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Daniel Cohen, un intellectuel complet

Daniel Cohen, un intellectuel complet

Daniel Cohen, mort le 20 août, était un intellectuel complet : économiste de la plus haute science, pédagogue admirable et intervenant passionné et inquiet, explique le philosophe Frédéric Worms dans une tribune au « Monde ».

S’il y avait un intellectuel réel, complet et vivant, en France, n’hésitons pas à le dire, c’était un économiste, c’était Daniel Cohen. La raison en est simple. Il a poussé à de nouvelles limites, pour faire face aux défis du présent, ces qualités qui ont toujours défini un « intellectuel » et pas seulement en France. On l’a oublié en effet mais l’intellectuel c’est celui qui unit la reconnaissance par les pairs dans un savoir déterminé, mais aussi l’inquiétude et l’engagement dans la sphère publique contre des injustices avérées, et enfin la capacité à parler à toutes et à tous, par son style et si l’on ose dire par sa personne.

Daniel Cohen possédait et surtout unissait tout cela à un degré inouï : économiste de la plus haute science et la plus internationale, pédagogue admirable et intervenant passionné et inquiet, dans les débats mais aussi dans les instances publiques. Il s’inquiétait parfois après un débat : « Ma phrase a été coupée, je n’ai pas été compris, on va tout caricaturer. » Mais non, cher Daniel : chacun de tes mots respire la science, l’engagement et la clarté et chacune et chacun le sent et le sentira toujours, malgré toutes les caricatures qui t’entourent. Nous le rassurions, donc.

Mais son inquiétude avait ses raisons, plus profondes que tel ou tel débat et même que tel ou tel contexte (les infox ou les réseaux sociaux par exemple) car cette inquiètude conduit peut-être au cœur de toute son action, de toute sa pensée et de toute son œuvre.

Daniel Cohen était économiste. Mais il avait renoncé depuis longtemps à l’optimisme trop simple des Lumières et en elles de la raison économique, qui consiste à faire confiance à la rationalité immédiate des intérêts, même quand elle est implicite ou inconsciente chez les acteurs. Il existe bien une rationalité économique ; il ne s’agit pas de la contester. On peut démontrer par exemple les effets nocifs et dangereux des inégalités extrêmes. Mais cette rationalité n’aura pas pour autant d’effet immédiat ou automatique, par une sorte d’action implicite ou inconsciente, comme le croient tant de savants et de gouvernants encore. Toutes les catastrophes depuis deux siècles le démontrent. Ce n’est pas une raison pour renoncer à la raison ! Bien au contraire, mais il faudra l’énoncer, l’expliquer et l’expliciter publiquement, sans naïveté sur son effet immédiat, et sans jamais renoncer à son effet possible.

La France, un pays trop endetté (Jean-Marc Daniel)

 La France, un pays trop endetté (Jean-Marc Daniel)

 

Dans une tribune au « Monde », l’économiste Jean-Marc Daniel estime que le déficit de notre balance des paiements courants, en 2021, nécessite une mobilisation urgente autour du travail afin de ne pas aggraver la situation financière pour les générations futures.

Tribune.

 Le chiffre spectaculaire de la croissance de 2021 – près de 7 % – a créé une sorte d’euphorie. Certes, les commentateurs ont conscience du caractère exceptionnel, pour ne pas dire artificiel, de ce chiffre. Il traduit le retour, grâce à la vaccination, à la situation d’avant le Covid-19. Le PIB du troisième trimestre 2021 a juste retrouvé le niveau de celui du quatrième trimestre 2019.

Néanmoins, d’autres chiffres permettent d’avoir de 2021 une image positive, comme celui du taux de chômage, descendu au-dessous de 8 % pour la première fois depuis 2008. Cependant, il est un chiffre qui est passé plutôt inaperçu et qui a des raisons de nous inquiéter, à savoir celui du déficit de notre balance des paiements courants.

 

En 2020, ce déficit a été de 44 milliards d’euros, soit 1,9 % du PIB, approchant le ratio de 1982, année où il avait été de 2,1 % du PIB et où le gouvernement avait été obligé d’engager la politique de rigueur pour éviter de faire appel au Fonds monétaire international. Avant 1982, il faut remonter à 1951 pour trouver un chiffre plus élevé (il était de 4 % du PIB).

Or, l’année 2021 n’a pas traduit de changement significatif en la matière. Commentant en juillet 2021 nos comptes extérieurs dégradés, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, soulignait le caractère spécial de 2020 : « Nous avons souffert de nos deux points d’excellence que sont l’aéronautique et le tourisme. » Mais il rappelait que cette dégradation est ancienne, ajoutant, à propos des débuts de 2021, qui n’ont été marqués par aucune amélioration sensible par rapport à 2020 : « Dès lors que notre compétitivité coût s’est rétablie (sur une longue période), ça peut être jugé comme une performance un peu décevante. »

Pour bien comprendre ce que cet état de fait signifie, il faut à la fois en mesurer les conséquences et en identifier les remèdes. La conséquence immédiate est que la France est obligée de vendre son patrimoine immobilier et financier pour financer ses déficits extérieurs. Cela a conduit à ce résultat que ce que l’on appelle la position extérieure nette de la France – c’est-à-dire la différence entre la valeur de ce que les Français détiennent à l’étranger et celle de ce que les étrangers détiennent en France – est de plus en plus négative.

L’efficacité des chèques ciblés (Jean-Marc Daniel )

  L’efficacité des chèques ciblés (Jean-Marc Daniel )

Jean-Marc Daniel est professeur émérite à l’ESCP Business School explique l’efficacité des chèques ciblés dans le journal l’Opinion.

Chèque alimentaire, chèque psy, chèque énergie, éco-chèque, chèque carburant… Pourquoi le chèque est-il soudainement l’outil économique à la mode ?

Parce qu’on s’est aperçus que lorsqu’on donnait de l’argent aux individus, ils l’épargnaient. Si on relance l’économie par la consommation selon les schémas des années 1960-1970, on se retrouve avec des effets ricardiens, du nom de l’économiste Ricardo qui expliquait que les agents économiques prennent en compte dans leur décision l’évolution des dépenses publiques. La relance par la demande se retourne contre les gouvernants car les personnes prennent peur du creusement des déficits pour financer cette relance, craignent des futures hausses d’impôts et épargnent. Durant cette crise, on a constaté que les riches épargnaient plus mais aussi les revenus intermédiaires, à travers le livret A.

Donc le chèque ciblé permet de s’assurer que les personnes consomment…

Oui, et il a un deuxième avantage dans la crise que nous traversons. Il permet à une politique de relance de cibler ses destinataires et les secteurs où intervenir. Dans une récession traditionnelle, tout le monde est touché. Mais aujourd’hui les secteurs économiques sont différemment atteints. Avec les chèques ciblés sur les secteurs où la demande se contracte, on évite le défaut des relances keynésiennes trop globales et qui n’aidaient pas les secteurs les plus pénalisés par la récession. Par exemple parce que l’Etat, en investissant dans les infrastructures avec une politique de grands travaux, favorise ses fournisseurs traditionnels, mais ce ne sont pas eux qui en ont forcément besoin.

Donc les chèques sont un bon outil ?

Je suis radicalement contre les chèques ! Il y a un débat entre économistes pour savoir si on ne manipule pas les individus avec ce type d’outils d’économie comportementale. On appelle cela le « nudge », le petit coup de pouce. Ses partisans considèrent que l’Etat ne doit pas simplement redistribuer la richesse, mais orienter les comportements pour favoriser telles activités. Avec le nudge, c’est de manière masquée et subtile, mais avec les chèques, c’est plus radical. Le problème, c’est qu’on ne sait pas si une activité est en difficulté pour des raisons conjoncturelles ou parce qu’elle est amenée à disparaître. On en a vu l’illustration avec les contradictions des aides l’année dernière : d’abord, on a donné 50 euros à toute personne souhaitant réparer son vélo, puis on a relancé le secteur automobile avec 8 milliards d’euros. A chaque fois qu’un secteur est en difficulté, sa capacité de lobbying va influencer le gouvernement, mais la capacité de ce secteur à préparer l’avenir est ignorée.

Mais dans le cas des restaurants, on peut penser qu’il y en aura toujours…

Les restaurants vont mal : est-ce que je les aide directement ou en passant par la consommation ? Utiliser des chèques, c’est sous-entendre que le consommateur doit reconnaître la nécessité d’aller au restaurant. Aux Etats-Unis, certains économistes plus ou moins libéraux commencent à dire que c’est liberticide. En outre, si on généralise les chèques ciblés, on risque de voir apparaître un marché noir parallèle des chèques, comme pour les tickets-restaurants : si je reçois 500 euros pour changer ma chaudière par exemple, je propose à quelqu’un qui veut deux chaudières de lui revendre contre 400 euros d’argent liquide. Comme le marché noir en URSS avec les tickets de rationnement. Bien sûr, avec la numérisation des chèques, ce serait plus compliqué.

Daniel Cohen : « La crise se paye en taux bas »

Daniel Cohen : « La crise se paye en taux bas »

Le directeur du département d’économie de l’Ecole normale supérieure, était, avec le président de Renault Jean-Dominique Sénard, l’invité du Club de l’économie du « Monde », jeudi 22 octobre. L’économiste voit dans la crise sanitaire et ses effets une accélération du basculement des économies dans la société du numérique.

Daniel Cohen, spécialiste des dettes souveraines, estime que les Etats ne doivent pas s’inquiéter de la dette, mais des conséquences des taux bas et de la société numérique qui s’installe.

« Il faut bien distinguer un plan de sauvegarde des secteurs et des personnes qui sont en train d’être fracassés par la crise, et l’exercice qui consiste à se projeter dans le XXIe siècle et à réfléchir aux mesures qui peuvent être prises pour accompagner les mutations de la France dans ce monde nouveau qui nous attend (numérique, énergétique, social), et ne pas mélanger les deux.

Si on pense vraiment qu’il va y avoir un vaccin au cours de l’année prochaine et que, peut-être à la rentrée prochaine, les choses vont revenir à la normale, cela veut dire qu’on a une grosse année et demie de crise majeure. On peut se permettre d’être généreux pour accompagner au plus près les entreprises ou les personnes, avec des dispositifs les plus fins possible. »

« La crise se paye elle-même grâce aux taux d’intérêt très bas. De grands économistes parlaient déjà depuis plusieurs années de stagnation séculaire pour expliquer ce contexte de taux d’intérêt. Cette notion voulait simplement dire que les pressions inflationnistes qui avaient fait les beaux jours des années 1970 et 1980, après le choc pétrolier, étaient passées. L’inflation était le mal récurrent qui rongeait les sociétés au moment de la transition des sociétés industrielles des années 1960-1970 vers les sociétés postindustrielles des années 1980-1990. Cette transition s’est accompagnée d’une disparition de l’inflation. Parce que celle-ci est toujours liée aux salaires, au marché de l’emploi, et très rarement à la monnaie.

Nous sommes dans un monde tellement invertébré du point de vue des relations sociales (avec la perte de force du syndicalisme) qu’il rend presque impossible l’expression de l’augmentation des salaires. L’inflation va ailleurs. Dans le prix des actifs financiers, dans ceux de l’immobilier. Et même quand il y a des augmentations de salaire, les entreprises sont soumises à une pression compétitive internationale telle que la transformation de ces hausses de salaire en hausse de prix ne peut pas se produire.

En conséquence, tout ce que l’on a construit institutionnellement (des banques centrales indépendantes, avec pour seul objectif de maîtriser l’inflation) se trouve brutalement obsolète. On va finir l’année avec une inflation à zéro en France, selon les prévisions de l’Insee, et peut-être 0,3 % dans la zone euro. Cela rappelle les années 1930. A l’époque, le personnel politique était obsédé par l’inflation, notamment après le traumatisme de l’hyperinflation allemande en 1923, alors qu’on était en période de déflation.

Or, en situation de déflation, la politique monétaire n’est pas très efficace. C’est la politique budgétaire qui peut tirer l’activité économique. Ce n’est pas très grave de s’endetter, parce que la dette ne coûte rien à rembourser ou à refinancer (je parle des Etats, et non des entreprises). Dans la période de crise que l’on connaît aujourd’hui, il n’y a pas à s’inquiéter de cela pour l’instant. De ce point de vue, l’Etat a beaucoup plus de degrés de liberté qu’il n’en avait avant. »

« Si des retournements se produisaient, cela voudrait dire qu’on sortirait enfin de ce marasme. Mais attention, cela peut durer longtemps. Le XIXe siècle a été tout entier un siècle de déflation. Nous sommes dans quelque chose qui, à l’échelle de l’histoire, est peut-être une nouvelle manière de concevoir le rapport entre la dette, la politique publique et les déficits. »

« On reste marqué par l’expérience du XXe siècle, mais, en réalité, on est peut-être en train de connaître un capitalisme d’une nature tout à fait différente, plutôt celui du XIXe siècle, avec beaucoup de précarité, beaucoup de fragilité et beaucoup de difficultés à transformer en augmentations de salaires les gains de productivité qu’on observe un peu partout. C’est pour cela qu’on lit Dickens ou Marx. Il y a le récit d’une grande misère ouvrière, qui se fait pourtant au moment où le capitalisme est en train de connaître son heure de gloire. Il peut y avoir une déconnexion entre les deux. Je crois qu’on est en train de vivre une déconnexion de cette nature. »

La société numérique

« Il y a toujours eu des services, mais ils étaient en creux, portés par la dynamique de l’industrie. Ce n’est plus le cas. Il y a peu d’emplois dans l’industrie aujourd’hui, et le gros de nos consommations, des biens et des emplois réside dans le tertiaire. C’est une bonne nouvelle. Dans son livre Les Trente Glorieuses ou la révolution invisible, publié en 1979, Jean Fourastié expliquait que l’humanité avait cultivé la terre pendant des millénaires, avant de travailler la matière dans le monde industriel. Dans la société de services qui s’annonce, prévoyait-il, l’homme va travailler l’homme lui-même. C’est le grand espoir de la société humaine que de s’occuper les uns des autres.

Nos sociétés modernes ont besoin d’offrir la promesse à chacun de s’élever au-dessus de sa condition. Elles ne savent pas apaiser autrement les tensions sociales qui la traversent

Mais, contrairement à l’industrie ou à l’agriculture, une société de services ne génère pas de gains de productivité, c’est-à-dire qu’elle ne génère pas de croissance. La valeur du bien, c’est le temps que je passe avec le client ou le patient. C’était pour lui une bonne nouvelle, mais cela ne marche pas. D’abord parce que le capitalisme est une machine à chercher des gains de productivité partout, avec l’obsession récurrente de baisse des coûts. Puis, nos sociétés modernes, égalitaires ont besoin d’offrir la promesse à chacun de s’élever au-dessus de sa condition. Elles ne savent pas apaiser autrement les tensions sociales qui la traversent. C’est ce qui fait l’alliance entre le capitalisme et les démocraties modernes.

On voit depuis une dizaine d’années que la société numérique est en train d’offrir une solution à ce problème de croissance. Mais en faisant au fond la même chose que la société industrielle en son temps, c’est-à-dire en déshumanisant les relations sociales. La société industrielle était parvenue à créer de la croissance au XXe siècle grâce au travail à la chaîne. Substituer le travail des artisans par du travail à la chaîne avait été interprété comme une formidable déshumanisation.

Le Covid-19 est une crise sanitaire qui, a priori, n’a rien à voir avec ce dont on parle. En réalité, cette période est en train de se vivre comme une phase d’accélération des transformations de la société numérique. En rendant la société phobique aux relations de face à face, elle accélère exactement ce pour quoi la société numérique est faite et pensée : dispenser les gens du face-à-face et du présentiel. »

 

 » La stratégie anti-écolo de LREM est bête et inutile » (Daniel Cohn-Bendit)

 » La stratégie anti-écolo de LREM est bête et inutile » (Daniel Cohn-Bendit)

Emmanuel Macron, qui répondra le 29 juin, aux citoyens de la convention pour le climat, a-t-il terminé sa mue écolo? (AFP)
La difficulté pour Macron, et pour une partie de la société, c’est de comprendre que l’écologie est une nouvelle pensée politique et sociétale, un changement de modèle économique », estime Daniel Cohn-Bendit, qui échange avec le Président. A une semaine du second tour des municipales, l’écologiste dit ne pas comprendre la stratégie menée par La République en marche : « Face à une vague verte, c’est vraiment idiot de construire un rempart anti-écolo, de marcher main dans la main avec la droite conservatrice et avec des ringards.

Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez parlé d’écologie avec Emmanuel Macron?
Au début de la campagne présidentielle de 2017, il m’a avoué franchement que la réflexion sur l’écologie n’était pas dans son ADN. Mais en trois ans, grâce à Nicolas Hulot, Pascal Canfin et d’autres, il a commencé à comprendre que la transition écologique était un changement radical de paradigme politique. Ça a mis du temps, mais ce n’est facile pour personne. Personne ne naît écologiste! Petit à petit, on apprend, on comprend. La plupart des militants des années 1960, même de gauche, ont longtemps été productivistes. Or la pensée écologiste remet en question une partie du dogme productiviste dans lequel tout le monde a baigné, y compris Emmanuel Macron. Aujourd’hui, la majorité des citoyens est souvent d’accord sur le constat : il faut faire la transition écologique. Mais ils ne comprennent pas forcément toutes les conséquences de ce changement radical.

A-t‑il pris en compte certains de vos conseils?
Ce n’est pas comme ça qu’on fonctionne. Macron ne demande pas des conseils : on discute. Il me laisse parler, mais ce n’est pas : «  Dany, explique-moi.  » Ensuite, il se fait son propre avis. La difficulté pour Macron, et pour une partie de la société, c’est de comprendre que l’écologie est une nouvelle pensée politique et sociétale, un changement de modèle économique. Cette évolution de la société a une composante politique : ce sont les écolos.

Au regard des municipales, son parti, LREM, semble pourtant avoir du mal avec les écologistes…
Au niveau national, je pousse pour un rapprochement entre Macron et les écologistes, avec peu de succès… Les écolos n’en ont pas envie, car ils sont dans l’hu bris des succès électoraux qui les confirment en tant que force politique. Mais surtout, localement, je ne comprends pas la stratégie du parti LREM : «  tous contre les écolos  ». C’est bête, c’est inutile et c’est contre-productif. Cette folie antiécolo ne tient pas la route. Est-ce que la ville de Grenoble s’est effondrée avec Éric Piolle? Bien sûr que non! Si j’étais à Strasbourg, Lyon, Bordeaux ou Metz, je voterais écolo. Partout où les écologistes sont en position de prendre la mairie, je voterais écolo. Ils seront alors en capacité de se coltiner les contradictions de la société et pourront comprendre la difficulté de la changer.

La convention pour le climat peut-elle rebattre la donne?
Vous avez dans la convention pour le climat des propositions très intéressantes. Si elles sont reprises, En marche et les écolos feront campagne ensemble pour les défendre. Face à une vague verte, c’est vraiment idiot de construire un rempart anti-écolo, de marcher main dans la main avec la droite conservatrice et avec des ringards, comme Gérard Collomb, qui sont politiquement finis. La stratégie de la LREM est en contradiction avec ce que Macron promettait pendant la campagne : faire primer l’éthique sur la politique. On ne peut pas faire d’alliances avec n’importe qui uniquement pour grappiller des mandats.

Les écolos n’ont pas non plus envie de se rapprocher de LREM…
Yannick Jadot aussi a peur de son ombre. Il est face à un dilemme. Il a compris qu’il ne peut pas rester sur la posture qui consisterait à attendre 2022 ; mais s’il collaborait avec Emmanuel Macron sur des points précis pour faire avancer la transition écologique, il serait tout de suite traité de traître par ses amis! Il ne peut pas non plus dire : « Attendons 2022, le monde de demain arrivera avec moi à l’Élysée.  » Ce serait une folie totale. Face à la crise, ce serait mettre en danger l’avenir de la France. Aucun dirigeant politique ne peut s’enfermer dans cette posture. Et cette convention peut être un moment pour trouver des compromis ensemble.

Le cœur de ce que formule la convention, Macron doit le reprendre

Beaucoup de tournants écologistes ont été annoncés sans jamais arriver. Cette fois, c’est la bonne?
L’initiative de la convention citoyenne vient de Macron. Ça peut changer beaucoup de choses. Il devra rester fidèle à cette partie de lui-même qui a lancé cette convention. Le cœur de ce que formule la convention, il doit le reprendre. Il doit soumettre à référendum la réforme de la Constitution pour y intégrer un volet écologique,.

En dépit de ses contradictions notoires Cohn-Bendit reste macroniste y compris sur les positions les plus tordues, tout cela commence à sentir l’EPHAD

Interdiction des pesticides à moins de 150 m des habitations (Daniel Cueff, maire de Langouët)

Interdiction des pesticides à moins de 150 m des habitations (Daniel Cueff, maire de Langouët)

 

 

 

Daniel Cueff, maire de Langouët) qui a interdit par arrêté municipal l’usage de pesticides à moins de 150 m des habitations se justifie dans une interview à France Info avant d’être convoqué par la justice à Rennes. Il  invite tous ses collègues de France à prendre la même disposition « (interview)

 

Comment interprétez-vous la réaction du chef de l’État ?

Daniel Cueff : Ce qu’a dit le président c’est que j’ai en même temps raison et en même temps tort. Il a indiqué deux choses qui sont extrêmement importantes. D’abord, il a dépêché madame la préfète pour trouver des solutions sur ma commune. Deuxième bonne nouvelle, il a dit qu’il voulait aller très vite. Je pense que la seule solution pour aller très vite, c’est que le tribunal administratif de Rennes constate que j’ai pris un arrêté qui n’est pas illégal et qui est dû à une carence de l’État à agir en la circonstance.

Depuis 2009, le Parlement européen à l’unanimité des membres de l’Union européenne a voté une directive glyphosate et pesticide demandant à ce que, dans chaque législation nationale, soit retranscrit le droit européen. La France ne le fait pas. Ce que je défends, c’est que face à une carence manifeste de l’État, je suis obligé de respecter la Constitution française et je prends en lieu et place les arrêtés qu’auraient dû prendre l’État. Le principe de précaution est inscrit dans la Constitution française et s’applique dans la commune. Dans notre village, les gens ont pris conscience qu’ils respiraient malgré eux, des pesticides de synthèse et ils ne sont plus d’accord.

Votre combat est-il sur la bonne voix ?

J’invite vraiment tous les maires de France à prendre le même arrêté. Il y a une sorte d’urgence à prendre des décisions au niveau du gouvernement et comme le président de la République a dit lui-même qu’il fallait faire vite, nous allons l’aider par nos actions sur le terrain à aller très vite. Je n’ai aucune raison de mettre en doute ses intentions. Il faut créer des zones de distance pour épandre les pesticides parce que les gens respirent ces produits qui se retrouvent dans leurs organismes.

Les élus locaux peuvent être en avance sur les lois qui régissent le pays ?

On est au courant de toutes ces victimes de pesticides, y compris parmi les agriculteurs. Leur sécurité sociale, la MSA, reconnaît aujourd’hui comme maladies professionnelles, les cancers dus aux pesticides. Je suis très content de l’intervention de monsieur Macron quand il a dit qu’il avait donné des consignes à madame la préfète pour qu’on expérimente un certain nombre de choses sur ma commune. Avec les agriculteurs, nous allons trouver des solutions pour cultiver sur les 150 mètres autour des habitations. C’est ce qu’on appelle une distance d’éloignement des pesticides. Je n’ai pas compétence à interdire les pesticides dans ma commune, mais j’ai une compétence fondamentale donnée par la Constitution et par les lois européennes, qui est de protéger les habitants de ma commune contre les pesticides de synthèse.

« Le populisme , maladie sénile du libéralisme » (Daniel Cohen)

« Le populisme , maladie sénile du libéralisme » (Daniel Cohen)

Daniel Cohen, économiste à l’école normale supérieure considère sur France Info que le populisme constitue la maladie sénile du libéralisme., «  Ce monde numérique nous demande de nous transformer en données que des algorithmes pourraient gérer. Et ce monde-là devient irrespirable ».   L’économiste a publié récemment Il faut dire que les temps ont changé… Chronique (fiévreuse) d’une mutation qui inquiète (Albin Michel). Selon Daniel Cohen, « la tentation des gouvernements, et ce gouvernement ne peut pas y résister, est de faire constamment des économies sur l’humain, en remplaçant des personnes par des algorithmes. On le voit déjà avec les impôts. Tant mieux si c’est plus simple, mais à condition de ne pas laisser sur le chemin les gens qui n’ont pas accès à ces technologies ».   Cette inquiétude traverse le mouvement des « gilets jaunes » : « Son cœur, selon Daniel Cohen, est une forme de désocialisation des existences humaines. On est de plus en plus seul. Le mouvement des « gilets jaunes », son centre de gravité, ce sont de petites villes où véritablement on a l’impression que le monde public, social, se rétrécit. Là où la caserne est partie, l’hôpital est partie, l’école est partie, etc. Des territoires français sont abandonnés parce qu’on cherche constamment à faire des économies. Au prix d’une solitude croissante« .   Dans son discours de vœux, le chef de l’État a prononcé une phrase qui a été peu relevée : « Le capitalisme ultralibéral et financier trop souvent guidé par le court terme et l’avidité de quelques-uns, va vers sa fin« . Daniel Cohen estime « très étonnant, très intéressant que le président de la République le dise. Je crois que c’est profondément juste. ….le libéralisme économique, celui qui monte depuis le début des années 1980 et 1990, a cherché des économies, du cost cutting général. Le populisme, c’est la pathologie de ce néolibéralisme qui ne raisonne qu’en terme d’économies à faire sur les personnes ».   …..Pour l’instant, il (Macron) a surtout fait une politique qui prenait dans la poche des uns pour mettre dans la poche des autres. Le gouvernement s’est un peu perdu dans le labyrinthe d’une politique économique et fiscale complexe (…) Il faut revenir à des paramètres plus simples (…) Si on veut définir un avenir, il faut aller au-delà des économies à faire ».

 

Mutations économiques et sociales de ces 50 dernières années ((Daniel Cohen)

 

Daniel Cohen est membre fondateur de l’Ecole d’économie de Paris appelle à « réinventer une nouvelle critique sociale qui ouvre une brèche dont le nouvel impératif de croissance est en train de reconfigurer nos vies. »‘intreview la Tribune)

Pourquoi avez-vous choisi de traiter des mutations économiques et sociales sur les 50 dernières années ?

DANIEL COHEN - Je voyais venir les 50 ans de mai 68. C’est toute ma vie qui est passée au cours de ces 50 dernières années. J’avais envie de me replonger dans toutes ces lectures qui avaient égrené ma jeunesse surtout dans les années 70. J’avais lu beaucoup de livres et je n’étais pas sûr de les avoir tous compris. Les grands auteurs de l’époque Lévi-Srauss, Lacan, Deleuze m’ont particulièrement marqué.

J’ai eu envie de comprendre comment une génération comme la mienne, qui a assisté à la  montée des protestations et du féminisme, de discours d’autonomie, d’émancipation, pouvait être le témoin de cette montée du populisme. Je voulais revenir sur les ouvrages écrits au fil de ma carrière, un ouvrage sur la société postindustrielle, un autre intitulé « Nos temps modernes ».

La dernière raison est que l’on est en train de finir un cycle lié à l’émergence d’Internet et des nouvelles technologies qui ont contribué à détruire l’ancien monde industriel sans vraiment en proposer un nouveau. Avec les progrès de l’intelligence artificielle, il est possible que quelque chose de nouveau soit en train de commencer. Je voulais en saisir la portée.

Vous revenez dans votre ouvrage sur l’effondrement de la société industrielle. Quelles sont les principales conséquences que vous en tirez sur le plan économique et social ?

Nous avons vécu lors de ces 50 dernières années l’effondrement de cette société industrielle. C’est un effondrement d’ordre civilisationnel. La société industrielle plonge ses racines dans des périodes qui sont bien antérieures au monde industriel. La chaîne de commandement constituée d’ingénieurs, de contremaîtres a été critiquée par mai 68. Cette chaîne avait néanmoins une vertu. Elle donnait à chacun une place et un sentiment d’inclusion. Cette société industrielle s’est délitée sous l’effet d’une poursuite consciente des marchés financiers, et ensuite des nouvelles technologies qui ont permis d’éclater ce monde en créant une société plus compétitive et beaucoup plus concurrentielle que l’ancienne période. Il y avait une grille de salaires très rigide, c’est pour cette raison que les inégalités n’augmentent quasiment pas au cours de cette période.

Ce monde post industriel a contribué au développement du statut de free-lance. Les ouvriers travaillent chez les équipementiers qui ne sont plus intégrés aux donneurs d’ordre. Quand la productivité des ingénieurs augmente, cela ne profite plus aux en gens situés en bas de l’échelle. On a une explication des raisons pour lesquelles ces sociétés sont devenues inégalitaires et en même temps, la croissance est plus faible. Les statistiques aux Etats-Unis sont très frappantes à cet égard. Les inégalités se font peu au sein des firmes. C’est surtout entre les firmes que se creusent les inégalités. On assiste à une ségrégation de plus en plus forte. La désolation sociale que l’on connaît depuis les année 80 dépend beaucoup de cette dissociation des classes sociales entre elles.

En 50 ans le système capitaliste a beaucoup changé. Quelles sont les principales mutations que l’on peut noter ?

Les mutations sont surtout d’ordre organisationnel. L’économiste Robert Gordon avait expliqué dans son ouvrage The rise and fall of american growth  que dans la société moderne, les voitures sont plus sophistiquées, les avions font moins de bruit, les équipements sont de meilleure qualité mais ce n’est plus très différent que la société qui s’est installée au cours du XXème siècle. Il n’y a pas de changement majeur au cours des 70 dernières années contrairement à la période 1880-1950. Le capitalisme s’est surtout réinventé dans la manière d’organiser la production des biens. Il n’a pas réinventé une nouvelle société de consommation.

Gordon a raison en partie. Le système Uber repose toujours sur un chauffeur qui vous emmène d’un endroit A à un endroit B au milieu des embouteillages. Aucun des rêves annoncés dans les années 50 ne s’est véritablement réalisé. Airbnb, Booking renvoient toujours vers des hôtels ou des appartements. On est plutôt dans une philosophie de réduction des coûts. On gagne de la productivité ou du pouvoir d’achat mais ce n’est pas un système durable. Ce ne sont pas des technologies qui sont au service d’une réorganisation de la société.

La nature de la société a tout de même profondément changé ?

Il faut prendre un peu de recul. Les théories de Jean Fourastié sont éclairantes quand il rappelle que l’on est passé d’une société industrielle à une société de services. C’est la grande mutation qui en train de se faire même s’il faut encore attendre peut être 50 ans avant d’en voir tous les effets. Fourastié expliquait que les hommes ont travaillé la terre pendant des millénaires puis la matière depuis 200 ans et on va travailler l’homme lui même. La société de services est centrée sur les services à la personne (coiffeur, médecins, psychanalyste).

Pour Fourastié, le potentiel de croissance n’est pas très élevé dans ce type de société. Si la valeur du bien que je produis est le temps que je passe avec les autres, le temps n’est pas extensible. Il n’y pas de croissance possible. Depuis une dizaine d’années, avec la montée des Big data, l’enjeu est de changer la nature de l’homme pour le transformer en un système d’information. Une fois que l’homme sera numérisé, il pourra être soigné et éduqué à distance.

L’enjeu est de faire rentrer l’homme dans une matrice pour que l’on retrouve de la croissance et du rendement. On en train de numériser l’homme pour lui faire accéder à une meilleure productivité. Il y a les fantasmes de l’homme augmenté mais je n’y crois pas beaucoup. L’homme sera augmenté par le fait que les technologies permettront à d’autres de s’occuper de lui à distance. C’est une promesse du retour de la croissance car si on redevient très efficace dans tous les secteurs où on bute alors on retrouvera de la croissance mais à un prix très cher payé. On pourrait renoncer à cet idéal d’humanisation qui était promis par cette société de services où on s’occupe enfin des autres. C’est la principale menace que je vois.

La société de services a-t-elle contribué au ralentissement de la croissance ?

Les sociétés de services ont moins de croissance que l’industrie parce que tous ces services sont plus difficiles à industrialiser. Le monde dans lequel on vit, c’est industrialiser la société de services.

La financiarisation à outrance de l’économie a-t-elle contribué à la perte de repères dans nos sociétés contemporaines ?

Dès les années 80, Wall-Street, avant même que toutes les technologies apparaissent, a commandé le démantèlement de l’ancien monde industriel. Avant, il y avait des grands conglomérats dans lesquels on fabriquait des parapluies ou des maillots de bain en fonction des saisons. Mais la logique de Wall-Street n’est pas la même face aux risques. Le re-engineering qui se fait dans les années 80 vise à désocialiser et désarticuler les collectifs. La finance est également responsable de la grande crise de 2008. Elle a voulu s’appliquer à  elle même ce principe de dématérialisation totale.

La crise des subprimes s’explique en partie par le fait que les entreprises qui ont vendu des crédits ne sont pas celles qui les ont collectés. Wall-Street a créé dans les années 2000 des structures ad-hoc dans lesquelles on mettait des paquets de crédits ensemble pour diversifier les risques avec un grand problème. La qualité des crédits n’était plus vraiment surveillé. Les gens qui les commercialisaient n’étaient pas les mêmes que ceux qui les avaient accorder. Wall-Street a payé ce rêve d’une société totalement dématérialisée.

La lecture de l’ouvrage donne l’impression que nous avons assisté à une suite de déceptions depuis 50 ans. Comment expliquez-vous cela ?

La marche vers le populisme est constituée par une série d’étapes où un grand nombre d’illusions ont été piétinées. La première illusion perdue a été celle de mai 68, de la contre-culture des années 60. La crise des années 70 a anéanti tout ça. La révolution conservatrice des années Reagan a voulu réenchanter le monde avec l’idée que le travail est central. Une idée que l’on retrouve dans le slogan « Travailler plus pour gagner plus » lancé par Nicolas Sarkozy.

Cette vague conservatrice a contribué à l’explosion des inégalités. La troisième désillusion réside peut être dans la société de services qui promettait une humanisation. Aujourd’hui, on a renoncé à cet idéal. Tous ces espoirs sont tombés les uns après les autres. La question est de savoir si on se dirige vers le chaos.

Pourquoi dites-vous que la critique à l’égard de la génération de mai 68 qui aurait favorisé l’ultralibéralisme n’est pas fondée ?

Je n’y crois pas absolument pas. La révolution culturelle de mai 68 et la révolution conservatrice n’ont aucun point commun. Ce sont deux camps qui se sont toujours affrontés et chacun a pris le pouvoir à tour de rôle. La révolution conservatrice a enfanté l’ultralibéralisme en réponse à mai 68 en expliquant qu’il fallait que les gens travaillent, que l’Etat Providence soit démantelé et que les protections sociales devaient être supprimées. Je crois qu’il y a une illusion partagée en réalité.

Les deux camps ont vu que la société industrielle s’effondrait mais la génération 68 s’est opposée à la société industrielle mais ce n’est pas eux qui l’ont faite tomber. La crise pétrolière des années 70 et la fin du cycle de croissance ont contribué à faire dérailler ce modèle. C’est sur les décombres de cette société industrielle que le libéralisme propose un nouveau modèle sans les syndicats. Il y a eu un effet de générations mais je ne pense pas que mai 68 a trahi ses idéaux.  Le mouvement de mai 68 n’est pas devenu ultralibéral, il est devenu pro européen. Il est passé du gauchisme à l’écologie. Ce n’est pas le signe d’un changement radical. Beaucoup de gauchistes se sont retrouvés cadres au Parti socialiste parce que François Mitterrand les a embarqué dans l’aventure. Il prend le pouvoir en 1981 sur un programme commun de nationalisations. Il y a eu tout de même un dur rappel à la réalité par la suite.

Aux Etats-Unis des personnes comme Mark Zuckerberg se réclament de cette contre-culture des années 60 mais c’est une mythologie qu’ils se sont fabriquée eux mêmes. Ils ont inventé le nouveau monde des réseaux sociaux qui reprend un certain nombre de mythes mais ce n’est pas la même chose. L’histoire de Facebook porte autre chose de très inquiétant. C’est la promesse d’une déshumanisation. D’ailleurs Cornelius Castoriadis parle  »d’une réécriture de l’histoire. » En revanche, il y a un parallèle à faire entre la révolution des Lumières et la révolution industrielle. Toutes les deux naissent du constat que le monde d’hier s’effondre mais la révolution industrielle trahit les idéaux des Lumières.

Vous abordez le thème de la vie algorithmique dans un chapitre. Comment envisagez-vous la place des algorithmes et des robots dans l’économie numérique dans les prochaines années ?

Je pense qu’il y a deux voies possibles. Dans une première voie, les robots font tout. Dans cette société les concepteurs de robots s’enrichissent puisque ce sont eux qui alimentent la planète en technologies. Eux mêmes auront des coiffeurs, des médecins. Il n’y a aucune raison pour qu’ils tombent dans le piège de la numérisation. On devrait avoir un cercle de travailleurs autour de ces gens très riches. Plus on s’éloignera du centre et moins il y aura de travail ou il sera moins rémunéré et plus il y aura des algorithmes. Les producteurs d’algorithme vont s’entourer d’humains et les consommateurs d’algorithmes, eux n’auront pas d’humains autour d’eux. Ils n’auront pas les moyens de recruter les personnes qui travaillent pour eux. C’est la société inégalitaire par excellence.

Il y a une autre voie dans laquelle une classe moyenne peut surgir. Elle pourrait se saisir de ces technologies. Les gens auront envie d’être entourés d’être humains. Ce qui coûte cher, c’est la rente foncière. C’est le fait que les gens veulent vivre en centre-ville au même endroit mais peut être que l’on peut réinventer des villes plus inclusives. C’est le grand défi écologique aussi. Le poids de la rente foncière pourrait se réduire grâce aux technologies. Il y a une demande sociale. Les gens ne veulent pas rester seuls devant leurs ordinateurs.

Quel peut être le rôle de l’intelligence artificielle dans le monde du travail ?

Je pense que l’intelligence artificielle peut aider le personnel soignant par exemple en remplissant des comptes rendus d’opération mais cela ne veut pas dire que l’on doit renoncer aux humains. Ces nouvelles technologies pourraient permettre aux humains de consacrer moins de temps aux tâches qui nous empoisonnent tous pour pouvoir passer plus de temps à s’occuper des gens. Je ne crois pas que les enseignants vont être remplacés par des machines. Les machines peuvent aider à mieux enseigner.

Comment faire pour limiter les dérives de l’uberisation de l’économie ?

Les technologies liées à l’uberisation sont utiles malgré tout car elles créent un logiciel qui permet de mettre en relation l’offre et la demande. Ce sont des modèles biphase comme disent les économistes. Il y a un progrès technique mais il est de second ordre. L’essentiel est le nouveau modèle proposé. Pour en limiter les dérives, il faut d’abord que la régulation se produise. Le débat central est de déterminer si les chauffeurs d’Uber sont autoentrepreneurs ou s’ils sont salariés. Je n’ai pas l’impression qu’ils sont entrepreneurs. Leurs conditions sont déterminées par Uber qui fixe les prix et crée un système d’astreinte. Soit Uber resalarie des gens, soit il faut que les règles du jeu évoluent.

Les jeunes qui travaillent avec la franchise Uber doivent être maîtres de leurs tarifs. Il faut un autre équilibre. Deliveroo devrait donner la possibilité à Deliveroo France de créer un salariat nouveau. Le rêve des grandes entreprises de la Silicon Valley est de mettre en place des applications tueuses qui proposent des solutions abstraites sans rapport au monde réel. C’est comme cela qu’elles s’enrichissent. Ces applications, au nom d’une d’une technologie qui améliorent le matching, permettent de passer à côté de la régulation sociale que la société industrielle a mis un siècle à établir. Uber ignore le salaire minimum, les temps de pause.
Que pensez de la politique d’Emmanuel Macron en matière de numérique ?

C’est difficile de se faire une idée très claire. Je trouve qu’il serait intéressant d’avoir une réflexion sur les techniques que l’intelligence artificielle permettraient de mettre à la disposition des enseignants, des médecins dans l’exercice de leurs métiers. Il faut que certaines professions comme les juges puissent avoir recours à ces technologies non pas pour les remplacer, mais au contraire pour les aider.

Tous ces métiers en tensions méritent des investissements. La grande promesse de tout numériser doit s’accompagner d’une aide aux personnes. Il faut prévoir une grande période de transition avec beaucoup de personnes pour accompagner les personnes âgées par exemple. En plus ces technologies permettraient de libérer des ressources dans les hôpitaux, dans les universités.

(*) Daniel Cohen « Il faut dire que les temps ont changé.. » Chronique (fiévreuse) d’une mutation qui inquiète aux Editions Albin Michel.

 

« La révolution numérique a terrassé l’ancien monde (Daniel Cohen)

« La révolution numérique a terrassé l’ancien monde (Daniel Cohen)

Dans un entretien accordé à La Tribune, le directeur du département d’économie de l’ENS explique que « la révolution numérique a terrassé l’ancien monde » et appelle à « réinventer une nouvelle critique sociale qui ouvre une brèche dont le nouvel impératif de croissance est en train de reconfigurer nos vies. »Une interview intéressante, riche mais un peu confuse quand même quant aux scénarios économiques et sociaux. La preuve que la science économique n’est pas vraiment une science exacte mais une  tentative d’éclairage du passé (comme de l’avenir quant il s’agit de prospective).

 

Pourquoi avez-vous choisi de traiter des mutations économiques et sociales sur les 50 dernières années ?

DANIEL COHEN - Je voyais venir les 50 ans de mai 68. C’est toute ma vie qui est passée au cours de ces 50 dernières années. J’avais envie de me replonger dans toutes ces lectures qui avaient égrené ma jeunesse surtout dans les années 70. J’avais lu beaucoup de livres et je n’étais pas sûr de les avoir tous compris. Les grands auteurs de l’époque Lévi-Srauss, Lacan, Deleuze m’ont particulièrement marqué.

J’ai eu envie de comprendre comment une génération comme la mienne, qui a assisté à la  montée des protestations et du féminisme, de discours d’autonomie, d’émancipation, pouvait être le témoin de cette montée du populisme. Je voulais revenir sur les ouvrages écrits au fil de ma carrière, un ouvrage sur la société postindustrielle, un autre intitulé « Nos temps modernes ».

La dernière raison est que l’on est en train de finir un cycle lié à l’émergence d’Internet et des nouvelles technologies qui ont contribué à détruire l’ancien monde industriel sans vraiment en proposer un nouveau. Avec les progrès de l’intelligence artificielle, il est possible que quelque chose de nouveau soit en train de commencer. Je voulais en saisir la portée.

Vous revenez dans votre ouvrage sur l’effondrement de la société industrielle. Quelles sont les principales conséquences que vous en tirez sur le plan économique et social ?

Nous avons vécu lors de ces 50 dernières années l’effondrement de cette société industrielle. C’est un effondrement d’ordre civilisationnel. La société industrielle plonge ses racines dans des périodes qui sont bien antérieures au monde industriel. La chaîne de commandement constituée d’ingénieurs, de contremaîtres a été critiquée par mai 68. Cette chaîne avait néanmoins une vertu. Elle donnait à chacun une place et un sentiment d’inclusion. Cette société industrielle s’est délitée sous l’effet d’une poursuite consciente des marchés financiers, et ensuite des nouvelles technologies qui ont permis d’éclater ce monde en créant une société plus compétitive et beaucoup plus concurrentielle que l’ancienne période. Il y avait une grille de salaires très rigide, c’est pour cette raison que les inégalités n’augmentent quasiment pas au cours de cette période.

Ce monde post industriel a contribué au développement du statut de free-lance. Les ouvriers travaillent chez les équipementiers qui ne sont plus intégrés aux donneurs d’ordre. Quand la productivité des ingénieurs augmente, cela ne profite plus aux en gens situés en bas de l’échelle. On a une explication des raisons pour lesquelles ces sociétés sont devenues inégalitaires et en même temps, la croissance est plus faible. Les statistiques aux Etats-Unis sont très frappantes à cet égard. Les inégalités se font peu au sein des firmes. C’est surtout entre les firmes que se creusent les inégalités. On assiste à une ségrégation de plus en plus forte. La désolation sociale que l’on connaît depuis les années 80 dépend beaucoup de cette dissociation des classes sociales entre elles.

En 50 ans le système capitaliste a beaucoup changé. Quelles sont les principales mutations que l’on peut noter ?

Les mutations sont surtout d’ordre organisationnel. L’économiste Robert Gordon avait expliqué dans son ouvrage The rise and fall of american growth  que dans la société moderne, les voitures sont plus sophistiquées, les avions font moins de bruit, les équipements sont de meilleure qualité mais ce n’est plus très différent que la société qui s’est installée au cours du XXème siècle. Il n’y a pas de changement majeur au cours des 70 dernières années contrairement à la période 1880-1950. Le capitalisme s’est surtout réinventé dans la manière d’organiser la production des biens. Il n’a pas réinventé une nouvelle société de consommation.

Gordon a raison en partie. Le système Uber repose toujours sur un chauffeur qui vous emmène d’un endroit A à un endroit B au milieu des embouteillages. Aucun des rêves annoncés dans les années 50 ne s’est véritablement réalisé. Airbnb, Booking renvoient toujours vers des hôtels ou des appartements. On est plutôt dans une philosophie de réduction des coûts. On gagne de la productivité ou du pouvoir d’achat mais ce n’est pas un système durable. Ce ne sont pas des technologies qui sont au service d’une réorganisation de la société.

La nature de la société a tout de même profondément changé ?

Il faut prendre un peu de recul. Les théories de Jean Fourastié sont éclairantes quand il rappelle que l’on est passé d’une société industrielle à une société de services. C’est la grande mutation qui en train de se faire même s’il faut encore attendre peut être 50 ans avant d’en voir tous les effets. Fourastié expliquait que les hommes ont travaillé la terre pendant des millénaires puis la matière depuis 200 ans et on va travailler l’homme lui même. La société de services est centrée sur les services à la personne (coiffeur, médecins, psychanalyste).

Pour Fourastié, le potentiel de croissance n’est pas très élevé dans ce type de société. Si la valeur du bien que je produis est le temps que je passe avec les autres, le temps n’est pas extensible. Il n’y pas de croissance possible. Depuis une dizaine d’années, avec la montée des Big data, l’enjeu est de changer la nature de l’homme pour le transformer en un système d’information. Une fois que l’homme sera numérisé, il pourra être soigné et éduqué à distance.

L’enjeu est de faire rentrer l’homme dans une matrice pour que l’on retrouve de la croissance et du rendement. On en train de numériser l’homme pour lui faire accéder à une meilleure productivité. Il y a les fantasmes de l’homme augmenté mais je n’y crois pas beaucoup. L’homme sera augmenté par le fait que les technologies permettront à d’autres de s’occuper de lui à distance. C’est une promesse du retour de la croissance car si on redevient très efficace dans tous les secteurs où on bute alors on retrouvera de la croissance mais à un prix très cher payé. On pourrait renoncer à cet idéal d’humanisation qui était promis par cette société de services où on s’occupe enfin des autres. C’est la principale menace que je vois.

La société de services a-t-elle contribué au ralentissement de la croissance ?

Les sociétés de services ont moins de croissance que l’industrie parce que tous ces services sont plus difficiles à industrialiser. Le monde dans lequel on vit, c’est industrialiser la société de services.

La financiarisation à outrance de l’économie a-t-elle contribué à la perte de repères dans nos sociétés contemporaines ?

Dès les années 80, Wall-Street, avant même que toutes les technologies apparaissent, a commandé le démantèlement de l’ancien monde industriel. Avant, il y avait des grands conglomérats dans lesquels on fabriquait des parapluies ou des maillots de bain en fonction des saisons. Mais la logique de Wall-Street n’est pas la même face aux risques. Le re-engineering qui se fait dans les années 80 vise à désocialiser et désarticuler les collectifs. La finance est également responsable de la grande crise de 2008. Elle a voulu s’appliquer à  elle même ce principe de dématérialisation totale.

La crise des subprimes s’explique en partie par le fait que les entreprises qui ont vendu des crédits ne sont pas celles qui les ont collectés. Wall-Street a créé dans les années 2000 des structures ad-hoc dans lesquelles on mettait des paquets de crédits ensemble pour diversifier les risques avec un grand problème. La qualité des crédits n’était plus vraiment surveillée. Les gens qui les commercialisaient n’étaient pas les mêmes que ceux qui les avaient accordé. Wall-Street a payé ce rêve d’une société totalement dématérialisée.

La lecture de l’ouvrage donne l’impression que nous avons assisté à une suite de déceptions depuis 50 ans. Comment expliquez-vous cela ?

La marche vers le populisme est constituée par une série d’étapes où un grand nombre d’illusions ont été piétinées. La première illusion perdue a été celle de mai 68, de la contre-culture des années 60. La crise des années 70 a anéanti tout ça. La révolution conservatrice des années Reagan a voulu réenchanter le monde avec l’idée que le travail est central. Une idée que l’on retrouve dans le slogan « Travailler plus pour gagner plus » lancé par Nicolas Sarkozy.

Cette vague conservatrice a contribué à l’explosion des inégalités. La troisième désillusion réside peut être dans la société de services qui promettait une humanisation. Aujourd’hui, on a renoncé à cet idéal. Tous ces espoirs sont tombés les uns après les autres. La question est de savoir si on se dirige vers le chaos.

Pourquoi dites-vous que la critique à l’égard de la génération de mai 68 qui aurait favorisé l’ultralibéralisme n’est pas fondée ?

Je n’y crois pas absolument pas. La révolution culturelle de mai 68 et la révolution conservatrice n’ont aucun point commun. Ce sont deux camps qui se sont toujours affrontés et chacun a pris le pouvoir à tour de rôle. La révolution conservatrice a enfanté l’ultralibéralisme en réponse à mai 68 en expliquant qu’il fallait que les gens travaillent, que l’Etat Providence soit démantelé et que les protections sociales devaient être supprimées. Je crois qu’il y a une illusion partagée en réalité.

Les deux camps ont vu que la société industrielle s’effondrait mais la génération 68 s’est opposée à la société industrielle mais ce n’est pas eux qui l’ont faite tomber. La crise pétrolière des années 70 et la fin du cycle de croissance ont contribué à faire dérailler ce modèle. C’est sur les décombres de cette société industrielle que le libéralisme propose un nouveau modèle sans les syndicats. Il y a eu un effet de générations mais je ne pense pas que mai 68 a trahi ses idéaux.  Le mouvement de mai 68 n’est pas devenu ultralibéral, il est devenu pro européen. Il est passé du gauchisme à l’écologie. Ce n’est pas le signe d’un changement radical. Beaucoup de gauchistes se sont retrouvés cadres au Parti socialiste parce que François Mitterrand les a embarqué dans l’aventure. Il prend le pouvoir en 1981 sur un programme commun de nationalisations. Il y a eu tout de même un dur rappel à la réalité par la suite.

Aux Etats-Unis des personnes comme Mark Zuckerberg se réclament de cette contre-culture des années 60 mais c’est une mythologie qu’ils se sont fabriquée eux mêmes. Ils ont inventé le nouveau monde des réseaux sociaux qui reprend un certain nombre de mythes mais ce n’est pas la même chose. L’histoire de Facebook porte autre chose de très inquiétant. C’est la promesse d’une déshumanisation. D’ailleurs Cornelius Castoriadis parle  »d’une réécriture de l’histoire. » En revanche, il y a un parallèle à faire entre la révolution des Lumières et la révolution industrielle. Toutes les deux naissent du constat que le monde d’hier s’effondre mais la révolution industrielle trahit les idéaux des Lumières.

Vous abordez le thème de la vie algorithmique dans un chapitre. Comment envisagez-vous la place des algorithmes et des robots dans l’économie numérique dans les prochaines années ?

Je pense qu’il y a deux voies possibles. Dans une première voie, les robots font tout. Dans cette société les concepteurs de robots s’enrichissent puisque ce sont eux qui alimentent la planète en technologies. Eux mêmes auront des coiffeurs, des médecins. Il n’y a aucune raison pour qu’ils tombent dans le piège de la numérisation. On devrait avoir un cercle de travailleurs autour de ces gens très riches. Plus on s’éloignera du centre et moins il y aura de travail ou il sera moins rémunéré et plus il y aura des algorithmes. Les producteurs d’algorithme vont s’entourer d’humains et les consommateurs d’algorithmes, eux n’auront pas d’humains autour d’eux. Ils n’auront pas les moyens de recruter les personnes qui travaillent pour eux. C’est la société inégalitaire par excellence.

Il y a une autre voie dans laquelle une classe moyenne peut surgir. Elle pourrait se saisir de ces technologies. Les gens auront envie d’être entourés d’être humains. Ce qui coûte cher, c’est la rente foncière. C’est le fait que les gens veulent vivre en centre-ville au même endroit mais peut être que l’on peut réinventer des villes plus inclusives. C’est le grand défi écologique aussi. Le poids de la rente foncière pourrait se réduire grâce aux technologies. Il y a une demande sociale. Les gens ne veulent pas rester seuls devant leurs ordinateurs.

Quel peut être le rôle de l’intelligence artificielle dans le monde du travail ?

Je pense que l’intelligence artificielle peut aider le personnel soignant par exemple en remplissant des comptes rendus d’opération mais cela ne veut pas dire que l’on doit renoncer aux humains. Ces nouvelles technologies pourraient permettre aux humains de consacrer moins de temps aux tâches qui nous empoisonnent tous pour pouvoir passer plus de temps à s’occuper des gens. Je ne crois pas que les enseignants vont être remplacés par des machines. Les machines peuvent aider à mieux enseigner.

Comment faire pour limiter les dérives de l’ubérisation de l’économie ?

Les technologies liées à l’ubérisation sont utiles malgré tout car elles créent un logiciel qui permet de mettre en relation l’offre et la demande. Ce sont des modèles biphase comme disent les économistes. Il y a un progrès technique mais il est de second ordre. L’essentiel est le nouveau modèle proposé. Pour en limiter les dérives, il faut d’abord que la régulation se produise. Le débat central est de déterminer si les chauffeurs d’Uber sont autoentrepreneurs ou s’ils sont salariés. Je n’ai pas l’impression qu’ils sont entrepreneurs. Leurs conditions sont déterminées par Uber qui fixe les prix et crée un système d’astreinte. Soit Uber resalarie des gens, soit il faut que les règles du jeu évoluent.

Les jeunes qui travaillent avec la franchise Uber doivent être maîtres de leurs tarifs. Il faut un autre équilibre. Deliveroo devrait donner la possibilité à Deliveroo France de créer un salariat nouveau. Le rêve des grandes entreprises de la Silicon Valley est de mettre en place des applications tueuses qui proposent des solutions abstraites sans rapport au monde réel. C’est comme cela qu’elles s’enrichissent. Ces applications, au nom d’une technologie qui améliorent le matching, permettent de passer à côté de la régulation sociale que la société industrielle a mis un siècle à établir. Uber ignore le salaire minimum, les temps de pause.

Pourquoi dites-vous que la critique à l’égard de la génération de mai 68 qui aurait favorisé l’ultralibéralisme n’est pas fondée ?

Je n’y crois pas absolument pas. La révolution culturelle de mai 68 et la révolution conservatrice n’ont aucun point commun. Ce sont deux camps qui se sont toujours affrontés et chacun a pris le pouvoir à tour de rôle. La révolution conservatrice a enfanté l’ultralibéralisme en réponse à mai 68 en expliquant qu’il fallait que les gens travaillent, que l’Etat Providence soit démantelé et que les protections sociales devaient être supprimées. Je crois qu’il y a une illusion partagée en réalité.

Les deux camps ont vu que la société industrielle s’effondrait mais la génération 68 s’est opposée à la société industrielle mais ce n’est pas eux qui l’ont faite tomber. La crise pétrolière des années 70 et la fin du cycle de croissance ont contribué à faire dérailler ce modèle. C’est sur les décombres de cette société industrielle que le libéralisme propose un nouveau modèle sans les syndicats. Il y a eu un effet de générations mais je ne pense pas que mai 68 a trahi ses idéaux.  Le mouvement de mai 68 n’est pas devenu ultralibéral, il est devenu pro européen. Il est passé du gauchisme à l’écologie. Ce n’est pas le signe d’un changement radical. Beaucoup de gauchistes se sont retrouvés cadres au Parti socialiste parce que François Mitterrand les a embarqué dans l’aventure. Il prend le pouvoir en 1981 sur un programme commun de nationalisations. Il y a eu tout de même un dur rappel à la réalité par la suite.

Aux Etats-Unis des personnes comme Mark Zuckerberg se réclament de cette contre-culture des années 60 mais c’est une mythologie qu’ils se sont fabriquée eux mêmes. Ils ont inventé le nouveau monde des réseaux sociaux qui reprend un certain nombre de mythes mais ce n’est pas la même chose. L’histoire de Facebook porte autre chose de très inquiétant. C’est la promesse d’une déshumanisation. D’ailleurs Cornelius Castoriadis parle  »d’une réécriture de l’histoire. » En revanche, il y a un parallèle à faire entre la révolution des Lumières et la révolution industrielle. Toutes les deux naissent du constat que le monde d’hier s’effondre mais la révolution industrielle trahit les idéaux des Lumières.

Que pensez de la politique d’Emmanuel Macron en matière de numérique ?

C’est difficile de se faire une idée très claire. Je trouve qu’il serait intéressant d’avoir une réflexion sur les techniques que l’intelligence artificielle permettraient de mettre à la disposition des enseignants, des médecins dans l’exercice de leurs métiers. Il faut que certaines professions comme les juges puissent avoir recours à ces technologies non pas pour les remplacer, mais au contraire pour les aider.

Tous ces métiers en tensions méritent des investissements. La grande promesse de tout numériser doit s’accompagner d’une aide aux personnes. Il faut prévoir une grande période de transition avec beaucoup de personnes pour accompagner les personnes âgées par exemple. En plus ces technologies permettraient de libérer des ressources dans les hôpitaux, dans les universités.

(*) Daniel Cohen « Il faut dire que les temps ont changé.. » Chronique (fiévreuse) d’une mutation qui inquiète aux Editions Albin Michel.

Daniel Cohn-Bendit : plutôt député européen que ministre

Daniel Cohn-Bendit : plutôt député européen que ministre

 

 

Le papy, ancien révolutionnaire de 68, renonce à remplacer Nicolas Hulot comme ministre de l’environnement. Bien que le leader anarcho- libertaire ait mis avec le temps beaucoup d’eau dans son vin au point même parfois de sucrer les fraises il n’en est pas moins resté lucide. Il a déclaré qu’il préférait prendre la tête de la liste européenne de la république en marche en 2019 plutôt que de devenir un éphémère ministre de l’écologie. Daniel Cohn-Bendit est sans doute clairvoyant, il ne donne sans doute pas beaucoup de chance de réussite au gouvernement de Macron qui ne cesse de s’enfoncer dans ses contradictions entre un discours très volontariste et une pratique qui elle rappelle les recettes de la vieille politique. Le prochain ministre de l’environnement sera un alibi écolo pour Macron encore pire que Nicolas Hulot. Il faut cependant mettre au crédit de Daniel Cohn-Bendit qu’il a toujours été un militant européen convaincu. Il sera peut-être plus utile dans cette tâche que dans celui d’un ministre de la parole sans effet sur la politique Daniel Cohn-Bendit  après une échange  avec Emmanuel Macron a conclu qu’il s’agissait d’«une fausse bonne idée», comme l’a raconté l’écologiste dimanche soir sur LCI. «Notre contact, c’est la liberté que j’ai avec lui. Je lui dis les choses en toute franchise, si je suis d’accord ou pas avec ce qu’il fait. “Si tu es ministre, tu perds ta personnalité. Est-ce que tu veux cela?”, m’a-t-il demandé. On s’est mis d’accord que c’est une fausse bonne idée. Sans état d’âme, on est d’accord que ce n’est pas mon truc», a-t-il expliqué.

Macron : pas social et pas libéral ! (Jean-Marc Daniel )

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Un des chantres du libéralisme, l’économiste Jean-Marc dresse un drôle de bilan de l’action de Macron qu’il considère comme de moins en moins libéral et de moins en moins social. (Interview la tribune). En réalité  Macron soutient un  libéralisme de type orléaniste voire bonapartiste.

 

LA TRIBUNE - Emmanuel Macron a initié un grand nombre de réformes en seulement un an. Est-ce une rupture par rapport à ses prédécesseurs ?

JEAN-MARC DANIEL - Oui et non. Les ruptures furent bien plus marquantes en 1958 lors de l’arrivée au pouvoir de Charles de Gaulle, qui réforme les institutions, rééquilibre le budget et résout le problème de la guerre d’Algérie, ou encore en 1981 de François Mitterrand, qui assure une politique de relance keynésienne et des réformes du marché du travail qui vont déstabiliser l’économie française.

Emmanuel Macron s’inscrit davantage dans la continuité de François Hollande. En outre, son discours perd progressivement de sa cohérence. Quand il était ministre de l’Économie, il était centré sur l’avenir, défendait les idées libérales et la promotion de l’Europe. Là, il engage des procédures qui ne vont pas jusqu’à leur terme. Par exemple, il prépare l’avenir en réformant le marché du travail par ordonnances mais il ignore ce qu’il va faire sur l’Unedic. Il veut relancer l’activité en baissant la fiscalité sur le capital mais il maintient d’une certaine manière cette fiscalité avec l’IFI (Impôt sur la fortune immobilière). Il veut rééquilibrer les finances publiques mais il reporte la réduction du déficit structurel. En pratique, il reste à mi-chemin.

Sa méthode pour réformer relèverait donc davantage de la communication que d’un projet cohérent ? Que devrait-il faire pour mener à bien ces réformes ?

Il devrait s’inspirer des engagements signés en 2011 par Mario Monti lorsque l’Italie avait dû négocier avec la BCE un calendrier de réformes pour obtenir le rachat d’une partie de sa dette publique. Mario Monti avait choisi trois axes. Le premier était de redynamiser l’économie par la concurrence, notamment le marché du travail. Emmanuel Macron doit donc clarifier ce qu’il compte faire sur l’Unedic.

Le deuxième chantier est celui de la réduction du déficit budgétaire par la baisse des dépenses publiques. En ce moment, le déficit structurel augmente mais on ne le voit pas forcément car le déficit conjoncturel baisse. Et non seulement les dépenses publiques ne baissent pas mais on voit même apparaître des augmentations d’impôt alors qu’on a déjà une fiscalité ubuesque.

Le troisième chantier, c’est d’améliorer l’image du pays à l’international, notamment en précisant son projet européen qui en l’état n’est pas acceptable pour nos principaux partenaires.

Pourquoi ne s’attaque-t-il pas à la baisse des dépenses publiques ?

Parce que les propositions qui émanaient de Bercy ont failli se transformer en « catastrophe politique ». La première mesure, qui était la réduction du budget de la Défense, s’est soldée par la démission du général de Villiers. La seconde mesure, la baisse de cinq euros des APL, qui était une proposition qui ressortait de décisions antérieures et dont Bercy n’avait pas de raison particulière de se méfier, a provoqué un tollé.

Quand on s’attaque à la dépense publique, on remet en cause certains avantages. Si l’on veut réduire le nombre de fonctionnaires, il faut affronter les syndicats de la fonction publique. Pour l’instant, Emmanuel Macron teste à travers sa réforme de la SNCF le degré de réaction dans les secteurs les plus sensibles.

Les pensions de retraite peuvent également être une autre source d’économie. Elles représentent environ 14 % du PIB, soit le taux le plus important comparé à celui des autres pays de l’OCDE. Mais il a déjà sollicité les retraités en augmentant leur CSG. Aussi, on ne voit pas très bien ce qu’il veut faire pour réformer les retraites.

Il a évoqué dans son programme la suppression de 120. 000 postes de fonctionnaires sur le quinquennat. Est-ce réaliste ?

Oui, mais à deux conditions. La première, c’est qu’un effort ait été engagé dans le budget 2018, or cela n’a pas été le cas. On en a supprimé à peine 1 800. Cela pourrait être réaliste si l’on associait les collectivités locales à cette politique de réduction de postes. La deuxième est de réformer en profondeur le secteur de l’éducation, ce qui est une priorité au regard de son manque d’efficacité. On pourrait appliquer à l’université ce que l’on fait à la SNCF, en privatisant certaines universités et certaines fonctions. Les recrutements se font d’ailleurs déjà sur la base de non-fonctionnaires.

Il est reproché à Emmanuel Macron d’avoir favorisé par la fiscalité les ménages les plus aisés.

Cette critique est avant tout politicienne, et émane surtout de la gauche et de l’extrême gauche. Le président s’en est expliqué à plusieurs reprises. Car on ne peut pas dire d’une part que l’ISF pénalise la croissance, nombre de rapports ayant montré qu’il fait fuir les investisseurs et fait perdre plusieurs milliards d’euros de PIB, et d’autre part, lorsqu’il est supprimé, ou du moins réformé, dire : « Vous faites une politique pour les riches ». Si les 5 milliards d’euros de l’ISF avaient été gardés, ils auraient été finalement dépensés par l’État. La dépense publique « ruisselle » comme la dépense privée. Mais la logique de Macron n’est pas celle du ruissellement, il considère que certains entrepreneurs sont « les premiers de cordée ». S’ils partent à l’étranger, la croissance sera pénalisée. Ce n’est pas une politique pour les riches, mais pour ceux qui veulent devenir riches.

Ne sous-estime-t-il pas le poids des inégalités ?

Je ne crois pas. Ce reproche vient là aussi d’une gauche qui a changé de référent. La critique constante du système capitaliste, et de sa supposée inefficacité historique, a longtemps été justifiée par la pauvreté. Mais comme on vit dans une société où elle est moins criante qu’auparavant, même s’il y a des pauvres, la gauche estime que ce qui est grave, ce n’est pas d’être pauvre mais d’être plus pauvre que les autres. Or cette critique est portée par tous les mouvements de gauche à l’échelle mondiale. Sur ce point, Emmanuel Macron n’est pas plus coupable que n’importe quel autre gouvernement en place en ce moment.

Contrairement à François Hollande, Emmanuel Macron ne prend pas d’engagement en matière de baisse du chômage. Pourquoi ?

En raison du cycle économique. François Hollande savait que le retournement de la conjoncture économique allait intervenir durant son mandat, et favoriserait la baisse du chômage. Il avait calculé que le cycle se retournerait en 2015, et c’est pourquoi il disait : « ça va mieux ». La baisse significative n’est intervenue qu’au moment de sa potentielle réélection mais il n’a pas eu la capacité politique de tirer les bénéfices de l’évolution économique du cycle. Emmanuel Macron, lui, sait que cet effet va jouer contre lui. Le cycle devrait en effet se retourner aux alentours de 2019-2020 et le chômage recommence à augmenter à ce moment-là. Il ne peut pas jouer sur le cycle mais sur la croissance potentielle de long terme. Or, il n’est pas sûr que les mesures prises sur le marché du travail aient un impact suffisamment positif. Leur évaluation est complexe. Il vaut mieux ne pas prendre d’engagement.

Emmanuel Macron ne semble pas avoir convaincu Berlin avec ses propositions
sur l’Europe…

Il est confronté à plusieurs difficultés. Outre l’Allemagne, plusieurs dirigeants européens, comme le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, lui ont rappelé que la France ne respectait pas les traités. Avant de faire des propositions, Paris devrait commencer par réduire son déficit budgétaire pour être crédible aux yeux d’un certain nombre de voisins européens. Ainsi, les pays baltes, qui ont restructuré leur économie, jugent que la France ne fait aucun effort. Par ailleurs, les Allemands font un blocage définitif sur sa proposition d’un budget européen commun qui assurerait des transferts financiers des pays du Nord vers ceux du Sud. Pour eux, la solidarité européenne, en termes économique et monétaire, ne doit pas aller au-delà de l’acceptation de la politique menée par la BCE. En revanche, ils sont d’accord pour que l’Europe travaille sur des projets comme l’Europe de la défense ou d’autres domaines.

La France doit donc au préalable se mettre en conformité avec les traités européens pour que sa voix soit mieux entendue au niveau européen ?

Oui, ça améliorera sa position sur les plans politique et économique. L’enjeu n’est pas de sommer les Allemands de dépenser davantage mais plutôt de demander aux Français d’économiser plus, pour se conformer aux exigences européennes en matière de déficit. En réalité, le problème n’est pas l’excédent commercial extérieur de l’Allemagne, qui se fait de plus en plus hors de la zone euro, mais plutôt notre déficit commercial extérieur. Il traduit un déficit d’épargne, c’est-à-dire une distribution excessive de revenus, notamment sous la forme de revenus publics.

La réforme de la formation, avec les chantiers de l’apprentissage et de la formation professionnelle, d’une part, et la volonté de faire de la France un acteur important de l’intelligence artificielle, d’autre part, cela va-t-il dans le bon sens?

Oui, notamment la réforme de la formation professionnelle qui prévoit d’octroyer des droits monétaires et non des droits sous forme d’heures de formation. Et la mise en concurrence des organismes de formation permettra d’évaluer leur qualité. Aujourd’hui, on dépense de plus en plus d’argent pour la formation, à la fois continue et initiale, pour des résultats de plus en plus décevants. On répète qu’on résoudra le chômage par la formation, et plus on dépense plus le chômage augmente ! Il faut cesser de raisonner uniquement en termes de dépense. Cette réforme va donc dans le bon sens. Quant à la promotion de l’intelligence artificielle, l’idée d’en faire le vecteur d’une politique industrielle rénovée est fallacieuse. Il y a une nostalgie chez Emmanuel Macron de la politique industrielle. Lorsqu’il était ministre de l’Économie, il s’était montré très interventionniste et plutôt protectionniste sur les difficultés de la sidérurgie. Cela dit, la meilleure chose à faire pour favoriser l’émergence d’un secteur d’intelligence artificielle performant est de baisser l’impôt plutôt que de créer un fonds d’investissement public dédié à ce secteur.

La loi Pacte sur l’entreprise prend du retard. Que pensez-vous de l’approche qu’a Emmanuel Macron de l’entreprise ?

Le grand danger de la loi Pacte est que le président se soumette à une partie de sa majorité qui, au nom de la RSE, du débat environnemental, veut imposer de nouvelles contraintes aux entreprises. Je rappelle quand même que les entreprises ne gâchent pas systématiquement le paysage ni ne détruisent la nature, qu’elles ne pressurent pas leurs employés, ne serait-ce que parce que l’efficacité économique repose aussi sur l’image de marque, sur la façon dont on se comporte, et sur des ouvriers efficaces parce que bien payés. L’idée d’imposer par la loi des comportements qui s’imposent naturellement est dangereuse, parce qu’elle rend possible le contentieux. Cela s’est vérifié avec le Code civil au début du xixe siècle : on avait constaté que plus on légiférait, plus on créait de la chicane. Pour des raisons politiquement correctes, on risque donc au nom de la RSE de créer des difficultés pour les entreprises qui n’en ont pas vraiment besoin en ce moment. Et ce qu’il faut surtout éviter dans la loi Pacte, c’est la modification du Code civil. Sur ce point, le rapport Notat-Senard, même s’il reste prudent, va déjà trop loin.

On reproche à Emmanuel Macron une forme d’autoritarisme. Vous qui connaissez bien l’histoire économique, de quelle figure le rapprocheriez-vous ?

Le personnage qui me paraît le plus proche, c’est le Mendès France de 1954. Ce dernier arrive au pouvoir avec des propositions plutôt libérales, des idées claires, notamment celle consistant à lancer rapidement des réformes sur tous les secteurs. Mitterrand avait adopté cette démarche en 1981, redoutant l’installation dans la routine. Macron me fait également penser à Tony Blair, qui après avoir réformé durant les six premiers mois de son mandat, dit vouloir réfléchir. On a l’impression que Macron se trouve dans la même situation. Mais rappelons que Mendès France n’a pas eu le temps de digérer ses réformes et Mitterrand a été obligé d’en changer parce qu’elles étaient mauvaises.

Finalement, comment définiriez-vous le « macronisme »?

Au début, c’était du social-libéralisme, mais le problème aujourd’hui est qu’il devient de moins en moins social et de moins en moins libéral !

 

Affaires politicofinancières : la fin de la tolérance (Daniel Boy, professeur de sciences politiques)

Affaires politicofinancières : la fin de la tolérance (Daniel Boy, professeur de sciences politiques)

 

L’affaire Fillon marquerait la fin de la tolérance de l’opinion publique à l’égard des affaires politico- financières. Le professeur de sciences politiques Daniel Boy explique pourquoi dans un papier du JDD. Ceci étant, ce n’est pas forcément la fin de la tolérance de la justice car on peut s’étonner du nombre considérable d’affaires encore non jugées ou simplement enterrées.

 

« L’affaire Fillon et bien d’autres analogues dans le passé récent – Urba Gracco en 1990, affaire Elf en 1994, emplois fictifs de la mairie de Paris en 2011, affaire Cahuzac en 2012, etc. – posent une question intrigante : pourquoi des responsables politiques ou des « puissants » (chefs d’entreprise, dirigeants syndicalistes, sportifs ou artistes renommés), que l’on doit supposer raisonnablement lucides, se laissent-ils prendre à enfreindre grossièrement des règles d’éthique qui, au jour de l’affaire, paraissent au public fondamentales? Bien souvent on a le sentiment que les responsables mis en cause pour des manquements graves à l’éthique plaident implicitement une sorte de bonne foi qui leur fait dire, ou au moins suggérer : pourquoi me condamner, moi, aujourd’hui, puisqu’ »on a toujours fait comme ça »? À quoi tient cette confusion entre le permis et l’interdit parmi des responsables que l’on pourrait imaginer attentifs aux exigences de la société? A deux raisons, sans doute complémentaires. La première tient à l’opacité des systèmes de pouvoir qui, jusqu’ici, garantissait une probable impunité à ceux qui en bénéficiaient. Rappelons ici que la notion de « transparence » trouve ses origines dans les mouvements d’idée du Siècle des Lumières (voir à ce sujet Sandrine Baume, « La transparence dans la conduite des affaires publiques. Origines et sens d’une exigence« ) et s’affirme comme une exigence de visibilité du pouvoir destinée à combattre l’arbitraire. Dans les sphères du pouvoir (quelle que soit sa nature), il est sans doute bien difficile d’échapper au sentiment d’être hors d’atteinte des regards du public. Pourtant, le développement d’une presse libre a, depuis longtemps, donné naissance à des investigations aboutissant souvent à des mises en cause convaincantes. Mais au-delà des vertus du Canard enchaîné ou, plus récemment, du succès de telle émission télévisée consacrée au dévoilement de « scandales » (Cash Investigation sur France 2), il apparaît que la technologie de la recherche d’informations a gagné une nouvelle puissance avec la naissance des Wikileaks et d’autres techniques utilisant de façon sophistiquée la quête d’information au sein des big data. Aujourd’hui, aussi puissant soit-il, nul ne devrait se croire à l’abri d’une investigation peut-être dommageable. La seconde raison qui explique la relative surdité des puissants quant aux exigences de l’éthique tient probablement à un décalage de plus en plus patent entre ce que les responsables estiment devoir à la société et ce que la société exige réellement d’eux. Sous l’effet de transformations structurelles, au premier chef, l’augmentation des niveaux d’éducation, la demande d’éthique de la société a considérablement changé au cours des vingt dernières années. Au-delà de ces transformations structurelles la répétition, ad nauseam, des mêmes affaires (prises d’intérêt illégales, conflits d’intérêts méconnus) lasse le public et le rend désormais hypersensible à toute annonce d’une nouvelle crise d’éthique. Il n’est pas sûr que les puissants aient pris la mesure de ces évolutions majeures. Puisqu’ »on a toujours fait comme ça » et que, en fin de compte, le public dans le passé s’est montré assez indulgent, pourquoi ne pas continuer comme nos prédécesseurs ? On l’affirme ici : parce que le degré de tolérance de la société a profondément changé. Les conséquences directes de ce hiatus entre conceptions de l’éthique se lisent dans l’image terriblement dégradée du monde politique dont témoigne, par exemple, le Baromètre de la Confiance politique du Cevipof. Comment remédier à cette situation ? Sans doute peut-on espérer que les puissants, d’eux-mêmes, prennent conscience des nouvelles exigences d’éthique de la société et, si nécessaire, modifient en conséquence leurs comportements. L’autre solution, sans doute plus lourde, mais infiniment plus sûre, consiste à modifier inlassablement les règles légales de la transparence. Elle passe par des procédures souvent jugées inquisitoriales par les puissants : transparence des revenus et du patrimoine, déclaration des intérêts, faisant l’objet, si nécessaire, de vérifications réelles, etc. Le remède est amer. Mais le mal est grave parce qu’il contribue au développement d’un populisme qui mine les fondements du système démocratique. »

 

2017 : Daniel Cohn-Bendit pour Macron

2017 : Daniel Cohn-Bendit pour Macron

Peut-être moins par conviction que par réalisme politique,  Daniel Cohn-Bendit se résout à soutenir Macron  dont il pense qu’il est le candidat le mieux placé pour faire face Sarkozy et à Marine Le Pen. Cohn-Bendit souhaite cependant que Macron muscle un peu son discours. En effet macro demeure encore assez flou dans le domaine social, transparent dans le domaine sociétal et a besoin de préciser encore ses orientations économiques. Il ne peut guère s’appuyer sur son bilan relativement maigre de ministre de l’économie, il lui faut donc donner de l’épaisseur à sa vision et à son projet. Selon un sondage Odoxa pour France 2 publié samedi. Avec 28%, l’ancien ministre de l’Economie arrive en tête de la liste des six personnalités testées, loin devant Jean-Luc Mélenchon (18%), talonné lui-même par Manuel Valls (17%). Viennent ensuite Arnaud Montebourg (13%) et Christiane Taubira (9%). Le député européen estime donc que l’ancien ministre de l’Économie peut faire barrage à Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen pour l’élection présidentielle. Nicolas Sarkozy face à Marine Le Pen au second tour de la présidentielle ? « Le cauchemar » pour Daniel Cohn-Bendit. L’ancien président de la République « dit n’importe quoi. Il est prêt à tout pour gagner les élections. C’est comme Donald Trump. Chaque jour, un invente quelque chose, il durcit pour rassembler d’abord dans son camp. Quand je vois sa campagne, je suis muet, je suis paralysé. Je ne peux pas », confie-t-il sur France Info.   Et pour éviter de se retrouver dans cette configuration, le député européen soutient Emmanuel Macron. Selon lui, l’ancien ministre de l’Économie « doit densifier son discours. Il faut qu’il y ait des propositions qui musclent l’histoire qu’il nous raconte la vision qu’il a pour la France, pour l’Europe. Sur l’écologie, il peut mieux faire ». Daniel Cohn-Bendit poursuit ses projections et estime que si Nicolas Sarkozy remporte la primaire Les Républicains, « le centre droit est orphelin, le centre gauche va-t-il se replier derrière Hollande ? Non. Donc vous avez un espace. Si Emmanuel Macron sort à 3%, à 4% derrière Nicolas Sarkozy, tous ceux qui s’étaient repliés derrière François Bayrou filent vers Emmanuel Macron, tous ceux qui se replient derrière François Hollande vers Emmanuel Macron et il est à touche-touche avec Nicolas Sarkozy au premier tour ». Emmanuel Macron a réagi à l’intervention du député européen en le remerciant pour sa confiance.

La fin du salariat? (Jean-Marc Daniel)

La fin du salariat? (Jean-Marc Daniel)

Jean-Marc Daniel, économiste et professeur associé à l’école de commerce ESCP Europe pronostique la fin progressive du salariat. Une vision très à la mode en ce moment dans les milieux ultralibéraux qui rêvent d’un monde numérisé ou  le salarié se transformerait en auto entrepreneur. La question étant  de savoir s’il ne s’agit pas d’une confusion entre le concept entrepreneur est celui de journalier. Une interview de la tribune toutefois intéressante à lire car elle rend bien compte de la pensée dominante un peu schématique actuelle.

On annonce la mort du salariat. Est-ce une réalité ou un mirage?

Il est vrai que pour l’instant, plus de 90% des travailleurs français sont des salariés. Mais d’ici à 50 ans, nous allons nous retrouver avec 50% de travailleurs indépendants. Le temps où des armées d’ouvriers se lèvent tôt pour aller pointer dans une usine est révolu. Aujourd’hui, le capitalisme 2, 3 puis n point zéro se caractérise par la multi-activité où la figure de l’autoentrepreneur est centrale. Il faut réfléchir à ce qu’est la relation salariale à l’aune de cette société. Il est devenu nécessaire d’assouplir le contrat de travail né pendant l’ère industrielle.

Quelles sont les caractéristiques de cette société post-salariat?

La France du Bon Coin et de Blablacar annonce à plus long terme une redéfinition profonde des relations sociales autour de la généralisation de la négociation. Par exemple, jadis une personne aidait par simple générosité son voisin à déménager ou à monter un meuble Ikea. Aujourd’hui, avec des plateformes comme Le Bon Coin, il peut monnayer son service. Nous allons vers un renforcement des relations contractuelles au détriment des relations hiérarchiques qui caractérisent la société du salariat. Autrement dit, demain il sera plus facile de trouver un client qu’un emploi.

L’enjeu à venir n’est-il pas l’adaptation du code du travail?

Oui, tout à fait. Le droit social s’est développé sous l’ère de la société industrielle. Mais aujourd’hui avec les bouleversements de l’économie numérique, il apparaît un peu désuet. Surtout, il ne répond plus au besoin des salariés free-lance qui, eux, ne sont pas protégés par les articles du code du travail. Le grand débat est donc d’attacher des droits à la personne et non aux contrats de travail.

Vous annoncez également la mort de la sécurité sociale?

La fin programmée d’une société régie uniquement par le salariat et le contrat de travail va engendrer la mort de la sécurité sociale telle qu’elle est aujourd’hui. En effet, comment financer une protection sociale basée sur les cotisations sociales des salariés? Il va être nécessaire de réorganiser les transferts de solidarité. Le revenu universel peut être une solution. La Finlande est d’ailleurs en train de réfléchir à cela.

Comment expliquer les réticences liées à des plateformes comme Uber?

Il y a cette vision que la nouvelle économie du numérique va engendrer de grandes destructions d’emploi et qu’une partie non négligeable de personne va se retrouver au chômage. Or, je crois au contraire que l’emploi crée de l’emploi. Vous savez en 1812, Lord Byron, dans une déclaration à la Chambre des communes, déclarait que les machines représentaient un danger pour l’humanité parce qu’elles allaient détruire des emplois. C’était le temps des luddites, ces bandes d’ouvriers du textile qui mettaient à sac des usines. On assiste en France à la résurgence de ce phénomène dans certain secteur de l’économie où des acteurs sont menacés par l’arrivée de nouveaux entrants.

En quoi la société numérique est-elle une société de concurrence quasi pure et parfaite?

Il faut se souvenir du commissaire-priseur Walrassien, du nom de l’économiste français du 19ème siècle. Cet être mythique de la pensée économique informe en temps réel le consommateur de la possibilité de trouver mieux et moins cher que dans le magasin où il est. Joseph Schumpeter (père du concept de destruction créatrice de la valeur) l’avait critiqué sévèrement en jugeant l’idée intéressante sur le plan intellectuel mais trop éloignée de la réalité. Or, aujourd’hui le commissaire-priseur Walrassien existe grâce aux smartphones et aux nouvelles technologies de l’information. Nous vivons dans une société de concurrence quasi pure et parfaite qui libère le consommateur et met la pression sur le producteur obligé de se réorganiser.

«Réduire le nombre de fonctionnaires en France» (Jean-Marc Daniel)

 «Réduire le nombre de fonctionnaires en France» (Jean-Marc Daniel)

Pour diminuer la dépense publique ,il faut diminuer le ombre de fonctionnaire ; une recommandation de l’institut de l’entreprise. Pas vraiment un scoop mais on voit mal comment on pourrait voire cette utopie se réaliser puisque la majorité des responsables politiques sosnt eu- mêmes fonctionnaire ! – Interview de Jean marc Daniel , économiste à l’institut de l’entreprise. ( le Figaro)

LE FIGARO.- Comment la France doit-elle agir pour redresser ses finances?

Jean-Marc DANIEL.- La France est en contravention avec ses engagements budgétaires à trois niveaux: son déficit est supérieur à 3%, son déficit structurel est supérieur à 0,5%, sa dette est supérieure à 60%. Le danger est qu’elle considère toute amélioration partielle sur un de ces sujets comme un effort suffisant. Entre 2012 et 2014, le déficit structurel a été ramené de 4,5% du PIB à 2,5%. Elle s’est appuyée sur cette réduction pour refuser de prendre en compte un niveau de déficit total supérieur à 3%. Maintenant que le retournement conjoncturel permet d’espérer une réduction du déficit total par baisse du déficit conjoncturel, elle fait mine d’ignorer le déficit structurel. Il faut donc que la France joue le jeu plein et entier de ses engagements sans finasser et redresse la situation de ses finances publiques. Comme elle a déjà beaucoup mobilisé la fiscalité, la solution passe par une baisse des dépenses. Ce sont les fameux 50 milliards d’euros d’économie confirmés le 14 janvier 2014 par François Hollande, dont néanmoins le contour a du mal à se préciser. A moyen terme, la baisse de la dépense publique passe par une réduction de la masse salariale. Pour cela, il faudra passer soit par un appauvrissement généralisé de la fonction publique, comme on le fait avec le gel du point d’indice servant à calculer les évolutions salariales, soit par une réduction accélérée du nombre de fonctionnaires correspondant à une redéfinition des missions de l’État. Les pays qui ont le mieux réussi en la matière sont ceux qui ont opté pour cette deuxième solution.

Quelles seraient les conséquences pour l’Europe si la France ne prend pas de mesures?

En 2003, la France et l’Allemagne ont été menacées de sanction pour ne pas respecter le pacte de stabilité. L’Allemagne a compris qu’elle faisait fausse route et a corrigé sa politique budgétaire et, simultanément, réorganisé son marché du travail. La France a pris la chose de haut et a affirmé qu’elle n’appliquait pas le pacte parce qu’il était inapplicable. Résultat, l’économie française est aujourd’hui à la peine avec un chômage qui reste élevé, et une certaine difficulté à profiter du retournement conjoncturel et de la baisse du prix du pétrole. Sur le plan politique, la parole de la France est de moins en moins crédible. C’est parce que l’Allemagne n’ose pas trop s’affirmer que la logique du couple franco-allemand continue à fonctionner. Mais les négociations permanentes entre Paris et Bruxelles sur la situation budgétaire décrédibilisent nos propositions.




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