Économie :«Où sont les demandeurs d’emploi ?» (David Butet)
Paradoxalement, les pénuries de main-d’œuvre interviennent alors que la situation du chômage s’est dégradée. La France a enregistré une hausse de 8 % du nombre de demandeurs d’emploi l’an dernier, soit 270 000 chômeurs de plus. (Par David Butet, président du Medef Côte d’Or, président du CDVA Conseils Group); dans l’OPINION (Extrait)
La crise de la Covid 19 que nous venons de traverser ne ressemble décidément à aucune autre : le couvercle du confinement à peine levé, les économies repartent, et il n’est déjà plus question que de pénuries. Celle des matières premières, comme le manque de semi-conducteurs qui stoppent la production notamment de voitures un peu partout dans le monde, ou celles des matériaux, comme le bois ou l’acier, qui font flamber le prix des constructions de bâtiments et décaler presque tous les chantiers.
Mais une autre pénurie est déjà sur toutes les lèvres : le manque de main-d’œuvre. La restauration cherche désespérément 100 000 serveurs, commis et/ou chefs de rang. Des tensions sont à noter dans l’artisanat, chez les couvreurs, les menuisiers, les charpentiers, les tuyauteurs. Le bâtiment souffre d’un manque de bras également. Sans même parler de l’industrie qui souffrait déjà de la pénurie avant la crise, ou les aides à domicile qui se font rares.
Paradoxalement, ces pénuries interviennent alors que la situation du chômage s’est dégradée. La France a enregistré une hausse de 8 % du nombre de demandeurs d’emploi l’an dernier, soit 270 000 chômeurs de plus.
Alors, je pose la question : où sont les demandeurs d’emploi ?
Si la pénurie de main-d’œuvre est présente à peu près partout dans les pays de l’OCDE, notamment en raison du redémarrage rapide et puissant post-confinements provoquant un décalage entre la demande et l’offre, il y a quelques spécificités françaises :
– Nous sommes le pays de l’OCDE où les habitants déménagent le moins pour trouver un emploi ;
– De très nombreux salariés ont décidé pendant les confinements de changer de métier et/ou de rythme, voire de lieu, de vie ;
– La France est le seul pays de l’OCDE où le chômage structurel se situe entre 7 et 8 % : c’est un handicap majeur pour notre croissance potentielle !
En France, au 1er semestre 2021, le taux d’emploi a été de 66 % contre 76 % en Allemagne. Cet indicateur est en réalité bien plus important que celui du taux de chômage : en terme simple, cela veut dire que l’Allemagne a 10 points en plus de sa population en âge de travailler qui travaille, donc qui crée de la richesse et qui paye des impôts
Mais des solutions existent, et nous devons, le plus vite possible, en collectif (Etat, collectivités territoriales, syndicats patronaux, Chambres consulaires…) agir. Je propose les quelques pistes suivantes : d’abord, il faut revoir la formation initiale en dirigeant nos jeunes vers les filières en tension. En complément, il faut accompagner les reconversions pour ceux qui sont dans la vie active, là aussi en les dirigeant vers les filières et métiers en tension.
Ensuite, il faut renforcer les dispositifs incitant à reprendre un emploi, en réformant notamment dès que possible l’assurance chômage. Par ailleurs, de nombreuses branches professionnelles sont prêtes à revoir leurs grilles de salaire, sous réserve évidemment que l’ensemble de la filière participe à la prise en charge de ces hausses. Enfin, les entreprises et entrepreneurs, au sortir de la crise, travaillent quotidiennement à leur raison d’être, cette « quête de sens » demandée par l’ensemble des parties prenantes dans les organisations : c’est un levier indispensable aux réflexions et actions pour générer des « marques employeurs » fortes et attractives.
C’est un travail de longue haleine qui nécessite des moyens financiers considérables et une détermination sans faille. Mais après la crise que nous avons vécue, nous devons collectivement faire ces efforts. Dans notre pays, qui cumule chômage de masse (3,8 millions de chômeurs) et pénuries de main-d’œuvre, il est impératif de ne pas baisser les bras et d’oser tout tenter pour gagner cette bataille de l’emploi.
Mais cela passera forcément par une redéfinition collective de la valeur du travail. En effet, nous devons nous projeter dans une société qui réintègre le travail comme une valeur, qui répond à des droits mais aussi à des devoirs, et il me semble urgent que cela soit réintroduit dans les écoles et les formations, afin de faire coïncider au mieux les attentes des chômeurs pour qu’ils soient réellement des demandeurs d’emploi et non des professionnels du sans-emploi. J’en profite pour ajouter qu’il devient essentiel que la culture économique soit assurée dès l’école primaire.
Retrouvons collectivement notre bon sens. C’est notre quotidien à nous, entrepreneurs, de nous adapter à toutes les situations. Mais c’est à l’ensemble des collaborateurs de raisonner avec et pour leurs entreprises. Nous avons la chance de vivre dans un des pays où la qualité de vie est presque la meilleure au monde, où notre système social est l’un des plus avancé et protecteur de la planète. Soyons en fiers et faisons-le progresser pour que chacun puisse vivre convenablement mais sur la base que tout travail, j’ajouterai bien fait, mérite salaire mais qu’à l’inverse sans travail pas de rémunération.
David Butet est président du Medef Côte d’Or, président de CDVA Conseils Group.
Social France travail : Une nouvelle usine à gaz
Social France travail : Une nouvelle usine à gaz
Les institutions qui traitent du chômage subissent réforme sur réforme sans pour autant obtenir davantage de résultats. Ainsi on avait supprimé l’ANPE et l’ASSEDIC pour les regrouper au sein de pôle emploi qui n’a pas non plus atteint ses objectifs. Et du coup maintenant pour masquer l’échec on va créer une nouvelle cathédrale intitulée France travail qui aurait pour objectif le plein-emploi. Le problème c’est qu’on n’a jamais été capable de savoir si ces organismes traitaient prioritairement l’emploi ou la question du chômage. Dernière interrogation : comment des fonctionnaires pourraient être compétents pour orienter des demandeurs d’emploi sur le marché du travail du privé ?
A priori on pourrait penser que c’est la même problématique seulement il y a une grande différence entre la dynamique consistant à rechercher toutes les conditions de l’insertion ou de la réinsertion dans le travail et la question de l’indemnisation financière du chômage. Finalement en mélangeant les deux on traite mal les deux questions. On n’en reviendrait au traitement séparé avec comme précédemment l’ASSEDIC d’un côté et l’ANPE de l’autre.
En outre surtout le nouvel objectif du plein-emploi va se heurter à la dégradation notable de la conjoncture économique dans tous les pays et pour plusieurs années. En France comme ailleurs on s’oriente doucement vers la stagnation ce qui mécaniquement fait augmenter le chômage et ce sera pire en 2024 puisque c’est l’économie mondiale qui va nettement ralentir en particulier en Chine moteur de l’économie internationale.
L’objectif de cette mutation : mieux coordonner les innombrables acteurs de la formation, de l’emploi et de l’insertion, comme les missions locales, les maisons de l’emploi, l’Apec pour les cadres, etc., et impulser une nouvelle dynamique.
France Travail comporte une nouveauté de taille : tous les demandeurs devront s’inscrire, y compris les plus éloignés du marché de l’emploi, comme les 1,8 million de bénéficiaires du RSA. Sachant que moins d’un allocataire sur deux est comptabilisé à Pôle emploi, près de 1 million de personnes pourraient donc venir grossir les registres administratifs des demandeurs d’emploi.
Les partenaires sociaux, eux, sont remontés. Sur fond de réforme de l’assurance chômage, les syndicats dénoncent une énième stigmatisation des plus précaires.
Le patronat, lui, s’inquiète d’une nouvelle usine à gaz. Patrick Martin, le président du Medef, craint que les entreprises ne passent à la caisse alors que le budget 2024 prévoit déjà un crédit de 350 millions d’euros supplémentaires pour le nouvel opérateur. Sur trois ans, ce sera plus de 1 milliard et demi. Sans compter que l’État accompagnera aussi les autres partenaires de l’emploi, comme les collectivités à hauteur de près de 4 milliards d’euros, les quatre prochaines années. Le patronat table plutôt sur une dizaine de milliards d’euros pour créer France Travail. « France Travail, c’est avant tout un pari, mais pas une recette magique », résume Franck Morel, ancien conseiller social d’Édouard Philippe à Matignon.