Trouver des placements rentables « et » responsables (Denis Alexandre)
Depuis quelques mois, l’inflation n’est plus considérée par les banques centrales comme un phénomène passager, mais au mieux comme un évènement qui durera plusieurs semestres au moins. En période d’inflation, il est souvent recommandé d’augmenter la part des matières premières dans son allocation d’actifs. Les matières premières constituent en effet une couverture « naturelle » de l’inflation car, qu’elles soient agricoles ou énergétiques, elles sont souvent un facteur de la poussée inflationniste. Une étude a montré qu’entre 1970 et 2015, cette classe d’actifs a réalisé une performance de 22% lors des périodes de « surinflation ».
Grâce à la multitude d’ETF (fonds cotés en Bourse) sur les marchés, il est très simple d’investir soit dans un indice de matières premières diversifié comme le Refinitiv core commodity index (CRB), en hausse de 30% depuis le début de l’année, ou dans son équivalent spécialisé sur certaines matières premières agricoles (blé, soja, coton, sucre…) ou d’énergie (pétrole, gaz…). Mais en décidant d’accroître son allocation vers les matières premières, l’investisseur doit avoir en tête qu’il augmentera la demande sur ce type d’actifs et donc les prix. Les conséquences induites ne sont pas neutres en matière de « soutenabilité » :
- Sur les matières agricoles comme le blé: des émeutes de la faim comme celles qu’ont connues certains pays africains en 2008 où à l’époque le blé avait doublé en un an.
- Sur le pétrole : l’affaiblissement du pouvoir d’achat des populations est une première conséquence, mais elle s’accompagne d’une modification du mix énergétique, rendant à nouveau rentables de nouvelles utilisations d’énergies plus polluantes comme les gaz et pétrole de schiste ou même le charbon, comme nous le montre la crise ukrainienne actuelle.
Face à un marché incertain, il est également recommandé de diversifier son allocation avec de la gestion alternative qui se veut décorrélée des marchés actions. Or, si les stratégies des hedge funds sont extrêmement variées, la spécialisation de certains sur des classes d’actifs ou des stratégies particulières soulève des questions.
Sur les matières premières par exemple, un des plus connus est celui de Pierre Andurand qui a gagné plus de 100% depuis le début de l’année grâce à la hausse des prix de l’énergie, qu’il a su anticiper. Il n’a aucune contrainte ESG (environnementale, sociale ou de gouvernance) à respecter sur ces prises de position car ses investisseurs ne lui en imposent aucune…
D’autres, les commodity trading advisors (CTA), s’appuient sur des stratégies quantitatives l–’une d’elle consiste à « suivre la tendance » et investir sur tout type d’actifs dès qu’une tendance haussière ou baissière est détectée. Ils ont bénéficié de la hausse des matières premières avec des gains de plus de 10% cette année et ont amplifié les mouvements de hausse en aggravant les conséquences sociales décrites ci-dessus.
Certains hedge funds ont, au contraire, mis les critères ESG au cœur de leur stratégie. C’est le cas du hedge fund « activiste » TCI de Christopher Hoen,qui gère 40 milliards de dollars. Il a eu un impact certain dans les sociétés où il investissait, en militant pour une gouvernance beaucoup plus exigeante en matière de transition énergétique. Sa performance (23% en 2021) a toujours été positive au cours des treize dernières années, ce qui prouve que, même pour des fonds spéculatifs, l’ESG n’est pas forcément synonyme de baisses de performance.
La gestion alternative ne se résume pas aux hedge funds : le private equity est une autre classe d’actifs pouvant apporter de la diversification dans des marchés incertains et volatils. Mais lui aussi n’est pas exempt de critiques.
Comme le soulignait la passionnante étude de The Economist parue en février, des grands groupes cotés en Bourse ont dû se séparer d’actifs extrêmement rentables sous la pression de leurs investisseurs voulant respecter leurs critères environnementaux. Les grands noms du private equity (KKR, Blackstone, Carlyle) ont ainsi pu acheter pour 60 milliards de dollars d’actifs liés au pétrole, gaz et charbon. Il y a donc un paradoxe et une certaine hypocrisie : ces mêmes investisseurs (fonds de pension, fondations, fonds souverains…) poussent leurs participations cotées à sortir de ces actifs pour respecter leurs critères ESG et les rachètent à travers leur poche « private equity »,qui n’a pas ce type de contraintes.
Le bitcoin est souvent comparé par ses fans à l’or en plus efficient : le nombre de bitcoins en circulation a été limité dès sa conception, et il s’échange et se transporte plus facilement (un simple mot de passe). Il serait le seul refuge possible dans le monde inflationniste crée par la « folie » des banques centrales pendant la crise de la Covid.
Indépendamment de son caractère ô combien spéculatif, comme le montrent ses variations et tous les produits à effet de levier sur ce sous-jacent, il pose une vraie question de gaspillage énergétique, à l’heure du réchauffement climatique. Le Monde donne l’exemple de la plus grande usine de « minage » de bitcoins aux Etats-Unis, qui consommerait l’équivalent d’un demi-réacteur nucléaire ; le Guardian celui de la réouverture d’une mine de charbon dans le Montana pour satisfaire une autre entreprise de minage. Or les fans du bitcoin expliquent qu’au contraire, il est la solution pour l’optimisation et la rentabilité des énergies renouvelables. Fâcheux paradoxe !
Dans un environnement de marché complexe, s’ajoutent des contraintes ESG qui n’existaient pas il y a encore quelques années, ce qui rend la tâche des investisseurs, notamment institutionnels, encore plus difficile. Néanmoins, prendre un peu de recul et se poser les bonnes questions n’est pas si complexe. A moins que, comme Tartuffe, la tentation du rendement à tout prix pèse beaucoup plus lourd que les grands principes proclamés.
Denis Alexandre est professeur de finance et consultant en gestion des risques et marché de capitaux.