Les dangers sanitaires de l’industrie alimentaire
Nombre d’experts* s’interrogent à propos de certains risques sanitaires pour les aliments dits ultra transformé sans doute pour ne pas utiliser le terme plus clair mais plus accusateur d’industrie alimentaire, sorte de chimie qui ajoute nombre d’additifs aux produits de base :
« Dans de nombreux pays, le degré de transformation des aliments a augmenté au cours des dernières décennies. Aujourd’hui, les aliments dits « ultra-transformés » représenteraient 25 à 60 % des apports énergétiques journaliers en Europe, aux États-Unis, au Canada, en Nouvelle-Zélande, et au Brésil.
Or, depuis quelques années, les études suggérant qu’une consommation excessive de ce type d’aliments pourrait avoir des effets délétères pour la santé s’accumulent. Plusieurs recherches ont notamment mis en évidence un lien entre la consommation d’aliments ultra-transformés et un risque plus élevé de surpoids ou d’obésité ainsi que d’hypertension artérielle dans une cohorte d’étudiants espagnols, tout comme un risque accru de dyslipidémies (taux anormalement élevé ou diminué de certains lipides dans le sang : cholestérol, triglycérides…) dans une cohorte d’enfants au Brésil.
Jusqu’à présent, aucune étude épidémiologique n’avait étudié les relations entre la consommation de ces aliments et le risque de maladies cardiovasculaires. C’est désormais chose faite.
Les travaux de l’équipe EREN, qui associe des chercheurs en épidémiologie nutritionnelle de l’Inserm, de l’Inra, de l’Université Paris 13 et du CNAM révèlent, dans un article publié dans le British Medical Journal, que la consommation d’aliments ultra-transformés est associée à un risque accru de maladies cardiovasculaires.
Ces travaux robustes s’appuient sur des données issues de la cohorte NutriNet-Santé. Ils ont inclus plus de 100 000 participants, suivis entre 2009 et 2018, et porté sur >3 300 aliments et boissons différents, classés en fonction de leur degré de transformation.
La notion de transformation des aliments est complexe à appréhender, car les procédés possibles et les additifs autorisés pour modifier les aliments sont très nombreux.
Afin de clarifier les choses, des chercheurs de l’Université de São Paulo ont proposé de classer les aliments en quatre groupes reflétant les niveaux de transformation des aliments. Cette classification « Nova » catégorise les aliments en 4 groupes :
- les aliments pas ou peu transformés ;
- les ingrédients culinaires (sel, sucre, matières grasses animales et végétales, épices, poivre…) ;
- les aliments transformés combinant les deux premiers groupes ;
- les aliments ultra-transformés.
Ce dernier groupe inclut, entre autres, les sodas sucrés ou édulcorés, les légumes assaisonnés de sauces contenant des additifs alimentaires, les steaks végétaux reconstitués avec ajout d’additifs, les confiseries et barres chocolatées, et tous les produits transformés avec ajout de conservateurs autre que le sel (nitrites par exemple). On y trouve aussi les produits alimentaires principalement ou entièrement constitués de sucre, de matières grasses et d’autres substances non utilisées dans les préparations culinaires, telles que les huiles hydrogénées et les amidons modifiés.
Ainsi, les viandes rouges ou blanches salées sont considérées comme des « aliments transformés » alors que les viandes ou charcuteries contenant des nitrites et des conservateurs ajoutés, comme les saucisses et le jambon, sont classées comme « aliments ultra-transformés ».
Dans le même ordre d’idée, les soupes liquides en brique préparées uniquement avec des légumes, des herbes et des épices sont considérées comme des « aliments transformés » alors que les soupes déshydratées sont classées comme « aliments ultra-transformés ».
Formulés pour être microbiologiquement sains et pratiques d’utilisation, les aliments ultra-transformés ont, en moyenne, une qualité nutritionnelle plus faible que les autres aliments. Ils sont en effet souvent non seulement plus denses en énergie, plus riches en sel, sucre et acides gras saturés, mais également plus pauvres en fibres et en vitamines, et ils pousseraient à manger davantage.
Qui plus est, ces aliments ultra-transformés contiennent pour la plupart des additifs alimentaires (colorants, émulsifiants, texturants, édulcorants, etc.).
Ils sont par ailleurs susceptibles de véhiculer des substances provenant des emballages au contact des aliments, ainsi que certains composés « néoformés », c’est-à-dire produits lors des processus de transformation (chauffage à haute température, hydrogénation, prétraitement par friture, hydrolyse, extrusion, etc.).
Dans le cadre de la cohorte NutriNet-Santé, une association significative avait déjà pu être observée entre la part d’aliments ultra-transformés dans le régime alimentaire (en quantité) et une augmentation de divers risques : risque de cancers (au global et du sein), risque de mortalité, risque de symptômes dépressifs et de troubles fonctionnels digestifs.
Pour étudier les liens éventuels entre la consommation de ces aliments et le risque de maladies cardiovasculaires, nous avons recruté des participants qui n’avaient pas de maladie cardiovasculaire à leur entrée dans l’étude. Grâce à des enregistrements de 24 h répétés et validés, nous avons évalué la consommation alimentaire habituelle, et les milliers d’aliments et boissons consommés ont été classés en fonction de leur degré de transformation (selon la classification NOVA).
Les participants ont été suivis de 2009 à 2018 afin de détecter la survenue de maladies, et d’étudier les associations de ces maladies avec leurs consommations alimentaires. Les résultats sont clairs : la consommation d’aliments ultra-transformés s’est révélée être associée à un risque plus élevé de maladies cardiovasculaires, à la fois coronariennes et cérébro-vasculaires.
Une augmentation de 10 points de la part d’aliments ultra-transformés dans le régime alimentaire (par exemple, en comparant deux individus consommant respectivement 15 % et 25 % du poids de leurs aliments sous forme ultra-transformée) était associée à une augmentation de 12 % de risque de maladies cardiovasculaires au global (13 % pour les maladies coronariennes et 11 % pour les maladies cérébro-vasculaires).
Au sein des produits recensés par NutriNet-Santé, 85 % des produits de mauvaise qualité nutritionnelle (classés E par le NutriScore) étaient des aliments ultra-transformés.
Cependant, les résultats de nos travaux montrent que cette moins bonne qualité nutritionnelle globale des aliments ultra-transformés n’explique probablement pas à elle seule l’augmentation du risque cardiovasculaire. D’autres hypothèses mécanistiques sont envisageables, faisant par exemple intervenir des composés tels que certains additifs alimentaires ou substances formées lors des processus de transformation. Certains effets adverses sur la santé de tels composés ont en effet déjà été suggérés dans des études expérimentales.
C’est par exemple le cas de l’acrylamide, qui se forme au moment de la cuisson à haute température de certains aliments riches en asparagine (un acide aminé) et en amidon (frites/chips de pomme de terre, céréales du petit déjeuner, produits de panification, biscuits…). Cette molécule est reconnue comme cancérogène probable pour l’être humain, et a été liée au risque de maladies cardiovasculaires.
On peut aussi citer la carboxyméthylcellulose (E466), additif utilisé comme émulsifiant, qui, selon une étude sur des modèles animaux (souris), pourrait provoquer des réactions intestinales inflammatoires et augmenter le risque de syndrome métabolique, ou les matériaux au contact des aliments (comme le bisphénol A, maintenant interdit des emballages alimentaires et qui a lui aussi été lié à des désordres cardiométaboliques).
Les résultats obtenus dans cette étude sont robustes. Pour limiter les biais, ils tiennent compte d’un grand nombre de facteurs sociodémographiques et liés au mode de vie : âge, sexe, tabagisme, consommation d’alcool, niveau d’étude, activité physique, poids, les comorbidités métaboliques (maladies qui en accompagnent une autre), antécédents familiaux…
Cette étude observationnelle ne permet pas à elle seule de conclure à un lien de cause à effet. Cependant, des essais d’intervention au long cours, qui consisteraient à faire consommer des aliments ultra-transformés à des participants pendant plusieurs années, puis à évaluer l’impact sur leur santé (cancers, mortalité, maladies cardiovasculaires) ne sont pas envisageables.
Pour confirmer ces résultats, de nouvelles études épidémiologiques d’observation devront donc être réalisées, sur des populations diverses et dans d’autres pays. Il faudra également aller plus loin dans la compréhension des procédés de transformation grâce à de nouvelles approches épidémiologiques, couplées à des approches expérimentales in vitro et in vivo. Des essais randomisés, mais à court terme et portant sur des facteurs de risque précoces (comme la prise de poids) pourraient aussi être envisagés.
Aux États-Unis, un tel essai a récemment montré qu’un régime ultra-transformé favorise la consommation d’une quantité plus importante d’aliments, et la prise de poids.
En attendant d’en savoir plus, les recommandations nutritionnelles publiées récemment par Santé publique France dans le cadre du Programme national nutrition santé 2019conseillent, au nom du principe de précaution, de limiter la consommation d’aliments ultra-transformés et de privilégier la consommation d’aliments bruts ou peu transformés.
Pour parvenir à faire le tri dans les rayons des supermarchés, les consommateurs peuvent utiliser des applications gratuites comme celle d’Open Food Facts. S’appuyant sur une base de données ouverte et collaborative, elle permet en scannant le code-barre d’un produit alimentaire, d’afficher à la fois son NutriScore (logo qui renseigne sur la qualité nutritionnelle des aliments), sa catégorie NOVA (qui renseigne sur le degré de transformation), et la liste d’ingrédients (et d’additifs) qu’il contient.
Ce type d’outil est précieux pour atteindre l’objectif que s’est fixé le Haut Conseil de la Santé publique : réduire de 20 % la consommation d’aliments ultra-transformés en France d’ici à 2022.
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Pour aller plus loin : À l’occasion des 10 ans de cette étude publique coordonnée par l’équipe EREN, un appel au recrutement est lancé. Vous souhaitez vous aussi faire avancer la recherche sur les liens entre nutrition et santé ? Rejoignez les 165 000 « Nutrinautes » de l’étude NutriNet-Santé ! Toutes les informations sont disponibles sur etude-nutrinet-sante.fr/.
- Par Bernard Srour, Epidémiologiste – Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle EREN (Inserm U1153 / Inra U1125 / Cnam / USPC) – Centre de Recherche en Epidémiologie et Statistiques Sorbonne Paris Cité (CRESS), Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ; Mathilde Touvier, Directrice de l’Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Cité (USPC) et Serge Hercberg, Professeur de Nutrition Université Paris 13 – Praticien Hospitalier Département de Santé Publique, Hôpital Avicenne (AP-HP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Paris 13 – USPC