Russie: Éliminer définitivement les oligarques en occident
Jean-Philippe Delsol, directeur du think tank libéral Institut de recherches économiques et fiscales, salue dans une tribune au « Monde » l’action prise depuis le début du conflit ukrainien contre les grandes fortunes russes. Politique qu’il faudra poursuivre, selon lui.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a suscité, dès 2014, des mesures de rétorsion européennes tendant à affaiblir l’agresseur. Ces dispositions ont été renforcées considérablement depuis février 2022, notamment par le gel de tous les fonds et les ressources économiques appartenant, directement ou indirectement, à des personnes considérées comme responsables d’actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
En France, s’appuyant sur ces dispositions européennes et sur le chapitre VII de la charte des Nations unies, un article L. 562-3 du code monétaire et financier, adopté le 6 novembre 2020, a permis au ministre chargé de l’économie de procéder, pour des périodes de six mois, renouvelables éternellement, au gel des fonds et des ressources économiques des oligarques russes proches de Poutine. Mais le fondement juridique de ces textes est très fragile.
L’ONU n’a édicté aucune sanction qui s’impose à ses membres, car il aurait fallu que la décision vienne du Conseil de sécurité, où la Russie a le droit de veto. Quoi qu’il en soit, la saisie des biens des oligarques n’est pas possible à défaut de jugement préalable et de motif légalement reconnu. On ne punit pas des personnes pour leur simple amitié, réelle ou supposée, avec un Poutine quelconque. Il ne s’agit donc que de mesures provisoires, de gel, qui peuvent être contestées et remises en cause, comme en témoignent les deux ordonnances successives des 18 et 28 mars, rendues par le juge des référés du tribunal judiciaire de Lorient, pour annuler les sanctions de gel d’un navire de commerce russe.
Mais ces mesures ont le mérite de faire peser des menaces substantielles sur l’environnement de l’agresseur. En outre, peut-être même en Russie, elles sont un signal que peut apprécier l’opinion : elle sait que ces oligarques, sauf exception, ont bâti leur fortune de manière peu recommandable.
Lors de la libération du joug soviétique, les pays de l’empire soviétique n’ont pas perdu leurs habitudes de concussion et de corruption que le communisme avait propagées dans toute la société. Dès le début des années 1990 furent organisées des attributions d’actions de sociétés privatisées au profit de la population. Quelques rapaces des milieux économiques proches du pouvoir s’en emparèrent rapidement pour des bouchées de pain. Puis furent mis en place des programmes « prêts contre actions » par lesquels quelques banquiers prêtèrent de l’argent au gouvernement russe en prenant en garantie des paquets d’actions de sociétés qui devaient leur revenir à vil prix si, un an plus tard, le prêt n’était pas remboursé. Et, bien entendu, ils n’étaient quasiment jamais remboursés ! Ces programmes furent développés dans le cadre d’enchères biaisées qui profitèrent à quelques étrangers et à de nombreux aventuriers locaux n’ayant peur de rien pour s’enrichir sans vergogne par des moyens douteux, quand ils n’étaient pas criminels.