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Délit d’écocide et d’ethnocide de Bolsonaro

Délit d’écocide  et d’ethnocide de Bolsonaro

 

La France ne doit pas se rendre complice de l’ethnocide et de l’écocide en cours au Brésil, affirme un collectif d’anthropologues et d’historiens, parmi lesquels Philippe Descola et Anaïs Fléchet, plaidant pour l’application de sanctions de la part de l’UE.(Dans le « Monde, » extraits)

 

Tribune.

Depuis le 22 août, 6 000 Indiens du Brésil, issus de 170 peuples différents, ont planté leurs tentes sur l’esplanade des ministères à Brasilia pour s’élever contre une menace inédite sur leurs droits et leurs terres. Ils entendent peser sur une décision de la Cour suprême concernant une demande de l’Etat de Santa Catarina de reprendre possession d’une partie de la terre indigène Ibirama-Laklano revendiquée par le peuple Xokleng. L’enjeu est d’importance puisque cette décision confirmera la doctrine en vigueur ou la remplacera par une autre, très défavorable aux droits des Indiens.

 

La Constitution du 5 octobre 1988 a entériné l’idée que les Indiens, en vertu de leur occupation du territoire avant la colonisation, détiennent sur lui des « droits originaires ». La Constitution a donc autorisé, à travers le travail de la Fondation nationale de l’Indien (Funai), que l’on rende aux Indiens des fractions des territoires qui leur avaient été pris au fil des siècles. La doctrine adverse, dite « thèse de la limite temporelle », affirme au contraire que les Indiens ne devraient avoir de droits que sur les territoires qu’ils occupaient le 5 octobre 1988. C’est donc une doctrine qui consacre le droit du plus fort, puisque les détenteurs originaires n’auraient pas le droit de s’élever contre un préjudice intervenu avant cette date.

C’est là une nouvelle étape de la véritable politique de mort que conduit Bolsonaro depuis son arrivée au pouvoir, lui qui n’a jamais masqué ses opinions racistes et colonialistes. Le président du Brésil est en train de faire adopter un arsenal législatif qui démantèlera les droits des Indiens sur leurs terres. Une première loi, en passe d’être ratifiée par le Sénat, facilitera la régularisation des terres appropriées par les agriculteurs ou les éleveurs dans les terres indigènes non ratifiées, ainsi que des zones déforestées illégalement ; deux autres projets de loi permettront l’exploitation des ressources minières, de l’eau et des hydrocarbures dans les terres Indigènes. Les Indiens pourront être « consultés », mais ils n’auront pas de droit de veto.

Ce dernier projet de loi constitue aussi une grave menace pour les peuples en isolement volontaire, puisqu’il assortit l’invitation à ne pas les contacter d’une restriction inquiétante : sauf pour exercer « une action étatique d’utilité publique ». Dans le même temps, le gouvernement a coupé les fonds consacrés à l’environnement et aux Indiens et remplacé les cadres de ces organisations par des militaires, des politiques ou des évangélistes sans qualification particulière, promus pour leur fidélité. Sans surprise, parallèlement, meurtres d’Indiens, invasions, orpaillage et contamination aux métaux lourds ont connu une augmentation alarmante.

La déforestation de l’Amazonie s’est accélérée depuis l’accession au pouvoir de Jair Bolsonaro. On en est à regretter l’époque où, sous Lula, ce n’était « que » 4 500 kilomètres carrés qui partaient en fumée chaque année, et non 11 000. Un chiffre qui augmentera encore si rien n’est fait. A titre d’exemple, le territoire des Yanomami fait déjà l’objet de cinq cents demandes formelles d’extraction minière. Une fois les lois votées, on voit mal comment ces demandes pourraient ne pas être acceptées. Ce serait alors, dans cette seule terre, 30 000 kilomètres carrés de forêt qui seraient ouverts à l’exploitation, soit la superficie de la Belgique. Surtout, plus encore que l’élection du président Bolsonaro, ces nouvelles lois et l’adoption de la thèse de la limite temporelle sonneront comme une annonce d’impunité, une confirmation que tout est permis, que la curée peut vraiment commencer.

La mobilisation des Indiens, coordonnée par l’Articulation des peuples indiens du Brésil (APIB), dépasse les précédentes. Elle est pourtant encore très en deçà des enjeux, qui sont globaux. Les sociétés amérindiennes dont les émissaires manifestent à Brasilia sont très différentes les unes des autres par leur histoire et leur culture. Autrefois, certaines étaient même des ennemies mortelles. Elles partagent néanmoins un point commun : aucune n’a détruit son milieu, moins parce qu’elles le regardaient comme un jardin à protéger du dehors que parce qu’elles construisaient avec les autres vivants des relations de sujet à sujet.

De manière significative, chacune des 170 ethnies en présence a inventé un rapport au vivant et à l’espace compatible avec l’objectif des accords de Paris. L’agriculture brésilienne et l’exploitation du sous-sol promues par Bolsonaro ne le sont pas. Le mouvement s’appelle Luta Pela Vida, « lutte pour la vie ». Et c’est bien pour les Indiens une « lutte pour la survie » qui s’est engagée contre la bancada ruralista, le camp de l’agro-négoce. Mais ils ne s’y trompent pas : ce n’est pas seulement leur vie qui est en jeu, c’est aussi celle des milliers d’espèces qui composent la forêt amazonienne, c’est aussi la nôtre.

Emmanuel Macron, les incendies au Brésil d’août 2019 vous avaient conduit à inscrire la protection de forêt amazonienne à l’agenda du G7 de Biarritz, reconnaissant qu’elle était un bien commun. Vous avez, dans la foulée, reçu Raoni Metuktire – chef amérindien – pour l’assurer du soutien de la France dans son combat. Il serait logique que vous exprimiez que la France condamne fermement la politique conduite par le gouvernement brésilien actuel, qui vaut à son président de faire l’objet d’une demande d’ouverture d’enquête pour génocide à la Cour pénale internationale. Vous parliez déjà, en 2019, d’une « complicité » de la France dans la déforestation, par ses achats de soja brésilien. Cette complicité s’aggraverait singulièrement si nous restions silencieux alors que, deux ans plus tard, la situation a empiré.

La France ne saurait naturellement faire ingérence dans les délibérations de la Cour suprême brésilienne. Mais la politique de destruction conduite par le gouvernement du Brésil justifie de prendre des mesures. La plus importante est d’abandonner l’accord commercial qui lie l’Union européenne et le Mercosur [Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay]. Nous vous demandons aussi de vous engager publiquement à ce que la France demande, au sein du Conseil européen, des sanctions contre le Brésil, liées à des violations graves des droits de l’homme, ainsi qu’à la dégradation continue de l’environnement.

Signataires : Olivier Compagnon, historien ; Philippe Descola, anthropologue ; Philippe Erikson, anthropologue ; Anaïs Fléchet, historienne ; Anne-Christine Taylor, anthropologue ; Emmanuel de Vienne, anthropologue.

Le délit d’«écocide» voté à l’assemblée

Le délit d’«écocide» voté à l’assemblée

l’assemblée se fait encore plaisir avec le vote d’un concept d’écocide  mais en vidant l’idée de tout SON CONTENU. Précédemment on parait  de crime d’ ECOCIDE. Un crime transformé en délit et qui finira pour certains par des contraventions en cas  D’infraction .

De toute façon la définition est tellement floue qu’on pourra accuser tout le monde ou personne avec un tel texte de loi. Toute activité humaine a par définition un impact sur l’environnement y compris quand on respire, quand on se déplace, quand on se loge ou quand on se restaure. La grande question est de savoir à quel État d’artificialisation  de l’environnement on se réfère. A l’ère néandertalienne, , avant l’ère industrielle ou depuis que les écolos bobos ont découvert les vertus de la nature. Bref , ce délit constitue un écran de fumée pour faire semblant surtout de satisfaire les très agités membres de la Convention citoyenne choisis au hasard mais qui ne représente pourtant pas la sociologie du pays

 

Comme d’habitude en France à défaut d’action on utilise le subterfuge d’une réglementation inapplicable éventuellement injuste et contre-productive. La création de ce nouveau délit, l’une des mesures phares du projet de loi «Climat et résilience» examiné en commission spéciale, avait été jugée sévèrement tant par les membres de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) que par les juristes du Conseil d’Etat. Les premiers, qui avaient réclamé la création d’un «crime» d’écocide, lui avaient attribué la note de «2,7/10» au moment d’évaluer la transposition des propositions de la CCC dans le texte de loi. Les seconds avaient pointé le risque d’inconstitutionnalité de cette mesure jugée confuse et mal ficelée. Remarquons qu’on a quand même assortie le délit d’une possibilité de 10 ans de prison. Une sentence qui pourrait être prononcée contre la plupart des inventeurs des technologies depuis environ un siècle. Le pire c’est que la sanction tiendra compte du caractère d’intentionnalité. Il faudra par exemple remonter à la responsabilité de celui ou de ceux qui ont inventé l’automobile ou la domestication du bœuf. Heureusement il semble bien que cette bouillie législative ne pourra pas être appliquée de manière rétroactive. Ainsi pourront être exonéré de responsabilité nos ancêtres néandertaliens et l’Homo sapiens ayant inventé les premiers outils.

Délit d’écocide : les faux-semblants

Délit d’écocide : les faux-semblants

L’instauration tardive du « délit d’écocide » sera sans grands effets, car c’est le système économique lui-même qui repose sur la destruction de l’environnement, relève le chercheur Grégory Salle dans une tribune au « Monde ».

 « Eradiquer le banditisme environnemental » : c’est par cette formule-choc que le ministre de la justice, aux côtés de son homologue responsable de la transition écologique, a justifié [à l’Assemblée nationale, le 24 novembre] l’annonce d’une répression accrue des atteintes à l’environnement censée se traduire par de nouvelles dispositions textuelles, ainsi que des modifications institutionnelles.

L’expression est d’autant plus frappante qu’elle est de source ministérielle. Naguère, le lexique juridique charriait d’autres connotations, parlant de « contentieux » ou de « préjudice » environnemental. Et si, en langue anglaise, le vocable environnemental « crime » est devenu courant, celui de « criminalité environnementale » ne s’est pas imposé dans le débat public, pas plus que celui de « délinquance environnementale ». Parler de banditisme environnemental, c’est-à-dire associer les infractions à la législation sur l’environnement aux représentations ordinaires de la délinquance, semble ainsi ébranler l’armature symbolique qui soutient l’ordre pénal.

Expression théoriquement contradictoire

Il y a pourtant fort à parier que cette logique ne sera pas déployée jusqu’à son terme. Et ce pour une raison bien plus profonde que les critiques récurrentes déplorant le manque d’ambition (dans la formulation des normes) et le manque de moyens (dans l’exercice de leur application). Se contenter de voir le verre à moitié vide, c’est passer à côté du problème.

On peut certes relever, après d’autres, qu’en créant deux nouveaux délits, l’un visant la pollution et l’autre la mise en danger de l’environnement, la réforme renonce de fait à criminaliser au sens strict y compris les plus graves atteintes à l’environnement. Cela en galvaudant au passage le concept d’écocide. Les deux ministres ont beau s’évertuer à mentionner un « délit d’écocide », l’expression ne peut convaincre tant elle apparaît théoriquement contradictoire et pratiquement inappropriée.

Remarquons d’ailleurs qu’il existe déjà quantité de délits environnementaux dont le moins que l’on puisse dire est que, même à l’état de slogan, la « tolérance zéro » les a épargnés. Bornons-nous à en donner deux exemples, aussi dissemblables que révélateurs…….

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Délit d’écocide: un projet flou et dangereux

Délit d’écocide: un projet flou et dangereux

Si la lutte contre les dégâts causés à l’environnement est légitime et même incontournable par contre toutes les activités humaines perturbent l’état initial de la planète. Par exemple, l’artificielle irisation des sols existe depuis que les hommes ont abandonné la seule ressource de la cueillette. Sauf dans des cas très manifestes,  ce délit d’écocide est surtout caractérisé par un grand flou car la limite on pourrait s’y référer pour toute activité humaine. La judiciarisation de la question environnementale n’est pas nécessairement le meilleur moyen pour réguler la question environnementale. En outre, il y a une certaine hypocrisie a autoriser  l’utilisation de matériel et de produits et à en sanctionner ensuite l’usage. Ce délit d’écocide en contiendra en réalité deux : le « délit général de pollution » et celui « de mise en danger de l’environnement ». Pour Sylvain Pelletreau, avocat en droit de l’Environnement au sein du cabinet Richelieu Avocats, le projet recèle de vrais dangers. ( dans le Figaro)

 

« Le glaive de la justice » va « enfin » s’abattre sur les « bandits de l’environnement ». C’est ainsi que Barbara Pompili justifie la création d’un « délit d’écocide ». Le droit pénal de l’environnement n’existait donc pas jusqu’ici ?

Toutes les activités et atteintes à l’environnement sont déjà pénalement sanctionnables, de peines potentielles d’un à deux ans de prison et de 75 000 à 100 000 euros d’amende. Ce droit ne demande qu’à être appliqué. L’idée est désormais de créer une poursuite unique via le « délit général de pollution », puni de dix ans d’emprisonnement et de 350 000 à 4,5 millions d’euros d’amende. La motivation de la lourdeur de ces peines est de donner des gages à la Convention citoyenne pour le climat, qui souhaitait la création « crime d’écocide ». Cela semblait difficile constitutionnellement ; on a donc choisi de rehausser à l’extrême les peines au pénal.

Les défenseurs de l’environnement regrettent la non-criminalisation des atteintes…

Dans la hiérarchie du droit, les crimes encourent les sanctions les plus élevées. Ils sont punis par dix ans de prison et plus. Criminaliser les atteintes à l’environnement revient à les comparer aux atteintes à la personne humaine. Anthropologiquement, la notion de mise en danger de l’environnement revient à personnifier l’environnement et à créer le crime envers une chose. C’est effacer l’homme face à la nature, le caractériser comme destructeur. Cela pose clairement la question de la proportionnalité de la peine, surtout ici, alors que les limites du champ d’action sont mal définies – il va falloir caractériser ce qu’est une atteinte intentionnelle ou non à l’environnement. C’est flou. Les sanctions trop lourdes créent des sentiments d’injustice. Quand on fait peur aux gens avec une telle menace, soit ils ne bougent plus, soit ils ne respectent plus la règle. L’autorité de la chose jugée tient à l’acceptabilité de la norme.

La création de juridictions spécialisées est-elle une bonne idée ?

C’est une bonne chose, esquissée en janvier 2020 par Nicole Belloubet. De mon point de vue, les juridictions « généralistes » sont souvent perdues. Spécialiser les magistrats est un moyen d’avoir des décisions mieux fondées, plus fines que lorsqu’elles sont noyées au milieu du droit commun et donc mieux acceptées. Le faire dans le seul espoir que les condamnations soient plus sévères – en disant que les « bandits » ne sont pas assez punis –, c’est pervers. Il faut le faire pour que les condamnations soient plus justes.

Un des promoteurs du délit d’écocide explique qu’« on ne va pas attendre la réalisation de la faute pour sanctionner »

Dans la philosophie du projet, le simple fait d’exposer l’environnement à un risque qui ne se concrétiserait pas pourrait entraîner des poursuites au titre de sa mise en danger. Une boîte de Pandore ! Où commence la mise en danger ? Toute activité de l’homme ayant un impact sur l’environnement, cela revient à faire entrer dans le champ du pénal un nombre phénoménal de situations et à nous mettre tous, en permanence, en état d’infraction. C’est un cousinage effrayant avec le principe de précaution, mais sanctionnable lourdement.

 

 » Un délit d’écocide » (Pompili et Dupond-Moretti) , du pipeau !

 » Un délit d’écocide » (Pompili et Dupond-Moretti) , du pipeau !

  •  C’est le paradoxe habituel en France où le pouvoir est sans doute le champion du monde des mots mais malheureusement aussi le champion du monde de l’inaction. Ainsi ce délit d’écocide  proposé à la fois par Pompili  et Dupond Moretti. Une judiciarisation de la problématique environnementale quand il faudrait à la place une vraie régulation et dés orientations qui protègent réellement le cadre de vie. La France championne du monde des mots avec ce fameux accord de Paris mais aussi championne d’Europe des contradictions puisqu’elle vient d’être condamnée par l’Europe  et même par le Conseil d’État français avec une mise en demeure d’agir rapidement pour le climat. Au lieu d’action,  on propose donc encore une vague loi pour occuper l’opinion des écolos et les autres . Moretti propose  même un concept encore plus vague : un délit général de pollution. Ou la meilleure manière de faire porter le chapeau à l’individu ( qui peut porter évidemment des responsabilités) pour des carences essentiellement d’Etat. Une manière aussi de contourner la proposition de crime d’écocide que proposait sulfureuse convention des citoyens sur le climat.
  • ( Interview dans le JDD des deux ministres)

Les 150 citoyens de la Convention demandaient la création d’un « crime d’écocide ». Emmanuel Macron avait dit que serait étudiée la façon dont « ce principe peut rentrer dans notre droit ». Qu’en est-il? 
Barbara Pompili : Les 150 citoyens défendaient cette mesure très forte symboliquement portant sur toutes les atteintes à l’environnement. Dès le départ, le Président leur avait indiqué aux citoyens que la rédaction proposée pour l’écocide ne pouvait être retenue telle quelle. Elle était en effet trop imprécise, ce qui la rendait potentiellement inconstitutionnelle. Reste que les problématiques posées sont réelles. On a donc mis en place un groupe de travail sur le sujet avec les citoyens dont les échanges ont permis d’aboutir à des avancées majeures pour la protection de l’environnement que nous allons inscrire dans notre droit avec des peines renforcées pour les atteintes à l’environnement, des contrôles qui seront plus efficaces et un fonctionnement de la justice plus spécialisée

 

Eric Dupond-Moretti : Nous avons travaillé ensemble et entre nos deux ministères, ce n’est pas un mariage de raison mais un mariage de passion. J’ai la conviction absolue que la transition écologique ne peut pas se faire sans le concours de la justice. Je veux mettre fin au banditisme environnemental car il existe. Sur le terrain symbolique, le choix de ce mot, « crime », est un mot important. Mais à l’enthousiasme citoyen qui s’est exprimé doit succéder une traduction juridique dans le code pénal. Or, le Comité légistique [qui a travaillé avec les citoyens pour traduire juridiquement leur proposition, NDLR] leur avait déjà clairement indiqué que l’écocide ne pouvait pas recevoir de traduction juridique en ces termes, notamment pour des questions de proportionnalité entre l’infraction commise et la sanction encourue. Comme je l’avais dit cet été, il s’agit de délits et non de crimes. C’est la raison pour laquelle nous allons créer plusieurs nouveaux délits.

 

La notion symbolique de « crime d’écocide » disparaît donc…
Eric Dupond-Moretti : Vous parlez de symbolique… en 36 ans de barreau, je n’ai jamais vu un homme condamné avec des mots. On est condamné avec du droit et grâce au droit.

 

Barbara Pompili : Les avancées que nous faisons sont majeures et sont attendues depuis vingt ans! Nous créons un délit d’écocide et rejoignons les préoccupations des citoyens.

 

Que prévoit le délit d’écocide?
Eric Dupond-Moretti : Dans le cadre du projet de loi relatif au parquet européen et à la justice pénale, dont l’examen débute cette semaine à l’Assemblée nationale, nous allons créer un délit général de pollution. Nous allons créer un délit général de pollution. Les pénalités seront modulées en fonction de l’intentionnalité de l’auteur. Les peines encourues vont de 3 ans d’emprisonnement à dix ans d’emprisonnement selon qu’on est en présence d’une infraction d’imprudence, d’une violation manifestement délibérée d’une obligation et la plus lourde, d’une infraction intentionnelle. Les amendes vont de 375 000 euros à 4,5 millions d’euros. Dans les cas les plus graves, d’une infraction intentionnelle ayant causé des dommages irréversibles à l’environnement, on peut parler de délit d’écocide.

 

Ce dispositif permet de sanctionner les atteintes. Que fait-on pour les prévenir? 
Eric Dupond-Moretti : Aujourd’hui, certains choisissent de polluer car cela leur coûte moins cher. Par exemple, il est moins onéreux d’ouvrir ses silos à béton et de polluer un fleuve que de les faire nettoyer par des professionnels. Ça va changer. Autrefois, vous polluiez vous gagniez, demain vous polluerez, vous paierez jusqu’à dix fois le bénéfice que vous auriez fait si vous aviez jeté vos déchets dans le fleuve. Je souhaite que l’on soit extrêmement dissuasif. Puis nous créons un deuxième délit, celui de mise en danger de l’environnement. Le texte vise à pénaliser la mise en danger délibérée de l’environnement par des violations délibérées d’une obligation. La peine qui est encourue est d’un an de prison et de 100.000 euros d’amende.

Barbara Pompili : C’est en fait la traduction, en des termes juridiques précis, de ce que demandaient les promoteurs historiques de la reconnaissance de l’écocide avec l’instauration d’un délit transversal d’atteinte à l’environnement. On va être lourdement sanctionné quand on ne respecte pas un certain nombre d’obligations de sûreté, non seulement quand cela aura entraîné une pollution, mais aussi même si la pollution n’a pas lieu. Plus personne ne passera à travers les gouttes et c’est un puissant signal pour que tout le monde respecte le droit de l’environnement. On va aussi instaurer un dispositif de remise en état pour réparer l’atteinte constatée, via une Convention judiciaire d’intérêt public. Il faut prévenir, punir mais aussi remettre en état l’environnement.

S’agit-il de pénaliser davantage le droit de l’environnement?
Barbara Pompili : Oui, car les infractions environnementales étaient sous pénalisées. Avec cette loi, les atteintes à l’environnement entrent pleinement dans le droit pénal.

Dans chaque cour d’appel, il y aura un tribunal spécialisé en matière d’environnement, compétent tant en matière civile qu’en matière pénale

Ces nouveaux délits s’accompagnent-ils d’une réorganisation de la justice? 
Eric Dupond-Moretti : Nous allons créer une juridiction spécialisée de l’environnement. Dans chaque cour d’appel, il y aura un tribunal spécialisé en matière d’environnement, compétent tant en matière civile, pour l’indemnisation des préjudices par exemple, qu’en matière pénale. On va aussi créer des postes d’assistants spécialisés en matière environnementale afin de renforcer les moyens de cette nouvelle juridiction spécialisée. Et on souhaite aussi renforcer les services d’enquête en matière d’environnement en créant un statut d’officier de police judiciaire pour les inspecteurs de l’environnement.

Barbara Pompili : Ce sont deux outils très importants. Il faut certes une justice plus spécialisée mais aussi une police plus efficace. Il faut augmenter le nombre de poursuites en renforçant les moyens d’enquête. Le statut d’officier de police judiciaire pour les inspecteurs de l’environnement leur permettra d’avoir les moyens juridiques d’enquête sur le terrain.

Ils auront certes les moyens d’enquêter mais sont-ils assez nombreux?  
Barbara Pompili : Avec ce statut, on leur donne plus de pouvoir et de responsabilité. Jusqu’à présent, ils constataient une infraction, ils étaient obligés d’appeler un officier de police judiciaire. Tout le monde perdait du temps. Ils auront par ailleurs une compétence nationale. Tous ces outils permettent d’avoir un droit plus fort, une police plus efficace et une justice plus experte.

Les magistrats seront-ils spécifiquement formés aux sujets environnementaux? 
Eric Dupond-Moretti : Evidemment. Il y aura une circulaire d’application destinée au parquet pour un renforcement des formations des professionnels de justice sur ces questions environnementales. Au niveau de chaque département, on envisage aussi de créer une commission placée sous la double présidence du parquet et du préfet afin d’animer la politique de prévention et de répression des atteintes à l’environnement.

Vos annonces visent-elles aussi à répondre à l’inquiétude des 150 citoyens, selon lesquels la crise actuelle ferait tomber aux oubliettes leurs propositions? 
Barbara Pompili : Sur ce sujet de la justice environnementale, nous avons lancé ce travail, depuis cet été avec eux, nous avons travaillé rigoureusement, également avec la secrétaire d’Etat Bérangère Abba, et je pense qu’on peut être collectivement fiers du résultat. La crise n’arrête pas les choses – la preuve! – et nous sommes bien en train de préparer un projet de loi ambitieux pour le climat.

Eric Dupond-Moretti : Ce n’est pas un travail qui a été fait dans l’urgence. Le droit évolue avec la société.

On veut que le droit de l’environnement soit respecté partout dans la vie quotidienne. On pose des bases structurantes

Pourquoi ne pas créer, comme en Espagne, un parquet national spécialisé dans les affaires d’environnement? 
Eric Dupond-Moretti : Je ne crois pas que l’échelon national soit le plus pertinent. Au contraire, il s’agit bien souvent d’une délinquance très territorialisée. Quand on constate un problème de pollution dans les Calanques, c’est mieux que le tribunal spécialisé qui dépend du ressort de la cour d’appel d’Aix-en-Provence aille immédiatement sur place constater les choses. Je crois beaucoup à ces juridictions spécialisées, tant au niveau du siège que du parquet, par cour d’appel. C’est le cadre le plus adapté. En terme de maillage, ça couvre davantage de territoire. Les juridictions locales connaissent aussi des délinquances locales spécifiques.

Barbara Pompili : Avec cette réforme, on ne veut pas que des procès très médiatiques. On ne veut pas juger que des affaires Erika. On veut que le droit de l’environnement soit respecté partout dans la vie quotidienne. On pose des bases structurantes. Mais le droit évolue et on ne ferme aucune porte.

Les citoyens souhaitaient intégrer dans notre droit le concept de « limites planétaires », défini par l’ONU. Qu’en est-il? 
Barbara Pompili : Cet été, ils ont travaillé avec des juristes et des experts sur cette question. Ils ont constaté que ce n’était pas simple de faire une transcription juridique des limites planétaires. Comment voulez-vous quantifier les atteintes aux limites planétaires? Or, si vous ne pouvez pas le quantifier, comment voulez-vous avoir une peine proportionnelle? Les limites planétaires sont une notion structurante mais trop floue pour être la base d’une infraction pénale. On va continuer à y réfléchir en associant les représentants de la Convention mais en attendant, il ne faut pas s’empêcher d’agir. Il était urgent de mettre les atteintes à l’environnement à un niveau suffisant dans notre droit.

Vous reprenez ici une partie des propositions des 150 citoyens, d’autres seront inscrites dans le projet de loi Climat en janvier. Ne craignez-vous pas le risque d’une dispersion?
Barbara Pompili : Avec ces mesures, nous répondons à l’interpellation des citoyens sur le crime d’écocide. Pour le reste, le projet de loi climat reprendra une part importante des propositions de la Convention, celles qui sont de nature législative. D’autres se retrouvent dans des textes complémentaires ou dans des engagements pris au niveau international et européen. On est encore en train de travailler. Nous ferons le bilan, et les citoyens aussi, quand on aura fini.

 

Eric Dupond-Moretti : Les mesures sur la justice ne sont pas des mesures au rabais. Elles vont faire consensus. Quand les citoyens ont évoqué le crime d’écocide, nous l’avons considéré comme une proposition d’appel sur un débat essentiel. Nous avons donné à ces aspirations une traduction juridique forte, cohérente et efficace.




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