Danone : « le capital immatériel ignoré comptablement»
Deux chercheurs en management Walid Ben-Amar et Isabelle Martinez considèrent, dans une tribune au « Monde » qu’il faut arriver à mieux comptabiliser l’efficacité sociétale si l’on veut renforcer la légitimité du statut des entreprises à mission.
Tribune. L’éviction récente d’Emmanuel Faber interroge quant à la viabilité des sociétés à mission, statut créé en mai 2019 dans le cadre de la loi Pacte. Est-il vraiment impossible de concilier, ainsi qu’espéré, les intérêts financiers des actionnaires et les intérêts plus larges (écologiques, sociaux…) d’autres parties prenantes ?
Avec des actionnaires très nombreux, dont beaucoup ayant montré leur souci du développement de l’entreprise sur le long terme, rien n’obligeait, en réalité, les administrateurs de Danone à agir comme ils l’ont fait. Lorsque chez PepsiCo, par exemple, une stratégie de long terme analogue avait été remise en cause par des fonds spéculatifs activistes, les administrateurs avaient décidé de soutenir les choix de la direction.
Pourquoi, dans le cas de Danone, ont-ils cédé ? La trop grande concentration du pouvoir aux mains d’Emmanuel Faber, à la fois président du conseil et directeur général de la société, a été un des problèmes évoqués. Un tel cumul des mandats peut faciliter des prises de décision rapides, mais des recherches ont montré que ce pouvoir trop centralisé compromet la qualité des décisions en particulier dans les périodes de turbulences.
Les PDG concernés obtiennent en moyenne des résultats nettement inférieurs à ceux des firmes concurrentes. Et Danone a effectivement sous-performé dans la dernière période, notamment par rapport à Nestlé ou Unilever. Mais au-delà de ces questions spécifiques, la difficulté de toutes les sociétés à mission (ou B-Corp aux Etats-Unis) est d’arriver à rendre compte de manière convaincante à leurs actionnaires de leurs résultats en matière non strictement financière.
Certains fonds d’investissement visent le profit à court terme, mais d’autres, comme The Children’s Investment Fund, par exemple, choisissent délibérément d’investir dans des entreprises qui s’engagent sur le long terme, en luttant notamment contre le dérèglement climatique.
De plus en plus d’investisseurs institutionnels se déclarent également sensibles aux résultats sociétaux. Encore faut-il que les dirigeants soient capables de les convaincre, chiffres à l’appui, de la pertinence de leurs actions en ce sens. Le modèle comptable actuel n’est pas idéal car il valorise mal le capital immatériel à l’origine de la création de valeur sur le long terme.
Les rapports intégrés ont été créés pour remédier à ce problème. Au sein d’un document unique, ils mêlent des informations à la fois financières et extra-financières, notamment sociales et environnementales. George Serafeim, professeur à Harvard, a montré en 2015 que les sociétés qui publiaient des informations en suivant le modèle de ces rapports intégrés arrivaient ainsi mieux, en moyenne, à attirer les investisseurs de long terme.
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