L’obsolescence programmée : le prix suffit : (Alexandre Delaigue)
Libéral classique, Alexandre Delaigue ramène tout au prix et conteste un éventuel indice de durée de vie. Un point vue qui mérite cependant d’être entendu même s’il est discutable (exemple la voiture la moins chère à l’achat et à l’entretien est la Dacia Sandero)
Interview l Figaro.
Que vous inspire ce projet d’étiquetage?
Alexandre Delaigue: Premièrement, une grande partie des facteurs qui déterminent la durée de vie d’un objet ne sont pas liés à l’usure physique mais à l’apparition de nouveaux produits, qui rendent les précédents moins séduisants. Deuxièmement, ce n’est pas tant la «réparabilité» qui pose problème que son prix et les désagréments qui y sont liés. Prenons pour exemple le fabricant de valises Delsey, qui reprend systématiquement ses produits pour les réparer. Si en magasin on vous propose soit de remplacer la valise par un modèle neuf identique, soit de vous la prendre pendant trois semaines pour la réparer, quelle option choisissez-vous? Probablement la plus immédiate… Un étiquetage lié à l’impact d’un produit technologique sur l’environnement a du sens car on peut mesurer à peu près sa consommation, en revanche, un étiquetage sur la «réparabilité» ne dit rien sur le coût de cette réparation, sur la disponibilité du personnel, sur le temps que cela prend… De la même manière, un iPad qui a 7 ans ne peut plus faire les mises à jour de système, il y a donc un très grand nombre d’applications qu’on ne peut plus installer dessus. Cependant, si je ne m’en sers que pour permettre à mes enfants de regarder Netflix, il me convient très bien. Est-il donc inutilisable ou encore utilisable? C’est une information très difficile à déterminer pour les appareils électroniques.
«Les gens ne sont pas stupides, ils se doutent bien qu’une machine à laver à 1000 euros sera davantage résistante et réparable qu’une autre à 200 euros»
Pour justifier la mise à l’étude de cet étiquetage, Brune Poirson parle d’une «double arnaque», pour les citoyens et la planète…
Le terme d’ «arnaque» est dans ce contexte quelque peu absurde. Si les gens préfèrent prendre de nouveaux objets plutôt que d’attendre qu’ils soient réparés, c’est parce qu’ils constatent qu’ils ne coûtent pas cher. Dans bien des situations, réparer coûte plus cher et génère plus de désagréments que de racheter un objet neuf. Les gens ne sont pas stupides, ils se doutent bien qu’une machine à laver à 1000 euros sera davantage résistante et réparable qu’une autre à 200 euros.
En outre, il est très difficile de donner une durée de vie à un objet. Même pour une voiture, c’est très compliqué, car cela dépend du kilométrage, de l’usage qu’on en a… Et lorsqu’un constructeur propose 5 ans de garantie, c’est bien qu’il considère que c’est un bon argument de vente. Et en fonction de quoi établirait-on l’indicateur de durabilité? Du nombre d’heures d’utilisation, de la fréquence, de l’obsolescence créée par l’arrivée de nouvelles fonctionnalités…? Résumer cette complexité dans un seul indicateur me paraît beaucoup moins efficace que de tout simplement partir du principe que les utilisateurs et les constructeurs vont finir par s’ajuster entre eux.
À quelles conditions pourrait-on avoir des produits plus durables et plus réparables?
Nous sommes face à un problème de fond, car si vous voulez rendre les produits plus réparables, la première chose à faire est de baisser les salaires. Ce ne sont pas les pièces qui coûtent cher, le plus souvent, mais la main d’œuvre, parce qu’elle est qualifiée et coûte cher par rapport à des objets qui, eux, ne sont pas si onéreux. On rencontre aujourd’hui des initiatives à titre associatif, mais à plus grande échelle cela coûtera très cher, il ne faut pas se leurrer. L’utilisateur ne voudra pas payer. La réglementation aussi influence l’acte d’achat: le prix de l’énergie augmentant, on remplace son produit par un autre, plus économique.
«Le gouvernement se trouve en porte-à-faux entre deux exigences contradictoires»
Si les gens changent de produits avant que ceux-ci ne cessent de fonctionner, c’est parce qu’ils veulent des choses nouvelles et performantes, ou qu’ils sont incités par les nouvelles réglementations du gouvernement. Ce dernier ne peut pas à la fois exiger des gens qu’ils se dirigent vers de nouveaux produits plus économiques et de l’autre demander qu’ils réparent et gardent très longtemps leurs objets. Il se trouve donc en porte-à-faux entre deux exigences contradictoires. Si on voulait vraiment résoudre cette situation, il faudrait une taxe carbone généralisée, y compris pour les coûts de production. Dans ce cas-là, on paierait à l’achat le coût de production et environnemental, ainsi que l’utilisation: les gens auraient alors une information claire. Mais personne ne veut cela car ça coûterait beaucoup plus cher. C’est pourquoi le gouvernement se contente d’explorer des solutions qui ne marchent pas.
Cette réflexion de la secrétaire d’État s’inscrit dans un contexte particulier, celui de la dénonciation de pratiques présumées consistant à limiter la durée de vie de certains produits…
Des produits médiocres et des marques qui cherchent à cacher cette médiocrité, cela existe. Mais ça n’a rien à voir avec l’obsolescence programmée, qui consiste à fabriquer exprès un produit de mauvaise qualité pour que les consommateurs rachètent le même au même fabricant. Lorsque je constate qu’un produit est de mauvaise qualité, mon premier réflexe est de ne surtout pas retourner chez ce fabricant.
Apple a été accusé par l’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP) d’avoir limité les batteries de certains iPhones. Cette pratique n’est pas assimilable à de l’obsolescence programmée?
Dans le cas d’Apple, on reprochait aux batteries de s’user: alors que la jauge indiquait 50% d’énergie, le téléphone pouvait s’arrêter d’un seul coup, ce qui posait de réels problèmes, notamment de sauvegarde des données. Apple a donc installé un patch logiciel ralentissant les appareils qui avaient une vieille batterie, justement pour éviter ce type de déconvenue. Les consommateurs ont fait part de leur mécontentement, ce qui a conduit Apple à, désormais, installer un autre patch logiciel et proposer de remplacer les batteries à un prix bas. Autrement dit, c’est une entreprise qui, ayant cherché à résoudre un problème, s’est trouvée confrontée à un autre, et a donc proposé aux utilisateurs de remplacer leur batterie à un prix faible et d’avoir un patch logiciel permettant de contrôler le niveau de la batterie. Le marché a donc fonctionné: les utilisateurs ont fait comprendre leurs besoins à la marque et obtenu satisfaction au bout du compte. Plutôt que de régulations inutiles, on a besoin de transparence.