couramment que sa version francisée, « scroller », est entrée dans le dictionnaire Robert en 2020. Les phobiques des anglicismes peuvent se rassurer : to scroll provient originellement d’un emprunt à l’ancien français « escroe » (« rouleau ») – il s’agissait, pour les locuteurs du Moyen Age, de décrire l’action de dérouler un parchemin pour le lire.

C’est dans les années 1970-1980 que le milieu naissant des jeux vidéo reprend le terme et s’en sert comme d’une métaphore pour décrire la manière de faire apparaître des éléments à l’écran, selon un défilement horizontal ou vertical : le scroll devient, dès lors, un élément essentiel des interfaces numériques. Or, quelques dizaines d’années plus tard, avec l’émergence des réseaux sociaux et de leur modèle d’accumulation de contenus, l’action de scroller acquiert une dimension potentiellement infinie. C’est cette sensation de page sans fin que vient d’abord décrire le mot doomscrolling, qui signifie littéralement « scroller jusqu’à la fin des temps » ou « jusqu’à sa perte » (doom).

Pourquoi cette incapacité à s’autoréguler semble-t-elle si partagée ? « Le modèle économique des entreprises type réseaux sociaux est basé sur le temps passé par les utilisateurs sur les plates-formes, car c’est cette durée d’attention qui sera valorisée auprès des annonceurs publicitaires, détaille Nicolas Nova, anthropologue du numérique. Celles-ci ont donc un fort intérêt à trouver, dans la conception des interfaces, des mécanismes incitant les utilisateurs à rester le plus longtemps possible. Cet intérêt explique le recours au format du scrolling infini, mais aussi le mécanisme de récompense variable (analogue à celui des machines à sous des casinos) mis en place par les algorithmes, ou le fait de survaloriser la répétition de certains types de contenus suscitant particulièrement l’intérêt, comme les informations négatives ou les titres racoleurs. » La sensation de doomscrolling naît ainsi de la rencontre entre la nature curieuse des êtres humains et les nouvelles interfaces produites par les entreprises numériques capitalistes.

Réagir face à la dépendance des Gafam !

Réagir face à la dépendance des Gafam !

 

 

Le lobbying forcené, et généreusement financé, des géants américains doit être contré par un front solide constitué par les acteurs de l’écosystème. (*) Par Philippe Latombe, député (Modem) de Vendée.

 

S’il est une leçon qui doit nous éclairer, c’est celle que nous donnent bien malgré eux les Ukrainiens, depuis maintenant plus d’un mois. Contrairement à toutes les prédictions, ils ont réussi à déjouer les pronostics de leurs agresseurs comme des observateurs, en appliquant contre l’envahisseur une recette aussi efficace que simple, celle de l’union, quels que soient les différends et les antagonismes antérieurs. Ce n’est pas pour eux la garantie d’une victoire au bout des épreuves, mais c’est celle, dans le pire des cas, de pouvoir faire entendre leur voix dans les négociations et de limiter les dégâts qu’aurait engendrés une défaite massive.

Or, il faut oser le parallèle car, ne nous leurrons pas, c’est bien une guerre d’occupation dans laquelle nous nous trouvons face aux Gafam [Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Ndlr], un conflit multiforme qui progresse à bas bruit et mine peu à peu nos libertés individuelles et collectives, et in fine notre souveraineté.

Qu’on le veuille ou non, le cyberespace a envahi le monde réel et ceux qui y ont établi leur domination écrasent à la façon du rouleau compresseur ceux qui tentent de s’y faire une place. Dans cette lutte d’influence, le Cloud est le lieu par excellence de tous les combats, et nos données en sont le butin. C’est sans aucun doute l’une des leçons essentielles qui ressortent de la mission parlementaire sur la souveraineté numérique dont j’ai été le rapporteur.

Le marché européen du Cloud a beau être en pleine croissance, notamment à la suite des confinements liés à la crise sanitaire, les géants américains dominent largement le secteur sur notre continent et écrasent les acteurs européens. Et c’est justement parce que la crise sanitaire nous a fait prendre conscience de l’ampleur de notre dépendance qu’ils sont tentés d’accentuer leur pression.

Il ne faut plus que l’Europe se contente de dire le droit dans ce domaine. Elle doit l’appliquer dans toute sa rigueur, ne pas se satisfaire de simulacres, de vœux pieux et de semonces non suivies d’effets : les Etats-Unis n’ont aucunement la volonté d’appliquer le RGPD. Si les amendes prises à l’encontre de ceux qui y contreviennent restent ridicules, elles n’auront aucun caractère dissuasif et rien ne changera sous le soleil du cyberespace.

De la même façon, nous pourrons mettre en place tous les projets européens de régulation d’Internet possibles, tous les Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA) du monde, si là encore les sanctions ne sont pas appliquées avec des pénalités suffisamment dissuasives, ces réglementations resteront sans effet.

Lors d’une déclaration commune consacrée au renforcement du partenariat entre les Etats-Unis et l’Europe, le président américain, Joe Biden, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ont annoncé être parvenus à un accord sur un nouveau cadre pour le transfert des données personnelles entre les deux puissances économiques. Il est regrettable que les deux parties n’en aient pas profité pour parvenir à un accord de non-espionnage donnant des garanties de base entre démocraties censées partager les mêmes idées.

En attendant, alors que la Cour suprême américaine vient de conforter les lois américaines sur le renseignement, dans une décision rendue début mars, on peut avec raison avoir des doutes sur la légalité d’un nouvel accord, en l’absence d’évolution du droit américain. On peut aussi se demander si on ne s’achemine pas vers un inévitable Schrems 3 et, par conséquent, de nouveaux atermoiements dans la recherche d’un nouvel accord.

Les « mauvais esprits » dont j’avoue faire partie, ont la sensation désagréable que nos données ont été échangées contre du gaz. En effet, alors que l’on apprenait le 16 mars la plainte d’OVHCloud et d’autres entreprises contre Microsoft, le lendemain, Brad Smith, président de Microsoft, s’entretenait avec Margrethe Vestager, vice-présidente de la Commission européenne chargée du numérique et de la concurrence. Il est des coïncidences d’agenda qui laissent rêveur.

Dans un tel contexte, ceux qui pensent qu’en laissant d’autres mener seuls le combat, ils pourront tirer leur épingle du jeu, se trompent lourdement ; ceux qui font des concessions aussi, car ils ne font que retarder l’inévitable. Ainsi, quand OVHCloud et Nextcloud lancent auprès de la Commission européenne une procédure pour abus de position dominante contre Microsoft, leurs concurrents nationaux et européens doivent se faire un devoir de la jouer collectif.

Il est donc essentiel qu’ils acceptent de documenter les pratiques exercées contre eux par les opérateurs dominants. Ce sont en effet leurs témoignages qui permettront à la Commission de statuer efficacement. Ils doivent remplir le questionnaire qui leur a été soumis et non botter en touche, dans l’espoir illusoire d’éviter de contrarier les géants américains. Selon la même logique, il est indispensable que les témoignages se multiplient auprès de l’Autorité de la concurrence française qui s’est auto-saisie du sujet. C’est une question de survie.

Le lobbying forcené, et généreusement financé, des géants américains doit être contré par un front solide constitué par les acteurs de l’écosystème, des chercheurs, des juristes, des associations de défense des libertés numériques et, bien sûr, des parlementaires – et je me sens bien seul sur ce coup-là. C’est la seule voie possible à emprunter si nous voulons pouvoir sauver ce qui peut l’être, pendant qu’il en est encore temps. J’en appelle donc à toutes les bonnes volontés. Sinon, nous ne pourrons même pas nous permettre de dire comme François 1er après le désastre de Pavie : « Nous avons tout perdu, fors l’honneur ».

Après l’Ukraine, une plus grande dépendance européenne aux États-Unis

Après l’Ukraine, une plus grande dépendance européenne aux États-Unis

Tribune.

 

Le gendarme américain est de retour en Europe. Sous la double pression du Congrès américain et des alliés du flanc est de l’OTAN, l’administration Biden opère un recalibrage, sans précédent depuis la fin de la guerre froide, de la posture de défense des Etats-Unis en Europe. Le nombre de soldats des forces américaines déployées sur le continent est passé de 80 000 à 100 000 en deux mois, se rapprochant du niveau de 1997, quand les Etats-Unis et leurs alliés entamaient le processus d’élargissement de l’Alliance à l’est.

A titre de comparaison, en 1991, il y avait 305 000 militaires américains en Europe, dont 224 000 en Allemagne, selon les archives du Pentagone. Le nombre de troupes américaines a ensuite diminué de manière constante pour atteindre 64 000 en 2020. Washington n’a aucune intention ni volonté politique de revenir aux niveaux de 1991, et son objectif stratégique à moyen et long termes reste l’endiguement de la puissance chinoise. Mais la guerre en Ukraine l’oblige à « repivoter » partiellement vers l’Europe.

 

Pour les Européens, la guerre aura comme conséquence d’accroître leur dépendance militaire et énergétique à l’égard des Etats-Unis. Certes, l’Union européenne (UE) a pris des décisions importantes dans ces deux secteurs, avec l’augmentation des budgets de défense, la livraison d’armes létales à l’Ukraine via la « facilité européenne pour la paix » [un instrument financier doté de 5 milliards d’euros] et l’octroi par les pays membres de l’UE d’un mandat à la Commission européenne pour effectuer des achats de gaz groupés.

Mais l’ambition d’autonomie stratégique, qui a pourtant progressé chez un certain nombre de partenaires de la France, comme les Pays-Bas et la Finlande, est aujourd’hui supplantée par un appel des pays européens à la garantie de sécurité des Etats-Unis, à leur gaz naturel liquéfié et à leur industrie de défense. Ce réengagement des Etats-Unis en Europe s’accompagnera d’une forte pression américaine sur leurs alliés pour qu’ils contribuent davantage à la défense collective de leur territoire, tiennent leurs engagements – ce sera particulièrement vrai pour l’Allemagne – et s’alignent sur leur politique de fermeté à l’égard de la Chine.

La guerre en Ukraine redessine la géopolitique des alliances et montre aussi que la Russie n’est pas isolée à l’international. La démarche occidentale consistant à vouloir « briser » les alliances nouées par Moscou avec un certain nombre de pays sera plus beaucoup complexe, voire impossible, à réaliser.

Santé et dépendance : le choc des “baby-boomeurs”

Santé et dépendance :  le choc des “baby-boomeurs”

La crise sanitaire a montré que le secteur du grand âge est mal préparé pour faire face à des pics de demandes de soins alertent, dans une tribune au « Monde », les économistes de la santé Francesca Colombo et Thomas Rapp, qui expliquent que

Tribune.

 

A bien des égards, la pandémie a testé la résilience de notre système de santé, c’est-à-dire sa capacité à absorber plusieurs chocs sans compromettre durablement le bien-être des Français. Avec quels résultats ?

Les données récemment publiées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (« The impact of Covid-19 on health and health systems » – « l’impact du Covid-19 sur les systèmes sanitaires » –, OCDE) montrent que, si la France a consacré des moyens considérables pour faire face à ces chocs, certaines déficiences ont malgré tout été aggravées.

D’un côté, trois indicateurs suggèrent que le système français a plutôt bien répondu à la pandémie.

Tout d’abord, l’écart d’espérance de vie entre les Français et les Européens, historiquement favorable à la France (+ 1,7 année), est resté stable entre 2019 et 2020.

Ensuite, entre janvier 2020 et décembre 2021, la surmortalité en France a été 10 % plus basse que celle observée dans la moyenne des pays européens de l’OCDE.

Enfin, l’accès aux soins a été maintenu grâce notamment au recours massif aux téléconsultations pendant les confinements et à l’augmentation de la capacité en lits de réanimation.

De l’autre, la crise a contribué à fortement accroître – en France comme dans d’autres pays – la prévalence des problèmes de dépression et d’anxiété, qui a notamment doublé lors du premier confinement. Et la pandémie a accru l’importance de problèmes structurels : pénurie de travailleurs, difficultés de coordination et d’intégration des soins, manque de transparence sur la qualité des soins, désinformation, problèmes de formation continue des personnels de santé, etc.

Finalement, si la France n’a pas plus mal encaissé le choc que les autres pays de l’OCDE, la crise nous a appris au moins deux leçons.

Tout d’abord, faute de ressources humaines adaptées, nous sommes mal préparés à faire face à des pics de besoins de santé.

Ensuite, nos politiques de santé sont insuffisamment centrées sur les intérêts des personnes et ne privilégient pas assez la recherche de valeur des soins.

Sous l’impulsion de l’Union européenne, le gouvernement français a répondu à ces enjeux en 2021 par un programme d’investissement massif dans le système de santé. Le plan national de relance et de résilience consacre en effet 6 milliards d’euros pour moderniser les secteurs sanitaire et médico-social, et améliorer l’offre de soins en ville et à l’hôpital.

Ce plan nous permettra-t-il de mieux nous préparer aux chocs futurs ? Cette question est centrale car notre système de santé doit anticiper un nouveau choc, celui de la transition démographique. La crise a montré que le secteur du grand âge était mal préparé pour faire face à des pics de demande de soins. Or nous entrerons dès 2030 dans une période charnière, marquée par l’entrée aux âges « critiques » (75-85 ans) des « baby-boomeurs », c’est-à-dire aux âges auxquels les risques de perte d’autonomie – et les besoins associés – augmenteront fortement.

Russie: Un échec économique et une dépendance du pétrole

Russie: Un échec économique et une dépendance du pétrole

 

Si le système financier de la Russie n’est pas en déshérence, le modèle économique du pays demeure trop dépendant des recettes provenant du pétrole ou du gaz, estime le professeur d’économie Julien Vercueil, dans une tribune au « Monde ».

 

Tribune.

 

 L’économie de la Russie commence à ressentir les effets de l’aventurisme militaire du maître du Kremlin. Le 28 février 2022, la Banque centrale de Russie a élevé son taux directeur à 20 %, le rouble a décroché de 30 % tandis que les autorités financières renonçaient à rouvrir le MOEX, principale place financière de Moscou, le temps de prendre les mesures d’atténuation qui pouvaient encore l’être. Depuis le jeudi 24 février, jour de l’invasion de l’Ukraine, les particuliers font la queue devant les distributeurs automatiques et les bureaux de change pour récupérer une partie de leurs avoirs, dans une atmosphère d’incertitude déjà connue à plusieurs reprises depuis la dissolution de l’Union soviétique.

Cette fois, ce n’est pas la chute des cours du pétrole qui est en cause : ils sont au plus haut. C’est la principale différence avec les crises financières de 1998, 2008-2009 ou 2014-2015 qui ont secoué le pays sur fond de chute des cours. Le problème vient aujourd’hui du secteur financier, dont on se demande s’il sera capable de tenir le choc des sanctions occidentales : déconnexion partielle du système Swift [un dispositif de messagerie électronique sécurisée qui permet les transactions bancaires entre les pays], accès interdit aux refinancements en dollars et en euros pour plusieurs acteurs bancaires majeurs et surtout restriction drastique des possibilités pour la Banque centrale de Russie de mobiliser ses réserves en devises, qui atteignent plus de 630 milliards de dollars.

Le système financier russe est atypique. Il s’est construit à la va-vite dans les années 1990 et reste aujourd’hui dominé par les banques, dont les principales sont publiques. Les marchés financiers sont étroits – le président Dmitri Medvedev [président de la Fédération de 2008 à 2012, puis du gouvernement de 2012 à 2020] rêvait de faire de Moscou une place financière majeure en Europe mais il n’y est pas parvenu – et dépendent fortement des valeurs énergétiques et bancaires. Quelques grandes banques privées (Alfa-Bank, Rosbank, filiale de la Société générale) subsistent également, aux côtés de plusieurs centaines de petites entités ayant pour principale activité d’assurer les flux de liquidités pour les entreprises dont elles dépendent. La Banque centrale de Russie et la VEB, une banque publique de « développement » qui investit dans les infrastructures et gère une partie des fonds souverains russes, complètent le paysage.

Economie France: Trop de dépendance extérieure

Economie France: Trop de dépendance extérieure

 

Le retour à une production sur le territoire national rendrait possible une croissance sans contrainte extérieure, rappelle l’économiste Gérard Fonouni dans une tribune au « Monde ».

 

Tribune.

L’activité économique semble repartie en France grâce à la relance économique et à l’intervention de l’Etat durant la crise sanitaire. Le produit intérieur brut (PIB), après – 8 % en 2020, a rebondi à 7 % en 2021 et pourrait se stabiliser à 3,2 % à la mi-2022, selon l’Insee, ce qui est un très bon signe pour notre économie. Le taux de marge des entreprises non financières s’est élevé à 34,2 % en 2021. Ce taux inédit et très encourageant pourrait être bénéfique pour la croissance économique et pour l’emploi, à condition qu’il s’accompagne d’une hausse généralisée des salaires.

La consommation des ménages reste dynamique sur cette même période. Ces divers facteurs laissent espérer une progression de l’investissement privé et une réduction du chômage pour 2022. Quant aux prix, leur augmentation fait craindre le retour de l’inflation. Le taux d’inflation pourrait dépasser le seuil de 3 % en 2022 et amoindrir la compétitivité de l’économie française. En effet, les comptes extérieurs ne se redressent pas ; bien au contraire, ils se dégradent. Le déficit de la balance commerciale a atteint 84,7 milliards d’euros en 2021. Les exportations ne parviennent toujours pas à couvrir les importations malgré toutes les aides sociales et fiscales accordées aux entreprises par les pouvoirs publics durant la crise du Covid-19.


Ce déficit commercial traduit la mauvaise performance de notre économie par rapport à la concurrence étrangère. Il s’explique par la forte progression du coût des importations inhérente à la hausse du prix du pétrole et des matières premières. Il s’explique aussi par l’accroissement des importations des produits d’équipement, métallurgiques et manufacturés, lié à la reprise économique mondiale. Cette dégradation est paradoxale. Elle est à la fois une bonne nouvelle, traduisant une demande intérieure en hausse grâce à la consommation malgré un retour de l’inflation. Et une mauvaise nouvelle, soulignant, à l’intérieur du pays, la quasi-inexistence de l’industrie dans le secteur des biens d’équipement.

En effet, la théorie des avantages comparatifs, fondée sur la doctrine du libre-échange, a poussé l’économie française à se spécialiser dans les productions les plus rentables et à importer celles qui le sont moins. Ce choix stratégique industriel a rendu notre système économique fortement dépendant à l’égard de nombreux produits fabriqués à l’étranger, notamment en Chine, alors qu’il avait tout le potentiel pour les produire sur le territoire.

Dépendance et aides à domicile : Un manque de considération et de valorisation

Dépendance et aides à domicile : Un manque de considération et de valorisation

 

Le manque de reconnaissance envers les professionnels de l’accompagnement risque d’entraîner une grave fuite de personnel, alertent Luc Carvounas, président de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale, et Marie-Reine Tillon, présidente de l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles, dans une tribune au « Monde ».

 

Tribune.

 

Les révélations parues dans le livre de Victor Castanet, Les Fossoyeurs (Fayard, 400 pages, 22,90 euros), sont consternantes. Elles posent de nombreuses questions sur l’accompagnement de nos aînés, son financement, son organisation. De fait, si certains gestionnaires d’Ehpad privés commerciaux aux pratiques inadmissibles ont ainsi défrayé la chronique, ces révélations rappellent que l’autonomie de tous est une question de société et de citoyenneté. On ne saurait la cantonner à la seule dimension de l’hébergement. Pour mémoire, l’accompagnement de nos aînés se fait d’abord et surtout à domicile. Si ce dernier est organisé de manière bien différente qu’en établissement, il renvoie néanmoins à des enjeux transversaux tels que les besoins en personnels et la valorisation des métiers du prendre-soin. Or, de nombreuses marges de progrès demeurent.

Les différents plans gouvernementaux qui ont fait de l’accompagnement à domicile une ambition politique depuis près de vingt ans reposent ainsi sur l’implication de plus de 550 000 salariés, essentiellement des femmes. Or, toutes ne sont pas logées à la même enseigne. Des différences de statuts subsistent entre les aides à domicile, selon qu’elles travaillent pour les secteurs associatif, privé ou public. A métier et compétences égales, les professionnels du secteur public sont aujourd’hui pénalisés de manière injuste et flagrante.

Le maintien à domicile est plébiscité et vanté pour ses atouts, et ce sans avoir besoin des comparaisons avec les pratiques scandaleuses de l’hébergement en établissement. Il concourt à la mise en œuvre d’une politique plus inclusive pour les personnes en situation de handicap. Certes coûteux en matière de politiques publiques (crédit d’impôt, exonération de charges sociales), il génère également des recettes fiscales et de l’activité économique non délocalisable.

Les perspectives démographiques rendent nécessaires des investissements en matière d’adaptation des logements, d’aides à la mobilité, de services mais aussi de formation d’intervenants en nombre suffisant. Pour rappel, le rapport Libault de 2019 estime les besoins du secteur à plus de 150 000 emplois en équivalents temps plein du fait du seul vieillissement de la population d’ici à 2030.

Les élus locaux sont bien placés pour prendre la mesure de ces constats. Ils le sont au titre de leur mission de prévention, de réponse aux besoins d’équipements et de services de proximité, et ce en coordination avec leurs partenaires associatifs. Ils le sont plus encore au regard de leur rôle de maintien du lien social entre et envers leurs habitants, et parmi eux les plus âgés.

Age et dépendance : quelle politique ?

Age et dépendance : quelle politique ?

 

L’affaire des Ehpad du groupe Orpea est devenue une affaire politique, il n’est pas trop tard pour que le grand âge devienne un thème de la campagne présidentielle estime un papier du Monde.

 

 

 

La publication de l’enquête Les Fossoyeurs (Fayard, 400 pages, 22,90 euros), dans laquelle le journaliste Victor Castanet dénonce d’importants dysfonctionnements dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) du groupe Orpea a provoqué un vif émoi. A raison. Les accusations sont graves et les faits rapportés particulièrement sordides.

Le livre décrit un système implacable dans lequel les soins d’hygiène, la prise en charge médicale, voire les repas des résidents seraient « rationnés » pour gonfler la rentabilité d’Orpea, une entreprise leader de son secteur et cotée à la Bourse de Paris. Les manquements révélés par le journaliste se limitent-ils à un « souci d’organisation », comme l’avance la direction, ou bien font-ils partie intégrante d’un modèle économique dévoyé au détriment du bien-être, de la santé, voire de la vie des résidents, comme le livre le donne à penser ? Il est encore trop tôt pour trancher.

A ce stade, il faut se méfier des généralités : beaucoup d’Ehpad, malgré des moyens insuffisants, continuent de remplir une mission difficile mais indispensable à la société. Reste que le nombre de familles qui ont été ou qui sont confrontées au sujet de la maltraitance en maison de retraite doit nous alerter sur les dysfonctionnements du système.

L’un d’eux concerne le rôle joué par le secteur privé. Faute de financements publics suffisants, l’activité a dû s’ouvrir à un certain nombre d’entreprises. Elles ont certes permis de développer des capacités d’accueil pour accompagner le vieillissement de la population, mais beaucoup d’investissements ont été réalisés dans une logique purement financière. Aujourd’hui en pleine expansion, le secteur privé lucratif propose en moyenne des tarifs plus élevés de 40 % que le public, avec 10 % à 15 % de personnel en moins. Or il est évident que le bien-être des résidents est proportionnel à la densité de l’encadrement.

Ensuite, chaque établissement, quel que soit son statut, touche le même montant de financement public par les agences régionales de santé (ARS) et les départements, l’hébergement étant à la charge des résidents. C’est sur ce poste que le secteur privé assure sa rentabilité, sans proposer pour autant de meilleures prestations. Le modèle économique reste focalisé sur l’immobilier, moins sur les besoins des personnes âgées. Les financements publics ont théoriquement une contrepartie : le contrôle régulier des établissements par les ARS. Dans la pratique, selon le livre, ces contrôles sont trop laxistes et aléatoires pour empêcher les abus.

Depuis des années, la dépendance attend sa loi de financement. Malgré quelques avancées comme des revalorisations salariales, des créations de postes et de nouveaux investissements, le pouvoir actuel n’a pas dérogé à cette procrastination sur le plan législatif. Pourtant, les projections démographiques montrent que le besoin d’ouverture de places en Ehpad va s’accélérer.

Deux choix sont possibles. Soit une prise en charge collective qui permettra d’alléger le fardeau financier pour les familles tout en garantissant de meilleures prestations – la limite politique de cette solution est qu’elle implique une augmentation des prélèvements sociaux –, soit continuer à déléguer la mission à un secteur privé lucratif, plus cher que le public mais incapable de garantir de meilleures prestations, le tout financé en grande partie par des fonds publics qui restent mal contrôlés. Il n’est pas trop tard pour que la question du grand âge s’invite dans la campagne présidentielle.

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